D. B. [signé] / Cyrano de Bergerac, Savinien de [?] [1649], LE GAZETTIER DES-INTERESSÉ, ET LE TESTAMENT DE IVLES MAZARIN , françaisRéférence RIM : M0_1466. Cote locale : E_1_58.
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TESTAMENT TRES VERITABLE DE IVLES
Mazarin, fait par la permission du Roy dans Sainct
Germain en Laye.

Cette guerre ciuille dont i’esperois vn succez plus fauorable
à mes desseins, m’oblige auec iuste raison de songer ou
plustost d’examiner l’estat de ma condition & de ma personne,
& parce que ie vois clairement que ie suis dans vn
grand danger de ma vie, & que la mesme fortune qui m’a
eu esleué dans le plus haut poinct de la felicité est preste de me plonger
dans le plus profond abisme des miseres, & ainsi i’experimente que nostre
Prouerbe est tres veritable, qui est en ces termes, quanto maiores la fortuna
tantoes menos segura es mal y el bien la prosperitad y aduersitad la gloria y pena
tota piede con el trempo la fuerca de sua celerato principio. Ie crois que ie dois songer
à mettre ordre à mes affaires, preuoyant bien qu’à l’issuë de cette

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conferance de Ruel, ie seray contraint de m’esloigner de la France, & ainsi ie
courray risque de mille dangers à cause de l’excez de mes richesses qui m’obligent
d’aduoüer que ce Sage auoit tresbonne grace de dire que les grands
tresors seruent à la felicité humaine, comme le bagage à vne armée, qui l’empesche
de marcher, & luy fait perdre bien souuent la victoire, ainsi les grandes
richesses empeschent vn homme de marcher en seureté dans le monde, &
le plus souuent luy font perdre la vie. Salomon pour monstrer qu’elles ne
sont pas dans vn estre parfait ny reel, dit simplement qu’elles sont comme
vne sortesse dans l’imagination du Riche, & si nous les examinons de pres,
nous trouuerons qu’elles ont remply de malheurs les personnes dont elles
ne peuuent remplir les desirs, & qu’elles en ont beaucoup plus vendu qu’elles
n’en ont iamais rachepté ; Si ie n’en auois pas tant ramassé, ie serois sans doute
en plus grande tranquilité, & ne craindrois pas de souffrir vn semblable
destin en France, que Lycurgus dans la Lacedemonie, & Solon auec Arstide
dans Athenes, dont ils furent bannis par la commune deliberation du peuple.
Athenes, auoir meurement consideré l’estat present, où ie me vois reduit ;
i’ay deliberé le faire le present Codicille pour faire participer de mes bienfaits,
& de mes tresors, plusieurs personnes de condition & de merite, dont
ie n’auois pas fait mention en mon testament datté du 29. Aoust de l’an dernier,
dans lequel i’auois premierement donné au Roy mon Maistre ma grande
Escurie, dont les cheuaux sont du prix de quatre cens mille liures, & à la
Reine Regente, vn reliquaire de la valeur de cent mille liures. A Monsieur
le Duc d’Orleans vn vase d’argent enrichy de figures, & graué de diamans :
Et à Monsieur le Prince de Condé vn Cupidon d’or, couuert de pierreries, &
vn Mars d’argent parsemé d’Emeraudes & de Saphyrs : & en second lieu,
apres auoir fait plusieurs legats à mes domestiques & fauoris, i’auois fait &
constitué heritieres vniuerselles de tous mes biens, Marie & Anthoinette
Mazarin mes deux niepces, & auois esleu pour executeur de mon testament
Monsieur de la Meilleraye & Monsieur le Chancelier, lesquels i’eslis aussi
pareillement pour executeurs de mon present Codicille ; par lequel ie n’entens
point reuoquer ny annuller mondit testament, voulant qu’il sorte en
son plein & entier effect ; mais ie desire recognoistre le merite de plusieurs
grands personnages de la France ; Si bien que ie supplie Monsieur le Prince
de Conty d’agreer la resignation que ie luy faits de tous les benefices que i’ay
en France du reuenu de quatre cens mille liures.

 

Ie donne à Monsieur le Duc de Beaufort auec vn desplaisir extréme de
l’auoir offencé, vn buffet d’esmail auec toute la vaisselle d’argent qui s’y
trouue renfermée, que l’auois acheté pour le festin où ie traitay les Ambassadeurs
de Suede.

