Magnien, Charles [signé] [1649], REFLEXIONS CONSCIENCIEVSES des bons François, SVR LA REGENCE DE LA Reyne. , français, latinRéférence RIM : M0_3061. Cote locale : C_9_19.
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REFLEXIONS
CONSCIENCIEVSES
des bons François,
SVR LA REGENCE DE LA
Reyne.

DIEV par sa bonté a fait paroistre
vn effet special de sa diuine
Prouidẽce, donnant pour Reine
Regente de la France, la Serenissime
Princesse, Anne Maurice
d’Austriche, tres-chere Espouse du feu
Roy Louys XIII. dit le Iuste, d’heureuse memoire ;
La Regence luy appartenoit plus qu’à
tous autres du Royaume, tant en qualité de
tres-digne & honorée Mere du Roy son Fils,
qu’en consideration de ses heroïques vertus,
& du lustre de ses alliances, enrichies des Couronnes
glorieuses de plusieurs Saincts, & honorées

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des Diadesmes d’Empereurs, de Roys,
Monarques, plus qu’il n’y a de jours en l’année :
Estant vefue & mere des Roys de France,
fille & sœur des Roys d’Espagne, sœur de
l’Empereur & du Roy d’Hongrie, &c. Ce qui
fait que la France en est plus glorieuse, la conduitte
du Royaume plus recommandable aux
sujets, & plus redoutable aux ennemis. Quelques-vns
disent, que les Monarchies ont esté
establies, afin de retirer les hommes dans leur
deuoir, lesquels poussez d’auarice, d’enuie,
ou d’ambition, causoient continuellement
des troubles & des guerres. D’autres tiennent
qu’elles procedẽt de l’estime singuliere qu’on
a tousiours fait des rares & sublimes vertus de
certains, pour lesquelles honorer & donner au
public, comme modelle des mœurs & actions
Illustres, on les a choisis & esleus pour Chefs &
Princes des peuples. La personne de la Reine
estoit tres-necessaire à la Regence, tant pour
obuier aux desordres, troubles & guerres ciuiles,
que pour le merite de ses vertus eminentes,
afin de seruir par leur brillant éclat, de
modelle & d’exemple aux bonnes mœurs de
la Cour Françoise. Ce n’a esté sans repugnance
que sa Majesté a accepté cette charge ; car outre
le mépris des honneurs du monde, elle
n’ignoroit pas qu’il y a plus de difficultez à
gouuerner les hommes, qu’à appriuoiser les

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bestes sauuages, comme dit Xenophon ; que
c’est l’art des arts, la science des sciences, au
jugement de sainct Gregoire de Nazianze,
d’autant que l’homme est vn animal bigarré,
variable & dissimulé, amy de sa liberté, ennemy
de superiorité, qui honore tandis qu’on le
laisse suiure la pante de ses desirs, & qui méprise
& haït, quand on luy donne le frain des
loix & commandemens, comme ont experimenté
les plus Saincts & Grands personnages
de l’Vniuers qui en ont eu la conduite. Nostre
Seigneur mesme, nonobstant la verité de sa
doctrine, la Saincteté de ses Loix, l’innocence
de sa vie, la douceur de sa conuersation, & l’vtilité
de ses miracles, a esté calomnié, trahy,
vendu, liuré & crucifié par ses plus familiers &
plus obligez sujets, quand il a esté question de
gouuerner & commander ; Les pecheurs aymeroient
Dieu s’il ne leur donnoit point de
Loix. Sa Majesté consideroit la France grandement
incommodée & engagée dans les troubles
& guerres, auec la plus grande part des
Royaumes de l’Europe ; qu’il falloit prendre
les armes contre son sang & païs natal : neantmoins,
voyant qu’il y alloit de l’interest du
Roy, son cher & honoré Fils, & du secours de
la France ; par vne genereuse resolution & tendresse
maternelle, elle a tourné le dos à son repos,
à ses parents, & à sa Patrie, pour proteger,

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deffendre, & obliger les François, témoignant
ne vouloir viure que pour leur aduantage.
Suiuant donc l’intention du deffunct Roy,
les Princes, Seigneurs & Grands de la France,
ont auec joye & acclamations de tout le peuple,
receu, recogneu & declaré, dans le Parlemẽt
de Paris, la Reine Tutrice du Roy & Regente
du Royaume durant la minorité ; luy protestans
l’obeyssance, l’honneur & hommage
deuë à vne si auguste Princesse : alors toute la
France ne s’est faite qu’vn corps ciuil, ainsi
que parle Plutarque des Royaumes, la Reine
representant le Roy son Fils estant le Chef, les
Princes les bras, les Ministres & Conseillers
priuez & secrets les yeux & les oreilles ; Le Senat
le cœur, les Grands & Officiers les mains,
les Marchands & Artisans le tronc, les Laboureurs
les pieds : Or tout ainsi que le corps
naturel se maintient & conserue, lors que tous
les membres demeurent en leur situation &
font leurs fonctions, le Chef influant aux autres
les sens & esprits vitaux, & que mutuellement
ceux-cy luy rendent la defference & le
seruice qu’ils luy doiuent ; de mesme pour le
maintien & conseruation du Corps ciuil, châque
membre doit demeurer en son ordre, le
Chef tenant le lieu plus eminent, & communiquant
aux autres les esprits de sa Prudence,
Iustice, Clemence, & Liberalité, & les membres

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inferieurs, demeurans en leur ordre luy
rendent les soubmissions, les honneurs & les
hommages qu’ils luy doiuent : si cette mutuelle
intelligence ne se garde ponctuellement, le
Corps se bouleuerse & se corrompt.

 

Godinus lib. 1.
cap. 2.

Arist. 3. Pol.
cap 10.
Cicer. lib. 2. de
Officiis.

Xenophon.

Greg. de Nazianze.

Plutarq. lib. de
Instructione
Trajani.

La Reine comme Chef & Regente, a toûjours
donné des marques de sa Prudence, Iustice,
Clemence & Liberalité à ses sujects. La
prudence a paru & paroist continuellement,
en ce qu’elle n’a jamais voulu rien faire, entreprendre
ou deliberer, sans l’aduis & conseil
des premiers du Royaume ; Imitant en cela le
grand Conducteur des Israëlites Moyse, lequel
choisist par conseil de son beau pere Iethro les
principaux en merite, & en experience des
Hebreux, pour son aide & soulagement en la
conduitte du peuple. C’est encore ce qu’ont
pratiqué Dauid, Salomon, Alexandre le Grãd,
Romulus & les plus Grands Monarques de la
terre : Elle a pris la Regence du Royaume pour
le garder auec plus d’asseurance au Roy son
Fils ; C’est pour quoy elle s’est seruie des moyẽs
que donne le sainct Esprit, prenant conseil en
toutes choses : Son dessein a esté de donner la
paix à la France, pour cét effet elle a choisi vn
nombre des plus sçauans, afin d’en moyenner
la conclusion, estant comme inspirée de Dieu,
qui dit que la multitude des Sages est capable
de guarir vn Monde.

Prudence de
la Reine.

Exod 18. Selige
tibi viros &
quicquid maius
fueritre ferant.
ad te & ipsi minora
iudicabũt

Ibi falus vbi
multa consilis,
Prouerb. 11.

Multitudõ sapientum
Sanitas
est orbis
terrarum. Sap.
6.

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Selon la coustume du Royaume elle a pris
vn Ministre d’Estat, dont l’Office est necessaire
aux Princes & Princesses Souueraines pour
manifester immediatement, declarer & faire
executer leurs volontez, sans estre sujettes à la
Communication de plusieurs & differens espris,
qui ne peut se faire qu’auec plus de peine,
de frais, de retardement, & moins de secret :
d’où vient que la Saincte Escriture a remarqué
que Moyse auoit pour Ministre le Grand Iosué
& le Prophete Samuël : voulant traitter
auec Saül des affaires d’Estat, fist retirer à part
son plus familier ; comme disant qu’vn seul
Ministre doit cognoistre immediatement le
secret du Prince. Alexandre le Grand ne disoit
ses secrets qu’à celuy auquel il cachettoit la
bouche de son propre Sceau, de peur qu’il parlast
sans son congé ; Et si le Sage recommande
aux hommes d’en choisir vn seul entre milles
pour la communication de leurs secrets, à plus
forte raison les Roys & Monarques doiuent-ils
communiquer les secrets d’Estat à vn Priué
& Ministre ; puisque comme dit l’Ange Raphaël
à Tobie, il est tres expedient de cacher
les secrets du Roy : Et d’autant qu’à chaque
moment les affaires importantes & pressantes
suruiennent qui demandent de diligentes expeditions.
Le Ministre doit tousiours estre
proche du Prince, ainsi que faisoient ceux des

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Roys de Perse & d’Assuerus ; C’est ce qui condamne
les calomniateurs, lesquels jugent temerairement
des plus serieuses & importantes
actions de nostre tres-chaste & Auguste Princesse,
& apprend par vne Saincte reflexion
de verité aux bons François, que si elle traitte
particulierement auec le Ministre d’Estat, la
prudence & l’importance des affaires secrettes
du Royaume le requierent ainsi.

