Morgues, Mathieu de [1643], LES DEVX FACES DE LA VIE ET DE LA MORT DE MARIE DE MEDICIS ROYNE DE FRANCE VEFVE DE HENRY IV. MERE DE LOVYS XIII. ROYS TRES-CHRESTIENS. DISCOVRS FVNEBRE. Par Messire MATTHIEV DE MOVRGVES Sr. de Sainct Germain, Docteur en Theologie, premier Aumosnier & Predicateur de ladite DAME ROYNE; Predicateur du ROY CATHOLIQVE, & Preuost de Harlebeke en Flandres. DEDIÉ A LA ROYNE CATHOLIQVE. , français, latinRéférence RIM : Mx. Cote locale : D_1_3.
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LES DEVX FACES
DE LA VIE ET DE LA MORT
DE
MARIE DE MEDICIS
ROYNE MERE
DV ROY TRES-CHRESTIEN
DISCOVRS FVNEBRE.

NE vocetisme Noëmi (id est pulchram) sed vocate
me Maria (id est amaram) quia amaritudi
ne valdèrepleuit me Omnipotens. Egiessa sum plena,
& vacuam reduxit me Dominus. Lib. Ruth. cap. I.

NE m’appellez point Noëmi (c’est à dire belle) mais
appellez moy Mara (c’est à dire amere) parce que le
Tout-puissant m’a remplie de grande amertume. Ie suis
sortie remplie, & le Seigneur m’a ramenée vuide. Au liure
de Ruth. cap. I.

MARIE ne peut estre MARIE sans amertume,
si elle ne quitte son nom qui signifie
mer amere. De là pourroit estre venuë
la croyance, que toutes les femmes
qui portẽt le nom de MARIE, sont suietes aux afflictiõs.
Cest vne faueur que IESVS fait à celles qui sont

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honnorees du nõ de sa sainte Mere, qui a esté affligee
par dessus toutes les Maries. Mais afin que ce nom de
grand respect, & agreable à Dieu ne donne point
d’apprehension aux ames foibles, i’adiousteray : que
si la main pesante de IESVS abaisse par quelque desplaisir,
celles qui portẽt ce nom qu’il ayme ; sa main
plaisante les releue aussi tost par la consolatiõ, afin
qu’elles puissent dire auec l’Espouse : Sa main gauche
est sous ma teste, & sa main droite me soustiẽt,
& m’embrasse. IESVS a tellement estimé ce nom,
que non seulement il a choisi pour sa Mere celle qui
le portoit ; mais encore a voulu, que la plus grande
partie des Dames, qui ont eu l’honneur d’appartenir
à son Humanité sainte, ou par proximité, ou
par alliance, ou qui luy ont rendu quelque seruice
durant sa vie mortelle, ayent eu le nom de MARIE
& qu’elles ayent resenty vn meslange merueilleux
d’afflictions & de consolations. Marie Magdelaine,
qui a commencé sa conuersion par le desplaisir de sa
repentance, a veu auec plaisir sa maison honnorée
par la presence de son Sauueur : elle y a veu auec vn
sensible regret mourir son Frere le Lazare, & bien
tost apres l’a veu resusciter auec autant d’allegresse
que d’estonnement. Si elle a veu Iesus mourante en
Croix toute fonduë en larme de douleur ; elle l’a
veu arrousée de larmes de ioye triõphãte de la mort
elle a du despuis passé plusieurs annees, tousiours

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& tousiours consolée L’amour parfait, qui auoit son
obiet dans le Ciel, ne pouuant estre en terre sans
douleur, nous pouuons asseurer, que celle qui a beaucoup
aimé, a par consequent beaucoup souffert.
Les trois Maries parentes ou alliées de Iesus voyoient
auec grande satisfaction ses miracles, entendoient sa
doctrine & les louanges que les Peuples luy donnoient ;
mais elle le virent aussi tourmenté par les
bourreaux, & attaché entre les voleurs. Si sa Resurrection
glorieuse les a resiouies : leur bannissement,
les dangers sur la mer, & la mort hors de leur païs,
estoient capable de les atrister. En suite de ces histoires
que l’Euangile & les Traditions fournissent à la
preuue de ma proposition, i’en pourrois produire
d’autre qui monstreroient, que Marie sœur de Moyse
peut auoir esté la premiere de ce nom, mais non pas
la seule tantost heureuse, & tantost malheureuse.
Apres le passage de la mer rouge, elle mene la danse
des filles & femmes Israëlites, & entonne la chanson
de triomphe : quelque temps aprés, elle est aigrement
tancée par ses freres Aaron & Moyse, & est touchée
de ladrerie. Ie ne pretends point faire vne liste de
toutes les Maries qui ont ressenty les contrarietez du
bien & du mal qu’on rencontre en ce monde. En
traictant des felicitez & infelicitez d’vne Royne, ie
ne veux prendre que l’exemple des Reynes. La vie de
Marie ; fille & heritiere de Loys Roy de Hongrie,

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& femme de Sigismond Roy de Boheme, nous fait
voir des commencemens heureux, suiuis des malheurs
si espouuãtables par les poursuites d’vn ingrat
qu’ils font horreur à ceux qui les lisent. Marie sœur
d’Alexis Comnenus, aprés vne grande felicité fut
miserable & emprisonnée, pour s’estre opposée à
Sebastocrator, qui abusoit de la bõté de l’Empereur
& vouloit enuahir l’Empire. Ie ne dis rien de Marie
femme de l’Empereur Nicephore Botoniates ; ny de
Marie vefue de Bauldouin Roy de Ierusalem ; ny de
Marie Mere de Ferdinand Roy de Castille, auquel ses
entreprises reussirent, lors qu’il traicta bien sa Mere ;
tout luy ayãt mal succedé lors qu’il l’affligea. Marie
heritiere de Bourgoigne fut en son enfance & ieunesse
fort trauersee, & eut beaucoup de contentement
en son mariage le siecle passé nous a fourny
l’exemple de l’vne & de l’autre condition heureuse
& malheureuse en vne Marie, laquelle a passé du lit
d vn Roy de France, & du Throsne du Royaume
d’Escosse sur l’eschafaut & sous l’espée d’un infame
boureau. Ie laisse plusieurs autres Maries pour retourner
a celle, qui a esprouué dauãtage cette alternatiue
vicissitude de ioye & de tristesse ; c’est la glorieuse
Vierge Mere de Iesus laquelle a esté esleuée
sur les plus hautes felicités que Dieu puisse enuoyer
à vne femme ? & par apres a esté plõgée dans les plus
profondes aduersitez qui soient arriuées à vne Mere

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ayant esté celle d’vn Dieu de gloire, & ensẽble d’vn
hõme crucifié, mort deuant ses yeux pour l’affliger,
& resuscité pour la cõsoler. Nous le prierons de vouloir
appuyer nostre foiblesse, qui entreprend de le
remercier des graces qu’il a fait à vne Marie, qui a eu
vne vie meslée de douceur & d’aigreur, afin que celle,
qui pouuoit estre perduë par la premiere, fut sauuée
par la seconde.

 

D Aug.
Sinedolore
viuitur in
amore.

[illisible]
[illisible]
garicarũdecad.
3. lib. 1.
Nicetas Choniates,
Zonaras Tom
3. Sanctius
Histor.
Hispan.
parte 4. cap. 8.

Les Cieux, qui sont les premieres causes qui concourent
à nostre temperament, & les Elemens, qui
sont les generales qui le composent, portent des
marques fort naifues des contrarietez qui se rencõtrent
en nostre vie. Voyez vous ces Cieux qui nous
monstrent vn astre fauorable en son ascendant, &
vn contraire en son opposition ? Dites hardiment,
que si ce rencontre n’est pas la cause, c’est l’image
de tout ce qui nous arriue dans le cours de la vie.
Voyez vous ce feu, qui selon la qualité & quantité
de son aliment, paroist tãtost clair, tantost fumeux,
tantost se fait craindre comme violent, & tantost
mespriser comme foible ? C’est nostre vie. Voyez
vous cet air, qui est tantost serein, tantost obscur,
qui maintenant nous monstre, maintenant nous
derobe le Soleil ? C’est nostre vie. Voyez vous cette
mer tantost calme, tãtost agitée, haussant & abaissant
ses ondes ? C’est nostre vie. Voyez vous ces riuieres
tantost nettes, tantost troubles, ores enflées,

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basses ; Voyez vous ces fontaines merueilleuses, qui
sont tantost chaudes, tantost froides, ores douces, ores
ameres ? C’est nostre vie. Voyez vous cette terre,
qui dans vn agreable Printemps est toute riante &
esmaillée de mille belles couleurs ; la voyez vous apres
dans vn triste Hyuer comme pleurante, & en habit
de deuil ? C’est nostre vie. Pardessus tous ces pour
traicts au naturel des changemens de nostre vie,
i’estime celuy de Seneque, qui la compare au chemin,
sur lequel nous roulons quelques fois auec plaisir
comme vn carrosse dans vne prairie, & bien tost aprés
nous tremblons, ou sur les pointes des rochers, ou
dans les fondrieres bourbeuses. Cette Statuë de l’Isle
de Chio, qui paroissoit auec vn visage gay estant
regardée par ceux qui entroient dans vn temple, &
monstroit à ceux qui en sortoient vne face triste,
estoit vn image müette, qui ne laissoit pas de parler,
pour nous enseigner les deux contrarietez, qui se
rencontrent dans nostre alternatiue vicissitude de
bien & de mal, de vie & de mort.

 

Ce sage reueur & clair-voyant aueugle Homere
auoit subiet de dire, que son Iupiter, qui est parmy
nous la Prouidence Diuine, estoit entre deux tonneaux
meslant & respandant sans cesse sur la terre
le doux & l’aigre, les felicitez & les miseres. Pour
monstrer que les vnes & les autres ont esté versées,
abondamment sur MARIE Royne de France, dressons

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vn petit abregé de sa vie, & commençons en descouurant
la face de la belle Noëmi, c’est à dire, de ses prosperitez.

