Boussière, M. de la [signé] [1649], PREMIERE PARTIE DV PHILOSOPHE MALOTRV. En Vers Burlesques. , françaisRéférence RIM : M0_2855. Cote locale : C_8_23.
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LE
PHILOSOPHE
MALOTRV.

En Vers Burlesque.

 


LE tiltre de cette escriture
Fera croire par aduanture,
Que l’Autheur se veille mocquer
Et par raillerie choquer,
Les hommes qui sont gens de Lettres
Qu’on doit honorer comme Maistres,
Leur donnant tousiours le deuant
Mais plustost qu’aller plus auant,
Il proteste icy du contraire
Et dit qu’il ne le sçauroit faire,
Qu’il pretend icy seulement,
De faire voir l’aueuglement,
De celle qu’on nomme Fortune
Qui tousiours luy fut importune :
Estant luy mesme le sujet,
La forme, l’agent, le projet,

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Des Vers qu’il tire d’vne Prose,
Faite par luy sur mesme chose,
Et qu’il auroit fait mettre au iour,
Si l’on eust donné de retour,
Quelque petite recompense
Necessaire pour sa dépense,
Mais ayant esté refusé
Du depuis il s’est auisé :
De reduire la prose en Rime
Ayant veu qu’on fait plus d’estime,
Des Vers encores qu’ils soient plats
Que de beaux mots bien delicats,
Qu’vne prose bien recherchee
Ayant la periode quartee,
Le discours net & curieux,
Fort docte, fort sententieux :
S’estant auisé de la sorte
Son soin, & son estude il porte,
A donner quelque changement
A son discours qui simplement,
Du sens conserue mesme face
Ne changeant les mots que de place.

 

 


Il dit donc pour commencement
Qu’il s’appelle naïfuement,
Ayant esgard à sa fortune
A sa science non commune,

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Sans faire tort à la vertu.
Le Philosophe Malotru.
Que Malotru n’est pas iniute
Qu’on le croye s’il n’est pariure,
Qu’il estime trop les sçauans
Qu’il les prefere aux plus vaillans
Que s’il estoit sans simonie,
Le Maistre des Ceremonie,
Les Doctes seroient en tous lieux
Tenus comme des demy Dieux,
Que pour eux seroient toutes choses
Les honneurs & apotheoses,
Et remarque qu’en leur faueur
Le plus sage Legislateur,
Ordonne grande recompence
Aux Amateurs de la science,
Et veut qu’ils soient entrenus,
Des rentes & des reuenus,
Pris dessus la maison de Ville
Declarant noble leur famille,
Que dans les plus belles Citez
On met les Vniuersitez,
De plus il dit dedans sa Prose
Qu’Aristote en vn liure pose,
Que l’homme qui est plus sçauans
Doit par tout auoir le deuant
Et que Platon dans ses oracles

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A dit nonobstant les obstacles,
Et a passé pour Axiome
Qu’on trouue digne d’vn tel homme
Qu’vn Estat n’aura iamais d’heur
Tant qu’il aura pour Gouuerneur,
Quelque ignorant bien qu’il fust sire
Ne sçachant lire ny escrire.
Mais qu’vn homme sage & prudent,
De sens & bon entendement,
Merite mieux que l’on luy donne
L’appanage d’vne Couronne,
Vous direz que ces iugemens
Ne sont que simples sentimens,
De ces deux grands Maistre d’Escole
Et qu’on ne croit point leur parole,
Qu’ils peuuent estre recusez,
Sans iniustice & refusez :
Pource que dans leur propre cause
Ils ne pouuoient dire autre chose.

 

 


Ainsi dans nostre Parlement
Se fist semblable Iugement :
Quand la cause fust rapportee
Et diuerses fois contestee,
Des Medecins & Aduocats
Qui auoient eu de grands debats
Pour le rang & premiere place,
Messieurs n’auroient eu bonne grace

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De donner autres Iugemens
Qu’en faueur de leur truchemens
Quoy que les cliens de sainct Cosme,
De sainct Luc non de S. Hierosme,
Alleguassent pour leur raison
Que c’estoit sans comparaison
Plus grand bien pour la Republique,
Au iugement du plus critique
De tirer l’homme du tombeau
Que de plaider dans vn barreau,
De mesme ces grands liffre loffres,
Entendus comme à faire coffres :
Au maniement de l’Estat
Veulent qu’on en fasse d’estat,
Et que par tout les gens de lettres,
Soient des Seigneurs au lieu de Maistres.