 

Ministre
d’Estat necessaire.

Iosue 1.
1. Reg. cap. 9.
dic puero vt
trãseat subsistel,
paulisper vt indicem
tibi verbum
Domini.

Eccl. 6 Consiliarius
sit tibi
vnus ex mille.

Tob. 13.

Sacramentum
Regis abscondere
bonum est.

On se plaint qu’il est Estranger ; qu’il n’a
pas d’affection pour la France, & qu’il enuoye
en Italie les thresors : Mais les bons François
font reflexion, & disent qu’il est naturalisé
François, & que s’il ne l’est de naissance il l’est
d’affection, comme il en a donné des preuues
euidentes aux occasions importantes des guerres
d’Italie, & en d’autres, sans mesme y estre
pour lors obligé. Encore que Ioseph ne fust
pas d’Egypte, il ne laissa pas pourtant de seruir
en la Surintendance du Royaume, Pharaon &
les Egyptiens auec fidelité & amour ; & comme
il luy fust permis en consideration de ses
bons & fidelles seruices, d’enuoyer du bled &
des presents à ses parents en la terre de Canaan,
& de leurs donner pour demeure, le païs
de Iessen ; De mesme, si son Eminence a enuoyé
quelque chose en Italie, l’equité de la
conscience oblige à croire plutost que ç’a
esté de son propre, ou des fruicts de ses soins

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& trauaux, que non pas autrement : Et si en
donnant vn Benefice il en retire vn autre, il est
aysé de cognoistre que c’est pour satisfaire au
grand nombre des pretendants, & pour n’estre
pas en danger d’encourir la Simonie : En
vn mot, il n’est Ministre d’Estat que conformément
à l’intention du deffunct Roy, qui
auoit cogneu ses merites, la Sentence du Sage
se verifiant en sa personne, sçauoir que le Ministre
intelligent est aggreable au Roy, outre
que sa gloire & le plus haut de sa fortune est
attachée à la France, & que nous ne voyons pas
ce que feroit vn François s’il estoit en sa place ;
Quoy qu’on recognoisse aujourd’huy feu
Monsieur le Cardinal de Richelieu (que Dieu
absolue,) pour vn des Restaurateurs de la France,
il n’estoit pas toutefois exempt, ny mesme
le Roy, des calomnies & medisances, quand
ils viuoient ; Il faut donc loüer la prudence de
la Reyne qui n’agist que par conseil, suiuant
l’Oracle du sainct Esprit : Que si toutes choses
ne reüssissent pas selon nos souhaits, nous deuons
recognoistre la foiblesse des hommes qui
ne sont pas infallibles en leurs desseins, ny inuincibles
en leurs entreprises : Car si hominis
est præparare, Domini est dirigere.

 

Genes. 42.

Genes. 47.

Prou. 14. acceptus
est Regi
Minister intelligens.

Prou. 12. Sapiens
est qui
audit Consilia.

Prou. 6.

On dit, quoy que la Reyne aye son conseil,
elle doit neantmoins elle-mesme, veiller & cognoistre
l’estat du Royaume ; Ie l’aduouë, &

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comme dit sainct Augustin, les Roys ne doiuent
pas s’arrester aux rapports qu’on leur fait
en beaucoup de choses ; d’autant que souuentefois
ils sont faux, & fondez sur quelque malice
noire, enuie ou ambition : mais ils sont
obligez de voir eux mesmes, & de cognoistre la
verité, pour obuier aux abus & tromperies,
imitans leur Souuerain Roy, lequel entend les
cris & clameurs de son peuple, & void son affliction
& l’oppression que luy font ceux qui le
gouuernent, & touché de compassion il le deliure.

 

Aug. super cap.
27. Prou.

Videns vidi afflictionem
populi
mei in Ægypto
ideo veni
vt liberem
eum Exod. c. 30.

Les Egyptiens à bonne raison disoient, que
le bon-heur ou le mal-heur du peuple dépend
des yeux du Prince ; s’il les ouure, il cause
vne joye vniuerselle, vne abondance de biens
& vn repos parfait à son peuple ; & s’il les ferme,
les injustices, les extorsions, & les malheurs
regnent, & pour les dissiper le sainct Esprit
enseigne que son seul regard estant assis
dans son trosne suffit.

Mais la reflexion des bons François sur
la vigilance de la Reine, leur fait aduoüer
que sa Majesté n’espargne en rien son repos, sa
santé & sa vie, pour cognoistre les affaires du
Royaume, donnant audience à toute sorte de
personnes, grandes & petites, pauures & riches,
& à toute heure se priuant le plus souuent
de ses diuertissemens, quoy qu’honnestes, &

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necessaires à sa santé, & l’vn des plus grands
estonnemens de ceux qui ont le bon-heur de
la seruir est de ce qu’elle peust subsister, & prester
l’oreille à tant d’affaires, dont les moindres
sont capables d’embarasser les plus grands esprits :
autrefois vn Roy de Perse fort vigilant,
se faisoit esueiller du matin par vn homme, qui
luy disoit, Rex vigila & labora : Mais la Reine par
ses soins fait dauantage, car elle-mesme s’esueille
& fait éueiller les autres, quand il est besoin
de faire quelque prompte & diligente expedition
pour l’Estat ; Que si l’Empereur Trajan
au recit de Pline, s’est rendu recommandable
par ses veilles & diligences qu’il auoit de
son Empire, à plus forte raison les bons François
doiuent-ils estimer la Reine pour le mesme
sujet, puis qu’en verité & sans flatterie, elle
sur passe ce Monarque.

 

Rex quisedet in
folio Iudicij dissipat
omne malum
intuitu suo.
Prou. 20.

Roy de Perse.

Pline.
Trajan.

On replique qu’elle ne deuroit pas croire
ceux qui la flattent & la trompẽt, dautant que
la flatterie perd les Princes ; Les Satrapes ont
fait grand tort à Pharaon, luy conseillans de
n’auoir soin de rien, sinon que de sa santé, se
resioüyr & dormir. Xerces a perdu son armée
contre les Grecs, pour auoir crû ceux qui le
vouloient trop asseurer de son pouuoir. Le S.
Esprit dit aussi, que le Prince qui entend volontiers
les mensonges n’a que des Ministres
impies : Sa Majesté feroit donc mieux d’entendre

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la verité, & imiter le Roy Balthasar, lequel
recompensa Daniel, pour ne luy auoir point
celé, quoy qu’elle fust odieuse ; si Xerces eust
crû celuy qui luy disoit librement qu’il n’y a
rien de si grand qui ne puisse perir, il n’eust
point pery.

 

Prou. 29. Princeps
qui audit
libenter verba
mendacij omnes
Ministros
habet impios.

Dan. 4.

Il est vray que les flatteurs & trompeurs sont
abominables, qu’ils offencent Dieu, trompent
le Prince, trahissent leurs ames & vendent
leur prochain. Mais faisant reflexion sur ce
poinct, qui est celuy qui peut s’en garantir à
moins d’auoir des yeux de Linces, ou que les
corps soiẽt de Cristal cõme dit Tertul. pour penetrer
au dedans de l’hõme, ou vne science infuse,
les plus sages & plus justes y sont surpris
les premiers, jugeans des autres par eux-mesmes,
qui ne voudroient faire tort à personne.
La bonté de la Reyne ne luy permet pas de juger
mal d’aucun, ny d’interpreter sinistrement
l’intention de ceux qui luy parlent ; si
bien que si on la flatte ou si on la trompe, la
coulpe doit estre imputée, & la peine ordonnée
aux flatteurs, & non à sa Majesté, laquelle
n’aymant, & ne recherchant que la verité,
haït à mort ces sortes de gens : Ie parle auec experience,
particulierement de cét Hyuer dernier :
Sa Majesté eust la bonté & la patience
d’entendre de moy seul la justification d’vne
calomnie & trahison dont on m’auoit accusé,

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lors qu’au peril de ma vie, flottante sur les eaux
débordées, & entre les mains des voleurs,
je faisois des actions de charité, justice & fidelité,
& tesmoigna estre tres-aise d’apprendre
la verité, encore qu’elle ne fust pas trop aggreable.