 

Nostre Marie estoit sortie des Grands Ducs de
Toscane, nommez de Medicis, recommandables
deuant qu’ils fussent Souuerains par leur rare prudence,
par leur magnificence, & par leur liberalité
Royale enuers les hommes de merite, & gens de
lettres. Son Pere a esté le Duc François Prince bon ;
& sa Mere celle qui apporta dans la maison de
Florence la plus haute alliance de l’Europe ; c’estoit
Ieanne d’Austriche, fille de l’Empereur Ferdinand
Premier, & Niepce de l’inuincible Charles V. Ce
que ie peux dire de cette Princesse est, qu’elle fust
vertueuse, iusques à laisser dans les cœurs de ceux
qui la cognoissoient vne grande opinion de sainteté :
elle mourut lors que nostre Marie n’auoit que trois
ans. Son Pere la fit esleuer auec beaucoup de soin,
& permit, qu’elle suiuit ses inclinations curieuses, qui
la porterent à vouloir apprendre les principes de la
Mathematique, & à sçauoir quelque chose des arts
qui sont honnestes & nobles ; comme sont la peinture
la sculpture & la graueure. Ces diuertissemens de son
enfance estoiẽt dans ces beaux exercices du pinceau,
du ciseau, de la lime & du burin ; ayant aussi apris à
cognoistre les pierreries, & à discerner les vrayes
d’auec les fausses, parce qu’il n’y a point de piperie

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plus vtile à ceux qui la font, ni plus dommageable à
ceus qui la souffrent. Son Pere, ayant par sa mort
inopinée laissé nostre Princesse entre les mains du
Grand Duc Ferdinand ; cet oncle, qui estoit d’vn
naturel iouial, & d’vn entretien agreable, ayma cette
Niepce comme sa fille, & l’honnora comme sa
Maistresse. Il reietta quelques partis qui se presenterent
pour elle ; & la reserua pour vn Roy, ou pour
vn Prince qui pouuoit estre Empereur : cestuy-cy luy
manqua aprés quelques propositions ; ayant esté
destinée pour vn Roy de France, ainsi qu’il luy
auoit esté predict* par vne ame sainte. Dieu inspira
Henry IV. d’en faire la recherche. Le mariage estant
arresté, le Procureur qui l’espousa fut le Grand
Duc ; & le Cardinal de Florence, qui a esté du depuis
le Pape Leon XI. donna la benediction. Sa dot
fut de huict cens cinquante mille escus, outre les
bagues de grand prix, les ameublemens precieux,
& la restitution de quelques places, que le Grand
Duc tenoit sur la Mediterrannée ; leur situation les
rendant imprenables à la force, on les rendit à l’amour.
Le temps de conduire l’Espousée estant arriué,
les galeres du Pape, du Grand Duc, de Genes & de
Malthe, se ioignirent auec celle de France : entre
Iesquelles celle qui portoit la Royne estoit d’vne
merueilleuse structure, releuée à demy bosse, dorée,
peinte, equippée de voile & cordages d’or & de soye :

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la chambre auoit pour tapisserie des Fleurs de lys en
broderie de perle. La Grande Duchesse, la Duchesse
de Mantouë, la Tante & la Sœur accompaignerent
l’Epousée iusques à Marseille, où deux Cardinaux, le
Cõnestable de France, & le Grand Escuyer du Roy
la receurẽt au port de la ville qui n’auoit iamais veu
tant de galeres, ny ouy tant de canonades, ny tãt de
fanfares de clairons & de trompetes, ny le son de
tant de tambours, ny fait des magnificẽces pareilles
Les habitans de la ville, iusques à huict ou dix mille
hõmes, estoient dessous les armes, tous couuerts de
soye de diuerses couleurs. On voyoit le mouuemẽt
donné à plusieurs machines, & on passoit sous des
Arcs triomphaux, qui faisoient estimer l’esprit de
ceux qui les auoient embellis d’Emblemes & d’Inscriptions,
& descouuroient les richesses de cette
ville plus ancienne que Rome. Les autres villes de
France, qui estoient sur le passage de la nouuelle
Royne, firent à l’enuy des receptions magnifiques.
Auignon, subiete au Pape, ne voulut point ceder
aux plus affectionnées & plus belles villes de France.
Celle de Lyon, comme plus opulente, les surpassa
toutes, & eust l’honneur, que le mariage s’accõplit
chez elle. Le Roy Henry IV. y rencõtra son Espouse,
venant de la cõqueste de Sauoye & de Bresse. Par
quel bonheur commença ce Mariage, qui dans dix
mois produisit vn Heritier à la Couronne de Frãce ;

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qui fut suiuy de deux Freres, & de trois Sœurs. Les
Fils estans donnez de Dieu pour la tranquillité du
Royaume, & les Filles pour l’affermir par des grandes
alliances. Certes la consolation de la Royne ne se
peut exprimer, lors que Dieu luy enuoyoit tout ce
qu’elle pouuoit choisir, si le nombre & la qualité des
Enfans eussent esté à son choix. En suitte de cette
prosperité, on voyoit vn Regne, que la paix &
l’obeïssance des subiects rendoient heureux ; qui estoit
abondant en richesses, agreable par les honnestes
diuertissemens, & honnoré par les Ambassades qui
venoient de toutes les parties de l’Europe, & mesmes
de l’Asie. Toutes ces felicitez furent couronnées par
le couronnement de la Royne, fait auec la plus
grande pompe que la France aye iamais veu ; vne
autre Royne, Fille, petite Fille & Sœur des Roys de
France, ayant suiuy six. Enfans Royaux couronnez :
tous les Princes & Princesses du Sang de France, & de
quelques Maisons Souueraines : tous les Ducs, Pairs
& Officiers du Royaume s’y estant trouuez auec les
couronnes & manteaux conuenables à leurs qualitez :
quatre Cardinaux ayans assisté celuy de Ioyeuse, qui
estoit Doyen du Sacré College, & faisoit la ceremonie.
La ioye de cette magnificence ayant est changée le
iour suiuant en larmes, & les triomphes de la plus
belle entrée qu’on ave iamais veu à Paris conuertis
en l’appareil des funerailles du Roy Henry IV.

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miserablement massacré ; il semble que toutes les
prosperitez de la Royne deuoient finir auec la vie
de son cher espoux, qu’elle regreta grandement : mais
sa puissance fit croistre sa felicité. La Royne fut sans
aucune contradiction declaree & receue Regente du
Royaume, & Tutrice du Roy Mineur. Les richesses
que le Roy Henry IV. auoit laissé firent dire, que le
commencement de cette Regence estoit vn siecle
d’or ; & donnerent moyen à la Regente d’appeller
& d’appaiser les esloignez & les mescontens ; de
gratifier ceux qui pouuoient & vouloient bien seruir,
& de metre à leur aise tous les Princes & Grands,
que le Roy Henry IV. auoit par maxime d’Estat
tenus dans la mediocrité. On ne voyoit, & on ne
publioit dans la Cour de France que les effets de la
liberalité de la Regente, qui appuyoit son authorité
par les bienfaits & releuoit la Maiesté de son Gouuernement
par cent Gentils hommes de sa garde,
couuerts de hocquetons de velours brodé d’or &
d’argent, & par vne suite ; dãs laquelle tous les Princes
& Princesses qui s’y trouuoient, prenoient pour les
faueurs singulieres ses œillades, & pour vn subiect
de vanité, vne de ses paroles. Sa puissance estoit
absolue, & heureuse : elle creoit les Cardinaux en les
recommendant ; nommoit les Prelats ; donnoit les
Gouuernemens des Prouinces & des places, les
premieres charges de la Maison du Roy, & dans le

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Royaume toutes celles de Iustice, de Finances &
de Police, faisant paroistre son pouuoir absolu
en auançant les personnes qui luy estoient ou
agreables ou vtiles. Afin que ses diuertissemens
fussent profitables, comme ils estoient honnestes, ils
ne s’employoient qu’à esleuer des bastimẽs superbes,
à faire conduire des fontaines dãs Paris, & paracheuer
les ouurages, que la mort de Henry IV. auoit laissé
imparfaits. La plus releuee pensee de la Regente fut,
d’asseurer la paix du Royaume de France par la
double alliance auec l’Espaigne. Nonobstant toutes
les oppositions, son courage vint à bout de ce
glorieux dessein, qui eut apporté vn grand repos à la
Chrestienté, si on eut tousiours suiuy en France les
sages conseils de la Royne. Apres la conclusion des
traictez de Mariage, la Regente ordonna les demonstrations
de resiouyssances si extraordinaires, que nous
pouuons dire sans excez, que de plusieurs siecles la
terre n’a rien veu de si magnifique que ce qu’on
appella Carrosel, qui durant trois iours cousta plus de
trois millions de liures à la Royne, ou aux Princes
& principaux Seigneurs de France. Ie ne dits rien du
Balet de Madame, qui est à present la Royne d’Espaigne,
ny de ces palais enchantez, ny de ces machines,
qui faisoient voir le ciel en terre, la terre dans le
ciel, & mesloient les elemens sans les confondre.
Sa Regence fut couronnee par le remerciement du

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Roy dans le Parlement, & par des lettres patentes,
remplies de louanges pour la fidelité & prudence de
son gouuernement. O quelle belle face de prosperité
dira celuy qui ne voit que le visage de Noëmi, qui
signifie belle, non celuy de Mara, qui veut dire amere ?
Ne regardons pas seulement d’vn costé ce tableau à
deux rapports ; allons à la gauche, qui pleure, aprés
l’auoir consideré à la droite, qui rit. Dauid en ce
Cantique remply de mysteres, qui ne chantent autre
chose que l’Epithalame de Dieu auec son Eglise, a dit :
Toute la gloire de cette fille de Roy vient du dedans,
elle à vne frange d’or enuironnée de diuersitez.
Cette robe à fonds d’or est la prosperité ; les broderies
diuerses sont les afflictions qui l’ont persée pour
l’embelir. Les versions differentes l’expriment
mieux, lors qu’elles nous disent, que la tissure de la
robe est de boucliers, qui monstrent qu’elle sera
attaquée, & dans la defensiue. Les autres disent, que
cette broderie sera en eschiquier, où on va du blanc
au noir pour faire cognoistre, que dans le cours de la
vie des plus grandes Roynes, & mesme en celle de
l’Eglise de Dieu, on voit les aduersitez meslées auec
les prosperitez. Nous pouuons dire aussi, que le
passage des puissances plus releuées est vn liure de
musique, qui a autant ou plus de notes noires que de
blanches. Vn autre interprete dit, auec vne robe
semée d’yeux ; pour nous faire entendre, que si ce

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Roy des sentimens, ce soleil du corps, & son plus rare
ornement est la source de ses plaisirs ; il est subiet à
plus de cent maladies, est la fontaine des larmes, & la
monstre des douleurs de l’ame. Elles nous sont representees
aussi tost par ces paroles. Escoute fille, & voirs,
oublie tes peuples, & la maison de ton pere, comme
si l’Espoux luy vouloit dire : Que ta naissance & les
respects que les subiects te rendent ne t’enflent pas le
cœur ; oste de ton imagination tout ce qui pourroit
enorgueillir : & pour te faire cognoistre, que pour estre
fille de Souuerain, & Gouuernante des peuples, tu
n’es pas exempte d’afflictions, ie te donneray vne robe
meslée de blanc & de noir, semée de boucliers de
guerre, d’yeux rians & pleurans, qui te feront
souuenir, que tu es vne belle mortelle, & qu’encore
que tu sois Royne, tu possedes cette qualité auec vne
plus grande obligation aux miseres & aux desplaisirs.
Il est vray aussi, qu’il n’y en a point de plus sensibles,
que ceux qui surprennent les Grands & les Grandes
de ce monde, qui s’imaginent bien souuent que leur
condition les doit, & leur puissance les peut exempter
de mal : mais auec quelle vitesse se changent bien
souuent leurs plaisirs en desplaisirs ? les parterres des
fleurs qui iettent vne odeur trop forte, le soleil qui
se leue auec trop d’esclat, la lune enuironnee de
plusieurs beaux cercles de diuerses couleurs, presagent
les tempestes, & il ne faut qu’vn petit froid pour

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changer vne bonne rosée en vne meschante gelée.
Voyons ces changemens en nostre Royne, monstrons
comme les afflictions ont esté semees dans
tous les chemins de sa vie, mais particulierement
sur la fin.

