Faure,? [?] [1649], LES SENTIMENS DV PVBLIC, TOVCHANT LA DOCTRINE preschée, par le Pere Faure. , françaisRéférence RIM : M0_3656. Cote locale : C_10_5.
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LES
SENTIMENS
DV PVBLIC,
TOVCHANT LA DOCTRINE
preschée, par le Pere Faure.

A PARIS,
Chez CARDIN BESONGNE, ruë
d’Escosse pres S. Hilaire.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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AV LECTEVR.

Mon cher Lecteur, en dressant ce petit ouurage, ie me
suis promis deux choses de ta bonté, sans lesquelles ie
n’aurois pas mis la main à la plume. La premiere, que tu suspendras
ton iugement contre le Pere Faure, iusques à ce qu’il
se soit expliqué luy-mesme, n’y ayant pas grande apparence,
qu’vn Religieux ait auancé vne si dangereuse doctrine ; Et
quoy qu’il en arriue, que tu n’auras point d’auersion pour sa
personne, mais pour ses mauuaises maximes. La seconde ;
que dans quelques sentimens qu’il soit, cela ne fera point de
preiugé en ton esprit contre les autres Religieux, ny ne diminuëra
rien de la charité Chrestienne, que tu dois auoir pour
leurs personnes & pour leur profession. C’est ce que ie te demande
de tout mon cœur, & que tu prie Dieu pour le Roy,
qu’il le conserue ; pour la Reine, qu’il la benisse ; pour le Cardinal,
qu’il le conuertisse ; pour le peuple, qu’il le console ; & pour
moy, qu’il me fasse misericorde.

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LES
SENTIMENS
DV PVBLIC,
TOVCHANT LA DOCTRINE
preschée, par le Pere Faure.

MON TRES-REVEREND PERE,

Il y-a plus de deux mois que ie consulte
en moy-mesme, si ie vous escriray ; mais enfin, l’amour que
i’ay pour la Religion, & pour vostre Reuerence, ne me permet
pas de demeurer dauantage dans le silence ; Et ie suis contraint
malgré moy de vous donner aduis de ce qui se passe dans
Paris, où auec vostre honneur & vostre conscience, le repos
de tout vn peuple, & de tous nos freres particulierement, se
trouuent engagez. Ie ne doute point que vous n’en ayez ouy
parler, & si le Prouerbe est vray, que vous n’entendiez incessamment
du murmure dans vos oreilles, ny ayant personne
qui ne parle de vous, & dans les entretiens ordinaires, le Pere

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Faure est maintenant plus souuent sur le tapis, que le Cardinal
Mazarin. Nous ne sçaurions plus aller par les ruës, que
l’on ne nous en fasse des reproches : Tous les Religieux qui passent,
on demande si ce n’est pas vous : Et depuis huict iours en
plus de vingt endroits allant à la queste, au lieu de me donner
comme on auoit de coustume, on m’a refusé auec colere, disant.
Allez en demander à vostre beau pere Faure, qui dit à
la Reine, qu’elle n’offence pas venielement, dans toutes les
cruautez qu’elle fait soufrir au pauure peuple, sans espargner
les enfans, les Religieuses, ny les Eglises. Vrayment il ne
faut pas s’estonner, si nous sommes mangez, & du Mazarin,
& de ses Adherans, & des Maltotiers, puis qu’il se trouue des
personnes qui les flattent ainsi dans leurs meschancetez ; ne
voyla pas de belles leçons, pour vn Docteur, & vn Religieux
de sainct François ? Voyla nostre Maistre, les aumosnes qu’on
nous donne à present, bien maigres certes, comme vous sçauez,
pour la subsistance des Nouices & des Estudians, & ausquelles
on adioute quantité d’aurres choses, que ie n’ose vous
dire ; parce qu’elles vous sont extremement des-auantageuses,
& causeroient vn tres-grand sçandale à toute la Religion, si
elles estoient diuulguées. Ie me contenteray seulement de vous
rapporter ce que l’on disoit, touchant cette matiere, il y-a enuiron
quinze iours, dans vne maison de qualité, en vne compagnie
de plusieurs personnes de condition, parmy lesquels il
y auoit des Religieux tres-sçauans, & qui enseignent la Theologie
dans leurs maisons.