 

Osée 70. in
malitia sua lætificauerunt
Regem
& mendacüs
fuis principes.

Quant à la Iustice, la Reine sçait que cette
vertu est l’appuy des Royaumes, le lustre des
Diadémes, la ruine des meschans, l’azille des
bons, que les Roys sont establis de Dieu pour
la rendre à leurs sujets, ainsi que parloit la genereuse
Reine de Saba, au plus sage Monarque
de l’Orient ; & que le Sainct Roy Dauid
recognoissoit, suppliant la Diuine Majesté,
qu’il luy pleust donner à son fils & successeur
son sainct Esprit, & le zele de sa Iustice pour
gouuerner son peuple auec jugement & equité,
& pour ce sujet les Roys & Princes Souuerains
portent l’espée, comme symbole de leur
authorité : Et autrefois il n’estoit pas permis à
d’autres d’en auoir, d’où vient qu’au premier
liure des Roys il est écrit que Saül, & Ionathas
son fils, auoient seuls des espées, & qu’il ne
s’en trouuoit aucune entre les mains du peuple.
Ce qui a fait dire à sainct Paul, que le Roy
ne porte pas le glaiue sans cause ; comme disant,
que luy seul a le pouuoir Souuerain de
chastier les crimes & punit les meschans, lesquels
luy doiuent estre odieux & abominables,

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d’autant qu’il n’affermira jamais son Trosne
qu’en gardant la Iustice. Les consciences des
Ministres & Officiers d’Estat & de Iustice, sont
témoins, comme la Reine a recommãdée auec
vn soin & zele nompareil, qu’ils l’exercent
exactement sans acception de personnes ; on
ne peut aussi se plaindre qu’elle aye elle-mesme
rendu aucune injustice en ces Iugemens &
Sentences, à moins que l’interest propre offusque
l’esprit, & deslie la langue de ceux qui
voudroient soustenir le cõtraire : Ie ne veux pas
dire que la Iustice soit gardée ponctuellement
dans la France. Ha pleust à Dieu que cela fust !
mais on doit tenir pour certain, que la faute ne
procede pas de sa Majesté, dont la conscience
est si equitable, qu’elle aymeroit mieux se faire
tort, qu’au moindre de ses sujects. Si donc
on void des injustices, qu’on les examine bien
sans passion, auparauant que de parler, & on recognoistra,
que non seulement la Reine n’en
sera pas coulpable, ains au contraire, qu’elle
en receura vn tres-grand déplaisir ; en ayant la
cognoissance. Il m’est arriué quelquefois de
luy faire donner aduis de certains desordres,
ausquels elle ordonna de remedier promptement,
mais on en fist le semblant, comme il
arriue assez souuent aux Roys & aux Reines,
l’asseurant neantmoins que son commandement
estoit ponctuellement executé ; partant

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sa Majesté ne pouuant estre par tout, ny connoistre
immediatement toutes choses, ce qui
appartient à Dieu seul, les bons François ne la
blasmeront pas de negligence, ains au contraire
ils estimeront tousiours son bon zele & sa
bonne intention.

 

Iustice de la
Reine. 3. Reg. cap. 1.
Constituit te
Deus Regem
vt faceres iudicium
& Iustitiam.
Deus Iudicium
tuum
Regi da & iustitiam
tuam filio
Regis. Psal. 77.
1. Reg. c. 15. non
est inuentus
gladius &
lancea in manibus
totius populi
excepto
Saül & Ionatha
filio eius.

Abominabiles
Regi qui impiè
agunt, quoniam
iustitiâ firmatur
solium eius.
Prou. 26.
Rom. 33. Non
enim sine causa
gladium portat,
vindex est enim
in iram ei qui
malé agit.

Quelques-vns l’ont accusée d’injustice lors
que par son ordre Paris a esté blocqué ; C’est
vne affaire d’Estat qui ne se peut resoudre que
par vn Casuiste Politique, & plus sçauant que
moy, Ie dis seulement qu’elle n’a rien fait que
par le conseil des premiers de la France, & qu’il
est permis aux Roys & Princes Souuerains de
se faire obeyr & recognoistre par voye de rigueur,
quand celle de douceur n’a pas de lieu ;
car comme dit Philon l’Hebreux lib. de Agricultura,
la trop grande bonté du Prince luy est
prejudiciable & à ses sujects, à luy, quand par
le mépris elle luy oste le pouuoir de faire garder
les loix au public & aux particuliers, à ses
sujets, quand elle les rend libertins, superbes &
orgueilleux.

Phil. Heb. lib.
de Agricultura.

Ciceron dit, que l’impunité est l’amorce des
vices, sainct Iustin Martyr escrit que la rigueur
est meilleure aux opiniastres que la douceur :
sainct Augustin remarque, que Dieu n’a remply
le monde de calamitez qu’à cause des pechez
des hommes qui l’ont irrité ; Saül a esté
priué de son Royaume, pour auoir pardonné à

-- 15 --

Agag contre le commandement de Dieu ;
Achab fut condamné à la mort, à cause du pardon
qu’il auoit fait à Benadab, Sainct Pierre à
fait mourir vn menteur Ananie, & Saphire sa
femme ; Sainct Paula liuré au Demon vn lascif ;
Iesus-Christ a prit le foüet contre les traffiqueurs
dans le Temple. Le Sage deffend de
prendre la charge de Iuge, si on n’a pas le courage
de punir les crimes ; & vne femme dit autrefois
à Demetrius, ne pouuant obtenir de luy
la Iustice, qu’il ne deuoit pas gouuerner, Noli
ergo Imperare, si non vis iudicare : Le Sainct Esprit
enseigne, que le Roy sage dissipe les méchants.
La Reine donc a pû témoigner qu’elle
a vn cœur aussi genereux pour châtier les superbes
& méchants, comme doux & benin pour
fauoriser les humbles & les bons, sans toutefois
qu’on puisse luy imputer la vengeance,
non plus qu’à vn maistre, quand il corrige son
seruiteur, ou à vn pere, quand il châtie son enfant ;
car si sa Majesté eust esté poussée par l’esprit
de vengeance, elle en eust témoigné des
effects beaucoup plus sensibles, par l’aide des
plus puissants Monarques de la Chrestienté ses
alliez, & des plus grands Princes & Seigneurs
de la France, qui tous prenoient part à ses interests.

 

Cicet.
S. Iust

S. Aug. lib. 5. de
Ciuit. cap. 9.

Reg. cap. 15.

3. Reg. cap. 2.
Act. 5.

1. Cor. 5.

Noli Iudex fieri
nisi valeas rumpere
iniquitates.
Eccles 17.

Prouerb. 2.
Rex sapiens dissipat
impios.

Iamais elle n’a eu la volonté de brusler, ruiner,
ou affamer cette belle, grande, & fameuse

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ville de Paris, qui est la gloire du Royaume, le
plus riche & le plus brillant diamant de la Couronne ;
elle sçait bien que la dignité & grandeur
d’vn Roy consiste en vn grand nombre de
Sujets ; comme la honte & l’ignominie se tire
d’vne petite multitude de peuple, l’insolence
de quelques particuliers, quoy qu’elle fust au
dernier degré, n’égalloit point toutefois la
grandeur de sa bonté, pour refroidir l’amitié
extréme qu’elle a toûjours porté à sa bonne ville
de Paris, la plus florissante en sciences, vertus,
& Noblesse, qu’il y ait dans toute l’Europe.

 

Dignitas Regis
in multitudine
populi ignominia
Principis in
paucitate plebis.
Prou. 14.

On veut la faire coulpable de toutes les impietez,
sacrileges, viols, extorsions, homicides,
larcins, jurements, blasphemes, & autres
crimes qui se sont commis ; Mais pour en parler
auec verité, il faut premierement resoudre,
Si le Prince qui fait vne guerre, est complice des
crimes qui s’y font ; Ie croy que si elle est juste,
& si le Prince ne pretend pas passer les bornes
& maximes de la raison, sa conscience n’est pas
engagée, mais celle de ceux qui le contraignent
& le prouoquent, dit le S. Esprit : Ie peux
& dois publier auec verité, que durant la plus
grande violence de la guerre de Paris, & lors
que l’on ne crioit que feu & sang (en apparence)
la Reine auoit vn esprit aussi calme, & vne
ame aussi tranquille qu’en temps de paix, excepté

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l’extréme déplaisir qu’elle conceuoit des
pauures innocens affligez, vne resolution ferme
de s’asseurer toûjours de la personne du
Roy, l’vnique thresor de ses affections, octroyé
du Ciel, & de maintenir l’authorité Royalle ;
son cœur estoit pour lors comme celuy de Moyse
(dont parle Sainct Gregoire) plein du feu
de charité, & de compassion, quoy que son visage
parust en flammé du zele de rigueur & seuerité.