 

On proposa
de la marier
auec Ferdinand
fils de
Charles Archiduc
de
Grace ; qui à
esté du depuis
Empereur.

* Par la
mere Pa[illisible].

La Royne
Marguerite.

Psal. 44.
Omnis
glaria eius
filiæ Regis
ab intus.
in fimbrii ;
[1 mot ill.] circum
amicta
varietatibus.

Elle perdit sa Mere en sa premiere enfance. Cette
perte ne se peur estimer, & les filles en ressentent les
effets tant qu’elles viuent : le soin d’vne mere estant
beaucoup plus fidelle & plus puissante que ne peut
estre celuy d’vne gouuernante. Ce qui affligea
dauantage nostre Royne fut (à ce qu’elle m’a declaré)
la conduitte du Grand Duc son Pere, lequel par vn
excez d’amour, c’est à dire d’aueuglement, ayant fait
monter au lict de la fille d’vn Grand Empereur la
vefue d’vn bourgeois de Florence : la generosité de
nostre Princesse ne pouuoit souffrir cet abaissement
fait par le poids d’vn amour desreglé. A la sortie de
l’enfance elle rencontra les perils, le foudre estant
tombé trois fois dans sa chambre : vne fois il cassa les
vitres en sa presence ; vne autre fois il blessa vne de
ses Femmes de chambre ; & pour la troisiesme il brula
les rideaux de son lict. Apres ces attaques du feu &
de l’air, les tremblemens de terre secoüerent rudemẽt
par trois fois en diuers temps le Palais du Grand
Duc, où elle estoit. S’estant vouluë promener sur la
mer prés de Pise, elle faillit à se perdre. Nous dirons
apres le danger qu’elle a couru autres deux fois par

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les eaux, afin qu’on remarque, que le feu, l’air, l’eau
& la terre l’on espouuentée trois fois, Son Mariage
auec vn Roy de France fut l’acquisition d’vn Lis entre
les espines : celles-cy sortoient des inclinations de
Henry IV. Prince adonné à ses plaisirs, qui diuisoient
son cœur. Celles qui le vouloient auoir tout
entier, entreprenoient sur l’amour legitime ; ainsi
qu’il arriue d’ordinaire en semblables rencontres. Vn
iour en passant le bac à Nully, à deux lieues de Paris,
les cheuaux du carrosse, dans lequel le Roy estoit
auec elle, s’ombragerent, & renuerserent le batteau
soubs lequel la Royne se trouua la plus enfoncée ; &
fut tirée du plus profond de l’eau par vn valet de pied,
qui la prit par les cheueux. Elle estoit alors grosse du
Duc d’Orleans qui mourut en enfance. Vne autre
fois estant au chasteau de Rosny, vne rauine de pluye
fit vn tel désbordement, que la maison fut sur le point
d’estre emportée ; & on fut contraint de sauuer la
Royne par vn eschelle appliquée aux fenestres. La
plus sensible de ses afflictions fut en la mort estrange
de son Espoux Henry IV. qu’elle auoit prié instamment,
de ne sortir point le iour qu’il fut massacré ;
vn pauure Gentil-homme de Bearn s’estant addressé
à elle, pour la supplier d’empescher que le Roy ne
parust point ce iour là dans les ruës de Paris, &
que s’il le faisoit, on le rapporteroit mort ; comme il
arriua.

 

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Il est vray, que sa Regence eut des commencemens
faciles, mais les suites furent remplies de mille difficultez.
Elle soustint durant son credit trois guerres
ciuiles, fondees sur des apparences de bien public,
par ceux qui le vouloient gouuerner, qui ne pouuoiẽt
souffrir l’auancement d’vn estranger, & qui desiroient
qu’on leur continua les presens qu’on leur
auoit fait : ce qui estoit impossible sans fouler le
Peuple, l’argent de l’espargne de Henry IV. ayant
esté employé pour appaiser ceux qu’on auoit souuent
achetez sans les acquerir. Ie tremble, lors que ie me
souuiens de la fin tragique de son authorité. Vne
femme de basse condition, releuée par la Royne,
ayant voulu trop auancer son mary, l’exposa au
massacre, tomba elle mesme entre les mains d’vn
bourreau, & ietta sa Maistresse dans le plus estrange
desplaisir qu’on aye iamais fait à vne Royne. On luy
osta ses gardes, on luy en donna d’autres, on mura
vne de ses portes, on fit vne exacte recherche dans sa
chambre, iusques à regarder soubs son lit, on la tint
huict iours comme captiue, & apres on la relegua à
Blois dans vne honneste prison, personne hors de ses
domestiques ne l’osant voir, qu’auec permission du
Roy sõ Fils. Ie ne dits pas d’où venoit ce mal, parce que
dãs vn discours de loüange ie ne veux blasmer & descouurir
que ce que ie ne peux ny excuser ny couurir.
Il suffit de dire, que ce qui affligeoit dauantage la

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Royne, estoit, de se voir mal traictée sous l’authorité
d’vn Fils auquel elle auoit esté si bonne mere ; luy
ayant conserué la vie & son Estat. Elle auoit aussi vn
extreme regret de se voir priuee de sa presence, & de
celle de ses autres Enfans ; à l’education desquels
Dieu vouloit qu’elle prit garde. Elle sçauoit, que des
gens qu’elle auoit tiré de la poussiere luy iettoient
celle qui luy creuoit les yeux : mais elle pouuoit
facilement secouer cette poudre, si son inclination
& la Religion ne l’eussent rendue ennemie de la
violence ; ainsi qu’elle a tesmoigné en plusieurs
autres occasions, qu’elle a eu pour se desfaire de ses
ennemis. Ayant esté contrainte de faire vn effort pour
tacher de retourner pres de ses Enfans, sa resolution
fut de sortir du Chasteau de Blois la nuict par vne
eschelle, & de se retirer à Angoulesme, où elle fit vn
peu de bruit, pour obtenir, en donnant quelques
apprehensions, ce qu’on ne vouloit point octroyer à
la raison. Ie passe la main legere sur les playes de cette
grande Princesse, & ne dits rien de ce qu’en peut
donner horreur. Ie ne parle point des trahisons
qu’elle souffrit, ny des peines que luy donnerent les
diuisions qui estoient parmy les siens. Elle sortit d’vn
embarras, pour entrer dix mois apres dans vne guerre,
à laquelle l’ambition d’vn homme l’engagea, pour
luy faire receuoir le desplaisir d’vn accommodement
desauantageux. Elle s’y resolut apres vn mauuais

-- 25 --

rencontre, dans lequel furẽt defaites quelques troupes
de son party, le plus grand qu’on aye iamais veu
en Frãce ; mais le plus malheureux, parce qu’il estoit
conduit par vn homme, qui le sacrifia à ses interests,
Le seul biẽ qui en arriua à la Reyne fut qu’elle reuint
à la Cour, c’est à dire, qu’elle s’approcha des subiets
de nouuelles afflictions ; ayant vescu vne année en
danger continuel, & deux autres années sans aucun
credit. Apres l’auoir acquis auec peine, elle le donna
à vn Prelat, qui estoit sa creature, l’ayant auancé aux
premieres dignitez de l’Eglise, l’ayant chargé de benefices,
d’argent & de meubles precieux, iusques à
auoir accable sa recognoissance. Il fit voir que Seneque
disoit vray, lors qu’il asseuroit, que le prest d’vne
petite somme rend vn homme obligé, & que celuy
d’vne trop grande partie le fait deuenir ennemy :
que certains naturels hayssent dauãtage, lors qu’ils
doiuent dauantage : que ietter trop de bois & tout à
coup dans vn feu, est le moyen de l’esteindre ; & que
d’en mettre moderemẽt, & peu à peu, est l’inuentiõ
pour l’entretenir. La Royne a recognu cette verité
à ses despens : l’Autheur de ses afflictions ayant esté
celuy, qui deuoit estre le procureur de son repos.
Mais cette ame ambitieuse estoit vn feu qui cõsumoit
tous ce qu’õ y iettoit & son auarice estoit vn
abysme, dans lequel toutes les liberalitez se perdoiẽt
Cet homme desiroit de posseder par soy-mesme ce

-- 26 --

que la Royne luy auoit acquis auec des soins merueilleux,
& despens extraordinaires, & vouloit
tenir par son authorité ce qu’il auoit pris par celle
d’autruy. Son ambition passoit plus auant, car il
tachoit de faire dependre de son credit celle qui luy
auoit confié le sien, & se mettoit en estat non plus de
seruir, mais de proteger vne Royne, qui l’auoit obligé
non seulement à bien viure auec elle, mais à mourir
pour elle. Sur la cognoissance que la Royne eut de ce
dessein, & de beaucoup d’autres choses qui luy desplaisoient,
elle luy tesmoigna quelque ressentiment ;
qui effaça touts ses biensfaits, pour imprimer en leur
place le desir de vengeance, qui se porta aux extremitez
que nous n’estendrons pas, mais que nous toucherons.
Quel deguisement qu’on apporte dans les papiers,
qui souffrent tout ce que la main maniée par vn
esprit corrompu y veut escrire ; la Royne fut conduite
en hyuer à Compiegne, pour y estre emprisonnée : elle
y fut laissée sans pouuoir dire adieu au Roy & à la
Royne sa Belle-fille, estant gardée avec toute sorte
de rigueurs, iusques à ce que les gardes furent retirées
apres cinq mois, pour luy donner moyen de prendre
le chemin qu’on luy fit monstrer, afin qu’elle passa
pour criminelle dans l’esprit du Roy son fils. On
recognoissoit, qu’il auoit des tendresses pour elle &
agreoit ses lettres : auxquelles on ferma le passage,
lors qu’elle se ietta dans la protection d’Espaigne,