 

 


Ie vous dirois bien pour cinq sols
Que la pluspart sont de grands fols,
Tesmoin le barbon que i’estime,
Digne d’estre mis dans ma rime,
Ie dis & si ie suis menteur :
C’est apres vn tres bon Autheur,
Que les liures & la chandelle
Luy secherent tant la ceruelle.
Que sans qu’il vsast de petun
Il perdit iusqu’au sens commun,
Il s’efforçoit de faire à croire,

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Vn iour lisant dans vn grimoire,
Pour preuue de son bel esprit
Afin d’acquerir du credit,
Que son pere portoit des cornes
Aussi belles que des licornes :
Que sa mere auoit au menton
Vne barbe de Pantalon,
Puis adiousta croyant de vaincre
Et par ses raisons les conuaincre,
On a ce qu’on n’a pas perdu,
Doncques vous auez tous perdu,

 

 


Vn autre iour c’estoit iour maigre
Qu’on mangeoit des œufs au vinaigre
Il voulut prouuer que des œufs
Faisoit trois, mais il eust l’esteuf,
Car l’on prist sa Philosophie,
Pour vne tres grande folie ;
Dans deux, dit-il, se trouue vn
Mesme selon le sens commun,
Personne ne dit le contraire
Luy dit alors vn aduersaire.
Or deux & vn font ils pas trois
I’ay donc gagné : mais vn matois
Prit les deux œufs & puis proteste,
Qu’il prist l’autre qui estoit de reste,
Barbon ne parloit qu’auec norme
Et donnoit démentis en forme,

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Barbon ne faisoit compliment
Qui ne ressentit son pendant.
Vous me direz que ce sont fables
Mais oyez choses veritables,
De personnes dignes de foy
Tesmoigneront auec moy,
Qu’vn certain Docteur de Sorbonne
Bien connu sans nommer personne,
A tellement dans son esprit
Les termes qu’il met par escrit
Ou qu’il dicte dans son escole
Et puis explique par parole.
Qu’il n’est pas iusqu’au Portier,
Qu’il n’vse des mots du mestier :
Claudeluy disoit à la porte
Caue que personne ne sorte,
Et vsoit mesme du Latin
Ou semblable baragoüin,
Soit qu’il parlast à sa laitiere
Soit qu’il parlast à sa fruitiere.
Laquelle vn iour eust tres grand peur
oyant, quid tibi debetur,
Ie le sçay non par ouy dire,
Quoy que ie l’aye ouy dire :
Mais ie veux estre plus serieux,
Et veux raconter aux curieux,
L’Histoire d’vn bon Philosophe.

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Lequel n’est pas de cette estoffe :
Qui n’a rien digne de mespris
Que son manteau & ses habits,
Quelque Noblesse que la science
communique par alliance,
A ceux qui en sont possesseurs
Si des biens ne sont possesseurs
Ils demeurent dans la bassesse
Auecque toute leur sagesse :
Et mesmes sont tenus pour fols
Par ceux qui se sentent cinq sols,
Les Muses bien que nobles filles
Se mettent dedans les familles.
De pauures qui sont sans credit
Pourueu qu’ils ayent bon esprit,
Elles ne font aucune estime
Dé l’or ny de la bonne mine,
N’ayment pas plus pour seruiteur
Le fils d’vn Roy que d’vn Pasteur,
Aussi n’ont elles pour doüaire
Rien que la veritable gloire,
Et n’apportent que le mespris
Des choses qui sont de grand pris,
Ainsi celuy qui les pourchasse,
Se voit reduit à la besace.
Et bien souuent estre si sec
Qu’il faut qu’il mange son pain sec,

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Peut estre bien que la fortune
Pourroit bien leur en ioüer d’vne,
A cause que les gens d’esprit
Soit par raison ou par despir,
L’appellent borgnesse ou aueugle
Et descrient vn si beau meuble,
Disent qu’vn homme vertueux
Rarement se trouue chanceux,
Aussi pour leur rendre le change,
Et auoir contre eux sa reuanche :
A ces Compositeurs de vers,
Elle baille de son reuers,
Elle se fasche & se depite
Elle renuerse leur marmite,
Fait en sorte que leurs desseins,
Se tournent en eau de boudins,
Qu’ils demeurent dedans la nasse
Autant que dure leur disgrace :
Et contraint beaucoup d’auoüer
Qu’on est tenu de la loüer,
Et de dire c’est peu de chose
La vertu sans quelque autre chose,
on me dira que quelques vns
Qui ne sont pas des plus communs,
Ont acquis de grandes richesses,
Auec les Muses leurs Maistresses :
Senecque receut de Neron,

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En diuers temps vn million :
Auguste aussi donna à Virgile,
Des escus plus de trente mille
Horace eust de son Mecenas
De bons testons, de bons repas,
Et deuant luy faisoit merueilles
Loüant & vuidant les bouteilles,
Il beuuoit souuent en esté
Vin neigé sans estre entesté
Properce faisoit chere lie.
Auec Blanche son amie,
Ouide par son bel esprit
Se mit tellement en credit,
A la Cour & parmy le peuple
Qu’estant caché dessous le meuble,
Comme il raconte dans ces vers
Qui sont aussi beaux que diuers,
Receuoit souuent des caresses
Des Bourgeoises & des Princesses,
Mais tousiours ce n’est que fort peu,
Qui a leur aise ayent vescu
Et pour cette demy douzaine
I’en connois plus d’vne centaine,
Qui bien souuent faute d’argent
N’ont dequoy mettre sous la dent.