 

Prou. 20 Qui
prouocant eum,
peccant in auimam
suam.

D. Greg. 1. Moral.
cap. 8. Intus
arsit ignibus
amoris, foris
accensus est zelo
seueritatis.

On adjoûte, qu’elle a sçeu beaucoup de méchancetez,
& mesme qu’elle les commandoit,
ainsi que declaroient les Soldats, disants, qu’ils
n’en faisoient pas encore tant, que sa Majesté
leur ordonnoit.

Reflexion.

Mais il faut considerer, qu’il n’est point aisé
au Prince d’empescher le dégât & desordre des
Soldats, quand la guerre est allumée ; car ils se
preualent, & s’authorisent impunement du
nom du Prince, pour commettre toutes sortes
de crimes : Que si la Reine a commandé quelque
rigueurs, ç’a plûtost esté par menaces, pour
reduire à l’obeïssance quelques rebelles, & leurs
fauteurs, que non à dessein de passer outre : Et
si elle n’a chastié les crimes qu’elle a cognu, la
reflexion des bons François leur pourra faire
cognoistre, qu’elle ne l’a fait, que par vn traict
de sa discretion & prudence, laquelle prescrit
vn temps opportun au châtiment fructueux ;

-- 18 --

Car comme dit Solsidore, le Prince est obligé
quelque fois de dissimuler les crimes, non qu’il
y consente, mais dautant que le temps du châtiment
n’est pas propre ; Dauid n’ignoroit pas
que Ioab, Capitaine general de son armée,
auoit tué à tort Abner, il dissimula neantmoins
pour éuiter vn plus grand mal, sçauoir la rebellion :
Le mesme offencé & injurié par Semeï,
ne voulut point se vanger, ains au contraire reprit
aigrement Abisaï, qui luy conseilloit la
vengeance. Roboam pour n’auoir pas sçeu dissimuler,
& auoir trop menacé, à perdu vne partie
du Royaume de Dauid, comme dit sainct
Hierosme.

 

S. Isidor. lib. 3.
Moral cap. 50
Adhuc delicatus
sum & vnctus
Rex, porro viri
illi filij Saruiæ
duri sunt mihi.
2. Reg. cap. 3.

Quid mihi &
vobis filij Sarniæ,
efficimini
hodie in Sathã,
ergone interficietur
vir in Israël.
2. Reg. cap 19.

D. Hieron. sup.
2. Paral. c. 10.
Qui scorpioni
bus cædit, Regnum
Dauid
amittit.
Sapientiæ 11. &
Hieremiæ 46.

Dieu mesme dissimule les pechez des hommes
attendant qu’ils se repentent ; ou pour
les chastier le jour de sa colere.

On replique : si la Reine auec le Roy ne fussent
pas sortis de Paris la nuict & à la sourdaine,
tous ces malheurs ne seroient point arriués : on
ne sçait ; peut estre en auroit on souffert de plus
grands. Les bons François peuuent se persuader
que sa Majesté & tout son Conseil n’ont
point jugé de temps plus fauorable ny d’heure
plus commode ; Quant au sujet de leur sortie, il
n’appartient qu’aux Grands de le cognoistre ;
seulement ie peus dire, que supposé le mépris
publique d’vne si auguste & vertueuse Princesse,
qui luy ostoit la pleine & paisible liberté

-- 19 --

de vaquer à ses saincts Exercices, & aux serieuses
affaires d’Etat, & qu’on voulût se saisir
de la personne du Roy son tres-cher & aimé
fils, que le Ciel auoit octroyé à ses ardents soupirs,
& au souhait de toute la France. Sa Majesté
a esté contrainte & obligée de sortir de Paris
à tout le moins pour quelque temps ; afin de
laisser dissiper les broüillards de certains esprits
libertins, faire recognoistre par l’absence
du Roy & la sienne, l’importance de leurs
presences, & pour continuer pendant ce temps
là plus librement ses deuotions & ses soins au
seruice de Dieu, & du Royaume ; si bien que
sa sortie estoit semblable à celle des Hebreux
sortans d’Egypte, dont parle Sainct Ambroise,
disant qu’elle estoit la sentiere de l’innocence,
le dessein de pieté, & le chemin de la vertu,
d’autant qu’à moins d’estre confirmée en
grace, sa Majesté ne pouuoit conseruer l’integrité
de son ame, ny la pieté de son cœur, ny
la vertu de ses mœurs, parmi tant d’insolences,
d’irreuerences & de temeritez ; de sorte que
sa sortie ne luy estoit pas vn crime, mais vne
peine aux méchans, ainsi que dit S. Bernard de
la fuitte des Saincts, lors que pour les persecutions,
ils vont d’vne ville à l’autre : De plus, considerant
sa Majesté que la commune populace,
ne cherchoit aueuglément qu’à tout rauager &
mettre en ruine, ne cognoissant plus ny Reine,

-- 20 --

ny Princes, ny Magistrats, & que par malice, ou
par mal-heur, leurs Royales personnes pouuoient
courir risque, & en suitte le Royaume
seroit en proye ; elle a crû prudemment faire
mieux de sortir ; afin de conseruer le Roy & sa
personne pour le bien de la France, disant
comme Demosthene, lors qu’il fuioit des combats,
à cause qu’il se cognoissoit plus necessaire
pour la deffence de sa patrie, seruo me patriæ.
Partant quiconque mettra la main à la conscience
recognoistra la justice de la Reine.

 

D. Ambros.
Fuga illa trames
erat innocentiæ,
pietatis assumptio,
& virtutis
via.

D. Bernardus ;
Fuga sanctorum
non est crimen
fugientis, sed
pœna persequentis.

Il faut aduoüer pourtant que sa Majesté vse
de plus grande clemence que de justice, & plus
de douceurs que de rigueurs, imitant la diuine
Majesté, plus misericordieuse que rigoureuse :
elle sçait, comme dit Seneque, que la clemence
est plus seante au Prince que la vangeance,
d’autant que celle là retient la haine
de peu, irrite celle de plusieurs, & celle-cy
gaigne le cœur d’vn châcun, appuit les
Royaumes & orne les Couronnes. Iamais Senesius
n’a peu dire auec tant de verité de Theodose,
que cét inuincible Empereur, toûjours
victorieux de ses ennemis, ne se laissoit vaincre
que par la seule misericorde ; comme la France
doit confesser ingenuëment, que la Reine
triõphante de ses aduersaires, ne sçait plier qu’à
la clemence : les disgraciez de la Cour, les prisonniers,
les affligez, persecutez, & ses ennemis

-- 21 --

en ont ressenti de signalez effects dés le
commencemẽt de sa Regence, changeant son
cœur genereux en la douceur de son bon naturel ;
ce qui a fait qu’elle seule a merité de regner
aux prieres des François, comme Theodose
au souhait des Romains. S. Augustin a remarqué,
qu’en consideration des faueurs que
ce grand Monarque a fait aux enfans de ses ennemis,
Dieu a estendu son Empire, & a aggrandi
ses Estats, les Goths s’y sont soûmis, &
a receu du Ciel plus de graces qu’il ne souhaittoit.
Chacun sçait que la douceur de la Reyne
est si grande, qu’elle s’est toûjours pleuë à fauoriser
ses ennemis, ou ceux qui en auoient le
renom, les ayant maintenu, protegé, & auancé
dans les emplois & charges publiques & honorables :
Elle est contente & joyeuse, quand
il est question de produire des effets de sa clemence
enuers toute sorte de personnes, grandes
ou petites, riches ou pauures, seruant comme
d’asile aux Roys, Princes, Seigneurs, Dames,
& autres desnuez de tout secours humain,
chacun se tenant heureux de viure sons l’ombre
de sa protection. L’Empereur Adrien auoit
vne si grande clemence enuers tous ses sujets,
que l’vne de ses plus grandes satisfactions estoit
de leur parler, les conuerser, & entendre familierement
de quelque condition qu’ils fussent,
rembarrant honteusement, & auec colere

-- 22 --

ceux qui vouloient l’en destourner, disans
que les humiliations & abaissemens desrogeoiẽt
à sa Majesté : Mais si ce Prince viuoit, il
pourroit apprendre encore quelque chose de
nouueau, prenant exemple à la clemence de
la Reyne, laquelle elle pratique continuellement
& specialement en ce temps, pardonnant
à ceux qui ne meritoient, selon les loix diuines
& humaines, qu’vne seuere & rigoureuse
punition, pour les crimes enormes de leze
Majesté qu’ils auroient commis par plusieurs
fois, adjoûtant sa Majesté vn pardon general
à tous ceux qui pouuoient en quelque façon
auoir chocqué son honneur & authorité ; & ne
monstre plus maintenant que des tendresses
amoureuses d’vne mere pour ses enfants, & des
douceurs d’vne Reine clemente & debonnaire
pour ses Subjets, l’excez de sa bonté ayant surpassé
l’enormité des crimes & insolences.