-- 27 --

& eut pris la route des Païs-bas ; où on vouloit & on
fit en sorte qu’elle se retira. Elle sortit la nuit, s’estant
desguisee, & ayant dans douze ou treize heures passé
la frontiere de France. La seule consolation qu’elle
trouua fut dans l’accueil de l’Infante, Princesse sage
& sainte, qui la receut, la consola & l’assista. Nous
pouuons dire, qu’entre les plus cuisantes afflictions
de la Royne on doit mettre la mort de cette grande
Princesse, qui empeschoit que nostre affligée ne
resentit si viuement ses desplaisirs. Ils se redoublerent
par la mauuaise intelligence qui se ietta entre ses
Ministres & ceux du Duc d’Orleans : qui se portans
dans des extremitez estranges, ioüoient à Bruzelles
vne belle comedie à celuy qui fomentoit leurs querelles.
D’vn costé vn viellard ignorant & violent,
de l’autre vn ieune homme vacillant & sans experience,
vouloient conduire seuls la plus grande affaire
de la Chrestienté, pour laquelle les dix plus aduisez
hommes du monde n’eussent pas esté trop sages.
I’aduoüe que dans ce temps le feu du desir, que la
Royne auoit d’aller au centre de son repos, qui estoit
le cœur du Roy son Fils, faisoit quelques efforts, &
vouloit esbransler, & ietter en l’air quelque peu de
terre, pour courir là où la nature vouloit qu’elle fut.
Mais tout ce que ses gens entreprenoient, bien souuent
sans qu’elle en sçeut rien, estoit manié auec tant
d’imprudence, & commis à des personnes si infideles,

-- 28 --

que tout ce que cette pauure Princesse faisoit pour
auancer son restablissement le reculoit. La temerité
de son Ministre ne faisoit autre chose que de fournir
à son ennemy matiere pour entretenir le Roy aux
despens de sa Mere. Ie ne pretends point icy blasmer
ce grand Prince, qui a esté trompé auec trop
grand estude ; ie veux croire qu’il n’a iamais sçeu tous
les mauuais traittemens qui ont esté faits à sa Mere.
Ce qui me sembloit plus horible est, qu’on luy retint
sa dot & son douaire sans confiscation ny condamnation ;
& que le seul crime qu’on luy imposa, lors
qu’elle sortit de France, fut la mauuaise intelligence
auec celuy, qui s’estoit estimé heureux de porter la
qualité de son seruiteur, & de luy presenter ses heures
à la Messe. Il ne se contentoit pas de l’auoir priuée
de l’authorité, de laquelle il auoit tiré la sienne, & de
l’auoir renduë pauure, ayant esté enrichy par elle,
mais il luy enuoyoit en Flandre des iniures & des
calomnies dans plusieurs liurets infames, qui augmentoient
l’ingratitude de celuy, qui pensoit la
diminuer en deshonnorant sa bienfactrice. Il faisoit
voir aussi son imprudence, lors que par des grands
desguisemens de verité il attiroit celle qu’il ne
pouuoit souffrir. Ce que ie deplore par dessus toutes
les persecutions qu’on luy a fait, est qu’apres auoir
esté sept ans dans le Païs-bas honnoree parfaictement,
& assistee d’vn million d’or par le Roy Catholique,

-- 29 --

qui ne se lassoit point de la nourrir ; cette
bonne Princesse soit sortie des Estats de ce grandRoy
par vn mauuais conseil. Icy ie prie ceux qüi liront
mon discours, de croire qu’il n’est point affecté ny
desguisé, lors que ie dits, que l’Escriture sainte appelle
vne persuasion violente Contrainte, qu’elle dit, que
non seulement Dauid, ce Roy selon le cœur de Dieu
a esté contraint, mais que Iesus Christ a permis à son
Euangeliste d’vser de ce mot, qu’on l’auoit cõtraint.
Ie dits donc, que nostre bonne Royne fut forcee par
des estranges importunitez, ausquelles l’esprit d’vne
femme affligee pouuoit succomber. Ie sçay la piperie
qu’on luy fit, & si i’osois faire d’vne Oraison Funebre
vne Histoire, i’esmouuerois la compassion dans les
ames qui ont esté dans l’indignation. Il suffit de
dire, que le Roy Catholique, le Serenissime Infant,
& les Ministres d’Espagne ont tres-bien traicté la
Reyne, mais qu’elle a esté trompée par les siens
qui en cette occasion violenterent son naturel, &
emporterent sa prudence. Ie ne m’arresteray pas
dauantage en ce mauuais passage ; qui me desplait,
non seulemẽt à cause que ie fus laissé apres auoir tout
laissé, mais parce que ie ne voudrois rien rencontrer
dans la vie d’vne Princesse vertueuse, qui m’obligea à
faire vne excuse ou vne apologie. Il suffit, que les
meilleurs esprits cognoistront, que i’imite les bons
Peintres, en monstrant ce que ie veux cacher. Ie n’ose

-- 30 --

pas dire où elle alla à la sortie des Païs-bas, mais
i’asseure, que pour passer en Angleterre elle eut des
grandes difficultez, & fut durant sept iours le iouet
des vagues & des vents, qui luy firẽt sentir sur la mer,
qu’elle pouuoit estre appellée Mara, Dieu la remplissant
sur cet element amer d’vne grande amertume
& en l’ame & au corps. Le Roy de la Grande Bretaigne
l’adoucit vn peu par la bonté qui luy est naturelle,
& par vne honnorable reception, l’ayant conduite
à la Royne sa Fille ; qui luy tesmoigna des
tendresses & des amours incroyables, cherchant auec
son bel esprit toute sorte de diuertissemens, pour
tacher de faire oublier à sa Mere ses desplaisirs. Ils
s’augmenterent par les refus qu’on fit en France de
la receuoir ; tous les traictez qu’on luy auoit voulu
faire esperer, pour la retirer des Pays-bas, ayant esté
inutiles ; rien ne pouuant asseurer celuy qui l’auoit
offensee, & qu’il ne craignoit pas tant sa vengeance
comme le bon naturel du Roy. La Royne demeura
donc en Angleterre auec vn honnorable entretien
que le Roy son Beau-fils luy donnoit, iusques à ce
que l’assemblee du Parlement menaça son Royaume
de grands troubles ; & fit cognoistre à la Royne
que les Puritains s’offensoient de la liberté qu’elle
prenoit pour l’exercice de la Religion Catholique,
que le zele de la bonne Princesse rendoit quasi
public. Elle fut donc obligee de sortir d’Angleterre

-- 31 --

apres y auoir seiourné plus de trois ans. Ayant iugé,
qu’il luy estoit mal-aysé de passer par les terres
obeïssantes au Roy Catholique dans le rencontre
des guerres, elle prit son chemin par la Hollande,
pour se retirer à Coloigne ; tesmoignant dans tous
ses voyages vne generosité inuincible. La parfaite
resignation à la volonté Diuine, & son courage
Royal soustenoient la foiblesse de son corps, qui
sentoit les incommoditez de son aage, & qui eut
succombé aux afflictions, si Dieu ne l’eut appuyé par
les graces extraordinaires qu’il donnoit à son ame.
S’estant retirée à Coloigne par les mers & par les
riuieres, & ayant perdu en chemin son ancien Confesseur
le Pere Iean Suffren de la Compagnie de
IESVS, homme de grande vertu, & qui la consoloit
beaucoup, son esprit fut en continuelle agitation ;
tant à cause des affaires qui se passoient en France,
comme pour les rencontres des guerres, qui s’approcherent
du lieu où elle auoit pris sa retraitte. Elle
craignoit aussi les troubles qui menaçoient l’Angleterre,
& voyoit peu de disposition pour la paix, si le
ciel ne faisoit quelque notable changement en terre.
Sa veuë estoit fort abaissée, & on remarquoit vne notable
diminution en sa santé, lors que cette sainte
Prouidence, qui suit ses ordres eternels autant admirables
que secrets, voulut donner le repos à cette
grande Princesse par la mort ; qui est vn port pour les

-- 32 --

agitez, vn lit pour ceux qui trauaillẽt, vn bain pour
ceux qui sont eschauffez, vn creuset qui raffine nos
corps en les fondant, vne terre qui reçoit ce grain
mort pour le rendre viuant, & vn alambic qui fait
vn extrait de nostre essence, & en brulant la lie de la
mortalité, cõserue la nature pour n’estre plus mortelle.
Céte mort, qui paroisoit laide à nostre Princesse
lors qu’on luy en parloit en santé, par vn changement
qui ne pouuoit venir que de la main de Dieu
se presenta belle à ses yeux. Elle embrassa cette fin
de ses miseres auec toutes les tẽdresses de son cœur,
l’ayant purifié par vn exacte confession, l’ayant
fortifié par la saincte Eucharistie, l’ayant fait oindre
pour le combat, s’estant despouillée de toutes les
affections humaines, pour se reuestir de Iesus-Christ
crucifié : ce qu’elle fit parfaitement en pardonnant à
ceux qui l’auoiẽt emprisonnée, chassée, tenuë esloignée
douze ans, priuée de ces Enfans, de ses Palais, de
ses grands biens, de ses honnestes plaisirs, & par dessus
tout cela, auoiẽt taché par des escrits remplis de
calomnies de la deshonnorer. Ce qui fut plus remarquable
est, que ce pardon estant parfait, ne fit point
de tort à sa prudẽce : elle ne le voulut point accompaigner
d’aucun present, qu’on luy cõseilloit de laisser
à celuy qui l’auoit si cruelemẽt persecutée, disant
auec grãde raison qu’elle craignoit qu’il n’en tira cet
auantage, qu’il voulut se persuader, que la Royne luy

