Ménage, Gilles [?] [1649], LE PARNASSE ALARME , françaisRéférence RIM : Mx. Cote locale : C_8_19.
SubSect précédent(e)

LE PARNASSE
ALARME.

 


A Nosseigneurs Academiques,
Nosseigneurs les Hypercritiques,
Souuerains Arbitres des mots ;
Doctes faiseurs d’Auant-propos,
Cardinaux Historiographes
Sur Intendãs des Orthographes,
Raffineurs de locutions,
Entrepreneurs de versions,
Paiseurs de breuets & de longues,
De voyelles & de diphthongues.

 

 


Supplie humblement Calepin,
Auec Nicot, Estienne, Oudin,
Et tous autres Dictionnaires,
Lexicons, & vocabulaires,
Par qui les Escholiers François
Des langues apprennent les Lois.
Disans, que depuis dix années,
On a par diuerses menées
Banny des Romans, des Poulets,
Des Lettres douces, des billets,
Des Madrigaux, des Elegies,
Des Sonnets, & des Comedies,

-- 4 --


Ces nobles mots, moult, ains, jaçoit,
Ores, adoncq, maint, ainsi soit,
Atant, si que, piteux, icelle,
Trop plus, trop mieux, ie quiers, Jsnelle,
Il ne m’en chaut, ie n’en puis mais,
Mauuaistié, blandice, empirance,
Tollir, cuider, angoisse, vsance
Pieça, seruant, illec, ainçois,
Comme estant de mauuais François,
Et ce sans respect de l’vsage
Ny de ces Maistres du langage
Les Amyots & les Ronsards,
Les du Bellay & les Tiards
Les Berthauds & les Vigenaires
Ausquels on prefere Porcheres
Les du Vairs, & les Coiffeteaux,
A qui l’on prepose Escuteaux,
Et bien que telle outrecuidance
(Soit dit saufvostre reuerence)
Fist prejudice aux Supplians,
Vos bons & fidelles cliens,
Et que de Gournay la pucelle
Cette sçauante Damoiselle,
En faueur de l’Antiquité
Eust nostre corps sollicité.
De faire ses plaintes publiques
Au décry de ces mots antiques,
Toutefois comme nous pensions

-- 5 --


Que le reste des dictions
Ne souffriroit aucun dommage
Par ces Correcteurs du langage,
Et que sous vostre authorité
Nous aurions toute seureté,
Nous nous serions par difference
Tous contenus dans le silence,
Aimans mieux perdre ces bons mots
Que de troubler vostre repos.
Cependant on sçait par la ville
Que depuis vostre Gomberuille,
Auroit iniustement proscrit,
Le pauure, car, d’vn sien escrit ;
Comme estant vn mot trop antique,
Et qui tiroit sur le gothique,
Et qu’aussi-tost le sieur Baro
Sur ce mot cria tant haro,
Qu’on alloit par cette crierie
Bannir de la Chancelerie,
Ce cartel est nostre plaisir,
Tant lors on estoit de loisir.
Sans que Conrard le Secretaire
D’vn tel mal ne pouuant se taire,
S’opposa genereusement
A ce cruel bannissement,
Vous remonstrant qu’en tout affaire
Le car est vn mot necessaire,
Que c’est vn mot de liaison ;

-- 6 --


Introducteur de la raison,
Et que depuis plus de cent lustres
Tousiours par des emplois illustres,
Il sert vtilement nos Rois ;
Dans leurs traitez & dans leurs Loix,
Et fust, non sans quelque risée
Sa remonstrance authorisée,
Par S. Amant, & par Faret,
D’vne Chanson de cabaret,
Dont, car, commençant la reprise
Fait que tout le monde l’a prise,
Que lors par trois ou quatre fois
Ils chanterent à haute vois,
En pleine troupe Academique,
En faisant à Baro la nique,
Voire mesme quelques esprits,
Qui meschamment ont entrepris
De nous reduire à l’indigence,
Vouloient contre toute apparence,
Par brigues & par faux tesmoins,
Proscrire, encore, neantmoins,
Pourquoy, d’autant, cependant, oncques
Or, toutefois, partant, & doncques,
Et prononcer vn interdit,
Tant contre, ladite, & ledit,
Que contre, lequel & laquelle
Vn quidam, vn tel, vne telle ;
Mais graces à l’Abbé Chambon,

-- 7 --


A Sirmond, au Pere Bourbon,
Au sieur Godeau le Paraphraste,
Au bon Baudouyn le Metaphraste,
Au Politique Prieusac ;
Au grand Epistolier Balsac,
A Chapelain l’Archiuriste :
A Vayer le Dialogiste.
Qui de parfait Pirrhonien,
S’est fait Academicien,
Au vieil Menard le Satyrique,
A Sillon le Melancholique.
Au petit Abbé de Bourzay,
Contre l’aduis de Cerizay,
De l’Estoille, de Malleuille,
De Gombaut & de Gomberuille,
Et d’autres à nous inconnus
Ces mots ont esté maintenus :
Or Nosseigneurs Academiques ;
Nosseigneurs les Hypercritiques,
Ce n’est pas tout, nos pauures mots
Ont bien enduré d’autres maux,
Mil ont esté bannis des Meltres
Les vns accourcis de trois lettres,
Les autres d’autant allongez :
Leurs genres ont esté changez
Par vne trop lasche mollesse,
Qu’ils appellent delicatesse,
Cerizay des mots masculins

