Anonyme [1652], LA CRISE DE MAZARIN SVR SON A DIEV A LA REYNE. , françaisRéférence RIM : M0_848. Cote locale : B_12_3.
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LA
CRISE
DE MAZARIN
SVR SON A DIEV
A LA REYNE.

A PARIS,
Chez Ierosme le Blond, au Mont Sainct Hilaire.

M. DC. LII.

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LA
CRISE
DE MAZARIN

MADAME,

Si ie n’eusse iamais cessé de croire à nul autre, qu’à vostre
cœur, Auguste Reyne, sur la grandeur de l’amour que vous
auez pour le repos du peuple, & le bien de la France, auant
que pour la gloire du plus Auguste Monarque de l’Vniuers
vostre Fils ; ie n’eusse esprouué dans le plus haut estat de ma
fortune, les ressentimens extraordinaires de la crainte & de
la douleur ; mon ame ne se verroit sur le bord du precipice, si
ie n’eusse esté par trop credule aux solicitations feintes, & supposées,
par la passion de ceux qui pensent rendre leur malheur
moins sensible, m’y entrainent auec eux.

I’apprens par mon interest propre, que le Ciel ne nous
dicte ses loix, que par la bouche des Souuerains, & ne prononce
ses oracles, que par l’organe des Rois ; & que l’esclat de
ma gloire n’a commencé à perdre son lustre, que lors que i’ay
voulu esteindre les diuines flammes de vostre amour enuers
vos sujets : Il est vray que l’intemperance de mes desirs, & de
mon auarice a estouffé tous les rayons de ma dignité & de mes
grandeurs, & suis contraint par les témoignanes de mes yeux
mesme, & par les effects d’vne experience des desordres que
l’ay causé dans l’Estat, de men aller ; ie suis deuenu l’object de
l’ignominie & de l’opprobre de ceux de qui ie pouuois attendre
l’honneur & le lustre à la reputation de mon nom & de ma
conduite dans le gouuernement de l’Estat.

I’aduouë que le destin n’auoit point d’autres forces pour
m’abaisser : La France m’estoit redeuable de ses premieres
conquestes : Les alliez m’appelloient l’autheur de leur felicité,
ie me suis veu l’arbitre de la paix & de la guerre en tout l’Vniuers,
i’auois releué à en assez haut point de dignité la bassesse

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de ma naissance, i’auois surmonté la malice de l’enuie, i’auois
dompté les fureurs de l’enuie, i’auois dompté les fureurs de
de l’arrogance : Ainsi rien n’estoit capable de me rendre malheureux,
hors que de contrecarrer les sentimens que vous
auiez pour vostre peuple. Les souhaits que vous faisiez pour la
paix, & changer les conseils que vous preniez du Ciel, dans
vostre conduite, en des maximes d’vne prudence humaines.

 

Ie me repans, & quoy que ce soit trop tard, plus pour le
bien de la France que pour asseurer mon salut, ce sera tousiours
le meilleur & le plus conforme à mon deuoir, & plus
digne de la grandeur de vostre Maiesté, de vous tesmoigner
mon iuste repentir.

Partant, Madame, consultez auec DIEV, selon iadis vostre
coustume plustot qu’auec moy ce que vous auez a faire, ne
me retenez plus, donnez au plustost vostre consentement à
l’Arrest si iuste qui a esté fait contre moy ; permettez que le fer
qui s’est souillé dans les entrailles de vos suiects se laue
auec les larmes de mes regrets. A quel dessein voulez vous
sauuer la vie à celuy qui n’a pas sçeu conseruer celles des peuples ?
Permettez, permettez que mon esloignement ramene le
calme dans vostre Estat, & que ma fuitte dissipe la tempeste
que l’ay excitée par mon sejour.