-- 33 --

auoit deuant que de mourir, fait quelque espece de
reparation ; ou qu’elle auoit approuué ses actions &
ses conseils qui auoient troublé la Chrestienté. Elle
fit & signa de sa main son testament auec vne merueilleuse
tranquilité & rare iugement. Pour monstrer
que son cœur de Mere n’auoit que des ressentimens
d’amour pour le Roy Tres-Chrestien, qui auoit
tousiours eu le partage de Roy & d’Aisné ; encore
qu’on l’eut affligée sous son authorité, elle luy donna
vne double benediction, & le declara auec le Duc
d’Orleans heritier de sa dot, de ses acquisitions, de
son magnifique Palais, de ses meubles precieux, & de
douze années des rentes, qu’on luy auoit retenu.
Elle donna à ses autres Enfans & petits Enfans des
marques d’vne amoureuse souuenance, en leur distribuant
ce que sa misere luy auoit laissé. Elle n’oublia
pas aussi ses pauures seruiteurs qui l’auoient assistée
en son affliction, & voulut qu’ils eussent des tesmoignages
de sa iustice, & de sa recognoissance. Ayant
disposé de tout ce qu’elle abandonnoit en terre,
son esprit fort libre ne pensa plus, qu’à s’ouurir le
chemin pour le Ciel, où elle enuoya beaucoup de
souspirs & de prieres. Peu de temps deuant sa mort
elle dit à sa premiere Femme de chambre ; Ie me souuiens
de la Pratique de bien mourir que i’ay apris du
Pere Suffren ; demanda le Crucifix que S. Charles
Borromée portoit aux mourans, & qu’il tenoit en

-- 34 --

sa main lors qu’il rendit l’esprit à Dieu. Ainsi mourut
MARIE DE MEDICIS Royne de France, Mere ou
Belle-mere de trois Roys, dans la ville des trois Roys,
le troisiesme de Iuillet. Ainsi acheua sa vie amere la
Mere & grãd-mere de tant de Princes & Princesses ; à
laquelle Dieu pouuoit dire ce qu’il disoit à Ierusalem
desolé : MARIE DE MEDICIS, qui te donnera vne
medecine, lors que ton affliction est aussi grande que
la mer ? Certes la seule mort suiuie d’vne vie meilleure
estoit capable de la guarir Ie ne diray rien de l’ouuerture
de son corps, qui fut faite contre sa volonté ; ny
de ce qu’on recognut dans ses entrailles, qui auoient
porté les Roys & les Roynes, & que ie peux dire
auoir esté bonnes à ses Enfans ; ayant pour ce subjet
pris pour sa deuise le Pelican, qui tire son sang pour
nourrir ses petits. Elle pouuoit dire en mourant auec
Noëmi, que ce grand Dieu qui l’auoit remplie d’amertume,
nous l’auoit donnée remplie de biens pour
la retirer vuide. Elle estoit venuë remplie, estant née
Fille d’vn Grand Duc & de la Fille d’vn Empereur.
Elle auoit esté conduite en France remplie de thresors
plus grands que ceux des Roynes qui l’auoient
precedée. Elle auoit esté dans ce Royaume remplie
d’Enfans, d’honneurs, de Majesté, de puissance,
de ioyaux, de terres assignées à son doüaire,
& rachetées des éstrangers par son mesnage. Ce
mesme Dieu, qui l’auoit ainsi remplie en venant,

-- 35 --

voulut qu’en retournant elle fut vuide ; s’estant
trouuée sans biens, sans suite, sans nombre de seruiteurs,
sans credit ; & aprés auoir esté errante sur les
mers & sur les terres, mourante dans vne maison de
loüage, sans estre assistée en ses derniers iours par
aucun de ses Parens. Le Serenissime Prince Electeur
de Cologne son Cousin Germain, a eu soin de faire
rendre aprés sa mort les respects que meritoit
vn corps, duquel on pourra dire vn iour, que tous
ceux des grands Princes & grandes Princesses de la
Chrestienté seront sortis. Si nostre Noëmi ou Mara ;
est sortie vuide de ce monde en la façon que nous
auons dit, elle estoit remplie de soixante-huict années,
& d’vne grande suite de petits Enfans. Ce
qui luy a esté plus vtile, est, que Dieu l’a ramenée à
soy pleine, comme Tabitha, de bonnes œuures,
d’aumosnes, de saints desirs & de merites ; qui luy
ont ouuert les portes du Ciel : où elle regne plus glorieusement
& plus paisiblement qu’elle n’a fait en
terre, qui est vn pais de trouble, de confusion, d’opinion,
de mensonge & de folie : où les Couronnes
Royalles sont des fardeaux pesans, des paniers remplis
de fruits, qui ont l’escorce douce, & les noyaux
amers. Ceux qui estiment le bon-heur de grands
par les habits & par la face, ne croyent pas, qu’ils
puissent estre mal-heureux dans le cerueau & dans
le cœur, qui sont les sieges de la vraye felicité.

-- 36 --

Les ambitieux desirent bien souuent d’auoir sur leur
teste vn diademe, que ceux qui en cognoissẽt le poids
ne voudroient pas ramasser, s’ils le trouuoient dans la
bouë. L’ibis, qui est vn vilain oyseau, fait son nid dans
les palmes ; & l’affliction, dans le cœur des Grands.
La nature du monde n’est pas faite autrement pour
les puissans que pour les foibles, si ce n’est en ce que
ceux qui en possedent les plus grandes pieces, ont
aussi vne plus grande part dans les desplaisirs de la
vie ; & sont moins preparez pour les souffrir, s’imaginans
que leur condition les exempte de tous, lors
qu’elle ne les garantit que des legers, pour leur reseruer
les plus pesans. Celuy qui doubteroit de cette
verité, ne croiroit pas, que l’Ocean fut agité plus
qu’vn estang, & qu’vn forest soit plus batuë des
vents qu’vne bruyere. I’oseray dire, que si les artisans
prenent quelque diuertissement pour descharger leurs
mains ou leurs yeux du trauail ; les Princes cherchent
quelques amusemens pour tromper les desplaisirs
de leur esprit, qui est beaucoup plus sensible que le
corps. I’adiouste, que les ennuis des Grands sont plus
cuisans que ceux des petits ; parce que leur nourriture
engendre vn sang plus subtil, que leur grand
loisir leur donne le temps pour peser les moindres
circonstances de leur mal, & que les flateurs leur
font cognoistre dans l’excez des loüanges l’indignité
des iniures qu’on leur fait. De ce discours on peut

-- 37 --

conclure, que mon intention est, de faire voir en leur
force les aduersitez de nostre Royne, pour releuer
par ces ombrages les viues couleurs de ses graces, qui
ont surmonté le mal par le bien. Celuy qui fait vne actiõ
de vertu morale, la fait paroistre toute seule, mais
celuy qui endure, exerce toutes les perfections natureles,
morales & Chrestiennes, la patience les appellant
à son secours. Remarquons les en nostre Princesse.

 

Dans la
declaration
faite sur son
emprisonnement.

2. Reg. 13.
Coëgit itaque
Absalom
eum

Luc. 24.
Et coegerunt
iuam
dicentes.

Spiritus
viri sustentat
imbecillitatem
suam. Prou. 18.

Magna est
velut mare
cõtritio tua :
quis medebitur
tui ? Thren. 2.

Egressa sũ
plen. & vacuam
reduxit
me Dominus. Ruth, c. 1.

Gen. 25’33
Iob. 42.
Plenus dierum.

Act. 9.
Hæc erat
plena operibus
bonis
& cleemosynis.
D. Bern.
Serm. 6.
de Ascensione
Domini.

In hoc mũdo
vbi malitiæ
plurimũ,
sapien[1 lettre ill.]a
parum.

Pour commencer par les natureles, disons, que
non seulement son ame estoit bonne, mais que son
esprit n’estoit pas mauuais. Ie confesse, que par quelque
humilité, ou modestie, ou facilité, la source de
ses miseres est venuë de ce qu’elle donnoit creance à
des esprits plus bas que le sien ; parce qu’ils l’entreprenoient
par des poursuites violentes, ausquelles elle
ne pouuoit resister, n’ayant pas (comme disoit sainct
Paul) l’esprit de contention, ou de contestation : mais
ie peux asseurer, que l’ayant estudiée durant le temps
que i’ay eu l’honneur de la seruir, ie n’ay iamais remarqué
aucun defaut d’industrie, & ay tousiours
pris garde, que lors que sans l’entreprendre auec
ardeur & sans la lasser on la laissoit dans ses sentimens,
ils estoient tousiours bons, iudicieux & iustes ;
ne s’en relachant, que lors que la fragilité de son sexe
faisoit succomber sa modestie à l’importunité & effronterie
de ceux qui se vouloient rendre maistres de
son esprit, qui a paru estre fort en ses afflictions,

-- 38 --

qui esprouuent non seulement les ames Chrestiennes,
mais les cerueaux des hommes. Elle a esté en cela
mal-heureuse, qu’elle a esté souuent mal seruie, à
cause que les meschans seruiteurs qui entreprenent de
conduire l’esprit de leurs maistres, reg ans mal le leur,
ne cognoissent pas, que seruir & gouuerner son Superieur,
sont des choses contraires.

 

1. Cot. 11.
Si quis videtur
contentiosus
esse,
nos talẽ
consuetudinem
non
habemus.

Les vertus morales, qui ont le plus esclaté en nostre
Princesse, ont esté la liberalité & la magnificence, les
ayant heritées de sa Maison. Sa liberalité paroissoit
en ses presens, qui surmontoient les demandes & les
esperances. Celuy qui a payé ses bien-faits de la plus
noire ingratitude que le monde aye iamais veu, a
receu à diuerses fois la valeur de plus de six cens mille
escus. Sa magnificence Royale s’est faite remarquer
principallement dans les batimens : elle a fait acheuer
tous ceux que le Roy Henry IV. auoit commencé ;
à sçauoir la Gallerie du Louure, l’Arsenal, la Place
Royale, le Pont neuf de Paris, les Thuilleries : Fontainebleau,
& S. Germain. Elle a fait conduire par vn
aqueduc de deux lieues les fontaines qui embellissent
& rafraichissent la ville de Paris. Elle y a fait planter
pour le plaisir des promenades, qu’on appelle le
Cours, des allées d’vne lieue, bordées de quatre rangs
d’arbres apportez auec grand soing & despence des
Païs-bas. Ie ne dis rien de son Palais de Luxembourg,
le plus superbe que la terre porte. Les meilleurs

-- 39 --

Architectes de l’Europe l’ont dressé : les plus rares
Sculpteurs d’Italie l’ont embelly : le plus sçauant
Peintre des Païs-bas Pierre Paul Rubeus l’a orné : les
plus beaux esprits de France ont fait les Deuises & les
Inscriptions qui sont semees dans les lambris. Les
plats fonds sont tous rehaussez d’or, ayant dans les
enfoncemens des tableaux des meilleurs maistres du
monde. Les pauez sont marquetez comme les plus
riches cabinets d’Allemaigne. Les vitres sont de crystal
de roche, enchassees dans l’argent : & ameublemens
d’Hyuer & d’Esté recherchez dans toutes les
parties de la terre. Les iardins, les parterres, les vergers,
les boscages, les palissades, les espalliers, & les
monasteres enfermez, font remarquer dans la curiosité
la pieté de cette industrieuse & religieuse Princesse. Sãs
cette vertu de Religion, qui est la premiere de toutes
les Chrestiennes, tout ce que nous auons dit seroit vn
excez, le propre de la pieté estant purgé l’ame des vanitez,
ausquelles la creature est encline, mesme contre
sa volonté, comme a fort bien dit S. Paul. Ie ne doute
pas que nostre Royne s’estant renduë recommandable
à Dieu, à sa glorieuse Mere & aux Saints, pouuoit
expier tout le mal ou la foiblesse de la vie ou la
puissance de la Royauté l’auoient renduë subjete.