 

Clemence de
la Reine.

Seneca lib. 1. de
Clementia.

Senesius epist.
ad Arcadium
filium Theodosij.

Theodosius solus
meruit regnare
rogatus.
Aug. lib. 5. de
Ciuit. cap. 26.

L’Empereur
Adrien.

Parmy la clemence elle a fait paroistre sa constante
humilité & pieté ; car elle ne s’est non
plus émeuë pour toutes les calomnies & medisãces,
qu’elle ne s’altere pour les loüãges qu’on
fait de ses vertus heroïques : Elle se fait cognoistre
quasi comme vn Ange, qui ne s’émeut non
plus par les maledictions que par les benedictions ;
ainsi que disoit autrefois Zeuca à Dauid.
Iuuenal ne l’auoit pas veuë, quand il dit,
qu’on ne peut donner aucune loüange aux

-- 23 --

Princes & Monarques, qu’ils ne se persuadent
leur estre deuës, & dauantage ; car si on louë la
Reine, elle répond qu’on la flatte ; si on luy
rapporte quelques medisances faites contre sa
personne, elle se recognoist semblable au reste
des hommes sujets à l’imperfection & aux calomnies :
C’est ce qui fait dire par admiration
& estonnement à ceux qui ont le bon-heur de
la cognoistre. Ce que S. Augustin dit de l’ame
vertueuse esleuée dans les dignitez & grandeurs
du monde, qu’il faut vne grande vertu &
sublime pour n’estre pas châtoüillé & flatté par
l’éclat de son Diadéme, vne grace toute celeste
pour ne se laisser vaincre par la gloire terrestre :
Ce qui fait aussi croire aux mesmes que
Dieu benit son humilité, l’éleuant d’autant
plus qu’elle s’humilie, suiuant la Sentence du
S. Esprit, qui promet la gloire & victoire à celuy
qui s’abaisse, & qui exauce les prieres procedantes
du diuin Amour.

 

Est sicut Angelus
Dei Dominus
meus, vt nec
benedictione,
nec maledictione
moueatur.
2. Reg. cap. 14.

Iuuenal nihil est
quod de se credere
non possit
cum laudatur
dijs æqua potestas.

Aug. Ser. 13. de
Verbis Domini :
Magnæ virtutis
est cum sœlicitate
non Iuctari,
magnæ fœlicitatis
cœlestis à
fœlicitate terrestri
non vinci.

Prou. 18. Qui
humiliatus fuerit,
erit in gloria.

Eccles. 30. Qui
diligit Deum in
oratione dierum
exaudietur.

Certains blâment les deuotions, les saincts
exercices, & humilitez de la Reine, disans qu’elle
deuroit employer le temps aux affaires de
l’Estat ; mais la saincte Reflexion des bons François
fait cognoistre, que ceux-là imitans les aragnées
tournent tout en venin ; & sont comme
les Scribes & Pharisiens, desquels parle Nostre
Seigneur, en S. Matthieu ; d’autant que S. Iean
Baptiste ne beuuoit ny mangeoit, ils l’appelloient

-- 24 --

sorcier ; & parce que Iesus-Christ beuuoit
& mangeoit, ils le faisoient passer pour vn
gourmand, yurogne, & amy des pecheurs &
Publicains ; & ce qui est deplorable, c’est qu’ils
estoient crûs de la populace : De mesme les
medisans interpretent tout à mal, les actions
mesmes les plus Sainctes, Religieuses, & edificatiues,
telles que sont les deuotions de la Reine,
ils les condamnent pour mauuaises, ne
pouuant prendre pretexte de la calomnier sur
d’autres actions ; Mais les bons François font
Reflexion sur la grandeur & l’excellence des
vertus eminentes d’vne illustre & auguste Princesse,
la loüent, & estiment ses exercices spirituels,
frequentes Communions, Confessions,
visites des Eglises & Monasteres ; & disent
auec le Sage, qu’aymer & seruir Dieu est vne
sagesse glorieuse & honorable ; Que le temps
employé à l’adoration & recognoissance du
souuerain Roy ne peut estre perdu, que Dieu
veille & trauaille au temporel, tandis qu’on
le sert, & qu’on a soin du spirituel, comme il
témoigna par miracle à S. Isidore, faisant mener
sa charruë par vn Ange, tandis qu’il estoit
en Oraison. Outre que la Reine ménage auec
vne si grande prudẽce & discretion son temps,
que ses deuotions n’empeschent pas le soin de
l’Estat ; ce qui faisoit dire souuent au Roy defunct
(que Dieu absolue) que la Reine estoit

-- 25 --

la Princesse la plus accomplie, la plus vertueuse,
la plus chaste, la plus prudente, & la plus belle
qu’il se peust rencontrer dans la France ; Que
deux choses excellentes estoient venuës d’Espagne
en France, la Reine & son Pere Confesseur,
que tous deux par leurs prieres auoient
contribué beaucoup, pour obtenir du Ciel la
lignée & succession que Dieu luy auoit donnée,
que c’estoient de bonnes ames, que la
Reine meritoit la conduite du Royaume ; Et
de fait, s’en allant à Perpignan, il luy laissa la
conduite & gouuernement des affaires d’Estat ;
& à sa mort, il la declara Tutrice de ses Enfans,
& Regente du Royaume durant la Minorité du
Roy.

 

Matt. 11. cap.
Venit Ioannes
Baptista, neque
manducans, neque
bibens, &
dicunt dæmonium
habet ; venit
silius hominis
manducans
& dibens, dicunt
ecce hic homo
vorax est, potator
vini, publicanorum
& peccatorum
amicus.

Et iustificata
est sapientia à
filijs suis.

Dilectio Dei
honorabilis est
sapientia.
Eccles. 1.

Ceux qui voudroient produire d’autres témoignages
du defunct Roy, contraires à la candeur
de sa vie, pureté de ses actions, & innocence
de ses mœurs, ne peuuent estre autres que
de ces sortes de medisants, desquels les plus
justes ne sont exempts, suiuant la Sentence du
Prophete Royal, qui porte, que rien ne peut
retenir la mauuaise & pernicieuse langue. Il est
vray qu’il confessa auoir vne fois esté surpris
par des flatteurs ; mais il en demanda pardon à
la Reine les larmes aux yeux.

Quid detur tibi,
aut quid apponatur
tibi ad linguam
dolosam ?
Psal. 119.

La liberalité éclatte tous les jours par l’accomplissement
du presage qui parut en sa naissance,
venant au monde les mains ouuertes,

-- 26 --

comme signifiant qu’elle naissoit auec vn thresor
cordial plein de bonté, de graces & de faueurs ;
que ses mains ne seroient jamais vuides
de dons & de largesses : Les Princes & Princesses,
Seigneurs, Dames, & vne infinité d’autres
en ont ressenti des effects aussi fauorables,
que jamais on ait receu d’aucunes Reines de la
France : On sçait qu’elle donne de son propre
en aumosnes tous les ans trois cens milles liures,
sans y comprendre les plus nobles & magnifiques
faueurs ; Que si tous n’y participent
pas, il ne faut s’étonner, dautant que le
thresor de ses Finances n’est pas inépuisable,
comme celuy de sa bien-veillance ; & quand il
seroit aussi remply d’or & d’argent qu’estoit autrefois
celuy du plus riche Monarque de la terre
en la ville de Hierusalem il ne suffiroit pas :
C’est assez de dire, qu’au lieu de depenser ses richesses
en bombances, luxes, & plaisirs du
monde, ou de faire amas de thresors, ou bâtir
des Palais somptueux, & superbes edifices de
plaisances ; elle les employe en liberalitez & aumosnes,
pour en acquerir vn precieux thresor
dans le Ciel : Elle regreteroit dauantage que
l’Empereur Tite, s’il se passoit vn jour en l’année,
sans qu’elle produise des marques de sa
liberalité ; & aime mieux contenter les Grands
de son Royaume, par vne ample profusion de
graces, de dons & de presents, que d’augmenter