-- 8 --


Ayant fait des mots feminins :
Car ce beau mignon fait la figue
A quiconque dit vn intrigue,
Et veut contre toute raison
Que l’on die de la poison.
Vne Epitaphe, vne Epigramme
Vne Nauire, vne Anagramme,
Vne reprocbe, vne Duché ;
Vne mersonge, vne Euesché,
La Doute, vne Hymnc, vne Epithete
Vne esuantail, vne squelette.
Bref, ce délicat Cerizay
Eust chaque mot feminisé,
Sans respect ny d’analogie,
Ny d’aucune étymologie,
Pour condescendre au doux Habert
Sans que l’Abbé de Bois robert
Nommé grand Chansonnier de France,
Fauory de son Eminence,
Cét admirable patelin
Aymant le genre masculin,
S’oppose de tout son courage
A cét effeminé langage.
De plus, depuis quatre ou cinq ans
Vn de nos plus grands Partisans ;
Afin de nous faire iniustice
Par belle & par pure malice,
Auroit de son authorité

-- 9 --


Dans l’Auant propos d’vn traité
Qu’il a fait suiuant son caprice
De la faculté concoctrice,
(Mais qui par ces obscuritez
Cause au Lecteur des cruditez)
Banny de ce noble Royaume,
Du Latin le docte Idiome,
(Comme langage de pedant)
Et par cét estrange accident,
La pauure langue Latiale
Alloit estre troussée en male,
Si le bel Aduocat Belot
Du bareau l’illustre fallot,
N’en eust pris en main la deffence,
Et protegé son innocence ;
En quoy certes, & sa bonté
Et son zele, & sa charité,
Se firent d’autant plus paroistre
Qu’il n’a l’honneur de la connoistre,
Semblable à ces preux Cheualiers
Les Palladins aduanturiers,
Qui deffendant des inconuës
Ont porté leurs nos iusqu’aux nuës.
En fin ie ne sçay quels Autheurs

 

 


Auroient prescrit aux Correcteurs
Vne impertinente Orthographe
Leurs faisant mettre paragraphe,
Filosofie, ofre, le tans,

-- 10 --


Liuer, Lotomne, le Printans,
Place Reale, le Reome,
Saint Ogustin, & S. Gerome,
Et retranchant mal à propos
L’S de la pluspart des mots ;
Comme, d’Estat, dotter, de nostre
D’estre d’estonnement, d’Apostre,
Dont son vsage est mal traité
Autant & plus qu’il fust du T.
Lorsque de toutes leurs querelles
Elle fit iuges les voyelles,
Si bien que les petits Grimaux
Ne rencontrans point tous ces mots
Suiuant nostre ordre alphabetique
Qui retient l’Orthographe antique,
Entrent aussi-tost en courroux,
Et lors nous frapent à grands coups,
Soufflettant le Dictionnaire
Aussi bien que le Despotaire.
Mais tout cela n’est rien au pris
De ce que nous auons appris,
Que Vaugelas dans sa Harangue,
Oppinoit à nouuelle langue,
Et que sous vostre authorité
En dépit de l’antiquité,
Dans son nouueau Vocabulaire
Et dans sa nouuelle Grammaire,
Il supprimoit nos dictions

-- 11 --


Auecque nos locutions ;
Ce qui, sauf vostre reuerence,
Outre la haute impertinence,
Qu’vn estranger & Sauoyard
Face le procez à Ronsard,
Seroit vne extréme injustice
Qu’à la fin apres le seruice
Que par nos doctes dictions
A tant, & tant de Nations,
En toutes sortes de sciences
Nous auons rendu dans la France,
On nous cassast honteusement,
Nous l’osons dire hautement,
Que tous les vieils Dictionnaires
Sont absolument necessaires.
Par eux s’entendent les Autheurs,
Par eux se font les Traducteurs,
Ils seruent à tous de lumieres
Dans les plus obscures matieres,
Ils sont les Docteurs des Docteurs,
Les Precepteurs des Precepteurs,
Les Maistres des Maistres des Classes
Et tels qu’on a creu sçauantasses,
A la faueur de leurs bons mots ;
Sans eux n’estoient rien que des sots,
Témoing, Nosseigneurs, ce bon homme
Qui laissa Calepin à Rome,
Tesmoing Mont mor ce Professeur,

-- 12 --


Qui passeroit pour vn fesseur,
S’il n’auoit point les trois Estiennes
Auec les Gloses anciennes,
Le Nomenclateur Iunius
Et Mathias Martinius.

