Loret, Jean [?] [1652], QVATRIESME GAZETTE DV TEMPS. EN VERS BVRLESQVES. , françaisRéférence RIM : M0_1471. Cote locale : B_18_26.
SubSect précédent(e)

QVATRIESME
GAZETTE
DV
TEMPS,

A SON ALTESSE
MADAMOISELLE DE LONGVEVILLE

 


Princesse de qui l’on peut dire
Que vous aymez tres-fort à rire
Ce discours aura des endroits
Qui seront sans doute vn peu froids,
Mais la Musette babillarde
Essayant d’estre goguenarde
S’il luy vient quelque bon moment
Escrira plus gaillardement,
Et i’ose quasi vous promettre
Si vous regardez cette lettre
Que vous verrez en la lisant
Du serieux & du plaisant.

 

 


Mourond le Fort inexpugnable
A ses voisins si redoutable
Apres s’estre bien deffendu
A Palluau s’est enfin rendu,
Qui Dimanche y fist son entrée
Dont certainement la contrée
Tant les nobles que les paysans
N’en sont nullement desplaisans,
Si l’on doit raser ses murailles,
Bastions, Parapels, Tenailles,
Et les démolir de tout point
On n’en parle ny peu, ny point
Chez le gros bourgeois ny le mince,
Car on craint trop monsieur le Prince.

 

 


Ieudy cinquiéme iour du mois
Quantité d’honnestes bourgeois

-- 4 --


Monstrerent leur rejoüissance,
D’autant que l’auguste naissance
Du Roy, l’obiet de nostre amour
Se rencontroit en pareil iour,
On fit des feux emmy les ruës,
Et hormis les ames bourruës
Qui n’ont, ny Dieu, ny Foy, ny Loy,
Chacun cria viue le Roy,
On vuida plus de cent bouteilles,
Et l’on fit des vœux à merueilles
Pour son retour tant desiré
Au quartier de sainct. Honoré,
Ie ne suis nullement yvrogne,
quoy que i’en aye vn peu la trongne,
Et toutefois d’vn vin tout pur
Qui n’estoit ny foible ny sur
I’arrousay par extreme ioye
Quatre, cinq, ou six fois mon foye
Beuuant à l’heureuse santé
De son aymable Maiesté,
Digne de dix mille loüanges
Puis la portois à ces deux Anges,
Dont l’vn est l’Ange de l’Estat,
L’autre celuy du Potentat.

 

 


Il faut dire icy quelque mot
De Theophraste Renaudot
Homme d’esprit & d’importance,
Et le grand Gazetier de France,
Qui voulant au Dieu des Amours
Sacrifier ses derniers iours,
Ayant des ans soixante & douze
Auoit pris vne ieune espouse
Qui n’auoit pas vallant cent francs,
Mais vn beau corps & des plus blãcs
Contenant en plusieurs especes
Quantité d’aymables richesses,
Ses cheueux bruns cendrez ou blonds
Valoient six vingts douze doublons,
Ses yeux vifs, clairs & nõ pas troubles
Valoient trente sacs pleins de doubles,
Et leurs regards bien appliquez
Chacun plus de dix sols marquez,
Son front septante & six pistolles
Ses sourcils quatre mil obolles,
Son teint sans fraude & sans abus
Quatre vingts-seize lacobus,
Sa bonche & ses dents fort egalles
Vingt douzaines de riche-dalles,
Son sein, sa gorge & ses tetons
Valoient du moins mil testons,
Sa belle taille & son corsage
Neuf cens Ducats & dauantage,
Et sur le tout son embonpoint
A n’en mentir ny peu ny point,
Sa bonne grace, son addresse,
Sa douceur & sa gentillesse
Se pouuoient bien monter encor
A cinq ou six cens Escus d’or.
Les premiers iours du mariage
Sans, noise, sans bruit, sans orage
Coulerent sinon plaisamment,
Du moins assez paisiblement.
Au mari froid comme vne souche
La femme n’estoit point farouche,
Renaudot sans estre ialoux
Luy manioit souuent le poulx,
(Et c’estoit là tout son possible
N’estant pas d’ailleurs insensible)
Il l’appelloit cent fois le iour
Ma Nymphe, mon Ange, mamour,
Mon cœur, ma moitié, ma fidelle,
Ma Mignonne, ma Tourterelle.
Ces pauures petits passetemps
Durerent tant soit peu de temps :
Mais enfin cette Deesse Orde
Que l’on nomme Dame Discorde,
Parmy leur Hymen se fourra
De leurs deux esprits s’empara,