 

PREMIEREMENT, Que cette proposition estoit si estrange,
que non seulement elle choquoit la raison, mais encore le
sens commun : Et que si les animaux les plus cruels & les plus
farouches, pouuoient faire reflexion sur leur imaginatiue, ils
l’auroient en horreur & en abomination. Que les peuples les
plus barbares, & qui se mangent les vns les autres, seroient
d’aduis contraire au vostre, s’ils en estoient interrogez : Car deslors
qu’il s’agit de meurtre & de carnage, dont on se peut dispenser,
la nature y resiste auec tant de violence, dont nous
auons l’exemple en Caïn, qu’il faut parmy des Chrestiens, auoir
moins de sentiment naturel qu’vn Canibale, pour oser dire à la

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Reine qu’elle peut sans peché & en bonne conscience, rauir la vie
à tant d’innocents & la pudicité à tant de Vierges, laquelle elle
peut conseruer si elle veut sans blesser son honneur, sa conscience,
ny son deuoir.

 

II.

Qu’elle estoit contraire à toute sorte de droict, Naturel, Diuin,
& Humain. Au Naturel qui nous oblige à la conseruation de nostre
semblable, & qui est tout compris en abregé dans cette grande
Maxime, de faire à autruy ce que nous voudrions qu’on fist à
nous mesmes ; Suiuant laquelle si le Pere Faure, disoient-ils, estoit
chargé de famille, d’enfans & de domestiques, & qu’apres auoit
esté espuisé durant quinze ou vingt années de ses facultez, & à la
veille de sa ruyne totale, il se vit encore persecuté par le fer & par
la faim, sans doute il ne diroit pas que cela fust licite en bonne
conscience : La Nature luy donneroit d’autres Sentiments quand
mesme il n’en voudroit pas auoir de Chrestiens. Pource qui concerne
le droit Diuin & Humain, toutes les obligations des peres
enuers leurs enfans, des Pasteurs à l’endroit de leur troupeau, des
Maistres à l’endroit de leurs domestiques : Tout ce que Dieu
ordonne par les regles de la Charité, l’Euangile par celles de la
Paix, la Politique par celles du repos des peuples, Et toutes
ensemble par l’vnion & la condescendance qui doit estre dans
toutes les parties qui composent vn corps d’estat, monstrent bien,
ou que le Pere Faure a plus leu les Romans pour y apprendre la
coqueterie, qu’il n’a pas fait la Bible ou son Scot pour y estudier
les deuoirs, non seulement d’vn Chrestien, mais d’vn homme : ou
qu’il n’estoit pas en son bon sens, quand il a auancé cette Maxime ;
S’il ne veut s’excuser en disant, que pour flater l’esprit de sa Majesté,
il a parlé auec cette hyperbole si estrange, qu’il luy estoit aussi
facile d’en connoistre l’erreur, comme il le seroit, s’il luy auoit
dit, qu’elle pouuoit fouler aux pieds le Corps de IESVS-CHRIST
sans offencer venieloment.

III.

Que cette Maxime, si barbare que l’oreille ne la peut entendre
qu’au mesme temps l’esprit n’en conçoiue l’horreur, sembleroit
tolerable en la bouche de quelque libertin adherant du Cardinal,
& pourroit trouuer passeport parmy la secte des Maltotiers

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& autres gens de cette farine mais en celle d’vn Docteur en Theo
logie de la Faculté de Paris, d’vn Prestre, d’vn Religieux, & Religieux
Mandiant, & de l’Ordre de S. François, qui a renoncé par
vœu à toute proprieté, non seulement en particulier comme les
autres Moines, mais encore en general & en commun, ce qui est
singulier dans cet Ordre. Il n’y a point de raison qui puisse empecher,
que vous ne passiez pour preuaricateur, non seulement des
regles du Christianisme, mais en outre de celle que vous auez volontairement
voüée, & que quand vous passeriez vostre vie dans
l’austerité de celle de nostre Pere S. François & qui sembloit si
rude & insupportable au frere Elie, vous ne feriez iamais vne penitence
conforme à la grandeur des pechez, que vous commettez
par participation, à cause de vostre mauuaise doctrine.

