La Colombière, Marc de Vulson de [?] [1649], RAISONS D’ESTAT, CONTRE LE MINISTERE ESTRANGER. , françaisRéférence RIM : M1_192. Cote locale : C_9_4.
Section précédent(e)

RAISONS
D’ESTAT,
CONTRE LE
MINISTERE
ESTRANGER.

A PARIS,
Chez ARNOVLD COTINET, ruë
des Carmes, au petit IESVS.

M. DC. XLIX.

-- 2 --

RAISONS D’ESTAT,
Contre le Ministere Estranger.

Vovs me demandez ce qu’on pensoit de mon temps,
de la confiance que la Reine Mere Marie de Medicis,
auoit establie au Mareschal d’Ancre. Moy qui
sans m’interesser beaucoup de ce qu’on faisoit à la
Cour, i’ay tousiours trauaillé, & pris soin pour m’instruire
de ce qu’on y deuoit faire : Ie vous aduouë
que ie suis beaucoup empesché, de quelle façon ie vous dois obeïr.
Mon aage, ny mes occupations, ne me permettent pas de composer
vn volume sur cette matiere, & pourtant ie sçay bien qu’il y a
suffisamment pour en faire vn. De sorte que ie vous satisferay sans
doute imparfaitement. Cependant il ne faut pas consulter de faire
ce que vous m’ordonnez, & tout ce que ie puis dire est de vous
escrire en abregé, les sentimens de nostre vieille Cour, & d’y ioindre
vn extrait des temps & des Histoires, pour vous monstrer que
les Estrangers ne doiuent point estre admis au maniment des affaires
publiques.

C’est vne maxime Politique receuë de tout temps, que les
Estrangers introduisent les mœurs & les vices de leurs pays, dans
celuy qu’ils viennent habiter, qu’ils y corrompent toutes choses,
& que de cette corruption naissent les vices, qui donnerent
autrefois sujet au Prophete Ezechiel de s’écrier contre Hierusalem :
Ta souche, & ta generation est de la Terre de Chanaan : ton pere est
Amorrhéen, & ta mere Cetheenne. C’est pourquoy le Sage defend
absolument d’admettre les Estrangers aux honneurs qui sont deus
aux veritables Citoyens. Ne transfere point aux Estrangers les honneurs
qui te sont deubs, & ne commets point tes iours à l’homme cruel, de crainte
que les Estrangers ne se fortifient de tes forces, & que les fruits de tes trauaux
ne passent dans vne main estrangere.

Hebreux

Ce mesme fondement a seruy au Philosophe dans sa Politique,
pour luy faire dire hardiment, que le moyen de destruire vn Estat,

-- 3 --

est d’y appeller des Estrangers. Ce qu’il fortifie par vne longue suite
d’exemples, faisant voir que tous les Estats qui les ont receus,
ont esté renuersez par eux, ou par les diuisions ausquelles
ils ont donné naissance : parce que tout ce qui n’est pas de mesme
nature que le reste, est vn principe de diuision, & toute diuision
emporte auec soy la ruine de la chose diuisée. C’est pourquoy
en toutes les Republiques bien policées, les Estrangers n’ont point
esté admis. Vous ne sçauriez douter de celle des Hebreux, puis que
ie vous ay desia fait voir l’auersion qu’ils y auoient, & le conseil de
leurs Sages sur cela. Ou s’il reste encore quelques scrupules, escoutez
la defense qui en fut faite au peuple, lors que Dieu luy promit
vn Roy. Tu ne pourras, dit le Seigneur, élire vn Roy d’vne nation Estrangere :
mais tu le choisiras parmy tes freres.

 

Escriture
Saincte.

Les Parthes ont tousiours eu de l’auersion pour les Estrangers,
& les Atheniens n’ont pas mesme voulu leur donner l’entrée de
leur ville. Et à cette loy de Solon, Pericles adiousta, que ceux-là
seulement fussent faits Citoyens d’Athenes, qui seroient nez de
pere & de mere Atheniens. De forte que Negoras eut de la peine ;
apres beaucoup de bien-faits & de seruices rendus à la Republique,
d’y estre admis au rang des Citoyens. Apres quoy il encherit
sur les autres, & fit vne Loy, par laquelle les Bastards estoient priuez
des droits de la Bourgeoisie, quoy qu’il la viola par apres
tout le premier en faueur d’vn Bastard, qu’il laissa pour son successeur.
Voyez iusques où alloit la delicatesse des Anciens, quand il
falloit estre estimé Citoyen de leur Republique.

