C. P. V. [signé] [1649], MAXIMES HEROYQVE DE S. LOVYS, AV ROY ET A LA REINE REGENTE. , françaisRéférence RIM : M0_2426. Cote locale : C_6_8.
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Le bon Gouuernement tiré sur celuy de S. Louys, Dedié
à sa Majesté Tres-Chrestienne.

SIRE,

Le but que ie me suis proposé en ce discours me fait
regarder la grandeur de vostre Majesté, pour luy offrir
vn ouurage qui n’estant dessigné que pour sa consideration,
ne peut naistre que sous sa faueur. C’est l’heureuse
administration d’vn Empire, qui estant assez
difficile de soy, merite bien qu’on y pense de bonne
heure, & qu’on recherche les moyens d’y paruenir taschant
de la façonner sur les vies passées au modele des
choses celestes ; Et de vray, Sire, toutes les maximes
des Estats contraires à celles de Dieu, sont des effets de
la prudence humaine, qui n’aboutissent qu’â la chair,
& toutes les fortunes qui ne sont point soustenuës de
celuy qui porte le Globe de la terre, sont plustost au
precipice que dans la splendeur. La sagesse mondaine
semble n’aymer rien auec plus de passion que ce qu’elle
sçait le moins, elle pourchasse l’honneur & n’en connoist
pas les qualitez, elle est tousiours necessiteuse
dans le dessein qu’elle a de se rendre la maistresse des esprits
legers pour estre l’esclaue de toutes les passions ; ce
qui faisoit dire à vn grand personnage de nostre temps
qu’il ny auoit que les aueugles à sa poursuitte, & que les
miserables seuls la trouuent, comme les insensez la seruent
& s’attachent à ses principes.

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Mais ela sagess du Ciel que ie vous presente icy en la
personne de vostre grand Ayeul S. Louys, du quel vous
auez herité la couronne de France, est autant plus releuée
au dessus de toutes les subtilitez des hõmes, comme
la lumiere du Soleil excelle sur les petits brillans des
autres Astres, c’est celle qui fait esclorre la gloire & la
prosperité dans ses mains, c’est l’Element des ames comme
celle de vostre Majesté, laquelle y estant vne fois attachée,
elle y trouuera du goust, qui sans doute passera
en nourriture, pour aller iusques à l’immortalité.

Ie veux croire que vostre Majesté qui ne respire rien
de bas, ne veut autre preuue de cette verité que les experience
quelle en a desia fait, neantmoins la tendresse
de son aage, & l’importance de la chose me font esperer
que ce trauail ne sera pas inutil, & quelle le regardera de
bon œil pour en faire son profit, & se rendre digne successeur
du plus grand prince qui ait iamais manié le Scetre
de la France.

Personne ne peut douter s’il à tant soit peu de raison
& de lumiere que la felicité du gouuernement d’vn
Empire n’a point d’autre fondement plus solide, que la
pieté, & partant ie n’ay pas iugé à propos de vous le persuader
par vn long & ennuyeux raisonnement, pensant
bien que vostre Majesté sçait assez les fins tragiques de
ceux qui se sont sousleuez contre la puissance de Dieu,
& foulez ses Loix pour se faire independants ou contenter
leur phantaisie diuinisant des Creatures ou des monstre,
tesmoing Antioque le Theomaque, qui s’estant
retiré de la conduite du Ciel pour se faire vne diuinité
en terre deuint vne fourmiliere de vers, & vn triste sujet

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de plus grandes douleurs que puisse souffrir vn
homme ; ce qui luy fit dire Iustum est subditum esse Deo
& mortalem non paria Deo sentire, aduouant qu’il y
auoit vn grand Dieu auquel il se falloit sousmettre &
iamais n’aller de pair auec luy ; La mort de Iulien
l’Apostat ne fut pas plus heureuse, puis quelle luy arracha
ce blaspheme de la bouche vicisti galilęe, &
pour ne pas chercher des exemples si loing, nous n’auons
qu’à jetter les yeux sur Henry huictiesme Roy
d’Angleterre, qui apres auoir mené vne tres miserable
vie, acheua par de grandes terreurs qu’il eut à sa
mort, ses crimes luy venant à la foule dans la pensée.
Il tesmoigna de vouloir mourir en l’vnion de l’Eglise
Catholique se repentant de ses excez, & communia
auec quelque apparence de deuotion : mais il est
à craindre que cette penitence n’ait esté semblable à
celle d’Antiochus, puis qu’il prononça ces tristes paroles
vn peu deuant que rendre I’esprit. Nous auons
tout perdu, & de fait voila la plus ruineuse & la plus
pernicieuse passion qui fut iamais, puis qu’elle a trainé
le malheur d’vn Royaume apres soy & enueloppe
encore tant de milliers d’ames dans ses ruines. Qui a
fait cela ? sinon l’impieté & l’auersion que ce malheureux
Prince auoit au bien & à la vertu dont la
deuotion est le plus asseuré rempart, comme estant
la fleur de la charité que le Diable tasche d’emprisonner
en ses sources, afin que nous tirions le venin des
choses mesme dont nous attendons le remede.