 

IV.

Que pour establir vn droit dans sa Majesté d’exercer toutes
ces violences en bonne conscience, il falloit supposer necessairement
de grands pechez, de grandes rebellions & des desobeïssances
dignes de ce chastiment dans ceux qui les souffroient. Ce
que vous ne pouuez desauoüer estre contraire à la verité, si vous
ne voulez dementir vos propres yeux. Et quand mesme cela seroit,
vostre Maxime seroit encore fausse & criminele. Car vous
deuez auoir appris dans la Theologie, que ce qui est peché de sa
nature, comme la haine de Dieu, le viol, les sacrileges, & la profanation
des choses sainctes n’est iamais permis pour quelque
raison que ce soit. Et nous lisons bien dans l’Escriture, que Dieu
a commandé d’exterminer des Nations entieres, iusques aux enfans
à la mamelle ; mais vous ne trouuerez iamais qu’il ait commandé,
de violer les Vierges, de voler les Vases sacrez, de prophaner
les mysteres destinez pour la recognoissance de sa suprême
grandeur. Et si nostre Seigneur s’est mis en colere pour chasser
du Temple ceux qui vendoient les choses destinées pour les
Sacrifices, qu’auroit-il fait contre ceux qui l’ont foulé aux pieds ?
Et comment pouuez-vous sans rougir, souffrir qu’on vous reproche,
d’auoir persuadé à la Reine, qu’elle a pû & peut tolerer toutes
ces abominations en bonne conscience ? Que diroient dauantage
des Turcs ou des Heretiques, qui n’ont point de creance, ou
de nostre Dieu, ou de nos mysteres ?

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V.

Que supposer de la desobeissance & rebellion & quelque autre
crime que ce soit de leze-Majesté, au Parlement de Paris c’estoit
vne fourbe dont les petits enfans mesmes estoient desabusez.
Son procedé & celuy des Ministres sont trop cogneus à
tout le monde, pour vous donner lieu de tirer vne si maudite
consequence d’vn si faux antecedent. Mais quand il seroit aussi
vray, comme vous sçauez vous mesme qu’il est imaginaire & inuenté,
vous n’auriez pas encore ce que vous pretendez. Car
quand le Parlement auroit esté coupable, ou en tout ou en partie,
le peuple n’en doit pas souffrir la penitence. N’y auoit-il pas
d’autres moyens en la puissance du Roy pour les punir, que par
les sacrileges, les meurtres & la ruyne des innocents ? N’est-il pas
le maistre de la Iustice ? n’a-t’il pas les forces en la main ? Est-ce le
Parlement qui l’a chassé de Paris, & qui s’est armé pour le poursuiure ?
N’a-t’il pas deputé Messieurs les Procureurs & Aduocats
Generaux, pour demander le nom de ceux dont on se plaignoit
d’auoir intelligence auec l’Estranger, afin de leur faire leur procez ?
A dire vray, nostre Maistre, cela presse ; Et pour moy, encore
que ie n’aye pas estudié & que ie ne sois qu’vn pauure Frere,
neantmoins parce que ie sçay certainemẽt que tout cela est vray,
ie ne sçay que dire de ce dont on vous blasme, sinon que c’est vne
charité que l’on vous preste, & que vous n’auez iamais esté si priué
de iugement, d’auancer des choses si contraires à vostre science,
à vostre créance & à vostre profession.

VI.