-- 27 --

les richesses de sa Maison : Sainct Leon Pape
dit, que le Monarque liberal, & non auare, merite
la qualité de Prince ; Cleomenes & Ptholomée
ont esté surnommez bien-faisants, à cause
des grandes faueurs qu’ils élargissoient à
leurs subjets ; Les liberalitez charment les
cœurs des peuples, dit Iouinianus Pontanus :
Elles asseurent la personne des Princes mieux
que les armes, au dire de Senecque : Cela estant,
quel cœur vrayement François, à moins qu’il
soit barbare, ou de bronze, ne recognoistra la
Reine pour la plus illustre & magnifique Princesse
de l’Europe, & ne cõfessera qu’à juste raison,
elle en porte la qualité, comme aussi le nom
de gracieuse & bien-faisante, qu’elle doit charmer
les cœurs des bons François : Qu’elle n’a
que faire d’armes pour garder sa Royalle personne,
si ce n’est pour marque des honneurs
& des respects qui luy sont deus. Sa Majesté
tres-Chrestienne ne pouuoit témoigner sa liberalité
en aucune occasion plus importante
que durant le bloccus de Paris ; lors que tant
de pauures Monasteres, Hospitaux, & autres
particuliers, pleuroient & gemissoient, accablez
& surpris des necessitez, elle leur enuoyoit
de sainct Germain secrettement des aumosnes,
pour les entretenir & alimenter, selon le conseil
de Nostre Seigneur ? Et ainsi que lob disoit
autrefois, qu’estant assis comme vn Roy dans

-- 28 --

vn Thrône Royal, enuironné de Gardes & de
Soldats, il ne laissoit pas toutefois de consoler
les affligez : De mesme on peut dire de la Reine,
que tenant son siege Royal à sainct Germain,
gardé & enuironné d’armées differentes
& contraires, elle ne laissoit toutefois pas de
remedier aux necessiteux, & consoler les affligez
de Paris ; & le plus grand déplaisir qu’aye
maintenant sa Majesté pour les malheurs du
temps, c’est de ne pouuoir égaller ses œuures
misericordieuses à la grandeur de ses volontez
extraordinairement pieuses ; car cette Auguste
Princesse possede en vn souuerain degré les belles
qualitez que Valere écrit estre necessaires
aux Princes Souuerains, estant la plus sage &
plus prudente de son Conseil pour la conduite
du Royaume ; la plus Magnifique de la Cour,
pour le mépris des basses & villes actions ; la
plus Iuste, pour abhorrer les injustices ; la plus
Clemente, pour detester les cruautez, & la
plus liberale, pour élargir des dons & des graces ;
de sorte qu’en qualité de Chef, sa Majesté
communique à tous ses Subjects vne si grande
abondance d’esprits, de sa sagesse & prudence,
justice, clemence, & liberalité, que le corps
ciuil & politique ne peut se corrompre & bouleuerser
par sa faute : Il reste donc aux bons
François de faire Reflexion sur les membres
inferieurs, pour reconnoistre & juger sans

-- 29 --

passion la cause du desordre qui pourroit arriuer
au corps ciuil ; & si les membres inferieurs
reçoiuent du Chef la benigne influence de ses
Vertus, auec la mesme douceur qu’ils les luy
enuoye, & si mutuellement ils luy rendent la
soubmission & defference par obeïssance, honneur,
& tribut qu’ils luy doiuent.

 

Liberalité de
la Reine.

Fecit Salomon
vt tanta abundantia
argenti
esset in Hierusalem,
quanta
& lapidum.
3. Reg. cap. 10.

Tite Empereur.

S. Leon Pape.

Cleomenes &
Ptholomee.

Iouinianu
Pontanus.

Senecque.

Vt sit Eleemosina
tua in abscondito.
Matth. 6.

Cum sederem
quasi Rex circunitante
me
exercitu, eram
tamen mœrentium
consolator.
Iob 29.

Valere.

Les Subjects sont obligez, sur peine de peché
mortel, d’obeïr au Roy : La raison naturelle,
dicte par l’ordre de toutes les creatures,
que les moindres & inferieurs cedent aux plus
Nobles & Superieurs : La Loy diuine commande
d’obeïr à ceux qui gouuernent : Sainct Pierre
en sa premiere, enjoint expressément qu’on
obeïsse au Roy, parce qu’il est le Souuerain ;
& comme dit sainct Paul, sa puissance luy est
donnée de Dieu.

Naturale est
potioribus deteriora
submitti,
Senec. 9. epist.

Facite quodcumque
dixerint
qui præsunt
vobis, Deut. 17.

Petri 1. cap. 2.

Le mesme Apostre recõmandoit particulierement
à son Disciple Tite, qu’il preschât à ses
Auditeurs, comme vn poinct de conscience,
qu’ils obeïssent aux Princes souuerains.

Romanor. 13.
Non est potestas
nisi à Deo.

Le Docteur Angelique sainct Thomas enseigne,
que les rebelles aux Rois encourent la
peine de la mort temporelle & eternelle : La
raison est fondée sur les paroles de S. Paul aux
Romains, disant, Qu’il faut obeïr au Rois, non
seulement pour la crainte de leur cholere, mais
aussi par ce qu’on y est obligé en conscience,
Non solum propter iram, sed etiam propter conscientiam ;

-- 30 --

si bien que desobeïr au Roy, est desobeïr
à Dieu : Et de fait, Samuel se plaignant de la
rebellion & mépris de son peuple, Dieu luy répondit,
qu’il prenoit part à ses interests, & que
luy-mesme se tenoit méprisé : Datan & Abyron
resistant à Moyse leur Conducteur, furent
chastiez, & la terre les engloutit : Le sainct Esprit
dit par la bouche du Sage, que la cholere
du Roy est vn auant-coureur de la mort, & qu’il
n’appartient qu’aux sages de l’appaiser ; qu’on
doit apprehender la fureur du Roy, comme le
rugissement du Lyon. De plus, cette obeïssance
est vtile pour deffendre la vertu, & punir les
vices ; comme aussi pour donner la paix aux
peuples, & les proteger contre leurs ennemis,
qui voudroient enuahir leurs biens & leurs vies :
Et encore bien qu’on ne sçache pas le sujet de
leurs commandemens, & qu’ils semblent hors
de propos, on ne doit toutefois laisser de leur
obeïr, ainsi que fit Ioab à Dauid, receuant
commandement de compter son peuple, quoy
que Ioab creût qu’il n’estoit pas à propos : Et
certainement c’est vn grand abus & temerité
de vouloir s’excuser de ce deuoir d’obeïssance,
sous pretexte de quelques deffauts imaginaires,
ou mesmes veritables ; dautant que
Dieu dit par la bouche de sainct Paul, qu’il faut
leur obeïr, encore qu’ils soient vicieux, etiam
discolis. Nostre Seigneur l’enseigne aussi en

-- 31 --

sainct Matthieu : S’il n’est point permis en bonne
conscience de rechercher ny juger des égaux
ou inferieurs, à moins d’en auoir la charge,
auec quelle conscience peut on tenir le brelan,
& s’entretenir des actions, & mesme des intentions
de ceux qui sont autant éleuez au dessus
de leurs subjets, comme le Ciel l’est de la terre :
En cela les bons François mettent la main à la
conscience, & suiuent le conseil du sainct Esprit,
ne recherchant point ce qui est au dessus
de leurs connoissances & obligations, & ne
voulant pas penetrer ce qui est plus digne, plus
noble, & plus releué qu’eux ; mais ils s’arrestent
simplement à ce qui est de leur deuoir,
sans demander le pourquoy des Loix, ny sindiquer
les imperfections de leurs superieurs : Or
quoy qu’il ne soit pas permis de considerer
leurs vies pour ne leur pas obeïr, il est toutefois
licite & vtile de considerer leurs vertus
pour les imiter : Si toute la Cour suiuoit les traces
de la deuotion, charité, & saincts exercices
de la Reine, elle seroit vne vraye & parfaite
Eschole de la Religion Chrestienne, & les bourses
de plusieurs par la profusion des liberalitez
se vuideroient mieux qu’elles ne font : Si châcun
s’étudioit à imiter les vertus, plûtost que
de prester l’oreille aux calomnies, on ne se laisseroit
pas emporter si legerement au souleuement
contre l’authorité des Souuerains, qui

-- 32 --

n’est souuent fondée que sur l’interest chimerique
du bien public, & sur la veritable jalousie,
enuie ou malice de quelques particuliers :
Quelque fois l’ambition est si grande,
qu’elle est capable de mettre tout vn Royaume
en combustion, violant toutes les Loix de respect,
d’humanité, de justice, & de fidelité pour
regner : Absalon pour ce sujet a méconnu son
pere, son Roy, & son bien-faicteur : Le fils de
Nabucodonosor a fait manger le corps de son
pere par trois cens corbeaux, de peur qu’il retournât
au Thrône, ainsi qu’il auoit fait apres
les sept ans de sa brutalité. Semiramis, concubine
de Ninus, regnant vn jour par la grace
speciale, & aueuglée de ce Prince, le fit lier &
mettre à mort : Les addresses de ce pernicieux
vice sont si subtiles, qu’elles engagent insensiblement
tout vn peuple dans ses interests, quoy
que son but ne soit que sa gloire aux dépens des
innocents, & d’vn commun peuple qu’elle soûleue
par faux & mauuais pretexte de tyrannie,
cruauté, & libertinage : Pour donc éuiter ces
engagemens malheureux, il faut simplement
s’attacher à la Loy de Dieu, du Roy, & de ceux
qui ont authorité spirituelle ou temporelle,
ayant toûjours en la memoire la leçon du Sage,
Que pour conseruer ou acquerir de l’honneur,
il ne faut s’engager aux bruits & seditions des
insolents, dautant qu’il n’appartient qu’aux

-- 33 --

dépourueus d’esprit à se mesler dans les diuisions.