 

 


Helas ! combien de Diogenes,
Ailleurs comme dedans Athenes,

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Roulent dans vn chetif tonneau
Et se passent de pain & d’eau,
Heureux si menans cette vie,
Ils n’engendroient melancolie,
Que d’Irus, combien de Bias
Que de sçauans qui n’ont grand cas,
Qui peuuent dire hors de leur porte
Tout ce que i’ay sur moy ie porte,
Et si ie saute fort leger
Tout mon bien se trouuera en l’aïr,
Combien comme le grand Stace,
Presque reduits à la besace :
Se contentent de peu de gain
Et de peur de mourir de faim,
Sont contraints pour auoir la piece
De donner quelque bonne piece,
Quelque cayer, quelque rondeau,
Ou quelque bon Liure nouueau.

 

 


Pour moy ie crois & faits estime,
Que ie suis le fils legitime,
De quelqu’vn d’eux estant tres seur,
Qu’en tout ie leur suis successeur.
Bien que sois issu de Noblesse
Ie sens bien où le bast me blesse,
Ma Noblesse ny mon sçauoir,
N’ont eu ny credit ny pouuoir,
De me tirer de la misere

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Adieu pour moy la bonne chere,
Adieu pour moy les bons morceaux,
Adieu le filet de pourceaux
Adieu bisques, adieu potages,
Adieu pour moy le tripotage,
Adieu pour moy tous les ragousts,
Adieu tous les mets de hauts gousts,
Adieu pour moy capilotades
Adieu les saulces & poivrades,
Adieu les tranches de jambon,
Qui font trouuer le vin si bon,
Adieu mesme la bonne souppe,
Le plus souuent bien tard ie souppe :
Et maintenant ie suis si sec,
Que ie mange mon pain tout sec
Quelque fois vn pauure potage,
Ou bien pour vn sol de fromage,
Quelque fressure de mouton
Est mon ragoust auec l’oignon.
Pour estre pauure Gentilhomme,
Ie n’en suis pas moins honneste hõme
Et ce qui me console encor,
C’est qu’autre de plus noble essor,
Ont eu mesme desauantage.
Belissaire ce grand guerrier,
Couronné de tant de lauriers :
Fut veu en demandant l’aumosne,

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Fut veu recommandé au Prosne,
Bellissaire ce General,
Fut veu reduit à l’Hospital,
Disant d’vne triste parole,
Messieurs donnez vn pauure obole :
Vn Henry mesmes Empereur,
Deuint Maistre d’enfans de Chœur :
Heureux encor quoy qu’on die,
De gagner en chantant sa vie :
Aussi l’on dit qu’il auoit tort,
D’auoir au lieu d’estre support :
Voulu renuersé le sainct Siege,
Dont il se trouua pris au piege,
Ha ! dis je que ie suis heureux,
Voyant ces nobles malheureux,
C’est le confort des miserables,
De sçauoir qu’ils ont leurs semblables :
Ie n’ay iamais esté si haut,
Ie n’ay iamais fait si grand saut :
Car pour estre né Gentilastre
Ce n’est pas vn si grand desastre,
D’estre reduit au petit pied,
A faire voyages à pied,
Aller par ville sans espée,
Gagner sa petite iournée :
Tantost en dictant mes escrits,
Tantost transcriuant manuscrits,

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Ou visitant quelque malade,
Ou bien vendant de la pommade,
Tantost allant faire leçon,
A quelque beau petit garçon :
Tantost seruant dans des villages
De Medecin à petit gages :
Ou faute de meilleur employ
Estant Mouchard aux gens du Roy :
Tantost monstrant des bagatelles,
A quelques ieunes Damoiselles :
Ores par des subtilitez,
Ou par quelques ioliuetez :
Comme seroit le déchifrage,
De l’escriture hors d’vsage,
Ou debitant papier nouueau,
Transparent qu’on trouue fort beau :
Bon apprendre l’écriture,
Bon pour apprendre la peinture :
Lequel asseure mieux la main,
Que le meilleur Maistre Escriuain :
Tantost c’estoit en temps de guerre,
Faisant valloir le cimeterre ?
Le cimetterre ou coutelas,
Afin de ne vous mentir pas
Mais vous sçaurez par mon memoire,
Vn peu plus bas dans certe Histoire :
Que ie ne fus si tost monté,