Que vous donnez à la Reine autant de puissance & d’autorité
qu’à Dieu, puis qu’il n’y a que luy qui par vn pouuoir absolu puisse
disposer de la vie & des biens des hommes. Ainsi quand vous
dites, que la Reine peut sans offencer faire ce qu’elle fait, c’est à
dire, exposer au pillage des soldats & des estrangers, tantost vn
village, tantost vn autre, sans que ces pauures gens soient coulpables
d’aucune offence, n’est-ce pas luy donner la mesme authorité
& en pareil degré qu’à Dieu, sur leurs biens & sur leurs
personnes ? elle dis ie, qui n’en a pas mesme aucune temporelle,
n’estant que Regente ou Tutrice & non pas Souueraine.

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VII.

Que par cette mauuaise & pernicieuse doctrine, outre les suittes
malheureuses qu’elle traisnoit, vous offenciez indifferemmẽt
toutes sortes de personnes & de toutes conditions ; tous les Corps
& Communautez, Ecclesiastiques, regulieres & Politiques. PREMIEREMENT
vous offenciez le Parlement de Paris, dont la
Iustice & la probité sont cogneuës de tout le monde. Car disant
que la Reine peut les traitter auec tant de seuerité, qu’à leur
occasion elle a droit d’oster le bien, la vie, & l’honneur à tout vn
peuple innocent, qu’est ce à dire autre chose, sinon qu’ils sont
coupables d’vn crime qui ne se peut imaginer ? Ioint que les obligations
qu’ils ont de trauailler à la distribution de la Iustice, & à
la conseruation des sujets du Roy, principalement durant sa minorité,
les ayant forcez de prononcer contre la mauuaise & deplorable
conduitte pour l’Estat, du Cardinal Mazarin, faut il pas
dire qu’ils sont ignorans & malicieux au dernier point, si vostre
doctrine est veritable ? Car ou leurs Arrests sont equitables, & alors
vous deuez passer pour faulsaire & pour flateur : ou si la raison est
de vostre costé, vous prononcez definitiuement contre l’honneur
d’vn si grand nombre de sçauans & de sages Senateurs.

VIII.

Que par la mesme raison vous offencez tout le Clergé, & irritant
les Euesques les obligez à ne soufrir iamais que vous fassiez
aucun exercice ny de predication, ny d’administration d’aucun
Sacrement dans leurs Dioceses : & à former leur opposition en
Cour de Rome pour empescher que vous ne soyez iamais de leur
Corps, en cas que sa Majesté pour recompenser vos flateries, vous
fauorisast de sa nomination. Car, disoient ces Messieurs, quelle
apparence de donner la liberté de la Chaire & de la predication
de l’Euangile, à vne bouche qui exhale vn poison si dangereux ?
Quelle seureté pour la conscience des fideles, de donner sceance
sur le Tribunal de la Penitence, à vne personne qui enseigne vne
Morale si prodigieuse ? Quels crimes ne changera-il pas en vertus,
puis qu’il louë les viols & les sacrileges ? Et s’il falloit auoir des
Euesques de cette trempe, où en seroit l’Eglise, & pour sa Foy &
pour ses mœurs & pour sa conduitte ? Dieu blasme dans l’Escriture
les Pasteurs qui gardent le silẽce au lieu de corriger les defauts

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leur troupeau, lesquels il appelle chiens muets & qui ne sçauent
point abboyer : mais s’ils n’auoient point d’autres leçons à faire
que celles que vous faites en cette rencontre, il seroit à souhaiter
qu’ils eussent la langue coupée & qu’ils ne parlassent iamais. Ainsi
quoy qu’il arriue ou de parler ou de se taire, le peuple a grand
sujet de dire : Dieu nous preserue de tels Euesques, de tels Predicateurs
& de tels Directeurs.

 

IX.