 

 


Mais sans parler icy des autres,
Vous sçauez que parmy les vostres
Les plus renommez Traducteurs,
Et les plus celebres Autheurs,
Qui s’en font maintenant à croire,
Nous sont obligez de leur gloire,
Et cependant, ô siecle, ô mœurs,
Ce sont eux qui par leurs clameurs
Auiourd’huy dans l’Academie
Nous traitent auec infamie.

 

 


Quantesfois dans les versions
Sans le secours des dictions,
De moy Calepin & d’Estienne
Baudoüin estoit-il en grand peine ;
Sans nous Collomby dans Iustin
Estoit au bout de son Latin ;
Et dans son Terence Voiture
Auoit l’esprit à la torture ;
Dans Quinte-Curse Vaugelas
Dés le premier mot estoit las,
Vaugelas ce grand Interprete,
Lequel aujourd’huy nous maltraite ;
Mainard sans nous traduisoit mal

-- 13 --


Son Catul & son Martial
Et le Seneque faisoit nargues
A vostre Candidat de Fargues
Sans nous Giry n’entendoit rien
Aux escrits de Tertullien,
Et l’obscur Apologetique
A tous coups luy faisoit la nique ;
Dedans les Pseaumes du Marais,
N’eust pas fait comme il fait flores,
Le beau Patru dans sa harangue
Ne sçauroit de qui prendre langue,
Et cent fois, estoit à Chia,
Dans l’Oraison pro Archia,
Colletet dans sa Sainte Marthe,
Prenoit souuent Renard pour Marthe,
Mesme le hardy d’Ablancourt
Dans Tacite se trouuoit court
Sans nous Habert n’entendoit notte
Dans la Morale d’Aristote,
C’est à dire en la version
Qu’auec beaucoup d’attention
Et non faite en langue Latine,
De gens d’eminente doctrine :
Car quand au texte. Vt dicitur
Græcus is est, non legitur,
Que si nous sommes moins vtiles
Aux l’Estoiles, aux Gomberuilles,
Aux Cerisays, aux S. Amants,

-- 14 --


Aux Conrards, Baros & Racans,
Et tels autres sçauants Critiques
Des ouurages Academiques,
Les grands, & fameux Palatins,
Estrangers aux pays Latins,
Il est pourtant tres veritable
Que ce qu’ils sçauent de la fable,
Ils l’ont appris des versions
A l’aide de nos dictions,
Qu’il fut autrefois necessaire
De leur faire en langue vulgaire :
Ainsi quoy qu’indiscrettement
Nous leur seruions de truchement.
Mais sans regarder aux offices,
Aux assistances, & seruices
Que vous rendent les suppliants
Voyez les inconueniens
Que causeront vostre Grammaire,
Auec vostre vocabulaire
Vous n’en estes qu’à l’A. B. C.
Depuis plus d’vn lustre passé,
Que l’on trauaille à cet ouurage.
O ! nos chers Maistres du langage
Vous sçauez qu’on ne fixe point
Les langues en vn mesme point :
Tel mot qui fut hier à la mode,
Qui ce iourd’huy n’est pas commode,
Et tel qui fut hier descrié,

-- 15 --


Passe auiourd’huy pour mot trié,
C’est apres tout Monsieur l’usage,
Qui fait & deffait le langage,
Si bien qu’il pourroit arriuer,
Quand vous seriez prest d’acheuer
Vostre nouueau Vocabulaire
Et vostre nouuelle Grammaire ;
Que grand nombre des dictions,
Et plusieurs des locutions ;
Qu’on trouue maintenant nouuelles,
Et qui vous paroissent tres-belles,
Ne seroient plus lors de saison :
Nous ioignons à cette raison
Que tous les iours vostre critique
Descriant quelque mot antique,
Et les meilleurs, & les plus beaux
Sans qu’elle en fasse de nouueaux,
L’on seroit ô mal-heur insigne !
Reduit à se parler par signe :
Mais quand vous feriez d’autres mots,
Combien souffriroit-on de maux
Auant que de les bien apprendre,
Et de les faire bien entendre ;
Combien vous fraudroit-il de temps
Pour appaiser les mal contans,
Et faire que ce beau langage
Fut omologué par l’vsage,
Ce consideré Nosseigneurs,

-- 16 --


Pour preuenir tous ces mal-heurs,
Qu’il plaise à vostre courtoisie
Rendre le droit de Bourgeoisie
Aux mots iniustement proscripts
De ces beaux & doctes escrits,
Laissez vostre Vocabulaire
Abandonnez vostre Grammaire,
N’innouez ny ne faites rien,
En la langue, & vous ferez bien.

 

FIN.

SubSect précédent(e)


Ménage, Gilles [?] [1649], LE PARNASSE ALARME , françaisRéférence RIM : Mx. Cote locale : C_8_19.