Parthes.
Athieniẽs

Les Lacedemoniens & les Thebains, par l’ordre de Lycurgue,
donnerent l’exclusion des charges de leur Republique aux Estrangers.
Les Spartes obseruerent si exactement cette loy, qu’ils furent
appellez Dirinoxence, c’est à dire, comme vous sçauez, Inhospitaliers.
Et si quelques Citoyens sortans de Sparte sejournoient
chez les Estrangers, ils estoient punis de mort, pource qu’ils s’estoient
exposez & mis en danger de s’infecter de leurs vices, & de
les rapporter parmy leurs Concitoyens.

Lacédemoniens.
Thebains.
Spartes.

Les Egyptiens ne vouloient point auoir de commerce auec eux.
Et les Romains enfin les consideroient tousiours cõme indignes de
porter les marques de leurs Citoyẽs. C’est pour cela qu’vne de leurs
anciennes Loix leur defendoit de monter sur la muraille de la ville.
C’est pour cela que Marcellus Consul ne put souffrir qu’vn Estranger,

-- 4 --

à qui Iules Cesar auoit donné le droit de Bourgeoisie, fust esleu
à la charge de Decurion, & qu’il le fit prendre & foüetter dans la
place publique, afin de luy oster l’impression qu’il auoit euë qu’on
le deust traiter comme Citoyen Romain. Et c’est pour cette mesme
raison, que Claudius Cesar defendit aux Estrangers, sur peine
de morts, de prendre des nõs de familles Romaines, de peur qu’ils ne
confondissent entr’eux ce qui n’estoit deub qu’aux Citoyens de
Rome. Vous auez leu comme moy les plaintes qu’on faisoit contre
Iules Cesar : Cesar, disoit-on, triomphe des Gaulois, & les amene
captifs en cette ville, & ces mesmes Gaulois quittent dans le Senat
leurs robbes courtes, & en prennent de longues, au rapport de Tacite
liure 4. de ses Annales.

 

Egiptiẽs.
Romains

L’Empire d’Alemagne s’estant composé du debris du Romain,
en a gardé beaucoup de loix fondamẽtales, entre lesquelles est celle-cy :
Que la dignité de l’Empire ne puisse estre transferée à celuy
qui n’est pas originaire Alemand. Ce qui fit que Charles Quint,
lors qu’il fit le serment que les Empereurs sont obligez de faire,
iura qu’il n’admettroit point aux affaires publiques les Estrangers,
mais seulement des personnes choisies dans la Noblesse
d’Alemagne.

Alemãs

La Republique de Venize ne souffre point les Estrangers dans
son Estat. Les Suisses n’admettent dans les charges, que leurs
Compatriotes. Et les Princes des Pays bas trouuent entre les loix,
sur l’obseruation desquelles ils sont obligez de iurer quand ils entrent
dans le Gouuernement, celle de ne donner aucune charge
publique aux Estrangers.

Venize.

Suisses.
Païs bas.

Que vous diray-je des anciens pays de l’Europe ? Les coustumes
en sont diuerses. Mais par tout l’inclination a esté de tout temps
égale. Iamais les sujets naturels n’ont pu souffrir la domination
estrangere. Les Polonois, qui par le droit d’Election prennent
des Rois où bon leur semble, ne purent souffrir que Casimir
donnast les charges de Magistrature à des Alemands. Ils chasserent
pour cela Boleslas le Chauue, & le vieil Mizelas du
Royaume.

Polonois

Les Escossois aimerent mieux donner leur foy, & rendre obeissance
à vne femme Angloise, qu’à François le Dauphin. Et les Anglois
voyans qu’ils ne pouuoient empescher que Marie leur Reine
n’espousast Philippes de Castille, fils de Charles Quint, dont elle

-- 5 --

achepta la possession auec vne somme immense d’argent, entre les
conditions, moyennant lesquelles ils consentoient au mariage, celle-là
fut la premiere : Qu’aucun Estranger n’auroit la Magistrature,
ny ne seroit receu aux honneurs publics. Et bien qu’il y eust vne
parfaite vnion alors entre eux & les Espagnols, la ialousie pourtant
qu’ils en conceurent, lors qu’ils apprehẽdoient de leur voir tomber
le Ministere entre les mains, fut si grande qu’ils cõmancerent leur
capitulation par là, comme l’endroit qui leur estoit le plus sensible.

 

Escossois
Anglois.

François,
& Exemples.

