Bourbon-Condé, Anne Geneviève de (duchesse de Longueville) [signé] [faux] [1649], LETTRE DE MADEMOISELLE D'ORLEANS ESTANT A POISSY, enuoyée à la Reine à saint Germain, pour le bien du Peuple. , françaisRéférence RIM : M0_1959. Cote locale : A_5_61.
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LETTRE DE MADEMOISELLE
d’Orleans estant
à Poissy, enuoyé à la Reine
à saint Germain, pour le
bien du Peuple.

MADAME,

Ie sçais bien que mon zele me rendra
criminelle, & que la passion que i’ay pour le bien
du Roy & du peuple, est blasmée par vostre Maiesté,
pour estre contraire à ceux que vostre bonté souffre
aupres de la personne du Roy, comme ses Ministres ;
mais qu’elle apparence de me taire, & voir
tant de personnes affligées, tant de pauures gens reduits
à la besace, & toute la France qui semble estre
en proye à ses ennemis. Ces flateurs qui sont aupres
vostre Maiesté, vous déguisent tellement les choses,
& les esloignent tellement de la verité, que vous
qui estes bonne, croyez fermement à leurs discours
(permettez-moy, Madame, de vous parser

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ainsi) & vous fiez entierement à ce qu’ils
vous disent ; pour moy qui ne suis preoccupée que
de ce que ie voy tous les iours, ie crois faire vn
insigne plaisir à vostre Maiesté, si ie luy descouure
des choses au vray, & si ie luy fais voir la misere
de toute le peuple.

 

Vous auez creu, Madame, deuoir vous vanger
d’vn affront imaginaire que les insolens Ministres
qui sont aupres de vostre Maiesté luy ont voulu faire
croire auoir receu de Paris ; mais i’ose luy dire
en toute liberté que le Roy n’a iamais eu de plus
fidelles & plus zelés seruiteurs que les Parisiens,
puisque de tout temps ils ont embrassé ses interests
auec tant d’affection, & les derniers preuues qu’ils
en ont données, ça esté dans leurs Barricades, quand
ils ont voulu conseruer au Roy ses plus affectionnez
suiets. Que vostre Maiesté ne s’offence point de ce
que i’ay dit, & qu’elle ait patience que ie le luy confirme.
Qui doit prendre le plus d’interest au bien
de la France, ou vn Estranger, qui ne cherche son
accroissement que dans la faueur du Roy, & dans la
ruine du peuple, ou bien des vrays François, qui
n’ont autre zele & autre inclination que de voir le
Roy en repos, & le Peuple à son aise, vous iugez de
vous mesme auec moy qu’on doit plustost porter
les interests de ceux-cy qui sont des interessez, que
non pas des autres, qui ne demandent que la perte
d’vn Estat. Ie sçay bien que ce discours ne plaira

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pas à ceux qui seront pres de vostre Maiesté, quand
on luy en fera la lecture, & qu’ils appelleront les Parisiens
des badaux & des rebelles ; mais qu’ils apprennent
de ma part, auec la permission de V. M. qu’ils
ne sont ny l’vn ny l’autre, & ils l’ont fait paroistre assez
euidemment : On ne bat plus leur dos, & bien
qu’on vous cele la perte de leurs meilleurs Capitaines
& Soldats, ie veux apprendre à V. M. que depuis
qu’elle est sortie de Paris, elle n’a pas eu grand aduantage
à les assieger, puis qu’elle y pert tousiours ses
troupes ; & que le pain qu’elle leur a voulu oster n’est
pas si cher qu’on luy fait accroire, & qu’ils en ont encore
pour soustenir vn siege d’vn an entier. Ils les appelleront
aussi rebelles ; mais en quoy le sont-ils ?
puisque ils ne leuent des gens que pour le Roy, ils ne
combattent que pour le Roy, & ne prient Dieu que
pour le Roy & pour ceux qui le seruent ? Veritablement
vostre Maiesté est sortie de Paris, & a emmené
le Roy auec elle ; Est-ce pour les declarer rebelles ?
Vous en ont-ils chassee ? au contraire, ils ne font des
prieres que pour vous ; Et comme ils ont tousiours
conneu vostre bonté & vostre zele, ils prient Dieu
qu’il vous desille les yeux, vous fasse voir la sincerité
de leurs affections au seruice du Roy & de vostre Maiesté,
& vous oblige à chasser d’aupres de vos Maiestez
ces insolents perturbateurs du repos public.