Que vous faites honte & iniure à tout le Corps de la Sorbone.
Cette si celebre & sçauante Compagnie, laquelle depuis son institution
a esté comme l’arbitre de la doctrine, à laquelle les
Conciles generaux ont eu recours, & tous les iours les Souuerains
Pontifes pour le discernement des fausses Maximes d’auec
les veritables, quel affront ne reçoit elle pas, voyant l’vn de ses
enfans approuuer des pechez & donner le nom de vertu à des crimes,
dont les plus simples femmelettes recognoissent l’horreur
& la malice ? Vous n’ignorez pas la guerre qu’elle faict aux mauuaises
Maximes, qui naissent de iour à autre pour la corruption
des mœurs ? Vous auez veu la seuerité de ses censures, approuuées
par celles du Souuerain Pontife, contre des propositions
qu’on deuroit canoniser, si les vostres estoient seulement tolerables.
Et si l’on n’a pas peu souffrir sans crier au loup, qu’vn Autheur
du temps enseignast, que celuy qui auoit prouoqué des
soldats à brusler n’estoit pas obligé à la restitution, quoi que d’ailleurs
il ne l’exemptast point de peché & de peché mortel ; comment
pensiez-vous que l’on vous entẽdist dire, que l’on peut auec
seureté de conscience exposer les villages entiers au pillage, les
femmes au rauissement, & les Eglises à la prophanation & aux sacrileges,
sans crier en mesme temps au lyon, au demon & à la peste
des ames & des consciẽces ? Est ce peut-estre parce que vous étiez
de ce corps ? Hé ne sçauez-vous pas qu’en matiere de doctrine il ne
reconnoist que la verité, & que c’est enuers les siens qu’il se tesmoigne
plus seuere, lors qu’ils viennent à trébucher ?

X.

Que la honte & l’iniure que vous faites au Clergé & à la Sorbonne,
rejallit sur la face de tous les Religieux qui se meslent

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d’enseigner, de prescher, & de confesser, & leur fait vn afront plus
signalé qu’à tous les autres : parce que comme vous sçauez, lors
qu’vne partie d’vn corps vient à manquer, on en attribuë la faute
au tout. Ainsi lors que l’on entendra parler dans toute la France,
& dans toute l’Europe de ces estranges documents, on ne se contentera
pas de dire, c’est le Pere Faure, ou vn Cordelier qui auoit
enuie d’estre Euesque : mais on adioustera, que ce sont des Morales
& des complaisances ordinaires des Religieux ? Ce sont, dira-on,
les belles conduittes qu’ils enseignent à ceux qui se mettent
sous leur direction. Ce sont les resolutions dont ils flattent la
molesse, & entretiennent la vie peu Chrestienne de leurs penitens.
C’est de la sorte qu’ils pacifient ce que Iesus-Christ a declaré
irreconciliable, sçauoir les delices de la chair, & les vanitez du
monde, auec les amertumes & l’humilité de la Croix. Ainsi on
n’escoutera plus les Religieux : on aura de l’auersion pour leur
conduitte : leur plus saine doctrine sera reuoquée en doute, &
soupçonnée de faux, puis que vous auez la hardiesse de vouloir
faire passer pour veritable & Euangelique la plus fausse, s’il faut
ainsi parler, de toutes les fausses, & la plus barbare que les Barbares
puissent prattiquer. Et pour ne vous rien celer, il y eut vn bon
Religieux qui iusqu’alors ayant gardé le silence ne pût pas s’empescher
de dire, que l’Anatheme que Dieu auoit fulminé par son
Prophete, n’auoit iamais touché personne, ou que c’estoit vous,
lors qu’il auoit crié auec tant de contention, Malheur à ceux qui
cousent les oreillers sous les coudes, vous sçauez bien que cela
veut dire.

 

XI.