 

a Rom. 3.
Vanitat,
enim creatura
subiecta
est [illisible]
volent.

b August.
lib. 2. de
Ciuitate
Dei c. 29.
Siquidinte
laudabile
naturaliter
eminet, nõ
nisi ver[1 lettre ill.]
pietate
purgatur
atque persuitur ;
impietate
vero
disp[illisible]gitur
& impunitur.

Sa pieté enuers Dieu paroissoit en ce qu’elle receuoit
ses plus seueres dispositions non seulement auec

-- 40 --

patience, mais auec respect & amour. Si la fragilité du
sexe tiroit par fois quelques larmes de ses yeux, la resignation
à la volonté Diuine les essuyoit bientost ; &
ie peux dire, que l’impatience, durant douze années
d’affliction, n’a iamais fait sortir de sa bouche vne
parole de murmure. Elle auoit recours dans les plus
rudes attaques à cette sacrée Table, que Dauid disoit
auoir esté dressée deuant nous contre ceux qui nous
persecutent. Elle communioit pour le moins vint fois
l’année, auec des grands ressentimens de pieté &
d’humilité, iusques à pleurer bien souuent. Son plus
grand soin estoit, de faire parer en sa presence ses
Chappelles & Oratoires, dans lesquels elle passoit tout
le temps de sa solitude en priere & en meditation.
Son Confesseur auoit tous les Vendredis vne conference
de deux ou trois heures auec sa Penitence, qui
luy rendoit compte exact de l’estat de son ame, luy
demandoit les remedes à ses imperfections, les
moyens pour se maintenir en la grace de Dieu, &
pour resister aux tentations. Nostre Royne ayant vne
parfaite cognoissance, que la Sainte Vierge est le canal
des benedictions, desquelles IESVS son Fils est la
source, elle cherchoit dans cet Ocean de toute sorte
de biens les rafraichissemens des consolations & les
richesses du Ciel ; tirant les premies de l’exemple, &
les secondes de l’intercession de sa grande Patrone.
Sa Majesté estoit si recognoissante des bien-faits de

-- 41 --

la liberale Royne du monde, qu’il n’y auoit quasi
point d’Eglise en France où la S. Vierge fit paroistre
plus ordinairement son credit, qui ne fut embellie par
quelque marque de sa pieté. Nostre Dame de Paris,
nostre Dame de Chartres, nostre Dame des Ardilliers,
nostre Dame de Liesse, nostre Dame des Vertus,
nostre Dame de S. Victor, & plusieurs autres chapelles
miraculeuses, l’ont veuë pelerine, & sont ornees
de ses presens ? on les voit aussi dans nostre Dame de
Lorete, de Montserrat, & en plusieurs autres pays
esloignez. Tous les Samedis en France & aux
Païs-bas elle visitoit quelque lieu dedié à la S. Vierge,
& taschoit d’augmenter son culte par tout. Elle a
voulu, que toutes les chapelles qu’elle a fait dresser
dans plusieurs monasteres de Paris, luy fussent dedies :
a esté soigneuse de faire tailler quantité de belles
Statuës des bois de Montegu, & de Foix, les ayant
enrichies d’or, de diamans & de perles, pour les enuoyer
en diuers endroits ; afin qu’elles attirassent la
deuotion des Peuples. Sur cet article de sa deuotion
enuers la S. Vierge ie pourrois faire vn liure, si ie voulois
publier toutes mes cognoissances. I’acheue par les
dernieres actions de la vie de nostre Royne, qui mit
son ame entre les mains de sa glorieuse Patrone, afin
qu’elle la presenta à son Fils ; & la parole qui acheua
la voix & la vie de Marie fut MARIE. Icy la tendresse
de mon ressentiment surmonteroit ma raison, si elle

-- 42 --

n’estoit soustenuë par vne admirable pensée de saint
Pierre Chrysologue, ou Parleur d’or, lors qu’il demande,
pourquoy le Sauueur de nos ames & de nos
corps ne voulut point resusciter le Lazare, que Marie
Magdelaine ne fut venue ; l’ayant fait appeller pour
assister à ce miracle : Parce que (dit ce bel esprit) sans
Marie la mort ne pouuoit estre chassée, ny la vie
reparée : que Marie vienne, que celle qui porte le
nom de ma Mere soit presente. Marie Mere de IESVS
ayant assisté au trespas de nostre Marie, qui doutera
qu’en sa mort temporele l’eternele n’aye esté chassée,
& qu’à la fin de la vie terrestre, la celeste n’aye
commencé ? I’adiousteray à ce discours de sa pieté sa
deuotion enuers les Saincts & Saintes. Ses principaux
Patrons & Patronnes estoient sainct Iean Baptiste
protecteur de Florence, S. François, S. Dominique,
S. Magdelaine, S. Therese, & le bienheureux Louys
de Gonzague qu’elle auoit veu en Italie. Du second
elle auoit le Cordon, du troisieme le Rosaire, & de la
cinquiesme le Scapulaire. Peu de temps deuant son
trespas elle dit à sa premiere Femme de chambre ;
I’espere que la Sainte Vierge, accompagnée des Saints
& Sainctes que i’ay eu en singuliere veneration,
assistera à ma mort. Elle auoit vne saincte curiosité
pour les Reliques, en ayant ramassé de toute parts
durant son credit vne merueilleuse quantité, des plus
rares & plus asseurées qui fussent en l’Eglise de Dieu

-- 43 --

estant soigneuse de les loger fort proprement & richement ;
en quoy elle faisoit paroistre son industrie auec
sa pieté Ie ne veux pas oublier sa recognoissance enuers
la venerable Mere Anne de S. Barthelemy, compaigne
de S. Therese. Sa Maiesté croiant en sa maladie
de Gand auoir receu la guerison par les prieres de
cette grande seruante de Dieu, entreprit de poursuiure
sa beatification, & n’espargna ny soins, ny
credit, ny argent pour auancer cet ouurage, qui luy
cousta beaucoup en vn temps auquel cette despence
la pouuoit incommoder. La riche & belle chasse d’argent,
que Sa Maiesté a laissé au monastere des Carmelines
d’Anuers pour y loger ses os, est vn tesmoignage
de sa liberalité qui la donna, & de son bel esprit
qui inuita le dessein.

 

Psalm. 22
Parasti in
conspectu
meo me[1 lettre ill.]sam
aduersus
eos qui
tribulant
me.

Ioan. II.

Pterus
Chrysol.
Serm. 64.
Duia sine
Mariâ nec
[illisible]ugari mors
[illisible]oterat, nes
[illisible]vita repa[illisible]ari ;
ve[illisible]iat
Ma[illisible]ia,
veniat
[illisible]aterni
[illisible]ominis
[illisible]aiula.

Toutes les vertus Chrestiennes se rencontrans en
la charité enuers Dieu & enuers le Prochain comme
en leur source, il me semble, que si ie les fais voir
toutes deux en nostre Royne, i’auray prouué, que
toutes les perfections d’vne ame Chrestienne se trouuerent
en elle La charité enuers le Prochain est vne
riuiere bien faisant, qui sort de la mer de la premiere
charité, qui est l’amour qu’on porte à Dieu ; & retourne
à sõ origine enflée de merites, apres qu’elle a arrousé
les terres, & abbreué les animaux. Cette vertu est
plus recommandable quand elle tache de faire du
bien, non seulement aux pauures & miserables de

-- 44 --

nostre siecle, & que diuers rencontres nous presentent ;
mais encore à ceux, que l’inegalité & l’iniustice
du monde produiront iusques à sa fin. Cette charité,
que ie peux appeller vniuersele & eternele, paroit en
la fondation des Hospitaux dressés pour le soulagement
des malades. Nostre Royne en a fondé & doté
deux grands à Paris ; vn pour les hommes au Fauxbourg
de S. Germain, soubs la conduite des Religieux
du Bienheureux Iean de Dieu, dits vulgairement Freres
ignorans, & appellé l’Hospital de la Royne ; l’autre
dans cette grande ville pour les femmes, gouuerné
par des saintes Religieuses enfermées : entre lesquelles
(ainsi que ie l’ay apris de Sa Maiesté) vne, qui a des
grandes lumieres de Dieu, luy predit deuant son
emprisonnement toutes les afflictions qui luy arriuerent,
& luy en descouurit la cause. Ie ne dits rien de
ce que durant sa Regence elle employa son authorité
pour reduire à vne meilleure regle la conduite de tous
les Hospitaux & Maladeries de France ; & qu’elle
n’alloit iamais en aucune ville, qu’elle ne leur fit du
bien. I’adiouste à ces ouurages de charité Chrestienne
ses aumosnes ordinaires ; qui estoit (lors qu’elle
ioüissoit de son bien) de douze cens escus par mois,
outre les extraordinaires qui se faisoient aux Religieux,
& aux pauures que la honte empeschoit de
mendier publiquement. Sa charité paroissoit aussi
enuers les prisonniers, deliurant à Paris la Sepmaine