 

Entr’autres, Madame, ne permettez plus qu’vn

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homme (qui n’a aucune qualité en luy de recommandable)
gouuerne l’Estat, puis qu’il ne demande
que sa ruine ; qu’a-il fait depuis qu’il a le ministere
des affaires de France, sinon qu’enrichir des gueux,
de bastir superbement aux dépens du Roy, & de son
peuple soit dans Paris soit dans Rome, de faire des
somptuositez & magnificence hors de mesure, & de
mettre le Roy & son peuple dans la disette. Quelles
villes ont esté prises par son conseil ? qu’on ne m’en
nomme aucune, puisque ce seroit faire rort au Duc
d’Orleans Monseigneur & mon Pere, à Monseigneur
le Prince de Condé, aux Mareschaux de Schomberg,
de Gassion, de Rantzau, & autres considerables Generaux,
qui n’auoient pas besoin d’vn conseil si dangereux
& si pernicieux comme le sien, puis qu’il ne
tendoit qu’au dommage de toute la France, dont il
estoit originaire ennemy : On sçait qu’il a luy seul
causé la perre de Courtray, & qu’il vouloit empescher
la prise d’Ypre & de Tortose, & mesme la bataille
de Lens.

 

Ie parle des affaires de fraische memoire : & si ie
voulois vous dire sa naissance elle vous feroit horreur,
puisque vostre Maiesté a tant eu de bonté pour luy,
qu’elle l’a souffert si long temps dans le Ministere des
affaires. Et bien il s’est fait ennoblir auec son pere
noble Venitien, aux depens de qui, Madame ? aux dépens
du Roy, aux vostres, aux miennes, à ceux de tout

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le peuple : Il a fait faire son frere Cardinal, aux depens
de qui ? aux despens de ceux que ie viens de dire.
Il a gaigné les bõnes graces de la Seigneure Olympia,
aux despens de qui ? aux mesmes despens que ie viens
de dire. Il a fait venir tant de Perles & de pierres precieuses
des Indes, aux despens de qui ? aux mesmes
despens : Il a entretenu des espions par tout aux mesmes
despens. Mais ce qui me creue le cœur & me resiouyt
en mesme temps, c’est de voir que par ses meschancetez
& par ses magies, il a fait que V. M. le
souffre au gouuernement de l’Estat, que le Duc
d’Orleans Monseigneur & mon Pere, M. le Prince de
Condé, & toute la Cour le regardent comme dependans
en quelque façon de luy ; & que moy presque
toute seule ie cognoisse ses ruses, & n’ay iamais peu
estre surprise de ses magies.

 

Dieu l’a voulu ainsi, Madame, pour me reseruer à
vous faire cognoistre le tort qu’il fait au Roy, à vous
& à toute la France : & par son ordre, ie vous declare
auiourd’huy, que vous ne deuez plus souffrir cét insolent
aupres du Roy, ny aupres de vous, mais que
vous deuez le liurer au peuple, pour se vanger du
tort qu’il luy a fait, ou comme vous ne fustes iamais
cruelle, mais tousiours bonne & vertueuse, faites qu’il
se retire & n’infecte plus la Cour par ses meschancetez,
ie vous parle en fille, mais non en fille indiscrette,
puisque mon dire est appuyé de la Iustice du Ciel, &

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de la plainte de toute la France, qui aduoüe mes discours,
& qui sçait que ie suis inuiolablement,

 

MADAME,

Vostre tres-humble & tres-obeyssante
niepce & seruante,
ANNE DE BOVRBON.

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Bourbon-Condé, Anne Geneviève de (duchesse de Longueville) [signé] [faux] [1649], LETTRE DE MADEMOISELLE D'ORLEANS ESTANT A POISSY, enuoyée à la Reine à saint Germain, pour le bien du Peuple. , françaisRéférence RIM : M0_1959. Cote locale : A_5_61.