Que vous faisiez vn tort signalé, & lequel vous ne pouuez
reparer à tous les Religieux mandiants. Car non seulement vous
diuertissez le peuple, de la bonne volonté qu’il pourroit auoir de
leur faire du bien, & dont ils n’ont pas peu de besoin dans les miseres
de ce temps ; mais encore vous arrachez de leur cœur l’esprit
de charité que Dieu y a imprimé, & y mettez en sa place
celuy de cruauté, pour rauir sans scrupule tout ce qu’ils trouueront
dans les Conuents qui leur puisse estre vtile en quelque
façon que ce soit. Car si la Reine peut en bonne conscience, enuoyer
des Allemans & des Polonois dans les villages pour y

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piller sans exception ny distinction tout ce qu’ils rencontrent, au
preiudice de tant de pauures enfans qui en souffrent & en meurent
de faim, Pourquoy n’en pourront pas faire le mesme & à
meilleur tiltre, vne infinité de pauures artisans, chez les Cordeliers
& les autres Religieux mandians, non pas pour l’emporter
en vn autre païs comme font les Estrangers, mais pour en
nourrir leurs femmes & leurs enfans, durant la persecution
qu’ils souffrent sans l’auoir meritée, & que vous approuuez ?
Sera-t’on criminel pour prendre des curiositez dans la chambre
du Pere Faure & dont il se peut bien passer, afin d’auoir du pain
pour des enfans qui meurent de faim, cependant que la Reine
est innocente en leur rauissant le mesme pain, & les mettant
dans vne miserable necessité de mourir ? Ie vous asseure mon Pere,
que ie ne peux pas m’empescher de pleurer entendant ces paroles,
& i’eus cette consolation de n’estre pas seul.

 

XII.

Que vous faites vn tort irreparable à la conscience & à l’honneur
de la Reine. Premierement à sa conscience, puis que vous
la formez dans vn erreur criminel, & lequel deuant Dieu ne diminuë
rien de son peché, quelque scrupule que vous luy ostiez
du cœur ; car n’estant pas son Pasteur, sous la direction duquel
elle peut s’excuser, quelques raisons que vous luy puissiez alleguer,
elle a obligation de ne vous pas croire, puisque vous estes
vn si mauuais Conseiller : Ainsi tout ce que vous faites est que
la releuant de scrupule, elle commet des vols, des impietez &
des sacrileges, lors qu’elle se persuade de bien faire ; qu’elle n’en
est point touchée, & n’en fait point de penitence : au contraire
adioustant crime sur crime, par la continuation & la perseuerance,
elle accroist incessamment sa damnation & la vostre. En
second lieu, vous offencez irreparablement, & mettez vne tache
sur l’honneur de sa Majesté que vous ne sçauriez effacer.
Car vous ne doutez pas, que la demeure du Cardinal Mazarin
dans la Cour & dans l’Estat, ne soit le principe & le premier mobile
de tous ces mouuemens irreguliers dont toute la France est
maintenant agitée ? Vous n’ignorez pas les Arrests de la Cour,
les Declarations des Princes, Grands Seigneurs, Parlements &
Prouinces vnies pour le bien de l’Estat, qui ne demandent que

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son esloignement ? Si bien que si la Reine peut en bonne conscience
faire exercer tant de rauages autour de Paris, causer tant
de déreglements dans les Prouinces, & mettre tout l’Estat en
desordre pour conseruer vn Estranger : Iugez si vous auez de la
raison, quelles consequences contre son honneur, & neantmoins
necessaires & infaillibles, on ne peut pas tirer d’vn si mal-heureux
antecedent ? N’est-elle pas obligée par toute sorte de
deuoirs, de Mere, de Sabiette, de Tutrice, de Regente, de conseruer
l’Estat du Roy son fils, son Roy & son pupile ? Et seriez
vous bien si impudent que d’oser dire, qu’il y eust quelque lien
plus fort & plus estroit que tous ceux là, entre sa Majesté & le
Cardinal, par la vertu duquel elle peut en conscience conseruer
cet homme auec l’effusion de tant de sang, la perte de tant
de vies, la ruyne de tant de familles, & le peril de celle de tout
l’Estat ? Si vous auiez pensé à toutes ces suittes, vous auriez parlé
tout autrement que vous n’auez pas fait ; Et il est bien à craindre
pour vous, que sa Majesté ne vous en fasse faire la penitence
que vous meritez, lors qu’elle en sera pleinement instruite par
des personnes plus sçauantes & plus pieuses que vous n’estes
pas encore sera-ce vn bon-heur pour tous les Religieux si vous
en faites seul la penitence.

