Anonyme [1650 [?]], LA BELLE GVEVSE. , françaisRéférence RIM : M0_579. Cote locale : A_9_33.
LA BELLE AVEVGLE. STANCES.
Qve le sort en naissant se pleust à m’affliger ! Et qu’il me fit de mal en pensant m’obliger De l’vsage de la lumiere ; Sans elle i’eusse este beaucoup moins curieux, Et ie conseruerois ma liberté premiere Si le Ciel comme vous m’eust fait naistre sans yeux.
Mes sens & ma raison se trouueroient d’accord, Et vos charmes puissans n’auroient pas eu d’abord Tant de pouuoir sur ma memoire : Ie ne serois traité d’esclaue ny d’Amant Par mon propre malheur i’achepterois ma gloire, Et deurois mon repos à mon aueuglement.
Que ie fus malheureux quand l’arrestay mes pas Pour voir plus à loisir ces merueilleux apas Dont les graces vous ont pourueuë : Que mon destin au vostre est contraire en ce poinct, Ie ne me plains par tout que pour vous auoir veuë, Et vous ne vous plaignez que pour ne me voir point.
Cessez de murmurer contre l’arrest du sore, N’accusez point le Ciel de vous auoir fait tort Dans vn bien dont vous estiez digne ; C’est peu que ce defaut pour vous mettre en couroux Et si c’estoit aussi quelque defaut insigne, L’amour ne seroit pas aueugle comme vous.
Ne nous enuiez point vn bien si dangereux Qui nous peut quelquefois empescher d’estre heureux En nous empeschant d’estre sages ; Vostre esprit en eschange a bien d’autres apas, Et vous auez sur nous cent nobles aduantages Pour vn que nous auons & que vous n’auez pas.
Vous nous sçauez charmer par ce qui manque en vous Cét illustre accident fait mesme des jaloux Dont vous dedaignez les requestes ; Et malgré vos mespris iniustes & diuers, Auec les yeux fermez vous faites des conquestes Que d’autres ne font pas auec les yeux ouuers.
Mais quand vous pourriez voir la clarté du Soleil, L’Aurore dans sa pompe & dans son apareil, Flore dans la saison nouuelle, Les tresors qu’aux humains les Cieux ont accordez Et ce que la nature a de beautez en elle, Vous en verriez bien moins que vous n’en possedez.
Cette perte, Phylis, est heureuse pour vous Lors que sans y penser vous portez ces beaux coups Dont tant d’ames sont satisfaites : Vos meurtres amoureux par la sont excusez Puis que ne voyant rien de tout ce que vous faites, Vous ne voyez iamais les maux que vous causez.
Vous nous tesmoignez bien par vostre aueuglement Que c’est à la nature à pecher noblement, Et qu’elle a des fautes celebres, Qu’elle en a sceu tirer la gloire qui vous suit ; Que l’amour a son thrône au milieu des tenebres, Et qu’il n’est point de iour qui vaille vostre nuict.
C’est vn prodige estrange & merueilleux à voir, Qu’il semble que l’amour ait destruit son pouuoir Par l’endroit mesme qui le fonde ; Qu’vne Aueugle auiourd’huy luy serue de flambeau, Qu’vne lumiere esteinte embraze tout le monde, Et qu’vn defaut si grand soit en effet si beau.
Ie ne me plaindrois point de mon sort inhumain S’il m’estoit accordé de soustenir la main D’vne si charmante homicide ; Si parfois le vaincu conduisoit le vainqueur, Si son esclaue vn iour pouuoit estre son guide, Et s’il prestoit ses yeux à qui retient son cœur.
Cependant cette grace irrite ses mespris, On diroit que ce bien est vn trop digne prix Pour mes souffrances nompareilles ; Que mes soins les plus grands luy sont iniurieux, Et que l’amour par moy la faite sans oreilles Comme il a pris plaisir à la faire sans yeux.
Mais ie n’en dois point estre estonné ny confus, Et t’excuse de vous, mesme iusqu’au refus, De recompenser qui vous aime, Ie serois autrement de raison despourueu, Vous ne pouuez respondre à mon amour extreme Puis qu’on ne peut aimer ce qu’on n’a iamais veu.
Si l’amour toutefois est payé par l’amour, Vous pourriez bien aussi m’aimer à vostre tour Et sans iniustice & sans blâme ; Ou si pour mon malheur les traits de l’amitié Vous trouuent tous les iours insensible à ma flâme Vous ne deuez pas l’estre aux traits de la pitié.
FIN. A PARIS, |
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Anonyme [1650 [?]], LA BELLE GVEVSE. , françaisRéférence RIM : M0_579. Cote locale : A_9_33.