Les François, qui ont tousiours voulu viure selon leur ancienne
liberté, n’ont iamais pu souffrir le Ministere des Estrangers, non
seulement pour l’apprehension qu’ils ont de se voir deuancez par
eux, dans les charges & dans les honneurs, dont ils sont tres-ialoux :
Mais pource qu’il leur a presque esté impossible de s’accoustumer
à la legereté des Anglois, à la pesanteur des Alemãds, au faste
des Espagnols, & à la longueur des Italiens, tant à bien resoudre
qu’à bien faire. Les nouuelles façons d’agir qu’on a voulu introduire
parmy eux, & sur tout dans les choses où il y a de l’interest
des particuliers, leur ont esté insupportables. Et nostre Histoire
nous en remarque peu, qui ayent remporté tout l’auantage qu’ils
s’en estoient promis. Charlemagne eut beaucoup de peine à étouffer
par a dresse ou par force, les conspirations que les Lorrains firent
contre luy : parce que pour la justice, & pour les armes, il se
seruoit plustost des Estrangers que de ceux du pays.

Charles Duc de Bourgogne, apres auoir essuyé les plaintes que
ses sujets firent contre luy, parce qu’il auoit éleué le Comte de
Campobacho Napolitain iusques à sa faueur & à son Ministere,
trouua qu’il auoit donné son affection à vn traistre, & que son
Estat estoit en danger par l’infidelité de celuy, à qui il en auoit confié
la conduite.

Charles le Simple ayant voulu au mépris des François, remettre
les principaux soins de ses affaires à des Alemands, fut enfin dépouillé
de sa Couronne, & finit sa vie en prison. Et Lothaire son petit
fils ne s’estant point rendu prudent par le mal-heur d’autruy, laissa
l’Empire si foible & si fragile à son fils, qui fut le dernier de la race
de Charlemagne & qui y commanda. L’Empereur Louys mesme
ne se put garentir, qu’auec beaucoup de peine, des conspirations
faites contre sa personne par ses propres enfans, & par les Princes
de l’Empire, parce qu’il auoit fait venir dans sa Cour, Bernard

-- 6 --

Comte d’Espagne, & qu’il luy auoit donné le secret de ses affaires
auec la charge de son Maistre de Chambre.

 

Enfin, pour abreger tous nos exemples en vn seul, rappellez en
vostre memoire la fin tragique du Mareschal d’Ancre, & l’Arrest
de la Cour de Parlement contre les Estrangers, pour les exclure
du Ministere : & prestez l’oreille aux murmures publics & particuliers
de tous les gens de bien, qui s’esleuent si hautement contre le
Cardinal Mazarin, dont on ne peut plus supporter la façon d’agir,
entierement contraire à celle de nostre nation. Ie ne touche point à
sa vie, & ne m’amuse point à exaggerer les reproches que quelques
vns font contre la pureté ou l’impureté de ses mœurs : Ie diray seulement
qu’il s’est gouuerné auec nous en sorte, que s’il continuoit
plus long-temps, la rage mesme ne trouueroit pas dequoy mordre.
Outre que la dignité qui le met à couuert contre toute sorte d’atteintes,
m’empesche d’en exaggerer dauantage.

Fin du
Mareschal
d’Ancre,
& l’Arrest
du Parlemẽt
de ce
tẽps-là.
Façon
d’agir du
C. M.

Mais s’il faut parler des choses qui ont esté visibles, ie vous prie
d’examiner sans passion chaque Courtisan en particulier. Et au cas
que tous ne crient & ne protestent qu’il a espuisé par ses longueurs
la bourse de tous ceux qui luy faisoiẽnt la cour, & la patiẽ ce des plus
sages, dites que ie suis vn meschant. Ils vous aduoüeront (& ie n’en
excepte pas ses plus intimes amis) que la lenteur auec la quelle il faisoit
du bien, rendoit ses ennemis ceux qui le receuoiẽt, parce qu’ils
le payoient au double auant que de le receuoir : & que la difficulté
qu’il y auoit de le voir & de luy parler, a ruiné dans les cœurs
de toute la Noblesse l’affection qu’on auoit au commencement
pour luy. Parce que les François croyent qu’on les oblige deux fois,
quand on leur donne promptement & de bonne grace, ce qu’ils
croyent leur estre deu, estans accoustumez à la façon de viure des
Ducs de Luynes & de Richelieu, qui enuoyoient chercher les
honnestes gens chez eux pour leur faire du bien, & qui preuenoient
les desirs & les necessitez de ceux qui le meritoient. En vn mot les
promesses generales qu’il faisoit à tout le monde, & l’inexecution
dont tout le monde se plaignoit, sont les raisons qui l’ont dépourueu
d’amis & de creatures. Hé d’où vient tout cela, sinon des
mœurs de son pays, ausquelles voulant tousiours se tenir ferme, il
se conduisoit par des voyes entierement opposées aux nostres ?

Ie vous ay iustifié par les Loix & par les Exemples, comme les
Estrangers ont esté bannis du maniement des affaires publiques.

-- 7 --

Maintenant ie m’en vais dire succinctement les raisons, sur lesquelles
on leur donne l’exclusion.