 

XIII.

Que vous authorisez par cette doctrine, toutes les maluersations
qui ont esté faites sur les Finances du Roy, toutes les oppressions
des peuples, & iustifiez les excez dont ceux mesme
qui les ont commis abhorrent le nom & l’infamie, rougissant au
seul mot de Maltotier ou Partisan, comme vn chat prend la
fuitte lors qu’on l’appelle par son nom. Car vous ne sçauriez approuuer
le procedé de la Reine, ny iustifier, comme vous pretendez
de faire, les violences qu’elle faict exercer iusqu’à la
famine & à la mort, que vous ne blasmiez quant & quant
comme temeraires, & ne condamniez comme iniustes toutes
les plaintes qu’on auoit faites touchant ces maluersations, &
l’infraction de la declaration qui s’en estoit ensuiuie. Pource
que, ou ces plaintes estoient legitimes, fondées sur la verité de
ces excez à la ruyne des pauures Subjets du Roy ; Et en ce cas

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vous estes contraint par vne consequence necessaire, de dire à
la Reine, qu’elle est obligée de les escouter, & d’y mettre ordre,
& qu’elle peche mortellement, lors qu’au lieu de trauailler
au soulagement, elle prend les remonstrances à iniure, &
opprime d’vn nouueau poids, & plus pesant, au lieu de diminuer
du precedent. Ou si vous voulez qu’elle agisse auec justice,
comme vous dittes, il faut que vous disiez par necessité,
que ça esté vn crime de se plaindre ; Que le Parlement à peché,
quand il a demandé du soulagement pour le peuple ; Que les extorsions
commises par cette secte abominable de personnes, sont
toutes actions de justice, que la Reine à deu non seulement
approuuer, mais maintenir en conscience, iusqu’à la ruine &
au sac de tout le Royaume. Car les plaintes du Parlement,
sont celles de toute la France, & si elle peut exercer ces seueritez
sur Paris, elle en peut faire autant en tout l’estat, comme
elle a fait à Charanton, au Bourg la Reine, à Paleseau, & autres
lieux circonuoisins.

 

XIV.

Que vous vous rendez vn object d’auersion & de haine, à
Dieu & à toute la France. A Dieu, qui fulmine malediction,
& ne promet que des vangeances à ceux qui fomentent & entretiennent
les diuisions, contre les loix de la charité Chrestienne,
& les ordres de sa prouidence. A toute la France, parce
que vous formez comme vn opposition au repos de l’estat,
à la tranquillité des peuples, à l’autorité de la Iustice, à la seureté
du commerce, & au soulagement des miserables, sans
parler des interests de l’Eglise & de la Religion. Dautant que
si vous auiez dit à la Reine qu’elle n’auoit aucun sujet ny raison
de proceder d’vne maniere si extraordinaire ; Que les peuples
estans foulez, comme ils sont, auoient raison de se plaindre ;
Que les procedez du Cardinal Mazarin n’estoient pas Chrestiens ;
Que ceux des Partisans estoient barbares ; Que le Parlement
faisoit vne action loüable & meritoire, d’interposer son
office & son deuoir, pour empescher le cours de ce Torrent,
dont l’impetuosité traisnoit l’estat dans le precipice ; Qu’elle estoit
obligée comme Mere & comme Tutrice, d’y mettre ordre :
Qu’elle pechoit mortellement, & sans esperance de pardon,