 

Mais comme les corps les plus delicats sont les plus

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sujets à corruption par les influences exterieures, aussi
cette vertu qui est d’vn temperament fort delié,
peut estre facilement alterée par le mauuais ménage
qu’on en fait. Outre que les hommes quelques fois
par presomption, quelquefois pour faire voir leurs
belles conceptions & leurs inuentions, ou mesme
s’addonner plus librement à leurs plaisirs l’abandonnent
honteusement & font des veaux d’or en bethel
au lieu des Cherubins de Hierusalem : c’est pour quoy
les anciens Philosophes ont crû estre à propos de
pouruoir au malheur qui en pourroit arriuer, & moy
ie me persuade que vostre Majesté aggreant mes offres,
aura égard à ce petit trauail que i’entreprens
pour fortifier sa ieunesse dans les resolutions qu’elle a
prise de suiure par tout les pistes de la vertu par le
moyen de la pieté qu’elle a vouée à son souuerain.
L’exemple peut beaucoup & l’experience est vne
maistresse infallible, ie ne me seruiray pour le present
que de celle que nous a laissé cét incomparable
Roy de France S. Louys.

 

Aussi i’estime qu’entre tous ceux qui ont iamais
rendus leurs Estats Celebres par la pieté, on n’en
trouuera point vn plus sincere ny vn plus admirable
que S. Louys, la vie duquel semble bien estre la plus
saincte, parce que ça esté la plus dés-interessée, veu
qu’il n’auoit autre pensée pour rendre son Royaume
florissant & auoir vn regne heureux, que d’attacher
sa personne & ses peuples aux interests de Dieu, faire
que la terre ne fut plus qu’vn Temple de la Diuinité.

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La prouidence le tira de son Royaume auec vne
foy égalle à celle d’Abraham, luy donna parmy ses
voyages dans la terre & sur les mers la conduitte d’vn
Moyse, & pour couronner toutes ses actions le vit
expirer auec la patience de Iob.

On trouue quantité de grands hommes qui ont
embrassé la pieté, & qui apres vne infinité de vices
ont esté comblés de merites : mais il est bien difficile
d’en trouuer vn plus vniuersel en toutes les actions
de vertu, & plus innocent en sa vie & en ses mœurs
que S. Louys. Si Dauid est vn prodige de Saincteté,
il en est plus obligé à la penitence qu’à l’innocence.
Constantin a fait de grandes choses pour l’exaltation
de nostre foy, mais il fut taché de beaucoup de sang
deuant que d’auoir embrassé le Christianisme. Theodose
eut merité l’admiration de tout le monde, au
dire de S. Ambroise, si sa colere n’eust fait mettre à
mort plus de six mille hommes en la ville de Thessalonique.
Arcadius fit bannir sainct Chrysostome
pour complaire à sa femme. Honorius son frere auoit
plus de pieté que de courage, dont le deffaut luy faisoit
mettre tous ses soins autour d’vne poulle, nommée
Rome, qu’il cherissoit par dessus tout le reste de
ses possessions.

Belissaire, vn des plus grands Capitaines que la terre
ait porté, n’estoit pas tout à fait despourueu de deuotion :
mais pour satisfaire à l’Imperatrice Thodore
seruant ses passions iusques à empoisonner le Pape : il
souilla sa memoire ; & la reputation qu’il auoit acquise

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dans les combats. Narses son successeur se comporta
auec tant de generosité qu’il subiugua Totila
le plus valeureux Roy qui regna sur les Gots, & la
deuotion qu’il portoit à la saincte Vierge, à laquelle
il attribuoit l’heureux succez de toutes ses batailles ;
eust immortalisé son nom, & l’eust rendu glorieux
à la posterité, si pour se vanger d’vne parole de desdain
que luy dit l’Imperatrice de Constantinople, il
n’eust donné l’Italie en proye aux Lombards. Bref
Charlemagne a esté le plus grand Empereur du monde,
en religion, en valeur, en police, en liberalité, en
douceur & clemence : mais l’amour des femmes ;
quoy que laué par vne longue penitence a fait des
taches dans ce Soleil que les hommes ne peuuent oublier.