 

La premiere, si ie ne me trompe, a esté celle qu’Aristote, & saint
Augustin apres luy ont raporté, que les differences des mœurs & du
langage mettent la discorde entre les cœurs.

3 Raisons
pour lesquelles
on exclud
l’Etranger
du Ministere
des
Estats.

1. raison.

Le Prince estranger (dit vn de nos Docteurs) voulant conformer
le peuple aux mœurs, & aux coustumes de son propre pays, &
croyant que ce qui est honneste parmy les siens, le soit & le doit
estre dans l’Estat où il commande, non seulement il ne le corrigera
pas, mais il le perdra. Aussi c’estoit la plus grande loüange qu’on
donnoit à l’Empereur Probus, de ce qu’il connoissoit les natures
de toutes les nations qui composoient son Empire. C’est pourquoy
le meilleur de nos Historiens dit, que quand vn Estranger gouuerneroit
bien l’Estat, toutefois à cause de la difference qui sera entre
son esprit & les nostres, sa maniere de viure, & celle des François,
il donnera tousiours quelque suiet de plainte, estant impossible
qu’il connoisse particulierement la Republique qu’il conduit,
comme les Sujets naturels, cette connoissance luy estant absolument
necessaire auant toutes choses.

La seconde raison est, pource que iamais vn Estranger ne conduit
l’Estat auec la mesme passion qui se trouue dans vn Sujet naturel :
Le plus grand de ses soins est d’esleuer sa maison, d’accumuler
des thresors, & de faire sa retraite, quand il n’y aura plus rien à
prendre dans vn Royaume. Les Conseillers, dit Thucydide, qui
sont estrangers, ne trauaillent iamais aux choses qui regardent le
public, ou ils ne sont passionnez que pour leurs affaires particulieres,
ou s’ils resoluent quelque chose pour l’Estat, c’est sans y aporter
vne meure deliberation. C’est pourquoy les Politiques les appellent
negligens, & interessez, & croyent que les Sujets en receuront
tousiours bien moins de grace & de bien faits que des autres.
Vn Prince, dit Tacite, instruit aux coustumes estrangeres plustost
qu’en celles de son Royaume, sera non seulement suspect au
peuple, mais il passera tousiours pour fascheux, & peu bien-faisant.
Et ce que cét Autheur dit d’vn Prince, il le faut entendre également
d’vn Ministre, parce que bien qu’il y aye de la difference
dans le caractere, il n’y en a presque point dans le pouuoir.

2. raison.

Cette authorité de Tacite me fait passer à la troisiesme raison,
qui est qu’vn Estranger ne peut estre en seureté contre la défiance

-- 8 --

du peuple, ny contre la ialousie des grands, si premierement
il ne se fortifie de gardes, s’il ne dispose des meilleures places,
s’il ne change les Magistrats, s’il n’engloutit les charges seculieres
& les dignitez Ecclesiastiques, s’il n’arrache les Citoyens de
leur bien, & s’il ne leur oste le credit, pour donner tous les deux à
des estrangers : si en vn mot, il ne se fait diuerses creatures, pour
l’agrandissement desquelles il faut abaisser tout le reste, & ces
moyens sont insupportables au peuple.

 

3. raison.

Enfin, c’est vne chose honteuse à vn peuple, qui ne manque pas
de personnes capables du Ministere, de se voir soumis à vn Estranger.
C’est pourquoy, comme lors que cette eslection vient du peuple,
elle luy est des-auantageuse : parce que c’est vne marque de
sa lascheté & de son ingratitude, puis qu’il ayme mieux se soumettre
à vn Estranger, qu’à vn de ses Concitoyens. De mesme lors que
le choix d’vn Estranger pour Ministre, vient de la volonté du Prince,
il est honteux à celuy qui le fait, & au peuple qui le souffre :
parce que c’est vne marque presqu’infaillible, que dans tout l’Estat
il n’y a point d’hommes assez intelligens pour s’en bien acquitter.
Ce qui est la plus miserable condition, & du Prince, & du peuple,
dans laquelle ils se puissent trouuer. Et les Scythes, quoy que barbares,
l’ont si bien recognu, que mesmes il ne s’en purent taire,
estans en la puissance du grand Alexandre. Bien que tu sois, luy dirent-ils,
plus fort que tous les autres : toutefois souuiens-toy que personne
ne veut souffrir la domination des Estrangers, comme le remarque Herodote
en son liure 6.

Conclusion.

Section précédent(e)


La Colombière, Marc de Vulson de [?] [1649], RAISONS D’ESTAT, CONTRE LE MINISTERE ESTRANGER. , françaisRéférence RIM : M1_192. Cote locale : C_9_4.