-- 45 --

sainte ceux qui estoient detenus par debtes, & employant
des grandes sommes à cela : elle pratiquoit
le mesme dans les autres villes où elle seiournoit, ou
qui se rencontroient en son passage. Tels estoient
les exercices de pieté & de pitié de nostre bonne
Princesse, qui n’a rien emporté deuant Dieu que les
merites que sa charité luy a acquis. Cette vertu luy a
mis sur la teste la couronne de gloire, & luy a acquis
les biens eternels, sur lesquels la malice des hommes
ne sçauroit mettre la main. Ie tiens qu’elle est maintenant
dans le ciel benissant la Prouidence Diuine, qui
luy auoit donné des richesses pour luy faire exercer
la charité enuers les pauures, & les luy auoit ostées
pour augmenter sa charité enuers Dieu. O heureux
malheur ! qui faits retirer le cœur qui estoit respandu
dans les plaisirs de la vie ; & le remenant batu dans
soy mesme, tu faits, que rebuté du monde, il ne
cherche que son centre, qui est Dieu. Les afflictions
de nostre Royne augmentoient son amour, comme
l’eaüe iettée sur le charbon de pierre fait monter plus
haut sa flamme, & descouure le feu caché dans la
chaux. Si l’experience nous fait voir, que personne
n’acquiert la gloire par la paresse ; la Religion nous
enseigne, que les prosperitez de la terre ne donnent
point celles du ciel ; mais qu’on les gaigne en faisant
le bien, & souffrant le mal. Les chandeliers du temple
de Ierusalem ne se iettoient point en fonte, mais

-- 46 --

estoient batus auec le marteau. Les flambeaux du
Paradis, qui sont les Saints, ne se font pas au moule,
mais sont forgez auec beaucoup de coups. L’or, l’argent
& les prierres precieuses se salissent auec l’huille,
& se nettoyent auec le vinaigre. Les abeilles font le
miel, & meurent si on leur en met sur le dos. Les
Grands peuuent prolonger la vie aux pauures, mais
les delices les font mourir deuant Dieu. Les tribulations
nous preparent pour luy, & nous rendent capables
de voir celuy, qui n’est entré en la gloire qui luy
apartenoit que par la porte des afflictions. Sa Mere
n’a point eu de priuilege, que de souffrir par dessus ses
seruiteurs, pour auoir vne plus grande recompense, &
on ne peut mieux mesurer les hauteurs de ses felicitez
que par les abysmes de ses miseres. C’est le riché ioyau
de la saincte Croix qu’il faut que chacun porte, s’il
veut qu’elle le porte au ciel qu’elle a ouuert. IESVS,
aprés auoir porté au supplice ce glorieux fardeau, qui
l’a porté de la mort au triomphe, estime ceux, ausquels
il en fait present, & remplit d’honneur les afflictions,
lors qu’il les appelle sa croix. Si Pline disoit,
que le Centenier, qui battoit le soldat auec la vigne
rendoit sa peine noble, à cause de la noblesse de ce
bois ; ne dirons nous pas que le Chrestien est ennobly
estant batu auec les verges qui ont esté consacrées sur
le dos du auueur du monde ? Il a voulu que le bois,
sur lequel il a expié tous nos pechez, fut le rameau qui

-- 47 --

adoucit les eaux de Mara, qui sont les amertumes des
vrays Israëlites ses enfans, & de l’amere Noëmi.
Mais que dirons nous des vtilitez, que nostre grande
morte a retiré des tribulations ? Dieu l’a humiliée,
en luy faisant comprendre, qu’elle estoit comme le
reste des hommes & des femmes dans le pays des afflictions.
Dieu luy a fait voir, en la iettant par terre, que
peut-estre la prosperité l’auoit eleuee en l’air ; & que
la puissance, amie de l’impatience, ne luy auoit peu
enseigner, ce que la patience luy a fait cognoistre en
sa misere : que si la seureté auoit esté la mere de la
negligence, la peur deuoit esueiller sa diligence. Si
estant riche & respectee elle auoit manqué de compatir
aux miserables, c’estoit à faute d’auoir esprouué
leur condition, que Dieu luy a voulu faire sentir.
Enfin cette sainte Prouidence desiroit, qu’elle remarqua
les maux que les biens de ce monde apportent.
Mais c’est vne grande marque que nostre Royne ne
s’estoit point trop eleuée dans les prosperitez, puis
qu’elle ne s’est point abatuë dans les aduersitez ;
estant chose asseuree, que l’ame qui est insolente dans
les premieres, est lache dans les secondes : Ce n’est pas
assez de dire, que nostre Royne ne s’est pas perduë
dans les afflictions ; il faut adiouter qu’elle en a tiré
des grands auantages. Dieu luy a osté sa puissance, l’a
despoüillee de ses biens, & l’a tiree hors de la presse
& du bruit, pour luy donner le loisir de se cognoistre,

-- 48 --

pour augmenter les biens de son ame, & l’instruire
dans la solitude. Les prosperitez empeschent, qu’on
n’escoute Dieu ; parce que les creatures font trop de
bruit, & que dans l’authorité Royale, tous ceux qui
accourent pour en tirer les charges & les biens en les
puisant dans ces fontaines publiques, les troublent
bien souuent. Nous lisons & admirons dans l’Escriture
sainte les hautes leçons que Dieu a fait à Iob couché
sur le fumier ; & nous apprenons dans la sainte vie
& estranges afflictions de ce Roy, que la Diuine
Bonté, qui veut conduire vne ame à soy, luy fait
meriter par les œuures de charité, faites dans la prosperité,
les instructions & les graces, qu’apportent les
aduersitez bien receües. Celuy qui desireroit que tout
l’hyuer fut doux, seroit ennemy des arbres fruitiers,
qui pour estre fertiles, doiuent sentir les gelées. Celuy
qui veut auoir vne vigne feconde, doit sçauoir, qu’il
ne la peut rendre riche en fruit, qu’en la faisant
pauure en serment. Les Palestins, qui veulent cueillir
beaucoup de dattes, arrousent les pasmiers auec
de l’eaüe salée. Les figues en Egypte ne meurissent
iamais, si l’arbre n’est deschiré auec des peignes de
fer : ce qui a fait dire à Pline auec raison, qu’il y a des
choses en la nature, ausquelles on ne peut faire du
bien, sans leur faire du mal. Ie sçay bien, que les ames
delicates apprehendent ces caresses de Dieu, & voudroient,
que sa sainte Prouidence espargna leur

-- 49 --

foiblesse : mais estant impossible, que les delices passantes
produisent les eternels, il vaut mieux par vn
chemin court & pierreux estre conduit à vn festin de
nopces, que par vn beau iardin estre mené sur vn
eschafaut de supplice. Les petites ames ont peur de
l’affliction, & sont semblables au treffle, qui dresse ses
feuilles contre le Ciel, lors qu’il menace la terre de
quelque tempeste. Mais qui peut auoir la paix en
resistant à Dieu ? Releuons nos courages par ces beaux
mots de S. Gregoire Pape ; O tourmens de la misericorde
de Dieu ! il aime, & il afflige. C’est, disoit saint
Cyprian, la loüange de la foy, par l’esperance des biẽs
qui nous attendent, souffrir les maux qui se présentent.
Nous combattons vn moment pour vne couronne
eternele ; & par vne ligne courte, qui n’est qu’vn
point roulant, nous entrons dans vn cercle, duquel
on ne sortira plus, & qui est tout enuironné & remply
de felicité. Quiconque comparera tout le temps
auec l’eternité, trouuera, que celuy là n’est rien, & que
cette-cy est tout : à plus forte raison, quand nous verrons
la petite part que nous auons dans ce rien, nous
iugerons, que par vn rien de ce rien nous pouuons
gaigner le tout du tout. MARIE DE MEDICIS est
passée par le temps de soixante huict années à l’eternité ;
c’est à dire, par vn moment à vne duration
infinie : & ayant eu dans ces soixante huict années
douze fascheuses, & les autres meslées de bien & de

-- 50 --

mal, elle estime ce mauuais instant, qui luy a acquis
cette bonne eternité. C’est cette eternité, qui en produisant
le temps dans son sein le deuore ; & par son
immensité, qui est deuant & aprés, ne permet pas, que
ce qui commence & finit, soit vne partie de la durée
de ce, qui est sans commencement & sans fin ; ny que
ce qui est diuisé entre le passé & l auenir, & n’est lié
que par vn instant, soit quelque chose, estant comparée
auec celle, qui est tousiours presente & immobile :
nostre vie roulante, ne touchant ce plan que par vn
point, on peut dire qu elle n’est point. Tout le
temps n’est pas vne goutte dans cet Ocean, vn grain
de sable dans cette terre, vne petite bourre dans cet
air, vne estincelle dans ce feu, & vne estoile dans ce
ciel. Dieu veut cependant, que ce moment nous
produise vne infinité de biens ou de maux. Si nous
auons les biens, nous n’en pouuons desirer d’autres,
parce qu’ils sont tous ensemble. Comme ils ne passeront
pas, ils ne viendront pas aussi ; comme toute la
longueur de l’eternité est vn estre sans pieces, elle ne
fait rien attendre, & ne cache aucune partie de ses
thresors, les donnant tous à l’entrée, & n’en pouuant
iamais oster la possession Nous croyons auec beaucoup
d’apparence, que l’exercice de ses bonnes œuures,
& la souffrance des mauuaises actions d’autruy,
ont logé nostre Royne dans cet estat bien-heureux,
oû elle mesprise esgalement les biens & les maux de ce

-- 51 --

monde ; recognoissant qu’ils ne sont que les ombres
des biens qu’elle a gagné, & des maux qu’elle a
euité : estant chose veritable, qu’il n’y arien de bon,
que ce qui dure pour tousiours ; ny de mauuais, que ce
qui ne finit point. Nostre Royne adore maintenant
les ordres de la sainte Prouidence ; laquelle ayant
preueu, que cette ame se pourroit perdre viuant en
Royne dans le magnifique Palais de Paris, l’a sauuée
comme vne vefue deuote dans la maison d’vn Cauailler
à Coloigne. C’est là où huict mois deuant sa fin
nostre MARIE a escouté le sage conseil que S. Bernard
donnoit à vne Royne appellée Marie : c’estoit la
Vefue de Bauldouin Comte de Flandres, & Roy de
Ierusalem, à laquelle ce fauory de la S. Vierge escriuoit
ces belles paroles : Faites prouision de bonnes œuures
deuant Dieu comme Vefue, & deuant les hommes
comme Royne. Vous serez bien-heureuse, si dans
vostre affliction & viduité vous vous iettez entre les
bras de IESVS crucifié, qui vous instruira mieux
que ne fit Salomon la Royne de Saba. Enfin souuenez
vous que vous ne serez pas vne bonne Royne, si vous
n’estes vne bonne Vefue. D’où ie tire cette cõclusion,
que nostre Royne, n’ayãt iamais esté meilleure Vefue
que lors qu’elle a esté plus affligée, plus retirée, & mesmes
morte au monde : elle par consequent n’a iamais
esté plus grande Royne, en mesurant la Royauté non
par la toise commune, mais par celle du Sanctuaire de