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qu’apres la restitution de toutes ces vexations, qui s’exercent au
tour de Paris : Si (dit on) vous auiez annoncé toutes ces veritez
à la Reine, comme vous y estiez obligé ; Sa Majesté, qui
a la conscience timorée, & le naturel porté à la bonté, qui fait
violence à son inclination, quand il faut qu’elle punisse, n’auroit
iamais entrepris ce qu’elle a fait ; ou si elle auoit commencé,
elle ne perseuereroit pas, comme elle fait dans cette constance
odieuse à Dieu, & iniurieuse à tant de peuples. Elle ne frequenteroit
pas les Sacremens, comme elle fait, se sentant coulpable
de tant de miseres. Elle feroit son possible, pour mettre sa
conscience en repos, & son salut en seureté. Toute la France
trouueroit dans la pieté de cette Princesse, le repos dont elle a
besoin, & que vous luy rauissez par vos detestables maximes,
en persuadant à sa Majesté, que son cœur ne doit point estre
touché d’aucun scrupule pour ce qu’elle fait, n’y ayant rien qui
ne soit dans les reigles d’vne bonne conscience.

 

XV.

Que vous n’auez pas appris vne si execrable Theologie dans
la Sorbonne ; Encore moins dans la Regle, la Vie, le Testament,
les Sermons, les Opuscules, & autres ouurages de sainct
François : & que c’estoit de l’air de la Cour, contagieux à ceux
de vostre profession, que vous auiez respiré des sentimens, que
l’on se contenteroit de nommer extrauagans, s’ils n’estoient pas
suiuis, comme ils sont de tant de mal heurs, & que par vne
vaine presomption desprit, vous vous essayez d’aiuster aux regles
de la Morale Chrestienne, par les subtilitez d’vne Philosophie
toute prophane, contre le iugement vniuersel de tous
les sçauans, & de tous les sages.

On apporta plusieurs autres raisons, qui n’estoient pas moins
pressantes, que celles que ie viens de vous dire, mais qui me
sont eschapées de la memoire, estant plus versé dans les matieres
de queste & de besace, que dans celles de la Theologie,
dont ie ne me repends point, pour estre hors du peril, auquel
sont exposez les Predicateurs & les Confesseurs, qui cachent
ou pallient la verité, sous quelque pretexte que ce soit.

Ie vous diray seulement, auec vostre permission, que vous estes
obligé de satisfaire au public, pour l’interest de vostre conscience,

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de vostre honneur, & pour nostre repos. Vous auez obligation
d’oster le sçandale que l’on à pris de ce commun bruit,
& qui ne cessera de s’augmenter incessamment par vostre silence.
On dit mesme (ie ne sçay s’il est vray) que vous pretendez
& faites brigue, pour estre le Confesseur de la Reine. Iugez
quel sentiment l’on auroit de vous, lors que l’on vous sçauroit
le directeur secret de la conscience de sa Majesté, à laquelle
vous auriez donné des resolutions si pernitieuses ? Que
n’auroit-on pas raison de se figurer des conseils cachez, puisque
les publics auroient esté si mauuais ? Pour moy, qui ay tousiours
creu que vous n’auez iamais pensé à des propositions si
estranges, & que vous estiez dans des sentimens tous contraires :
Qui vous ay tousiours recogneu fort humble, modeste, &
de grande edification par vostre exemple & par vostre doctrine ;
Ie n’ay point de peine à me persuader, que vous prendrez mes
aduis en bonne part, & que cognoissant l’affection que i’ay pour
vous, vous excuserez ma simplicité en cette rencontre, & m’en
estimerez dauantage. Vostre, &c.

 

PERMISSION.

La Cour a permis à Cardin Besongne d’imprimer, vendre &
debiter le present Liure intitulé, Les sentimens du Public, touchant
la doctrine preschée, par le Pere Faure. Et deffenses à tous autres
de l’imprimer, sur peine de confiscation des Exemplaires contrefaits.
Fait à Paris le 30. Mars mil six cents quarante-neuf.

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Faure,? [?] [1649], LES SENTIMENS DV PVBLIC, TOVCHANT LA DOCTRINE preschée, par le Pere Faure. , françaisRéférence RIM : M0_3656. Cote locale : C_10_5.