Ie sçay que le desordre des peuples est plustost enchantement
du Ciel que l’effect d’aucune malice, lors qu’ils s’esleuent
pour porter leurs plaintes à leurs Souuerains, & s’opposer à
l’oppression & tyrannie de leurs fauoris : C’est pourquoy ie
conjure vostre Majesté de ne me pas priuer de l’aduantage
que i’espere de ma retraitte & du succez fauorable que i’attens
de mon heureux repentir.

Ne refusez cette grace à mes desirs, mes demerites excuseront
vos bontez, & la iustice qui se doit mesme exercer enuers
les Souuerains, ne doit pas exempter leur fauoris. La foudre
donne aussi bien sur les Lauriers, & les Cedres que sur les ronces
& les buissons, les peines duës aux forfaits ne doiuent
point estre changées par la distiction des grades n’y des personne.
Le Ciel absoudra vostre conscience de la protection
que Vostre Majesté m’a iuré, & au lieu quelle se ressente obligée

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à mon salut, ie souhaitte qu’elle ne soit qu’à ma perte
puis qu’elle sert à la traquilité de la France.

 

Ie ne suis plus Ministres, parce que les Ministres sont esleus
comme les sujets les plus dignes en prudence & en felicité
pour regir & commander les autres. Ie ne suis plus Cardinal,
car la pieté d’vn Cardinal qui ne doit s’employer que pour la
gloire de l’Eglise, & de la paix de la Chrestienté ; n’eust peu
s’emporter à des intrigues si detestables que de rompre la Paix
entre les Couronnes Chrestiennes, porter les armes du Turc
contre les Chrestiens, pousser les peuples à faire mourir leurs
Roys legitimes auec infamie sur les eschaffauts, mettre le feu
de la diuision dans l’Italie, fausser la foy à des personnes qui
se sont precipitez dans les reuoltes à mes persuasions, & entreprendre
vne guerre contre le Sainct Pere, sous pretexte
d’estendre les bornes de la France.

Quelles doutes, Madame, sçauriez-vous auoir de ma Confession
& de ma confusion qui s’est renduë visible enuers les
estrangers, quelles reigles auez-vous trouué dans ma prudence
qui s’est laissée precipiter aux appetits de mon auarice &
de mon ambition ? qu’elles bornes ay-je donné à ma temperance,
confondant mes conseils parmy les dissolutions & diuersitez
de nouueaux mets dans mes banquets ? quel exemple
ay-je donné de ma iustice qui ay-je tué sans raison & sans procedure,
par le venin les meilleurs membres de vostre Auguste
Parlement, & auec vne humeur tyrannique emprisonné les
Princes, despoüillé de leurs Charges & de leurs Gouuernements
les plus fidels & anciens Seruiteurs du Roy,

Sus donc, Madame, consignez moy entre les mains de la
douleur & du repentir : donnez à d’autre ce Ministere,mettez
ce gouuernail en d’autres mains ; ma Pourpre me remet en
memoire & me reproche auec de trop iustes raisons le sang de
tant d’innocens qui s’est respandu pour mon occasion : Cette
intendence du gouuernement de vos enfans ne conuient plus
à vn mal-heureux, & estimé ennemy du Roy, & de l’Estat.

Que la clemence qui vous est naturelle se change en rigueur
contre mes crimes ; & que la pieté en laquelle vous auez esté
si heureusement esleuée se tourne en diuision contre mes forfaits,

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que les afflictions de mon esprit ny le changement de
ma fortune, ny la grandeur de mes mal-heurs n’esmeuuent en
aucune façon la bonté de vos sentimens, puis que celuy qui
n’a point eu de bonté non plus pour les Citoyens, que pour
l’Estranger, pour vos Sujects que pour leurs ennemis, n’est
pas digne de receuoir les effects d’aucun pardon.