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Que fus Caualier démonté :
Vous sçauez donc que ma naissance,
Me communique la vaillance :
Croyez ou ne le croyez pas
Quant à moy ie ne le croy pas,
l’ay leu cét Autheur de Grimoire,
De la Philosophie noire :
Qui preuue par ses argumens,
Et fait à croire aux plus sçauans :
Que les plus vieux Gentilshommes,
Sont issus de tres meschans hommes :
Que Nembroth cét hardy Veneur,
Qu’vne version nomme voleur,
Est l’autheur de nos Seigneuries,
De Blazons & des Armoiries,
Qu’Eseau depuis le suiuit,
Qui son bon frere poursuiuit :
Lequel vescut de son espée,
De rapine & depicorée :
Voila pourquoy dans les Blazons,
On ny voit que loups, que lyons,
ours ou sangliers, oyseaux de proye,
Pour monstrer que par mesme voye,
Vont ceux qui par tels animaux,
Se monstrent autheurs de grãds maux :
De plus il se monstre contraire,
A ce qu’on rend hereditaire :

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L’honneur qui par raison n’est deu,
Tant seulement qu’à la vertu,
Vertu dit il ne vient de race,
Ergo, Noblesse ie t’en casse,
Honneur ne sera que pour ceux,
Qui auront gagné le dessus :
Ie ne prendray pour Gentilhomme,
Vn sot, vn lasche, vn meschant homme,
Ny tiendray pour homme d’honneur,
Le parjure, l’empoisonneur,
Celuy qui vit par injustice,
Celuy qui n’est rien que de vice,
Mais il se mocque sur la fin,
Auec de tres bon latin,
De ce qu’on départ aux plus belles,
Des choses qui ne sont pour elles
Leur donnant les mesmes lauriers,
Qu’on donne aux plus braues guerriers,
Mesmes blazons, & mesmes armes
Qui ne sont deubs qu’à des Gens d’armes,
Et les mesmes tiltres d’honneur,
Que meritent les gens de cœur :
Il est vray que des Amazones,
Ou bien de semblables personnes :
Pourroient auoir les qualitez,
Et posseder les dignitez ;
Que tres-iniustement on donne,

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A maintes illustres personnes,
Vn Duc est celuy qui conduit,
L’armée qui marche à grand bruit,
Le Marquis garde la frontiere,
Contre l’ennemy de derriere ;
Le Comte doit pareillement,
Estre tousiours ensemblement,
Sans iamais quitter la personne,
Du Souuerain qu’il enuironne,
Ce sont donc des tiltres d’honneur,
Qu’on ne peut tenir sans valeur,
Pour acheuer cette sceance,
Ie diray donc que ma naissance,
Ne m’a tien donné de meilleur
Qu’au fils d’vn simple rimailleur,
Qu’au fils d’vn courtaut de boutique
Qu’au fils de quelque mechanique,
Qu’au fils de quelque Sauetier,
Qu’au fils d’vn vilain roturier,
Nostre condition est vne,
Il n’y a rien que la fortune,
Qui fasse que l’enfant d’vn grand
Soit plus prisé qu’vn autre enfant,
Le grand n’engendre rien qu’vn homme
Mais la vertu fait l’honneste homme,
Si l’on me dit que l’espreuier,
Produit comme luy l’Espreuier :

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Et non pas la simple Colombs,
Auec vous d’accord ie tombe,
Mais il est clair que l’argument,
Conclud icy que seulement,
Le pere donne la Noblesse,
Qui se trouue dedans l’espece.
Nous receuons du Mirandol,
Prince sçauant, Prince sans dol,
Estans formez dans la matrice,
Semence de vertu & vice,
Et tel chacun se trouuera,
Ainsi qu’il les cultiuera,
Pour moy ie dis que ma Noblesse
M’a moins seruy que mon addresse,
N’ayant tiré de ma maison,
Qu’vne bonne education,
Mais vous verrez que la fortune,
Tousiours me fust tres importune,
Que mes malheurs auront leurs cours,
Dans la suitte de ce discours.

 

DE LA BOVSSIERE. M.

Fin de la premiere partie du Philosophe
Malotru.

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Boussière, M. de la [signé] [1649], PREMIERE PARTIE DV PHILOSOPHE MALOTRV. En Vers Burlesques. , françaisRéférence RIM : M0_2855. Cote locale : C_8_23.