 

Il n’y a quasi en tous les Monarques qu’vn sainct
Louis, qui a esté par tout recommandable, ayant
eu la sagesse religieuse auec toute la splendeur imaginable :
l’humilité plantée iusques sur les pierreries de
la Couronne Royale, & le courage inuincible dans
vne deuotion sans pareille.

Que si vous desirez voir quelque marque de sa sagesse,
regardez comme son esprit ne s’est iamais esbranlé
dans les plus grandes secousses de la fortune,
& au plus fort de ses accidents, sans laisser aucunement
l’exercice ordinaire de sa pieté. La deroute de
son armee & la prise de sa personne & de ses enfans,
est vne preuue autentique de cette verité : Ce bon
Roy auoit perdu’vne bataille qui ruinoit toutes ses

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affaires & croioit sa perte irreparable ; outre qu’il
estoit captif de ces barbares qui le menoient parmy
des huees & des moqueries capables de renuerser le
iugement le plus fort & neantmoins quoy qu’atristé
de la mort des siens, tenant tousiours le gouuernail
de la raison, il entra dans la tente du Barbare auec
vne face qui ne tesmoignoit aucune émotion, demandant
aussi librement ses heures à vn de ses Pages
que s’il eut esté dans son Palais. Ce que i’estime d’autant
plus rare qu’il ne faut souuent que le moindre
reuers pour laisser les deuotions, qui ne font pas la
meilleure partie de nos occupations. Que si vous demandez
vne humilité accomplie, pensez vn peu à ce
qui se passa au Concile de Lyon, où il s’agissoit de deposer
Federic second perdu de reputation quasi dans
tous les coins de la terre. Les autres Princes auoient
bien de l’ambition de monter sur son Throsne, &
nostre Louys y pouuoit aspirer à plus iuste titre que
pas vn d’eux, & toutesfois il fit plus d’estat de sa prison
parmy des barbares que d’auoir vn Empire par
des voyes si desraisonnables.

 

Mais ce que nous deuons priser d’auantage en ce
sujet, est la generosité de son courage que le feu de
son amour & la pratique de ses prieres n’affoiblirent
iamais ; aussi estoit-ce bien vn des plus valeureux
Prince qui fusse pour lors sur la terre. Tesmoin ses
entreprises pour la conqueste de la Palestine, pour laquelle
il laissa vn Royaume plein de paix, & de ce
pas sans se mettre en peine des incommoditez d’vn si

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long voyage, où sa personne fut souuent exposée à
l’infidelité des mers & aux hazards des armes ennemies,
contre lesquels il fit assez preuue de sa valeur
lors que voyant à son arriuée en Egypte le riuage
tout bordé de Sarrazins resolus de s’opposer à son
dessein, il sauta le premier du nauire dans l’eau où il
estoit iusques aux espaules, le bouclier au col, &
l’espee à la main comme vn vray spectacle de generosité
à toute son armee, par cette action prit terre
malgré les efforts de leurs ennemis. N’est ce pas la vn
courage sans pareil & vne vertu sans exemple ?

 

Certes ie prendrois vn grand plaisir dans le recit
de ses merueilles, si desia toutes les bonnes plumes
ne s’estoient employees sur cette matiere, & si toutes
les actions de ce Prince n’estoient assez notoires
à tout le monde, mais puis que plusieurs s’en sont
fidelement acquitez, & que l’on ny peut non plus
adiouster d’esclat que de chaleur au feu, Ie concluray
par la priere que ie fais à vostre Majesté, de ietter les
yeux sur cét excellent Roy, & de prendre de luy les
moyens de bien regner en ce monde. Ie me charge
de vous les descrire dans peu de iours, pourueu que
vostre Majesté le commande,

Au plus humble de tous ses suiets C. P. V.
de la Maison de Sorbonne.

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C. P. V. [signé] [1649], MAXIMES HEROYQVE DE S. LOVYS, AV ROY ET A LA REINE REGENTE. , françaisRéférence RIM : M0_2426. Cote locale : C_6_8.