 

Ne portez pas le cœur de vostre jeune Roy à la vengeance
des plaintes du peuple, sous pretexte de quelque sousleuement
de peur que la candeur de son innocence & la pureté de son
âge ne viennent à estre ternie par le support qu’il donneroit
à mes demerites qui n’attendent que le chastiment. Permettez
encor ma persecution à vostre peuple qui n’a que trop
de patience pour tolerer la violence & l’iniustice de mon gouuernement ;
& si tous les hommes doiuent abhorrer combien
plus deurois-je auoir en horreur la tyrannie & la rigueur :
mes armes, mon nom, ma naissance, ma vie, mon grade, &
le rang que ie possede dans l’Eglise, que proteste, sinon la
protection des innocens, que professent-ils ; que la deffence
des Innocens, que professent-ils ; que la deffence des Peuples
& que recherchent-ils que la Iustice & l’obseruation des
Loix. Vn homme iniuste & violent se destruit soy-mesme sans
l’effort de ses ennemis : Le Ciel & la Terre coniurent sa ruine,
& Dieu le plus souuent escrases auec ses foudres ceux qui pretendent
de gouuerner les peuples sur les regles & la tyrannie
de leurs appetits.

Craignez, Madame (l’ire de Dieu comme ie l’apprendre,
& de vray) ie ne point d’autre motif que la colere qui aye peu
forcer vos peuples à prendre les armes pour la seureté de leur
ville, & soustenir vn Arrest tres-iuste donné contre moy.
Coyez, Madame, que l’indignation de Dieu, a seruy seul
d’instigatrice aux resolutions des Assemblées de vostre Parlement.
C’est la mesme colere de Dieu qui a osté la raison à
mon entendement, afin que ie tombasse de moy-mesme dans
vn precipice, sans ressource dans la honte d’vne infamie immortelle ;
& Dieu vueille par sa grace que ce ne soit point entre
les bras de la mort. Il est visibles qu’aucune puissance, hors
de la diuine, ne pouuoit & n’eust osé choquer n’y esbranler

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la grandeur n’y la fermeté de mon esleuement.

 

Quel desastre pour moy ; i’ay commis tant d’impietez parmy
les voleries & les violences, pour auoir persecuté les Predicateurs
des veritez les plus Catholiques ; emprisonné les
vns, exilé les autres, & supprimé la plus grande partie par des
moyens effroyables que le Ciel n’auoit encor veu; & que l’enser
a commencé de cognoistre ; I’ay abandonné tous mes
esprits à la malice des-lors que i’ay empesché ses oracles à
crier contre le vice, & à establir les meilleurs mœurs pour le
culte de Dieu : Aussi des-lors l’aduersité a trauersé le cours de
mes desseins, & l’infortune va descharger tous les coups de
la colere sur ma teste pour sa ruine.

Les tesmoignages de la bonté, de l’affection, & de la franchise
des François reprochent mes malices, mes cruatez &
mes fourbres à ma conscience.

Il me souuient que la France a reuelé ma maison à ses despens,
qu’elle ma reuestu de la pourpre en se couurans d’haillons,
& les foudres de Ratican eussent greslé sur ma teste, si
elle n’eust esté à couuert & a l’ombre de ses Lys.

Mais à quel propos, Madame, racontay je toutes ces choses
à la confusion de mon honneur ? Pourquoy me souuiens-je
de tous ces biens-faicts que i’ay si indignemens reconnus ; la
France n’est mal-heureuse que pour auoir nourry vn louueteau
qui la deuore, & esleué vn vipere qui la deschire.

Que seruent au François tant d’Eloge données à ma prudence,
& qui donnnent de l’enuie & de l’admiration à toute
l’Europe ; que leur a seruy la tolerance auec laquelle ils ont
supporté les excez de mon ambition & de ma cruauté l’espace
de tant d’années ; dequoy leur sert tant de complaisance pour
contenter la superbe de ma vanité ; quel aduantage ont acquis
mes amis de tous les perils qu’ils ont encourus pour me conseruer
dans mon Ministere, & quel prix receuront de leurs
playes toutes ces troupes qui ont si souuent combatu pour la
deffence de ma vie ; vne desolation execrable sans remede, vne
ruine espouuentable sans secours, vn esclauages suiuy de mille
douleurs, & vne mort languissant dans vne infinité de misere.

FIN.

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