Ie supplie Monsieur le Duc d’Elbœuf de me vouloir pardonner, & d’agreer
le present que ie luy faits, d’vn baudrier chargé de perles, & d’vne espée
de Damas, dont la garde est de fin or, enrichie & semée de rares pierres
precieuses.

Ie prie & coniure Monsieur le Mareschal de la Motte-Hodancourt de vouloir
oublier le mauuais traitement que ie luy ay fait, & de me pardonner :
L’enuie que i’auois d’auoir la Duché de Cardonne, & de faire feu mon frere
Vice Roy de Catalogne, estoient les motifs qui me suggeroient des inuentions
pour le faire detenir dans le Chasteau de Pierre-en-Scize de Lion, ie

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luy donne de grand cœur vne Rose de Diamant, dont les Messieurs de Barcelonne
me firent vn present à ma premiere arriuée du prix de 50. mille escus.

 

Ie donne à la Sorbonne cent mille escus que i’ay à Rome dans le Mont de
Pitié : mais ie veux & entends que le reuenu de cette somme soit employé
pour seruir de subuention à des pauures estudians.

Les Poëtes de cette tres fameuse ville de Paris, pour recompense de tant de
vers qu’ils ont eu faits à ma loüange, agreeront, le present que ie leur faits
de mon Hostel, où i’entends qu’ils demeureront, & lequel ils ne pourront
vendre ny alliener pour quelque raison que ce soit : Au contraire seront tenus
d’y receuoir tous les autres Poëtes François durant vn mois : Et les Estrangers,
Grecs, Latins & Italiens quinze iours tant seulement ; Et pour ce
suiet, ils iouyront du reuenu de cinquante mille escus que i’ay mis entre les
mains des Banquiers de Lion.

Ie desire reconnoistre auec passion le merite des hommes illustres de la
France, que ie supplie tres-humblement de me vouloir pardonner si ie n’ay
pas fait beaucoup d’estime de leur condition, ie donne & legue à chacun d’iceux
cent mille francs : qui seront tirez des quatorze millions que i’ay presté
à la Republique de Venise.

Ie desire reconnoistre les Imprimeurs & Vendeurs de placarts & libelles,
pour témoigner que ie n’ay pas aucune animosité cõtr’eux, bien qu’ils ayent
mis en lumiere vn nombre infini de pieces contre moy, ie donne à chacun
vingt escus, lesquelles sommes seront tirées du tresor de mon espargne.

Et parce que i’ay besoin en cette presente occasion de la grace particuliere
du Ciel, ie dõne à tous les Cloistres & Monasteresdes Mandiants de Paris &
des Fauxbourgs d’iceluy, à chacun la somme de trois cens mil liures, afin que
par leurs prieres, ieusnes & disciplines, Dieu me comble de ses benedictions.

Ie donne & legue la somme de cent mil liures que le Senat de Naples me
doit, à des pauures filles nubiles, laquelle dite somme sera distribuée par les
Peres Iesuites, comme ils iugeront à propos.

En dernier lieu, Ie donne & legue au grand Hostel Dieu, la somme de quatre
cens mil liures, que ma grande Niepce sera tenuë de bailler & deliurer
entre les mains de Messieurs les Administrateurs & Recteurs dudit Hostel
Dieu à leur premiere requisition, à condition que tous les passans de Sicile
bien qu’ils soient en bonne santé, y seront receus & nourris durant quinze
iours.

Ie veux & entends qu’au commencement de ce present Codicile soit escrit
ce vers,
Fronte capillat a occasio vertice calua.

Et que l’on adiouste foy à toutes les copies de mesme qu’à l’original.

Ie supplie tres humblement ces grands personnages du tres illustre Parlement
de me vouloir pardonner, & particulierement monsieur de Brusselles à
qui ie suis tres obeyssant seruiteur, ie luy fais present d’vne montre d’horloge,
enrichie de diamans & d’autres pierres precieuses, l’asseurant que ie
n’ay point d’autre plus grand desplaisir dans le monde que celuy de l’auoir
offencé.

Le present Testament a esté fait en presence de Monsieur le Chancelier, &
de plusieurs tesmoins signez dans l’original, le 7. iour de Mars 1649.

FIN.

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D. B. [signé] / Cyrano de Bergerac, Savinien de [?] [1649], LE GAZETTIER DES-INTERESSÉ, ET LE TESTAMENT DE IVLES MAZARIN , françaisRéférence RIM : M0_1466. Cote locale : E_1_58.