-- 52 --

Dieu. En cet estat de perfection elle a ouy aussi le sage
conseil que S. Paulin de Nole donnoit à S. Marcelle :
Oubliez les maux que les biens de ce monde vous
ont produit. Estant veritable, que les biens qu elle
auoit trop liberalement donnez, & ceux qu’on luy a
voulu oster, estoient les veritables causes de ses desplaisirs.
En les souffrant elle faisoit cette priere à
Dieu auec le bon S. Fulgence : Seigneur, donnez moy
la patience auec le pardon des fautes, qui ont merité
ce que j’endure. Elle a esté receüe, comme disoit Seneque,
dans vne grande & eternele paix, ayant laissé
en trouble ceux qui l’auoient affligée ; ne se pouuant
faire autrement (encore qu’ils luy ayent tesmoigné
durant sa vie vne estrange dureté de cœur) qu’ils
n’ayent esté touchez en sa mort, non peut estre par
la repentance du mal qu’ils luy ont fait, mais par
quelque espece de honte, de ne le pouuoir plus reparer.
Posons le cas, qu’ils ayent eu quelque joye d’estre
defaits de ce qui leur pesoit, & de pouuoir partager
ses despouilles, aprés auoir emporté ses bienfaits
& raui ses rentes. Quelle condition croirons nous
plus heureuse, ou de celuy qui est purgé en souffrant
l’affliction ; ou de celuy qui se salit en la produisant ;
ou de celuy qui des graines venimeuses des persecutions
tire vn bon suc, comme fait la caille ; ou de celuy,
qui comme le crocodile conuertit en poison les
plus belles fleurs ? Pouuons nous croire, estans Chrestiens,

-- 53 --

que l’homme qui a la puissance de faire du mal,
& qui s en sert, soit plus heureux que ce luy qui endure
auec patience ; lors que la Religion nous enseigne, que
les biens & les maux veritables sont en l’ame, & que la
raison nous persuade, que personne ne peut estre
heureux & malheureux qu’en soy-mesme, non en
l’opinion d’autruy ? Nous pouuõs nous imaginer, que
celuy-là aye eu le contentement qui produit le bonheur,
qui contre nature cherchoit sa felicité dans la
misere d’autruy ? c’est à dire, qui pẽsoit trouuer le bien
dans le mal, qui conseruoit par la violẽce qu’il faisoit
aux hommes, & par l’inquietude qu’il se donnoit à
soy mesme, vn credit qui le vouloit abandonner, &
tâchoit de prolonger auec mille tourmens du fer & du
feu vne vie qui luy eschappoit, qui pourrissoit dans
son lict comme dans vn tombeau, qui estoit couché
sur quatre matelats, comme s’il eut esté attaché à vne
croix, qui brusloit son sang par la cholere, & le reduisoit
en cendre de melancolie, parce qu’il ne pouuoit
acheuer tous les maux qu’il auoit entrepris, qui voioit
que non seulement les hommes, mais Dieu mesme
s’opposoit à ses volõtez, qui souffroit auec impatiẽce
que ses desseins fussent bornez par vne vie mortelle, &
murmuroit de ce qu’ils estoient subiets aux iugemens
Diuins, autãt ineuitables que secrets. Quelle est cette
felicité du monde, disoit S. Gregoire Pape, si elle n’est
pas agreable à celuy qui la doit posseder, & n’est en

-- 54 --

estime, que dans la phantasie de ceux qui voudroient
changer leurs petits deplaisirs auec des plus grands
qu’ils ne cognoissent pas, qui croyent que de pouuoir
faire du mal, est vne belle authorité, & que d’esbrãler
toutes choses, est vn moyen pour trouuer le repos :
comme si les flots de la mer ne se rompoient pas en
agitant les vaisseaux des passans, s’ils ne s’eleuoient
pas iusques au ciel par les menaces, pour s’abaisser iusques
aux enfers par les craintes, & s’ils n’estoient pas
brisez, lors qu’ils semblent vouloir former vne pointe
parfaite. Celuy qui a poursuiuy à outrance nostre
grande Royne, celuy qui s’est resiouy de sa mort qu’il a
auancé ; celuy qui a donné les conseils de mespriser
ses dernieres volontez ; celuy qui a laissé pourrir son
corps dans la chambre où elle est decedée, est aprés
cinq mois arriué à la fin de sa vie auec cette difference,
que nostre Princesse a acheué la sienne en Royne
Tres-chrestienne, & que son persecuteur s’est retiré en
homme politique : que le corps de la plus grande
Royne du monde a esté exposé sur vn pauure lict
dans vne chambre mal parée, & celuy de son seruiteur
auec le plus magnifique appareil de la terre : que la plus
riche Royne de l’Europe a laissé moins de biens, qu’vn
petit Gentil-homme enrichy par ses bienfaits. Il a
voulu, que ses dernieres actions fussent des persecutions
contre le testament & l’En[illisible]nt de son ancienne
Maistresse ; & a augmenté ses comptes de ces deux

-- 55 --

estrãges articles lors qu’il estoit sur le point de les rendre.
Le vray Chrestien, qui cõparera cette morte auec
ce mort, preferera sans doute les afflictions couronnées
de celle là aux prosperitez renuersées de cestuicy.
Ie proteste, que cette digression ne sort point du ressentiment
d’vn homme offensé, ny du zele d’vn seruiteur
affectionné ; les bons esprits iugeront, qu’il est impossible
de bien peindre l’innocence affligée, sans la releuer
par les ombrages de la malice qui l’a poursuiuie :
& les ames solidement vertueuses recognoistront, que
la Religion nous oblige à blasmer publiquement les
scandales publics. Il ne faut point faire de difficulté
de charger la mauuaise reputation pour descharger la
bonne : les reproches sont permis en iustice : on ne
peut porter vn plus grand respect aux grandes dignitez,
que d asseurer que les meschans en sont indignes :
faire autrement est maintenir le mal, qui ne desire rien
tant, que de se couurir de l’authorité de celuy qui le
commet sans crainte du chastiment, & sans apprehensiõ
de l’infamie. Heureuse Royne, qui ayant apris
deuant que de mourir, que vous auiez possedé des
biens perissables, des Royautez qui pouuoient estre
mesprisées, des seruiteurs infideles, des affections laches,
estes maintenant exempte de toutes ces miseres ;
dans lesquelles vostre bonté vous auoit jetté, &
desquelles la crainte de Dieu vous a empesché de sortir
par la violence, ayãt choisy plutost de mourir pauure

-- 56 --

en Allemaigne en pardonnant, que d’estre riche & en
repos en France aprés vous estre vengée. Viuez eternelement
dans le ciel, où les afflictions & les meschans
ne vous peuuẽt plus ataquer ny menacer. Comment
pourroit craindre quelque guerre ce païs, duquel la
paix garde le dehors ? Que si la puissance flatée, les
bien faits peut estre mal dispersez, les commoditez de
la vie, les afflictions pressantes, & sur tout les mespris
dans lesquels j’aduoüe que vous auez esté vn peu sensible,
auoient laissé quelque chose à payer à la Iustice
Diuine, qui veut vne entiere satisfaction ou en ce
monde ou en l’autre ; nous, qui pouuons meriter encore
pour vous, qui auez merité de nous, fairons pour
le repos de vostre ame vne priere aprochante de celle,
que faisoit, il y a plus de cinq cens ans, vn bon Religieux
de France pour vn Roy tres-pieux.

 

D, Greg.
li 4. Moral.
c. 10.
Per amorem
Dei
amer proximi
gignitur ; &
per amorẽ
proximi
amor Dei
nutritur.

Exod. 25.
& 37. Fades
candelabrum
ductils.

D. Leo
Serm. de
Transfig.
Priùs vobis
toleran[1 lettre ill.]ia
postulanda
est
quàm gloria.

D. Ambr.
in Ps. 54.
Quod sub
aliis contunelia
est ;
sub Christo
gloria
est.

Plin. lib.
24. cap. 1.
Dum Centurio
vite
[7 lignes ill.]

Psal. 43.
Humiliasti
nes in loco
affictionis.

D. Greg.
Mor. l. 20
cap. 24.
Nulla aduersitas
deijcit, quos
prosperitas
nulla corrumpit.

Plin. lib. 12. c. 6.

Plin. lib. 17. c. 28.

Iob. cap. 9.
Quis restitit
ei, & pacem
habuit ?
D Greg.
Hom. 21.
in Ezech.
O tormenta
misericordiæ !
cruciat
& amat.

D. Cypr.
nom. de
zelo & liuore : Laus
est fidei, fiduciâ
futurorum
mun
diaduersa,
tolerare.

Cor. 4.
[illisible]

D. Bernard
[illisible]

D. Bern.
[illisible]

D. Pauli[illisible]

Vitâ
[illisible]

Aug.
[illisible]

D. Greg.
lib. 15.
Moral.
cap. 22.
Quæ est
ista mundi
felicitas,
si [1 mot ill.] non
[illisible]

D. Greg.
b. 28.
Morc. c. 8.
[illisible]

Psal. 147.
[illisible]

[illisible]

SEIGNEVR, qui auez voulu que MARIE fut entre
les saintes Roynes qui sont les affligées, faites, s’il
vous plait, que MARIE, qui a regné ça bas vne heure
laquelle a esté partagée entre la prosperité & l’aduersité,
puisse par l’inter cession de vostre glorieuse Mere
MARIE regner eternelement auec vous, & auec elle.
Ainsi soit-il.

FIN.

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Morgues, Mathieu de [1643], LES DEVX FACES DE LA VIE ET DE LA MORT DE MARIE DE MEDICIS ROYNE DE FRANCE VEFVE DE HENRY IV. MERE DE LOVYS XIII. ROYS TRES-CHRESTIENS. DISCOVRS FVNEBRE. Par Messire MATTHIEV DE MOVRGVES Sr. de Sainct Germain, Docteur en Theologie, premier Aumosnier & Predicateur de ladite DAME ROYNE; Predicateur du ROY CATHOLIQVE, & Preuost de Harlebeke en Flandres. DEDIÉ A LA ROYNE CATHOLIQVE. , français, latinRéférence RIM : Mx. Cote locale : D_1_3.