-- 5 --


Les degousta de leurs caresses,
Destruisit toutes leurs tendresses,
Et de son dangereux poison
Infecta le docte grison,
Et mesme aussi la Damoiselle
Vne auersion naturelle
Dans le cœur de chaque moitié
Prit la place de l’amitié.
La femme deuint plus altiere,
Plus aigre, desdaigneuse & fiere,
Et le mary de sa beauté
N’estant plus du tout enchanté
Ne luy donnoit plus de loüange,
Ne disoit plus mon cœur, mon ange,
Mais quelquefois pis que son nom,
Et l’appelloit souuent Guenon,
Elle pour prendre sa reuenche
En mettant la main sur la hanche
Disoit voyez ce beau nazeau,
Voyez ce plaisant damoiseau,
Voyez ce faiseur de Gazettes,
Il luy faut des femmes bien-faites,
Il luy faut des ieunes beautez
Au prés de ses propres costez,
Il luy faut d’aymables visages
Qui soient doux comme des images,
Il luy faut des obiets rians,
Il luy faut des morceaux friants,
Il luy faut des léures sacrées
Qui ne soient qu’à luy consacrées,
Il luy faut des belles Philis
De beaux teints d’œillers & de lis,
Des tetons & des gorges pleines,
Il luy faut ses fiévres quartaines,
Le sage Monsieur Renaudot,
Le plus souuent ne disoit mot,
Mais lassé de tant en entendre,
Disoit quelquefois pis que pendre.
A la fin leurs communs parents
Ayants peur que leurs differents
Apres leur amitié destruite
Eussent vne eternelle suite,
Ont iugé tres-fort à propos
Qu’il les falloit mettre en repos,
Si bien que parleur entremise
Les Messieurs de la Cour d’Eglise
En ayant esté fort priez
Les ont enfin des-mariez.

 

 


L’Altesse du Duc de Lorraine
S’auançant à perte d’haleine
Et tous ses escadrons aussi
Vint en propre personne icy
Vendredy si ie ne me trompe,
Non pas auec autant de Pompe
Que l’autre fois quand il y vint,
Mais suiuy seulement de vingt,
Ou pour le plus que ie ne mente
Sa suite ne passant pas trente,
Mais Comme ce Prince a laurrier
Est autant Galland que guerrier,
Il voulut que Madamoiselle
De la main yvoirine & belle
Luy fist vn petit mandement
De venir icy promptement,
Et que cette Dame Iolie
Dont l’ame est dit-on si polie
Frontenas escriuit aussi
Monseigneur rendez vous icy,
Ce que toutes deux elles firent
La Princesse & l’autre escriuirent
Chacun vn mot petit ou grand
Et ce grand Duc leur deferant
Plus prompt qu’vn esclair de tonnere
Les vint voir en habit de guerre.
Dedans saint Germain Lauxerrois
Iadis Parroisse de nos Roys,
Suruint vne estrange auanture
Car en mettant en sepulture

-- 6 --


Vn corps mort Vendredy matin
Vn certain, Bourgeois son voisin
Assistant pour dernier office
A l’enterrement & seruice
Par vn triste & funeste sort
Tomba luy mesme royde mort,
Plusieurs d’abord eurent croyance
Que c’estoit vne defaillance,
Mais quand on l’eut bien regardé
On le iugea tres decedé,
De cét homme donc on peut dire
Que croyant seulement conduire
Son amy iusques au monument
Comme on fait ordinairement
Par vne disgrace impreueuë
Autrement par vne beueuë
Dont il se seroit bien passé
Il conduisit le trespassé,
Que l’on tenoit homme de fronde
Iustement iusqu’en l’autre monde.

 

 


Puis que ces articles diuers
Vont au delà des deux cens vers,
Princesse de rare importance
A qui rendre humble obeissance
Est presque mon plus grand soucy,
Permettez que ie birse icy.

 

 


Fait l’huitiesme du present mois
Dans le logis d’vn gros Bourgeois.

 

APOSTILLE.

 


Des debiteurs de faux papiers
Pires cent fois que de ; fripiers,
Et qui n’ont iamais les mains nettes
Ont imprimé de mes Gazettes
Sans craindre ny loix ny Scindicq
Pour en faire vn lasche traffic,
Qu’ils finissent ie leur en prie
Cette franche friponnerie,
Ou ie declare à ces meschants
Qu’ils en seront mauuais Marchands.

 

FIN.

SubSect précédent(e)


Loret, Jean [?] [1652], QVATRIESME GAZETTE DV TEMPS. EN VERS BVRLESQVES. , françaisRéférence RIM : M0_1471. Cote locale : B_18_26.