 

Roman. 13.

Non te abiecerunt
sed me,
1. Reg. 18.

Numeror. 13.

Indignatio Regis
nuntij motis,
& vir sapiens
placabit
eam.
Sicut rugitus
Leonis, ita &
terror Regis.
Prou. 16.

Vindex est in
iran qui male
agit, Roman. 13.

3. Reg. cap. 24.

Matth. 23.

Altiora te ne
quæsieris & fortiora
te ne scrutatus
fueris, sed
quæ præcepit
tibi Deus illa
cogita semper.
Eccles. 13.

Absalon.

Balthasar fils de
Nabucodonosor.

Semiramis.

Honor est homini
qui separat
se à contentionibus,
omnes
autem stulti
miscentur cõtu
melijs, Prou. 20.

Les Subjects sont obligez en conscience
d’honorer leur Roy, de luy rendre vn souuerain
respect ciuil, & le plus grand honneur
qu’ils puissent rendre à vn homme, hors le sujet
de saincteté. L’Apostre sainct Pierre le recommande,
apres auoir parlé de la crainte de Dieu ;
dautant que le Prince est l’image viuante & le
plus noble pourtraict du Roy des Rois, siue Regi
quasi præcellenti, & qu’il a deux Anges, l’vn de
sa personne, l’autre de son office : Il n’y a point
de bons Subjects qui n’aduoüent cette verité ;
mais entre tous, les Parisiens en ont donné,
particulierement depuis le retour de sa Majesté
de Picardie en sa bonne ville de Paris, des preuues
si puissantes, qu’on ne peut douter de leurs
veritables soubmissions ; Ils mesurent leurs respects
à la grandeur & au lustre de son sang
Royal, aux dons & perfections que Dieu & la
nature ont versé dans l’ame de ce grand Monarque,
& empraintes sur sa Royalle personne ; de
laquelle on peut dire auec juste raison, comme
Polipius, de Philippe Roy de Macedoine, pere
d’Alexandre le Grand, qu’elle est la plus accõplie
que toutes les autres de la terre ; Ou comme
parle sainct Ambroise de Valentinian, il
semble que ce Prince a esté choisi entre milles
pour le bon-heur de la France ; Ou comme dit

-- 34 --

sainct Gregoire le Grand des enfants des Chrestiens,
on diroit qu’il a esté formé parmy les
Anges, & destiné pour ne viure qu’auec eux
dans le Ciel, apres auoir regné quelques années
sur la terre, conduit & gouuerné paisiblement
la France.

 

Deum timete,
Regem honorificate.
Pet. Epist. 1.
cap. 2.

Polipius.

S. Ambroise.

Sainct Gregoire
le Grand.

Et par vne Reflexion de Iustice, les bons
François disent, qu’outre les merites & tiltres
augustes de la Reine Regente, ils luy doiuent,
en qualité de tres-digne & honorée Mere du
Roy, le mesme honneur & respect ; dautant
que la diuision de reuerence seroit trop Metaphysique
& non assez Morale, honorer le Roy,
& non la Reine, le fils, & non la mere ; car la
relation de substance estant mutuelle, celle
des priuileges & honneurs doit estre semblable,
ainsi que raisonnent les Theologiens, parlans
de la saincte Vierge, en qualité de Mere
de Dieu, à laquelle ils donnent la veneration
d’Hyperdulie : Et certes ne pas honorer la Reine
plus que tout autre du Royaume, en qualité
de Mere du Roy, ce seroit vn crime trop detestable
deuant Dieu, trop sensible au fils, &
trop infame aux yeux des hommes ; le Roy vn
jour pourroit s’en ressentir, puis que comme
le des honneur du fils est vn pere sans honneur ;
de mesme la mere sans honneur est le deshonneur
du fils, ainsi que dit le Sage : Luy-mesme
l’honorera, & la fera seoir dans vn Thrône à sa

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droite, & ne souffrira pas les calomniateurs ;
dautant que les volõtés des Rois, sont les parolles
justes & innocentes, ainsi que dit le sainct
Esprit, il fera le decret d’vn bon & respectueux
fils ; que quiconque l’honorera, honorera pareillement
sa tres-chere Mere, & qui offensera
la Mere, touchera le fils, faisant par ce moyen
vn pretieux thresor de benedictions sur la terre,
pour luy & pour son Royaume, & de gloire
dans le Ciel, pour viure eternellement glorieux
auec sainct Louïs, ayant suiui ses traces, & imité
Nostre Seigneur, lequel s’est soubmis à sa
saincte Mere.

 

Dedecus silij
pater sine honore.
Eccles. 3.

Voluntas Regum
labia iusta
Prouerb. 16.

Sicut qui thesaurisat,
ita qui
honorificat matrem,
Eccles. 3.

Et erat subditus
illis, Luc. 2.

De tout temps les Subjects ont rendu des
hommages aux Rois & Princes Souuerains, en
recognoissance de leurs Majestez & grandeurs,
& ont payé le tribut, pour marque de leur dependance ;
Dieu mesme, Roy des Rois, veut
en receuoir des creatures, ainsi qu’il appert
dans l’Exode, quoy toutefois qu’il n’en ait que
faire.

Non apparebis
in conspectu
meo vacuus :
Exod. 23.

Senecque écrit, que chez les Parthes, personne
n’osoit salüer les Rois sans leur faire quelques
presents : Aux Iappons, les Princes &
grands Seigneurs offrent vne fois l’an des dons
à l’Empereur. Le docte Lyra, expliquant ce
passage de la saincte Escriture, au premier Liure
des Rois, Hoc erit ius Regis, dit que le Roy
a droict diuin sur les biens de ses Subjects, pour

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l’entretien raisonnable de sa Personne, de sa
Cour, & de ses Estats : La raison naturelle dicte,
que celuy qui a la charge de tout vn peuple, &
la conduite de tout vn Royaume, en doit par
consequent auoir les moyens necessaires ; ce
qui ne peut estre que par la contribution & le
tribut des biens des Subjects, particulierement
lors que les dépens excedent les richesses
du Prince, comme en temps de guerre :
Outre qu’on ne doit faire aucune repugnance
de payer le tribut ; dautant qu’vne partie des
biens & thresors du Prince retourne par sa liberalité,
& recognoissance des bons seruices au
profit des subjects ; & l’autre partie sert pour
les proteger & maintenir contre leurs ennemis,
ainsi que raisonne sainct Paul. Le Fils de Dieu
jugeant autre fois le different arriué entre les
Romains & les Hebreux ; sçauoir si on estoit
obligé de payer le tribut à Cesar ; les Adherants
d’Herode soustenoient l’affirmatiue, & les Hebreux
la negatiue ; sa resolution fut qu’on payât
à Cesar le tribut, dautant qu’il luy appartenoit :
De là il s’ensuit, que pour établir des imposts
raisonnables, le Prince souuerain n’a pas besoin
du consentement de ses Subjects, comme
ayant droit naturel diuin & humain : De fait,
Ioseph a remarqué, que Pompée & Cesar ont
étably des imposts sans le communiquer à
leurs subjects. Le Prince toutefois doit prendre

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aduis & conseil des plus vertueux, fidels
& sçauants de son Royaume, pour examiner si
le sujet du nouueau impost est juste & necessaire,
s’il n’est pas trop rude & insupportable ; de
sorte que s’il tond les oüailles, qu’il ne les écorche
point, imitant sainct Louys, qui reprenoit
aigrement ceux qui luy conseilloient d’establir
de nouueaux subsides, plûtost pour s’enrichir
que pour la necessité ; & redoutant comme
Philippe troisiéme Roy de Castille, plus les
maledictions des peuples, que les armes des
ennemis.

 

Senecque.

1. Reg. cap. 2.
Lyra.

Ideo enim tributa
præstatis,
ministri enim
Dei sunt in hoc
ipsum seruientes,
Roman. 13.

Reddire ergo
quæ sunt Cæsaris
Cæsari.

Ioseph. lib. 8.
antiquit. cap. 1.

Or faisant reflexion sur la prudente Regence
de la Reine, personne ne doit douter que sa
volonté seroit qu’on ne leuast point des sommes
d’or & d’argent si immenses sur ses subjects :
Sa Majesté n’ignore point que par la rigueur
des guerres plusieurs n’ayent esté écorchez,
& d’autres tondus de si prés, qu’à peine
la laine pourra recroistre : Mais on luy fait entendre
les necessitez vrgentes des armées dedans
& dehors le Royaume, en Cathalogne,
en Italie, en Allemagne, &c. De plus, les
grandes dépenses qui se font pour le seruice du
Roy, & de ses Estats ; Si bien que l’vn des deux
est necessaire, ou laisser perdre les glorieuses
Conquestes que le Roy deffunct (d’heureuse
memoire) a fait, & les autres, où il faut tirer
de l’argent du peuple pour les conseruer & augmenter

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si faire se peut : On croid que le dernier
est moins dommageable & desaduantageux
à la France que le premier ; ce qui fait que
la Reine a choisi le moindre des deux maux.
Si l’on replique que l’argent est mal employé,
& que les armées ne sont pas payées ; Ie suppose
qu’il soit ainsi : Neantmoins la faute n’en
doit point estre attribuée à la Reine, pour deux
raisons ; La premiere, parce qu’elle ne le retient
pas pour soy ny pour d’autres, comme
toute la Cour sçait ; La seconde, dautant que
s’il s’y commet des abus en la leuée ou distribution
des deniers, elle ne peut y remedier, de
crainte qu’il arriue pis, où elle n’en a pas de cognoissance,
Dieu seul pouuant cognoistre en
detail toutes les affaires d’vn grand Royaume,
particulierement en temps de guerre : L’experience
journaliere fait voir, qu’en la seule conduite
des Prouinces, villes, & grandes maisons,
beaucoup de tromperies se glissent, sans que
les Gouuerneurs, Seigneurs & Maistres les
puissent cognoistre. C’est donc la guerre qui
est le sujet principal de si grosses leuées d’argent,
& de la pauureté du peuple ; Quoy que
si on examine de prés l’estat de toute l’Europe,
on trouuera que les autres Royaumes sont incomparablement
plus ruinez & accablez que
la France.

 

En dernier ressort, le peuple crie, que la

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Reine ne fait-elle la paix, elle pourroit soulager
& consoler ses subjects ; Oüy, mais Dieu
veuille que terminant vne guerre estrangere,
vne autre plus dangereuse & intestine ne se forme.
Dés le commencement de la Regence, sa
Majesté témoignant le desir qu’elle auoit de la
paix generalle, vn bruit sourd & mauuais couroit
qu’elle s’entendoit auec ses alliez au prejudice
de la France ; Et dautant qu’elle a fait voir
le contraire, tenant ferme sur quelques articles
aduantageux au Roy son cher fils, certains
malitieux desirant la rendre odieuse à ses subjects,
ont fait croire au peuple qu’elle vouloit
entretenir la guerre. La verité est, qu’elle desire
la paix auec passion ; & que seulement pour
deffendre contre ses alliez les interests entiers
du Roy & de la Couronne la Conclusion se retarde :
Il est vray aussi que maintenant les dernieres
guerres de Paris, & de quelques Prouinces,
ont opiniastré & fortifié les pretentions
des ennemis, lesquels ont toûjours souhaitté
& attendu (& sans doute sollicité) les malheurs,
pour mieux pescher en eau trouble.

 

C’est pourquoy il est tres-important que les
bons François fassent Reflexion sur les miseres
& calamitez qu’ils ont veu & souffert depuis
le commencement des guerres, particulierement
de ces dernieres Ciuilles, pendant lesquelles
Dieu a esté offencé jusqu’au plus haut

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degré d’impieté, & lâchement serui, la sortie
du Roy regrettée, funeste à Paris, & à toute la
France ; Qu’ils considerent les desordres & dégats
exorbitans que cause la rebellion contre
l’authorité Souueraine ; lors qu’vne populace
maistrise & gouuerne, que châcun souffre, les
plus innocents sont les plus mal-traittez ; les
riches vuident leurs bourses, ou les seignent
bien fort, les Bourgeois peinent, veillent, &
endurent tant, que les vns en meurent, les autres
contractent des maladies longues, violentes,
ou pour le reste de leurs jours ; les pauures
jeusnent sans obligation, & quelques-vns perdent
le goust du pain ; si bien qu’on souffre
plus en trois mois de guerres Ciuilles, qu’en
vingt ans de guerres estrangeres : La furie &
aueuglement de certain petit peuple estoit si
grand en ces dernieres barricades de Paris,
qu’ils recherchoient mesme de nuire à ceux qui
les seruoient, jusqu’à vn Confesseur de la Reine,
dont l’integrité de vie & de mœurs est admirée
de tous ceux qui le cognoissent ; lors
que gisant sur le grabat malade depuis cinq
mois à l’âge de quatre-vingt & vn an, il employoit,
par personnes interposées, tout son
credit, & le prix de ses seruices de trente-deux
ans auprés de sa Majesté, afin d’appaiser sa colere,
& d’obtenir vn acte heroïque de clemence
& de misericorde pour le peuple ; à quoy il

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a beaucoup contribué, comme au retour de
leurs Majestez en leur bonne ville de Paris, &
semble que pour ce sujet, comme pour la consolation
spirituelle de la Reine, & l’vtilité de la
France, Dieu luy a rendu la santé contre toute
esperance humaine. L’experience de ces miseres
doit faire rentrer les bons François en eux-mesmes,
& recognoistre premierement que
les pechez en sont la cause, dit le sainct Esprit,
& chãger de vie, afin que Dieu cesse de chastier.
Secondement, ils doiuent considerer l’obeïssance,
l’honneur, & le tribut qu’ils doiuent au
Prince souuerain, & à sa digne & honorée Mere
la Reine Regente, à ce qu’ils leurs soient propices
& fauorables, & que de cette façon le
Corps Ciuil & Politique du Royaume se maintienne
& conserue paisible & tranquille ; estant
indubitable que le Chef par sa benigne influence,
& le Roy par la joye de son visage,
donne la vie aux membres inferieurs & subjets,
ainsi que dit le sainct Esprit. En troisiéme lieu,
il faut qu’ils se recognoissent extrémement redeuables
aux bontez de la Reine, pour leur
auoir ramené le Roy selon leurs desirs en cette
fameuse & renommée ville de Paris, & de ce
qu’elle a vsé de clemence & misericorde singuliere
enuers celles qui l’auoient offencé, leurs
disant ces parolles pleines de douceur & de charité ;
Ie vous remercie mes Amies, de ce que

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vous m’auez donné sujet de m’approcher dauantage
de Dieu. Finalement, pour comble
de deuoirs, toute la France doit redoubler ses
prieres pour la santé de leurs Majestez, des
Princes, & de tous leurs Conseils : Que si autrefois
Baruch desirant la liberté de la vie douce
& paisible, lors qu’il estoit captif en Babilonne,
recommandoit aux fidelles de Hierusalem
qu’ils priassent Dieu pour Nabuchodonosor
Roy de Babilonne, & pour Balthasar son
fils, quoy qu’infidelles & ennemis ; Si Cyrus &
Darius ont donné des Decrets qu’on feroit des
prieres pour le Roy & pour ses enfants, afin
qu’ils puissent conseruer leurs subjects en paix ;
à plus forte raison les bons François sont-ils
obligez de suiure le conseil de sainct Paul, en
sa seconde à Thimotée, exhortant les Chrestiens
de faire la premiere de leurs prieres pour
les Rois, & pour tous ceux qui sont établis dans
les charges & dignitez ; afin que sous leur protection,
ils viuent en paix, & tranquillité d’esprit
& de corps, pour mieux seruir Dieu, &
vacquer au salut de l’ame.

 

Miscros facit
populos peccatum,
Prou. 14.

In hilaritate
vultus Regis
vita, Prou. 16.

Baruch cap. 1.

Esdræ cap. 6.

2. Ad Thimot.
cap. 2.

FIN.

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Magnien, Charles [signé] [1649], REFLEXIONS CONSCIENCIEVSES des bons François, SVR LA REGENCE DE LA Reyne. , français, latinRéférence RIM : M0_3061. Cote locale : C_9_19.