Anonyme [1649], TRES-HVMBLE REMONSTRANCE DV PARLEMENT DE PROVENCE. AV ROY, SVR LE GOVVERNEMENT de Monsieur le Comte d’Alais. , françaisRéférence RIM : M0_3816. Cote locale : A_8_10.
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TRES-HVMBLE
REMONSTRANCE DV
Parlement de Prouence,
AV ROY,
SVR LE GOVVERNEMENT
de Monsieur le Comte d’Alais.

SIRE,

Vostre Parlement de Prouence ne doit plus dissimuler à
Vostre Majesté les plaintes de son peuple, & les souffrances
de ses fidelles sujets : Il n’auroit pas confirmé son obeyssance
dans le delaissement qu’il a fait de son authorité lors qu’il
a creu que c’estoit l’intention de Vostre Maiesté qu’elle fust
partagée, il n’auroit pas merité ses iustes Declarations qui
l’ont remis en son premier estat, & qui ont esté des signes
infaillibles que la tempeste estoit passee, & que les Parlemens
ne feroient plus naufrage : Vos Officiers ne seroient
pas les mesmes qui ont si souuent & si librement contribué
aux necessitez publiques, qui ont armé à leurs despens pour
chasser de vos Isles les anciens ennemis de cette Monarchie :
Ils ne seroient pas legitimes successeurs de leurs peres
qui se sont signalez par leur vertu & par leur courage en
toutes les occasions où le seruice de leurs Roys les a portez,
& leur corps estant presque tout composé du plus pur sang
de la Noblesse : Ils trahiroient leur naissance, & la gloire
de leurs ayeulx s’ils voyoient deschirer impunement vne

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Prouince si chere, & si considerable à l’Estat : S’ils tolleroient
vn abus si euident du sacré Nom de vostre Maiesté :
S’ils laissoient plus longuement abuser les peuples par des
craintes supersticieuses, puis qu’ils sont instituez pour les
releuer de la misere, pour soustenir les foibles contre les inuasions
des Puissants, & pour entretenir la legitime relation
des suiets à leur Prince lors que par des prestiges & des
suppositions, on trouble leur fidelité, & on contrefait son
Image.

 

C’est le suiet (SIRE) de cette tres-humble Remonstrãce :
Le Parlement la porte auec respect & submission aux
pieds de vostre Maiesté dans ce dessein de luy faire entendre
sans affectation & sans desguisement les gemissemens
de la Prouince la plus malheureuse, & la plus mal traitée qui
soit dans vostre Royaume : L’esloignement qui change tous
les obiets, & qui les aneantit, fait ce mauuais office à ce peuple
qu’il souffre sans consolation, qu’il crie sans secours,
qu’il perit sans remede.

Mais ce n’est pas le pire de ses maux, son martyre seroit
precieux s’il estoit aggreable à vostre Maiesté : les playes
seroient glorieuses, & son sang bien employé s’il estoit versé
pour son seruice. Ce qui l’afflige, (SIRE) c’est qu’il ne
merite rien en souffrant, que celuy qui l’opprime le rend
coulpable, & veut faire passer pour criminel celuy qu’il persecute :
S’il souffre sans se plaindre, c’est vne lasche seruitude.
S’il resiste à ses maux par le priuilege de la nature, son
ennemy traicte sa deffence du nom de rebellion qui est le
plus horrible supplice qu’on luy puisse presenter. S’il se
plaint de sa douleur, il accuse sa plainte d’insolence. S’il fait
effort pour la pousser, il le nomme fureur & desespoir : Et
ainsi par le desguisement de ses actions & de ses pensées il
se voit reduit à cette extremité, qu’il est miserable sans estre
plaint.

Cela vient (SIRE) de ce que la posterité aura peine de
croire que celuy que vostre Maiesté a estably son Lieutenant
general en cette Prouince, & qui par son institution &

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ses exemples domestiques deuoit luy faire esperer vn repos
& vne tranquilité parfaite, la trouble luy-mesme & la
dissipe, qu’au lieu d’enseigner l’obeyssance aux sujets de
vostre Maiesté par son exemple & ses deportemens, il l’exige
luy mesme, & s’atribuë toute l’authorité Royalle qu’il
deuoit respecter le premier ; Au lieu d’estre le Pere commun
de tous, il en choisit vn petit nombre qu’il recompense
de leur propre bien, qu’il contient par des menaces, ou des
vaines esperances, qu’il intimide par les respects de ses illustres
alliances, & par le mauuais vsage qu’il fait de son pouuoir
traite les autres comme des estrangers & des rebelles,
les repoussant & les poursuiuant par tout, s’attachant à leur
perte sans pitié & sans retenuë, & faisant passer sa haine
pour vn crime de leze-Maiesté : au lieu d’establir l’vnion
dans la Prouince, la deschire par des diuisions intestines, inspire
à tous le mesptis de leurs Magistrats, les soustrait de
l’obeyssance des Loix, leur promet par des euocations l’impunité
de leurs crimes, & s’arme contre la Iustice lors qu’elle
en veut faire la punition.

 

Vostre Parlement (SIRE) qui a desja seruy tant de Roys
auec honneur, qui a tousiours entretenu cette Prouince tant
recherchée par ses voisins, dans la fidelité qu’elle vous doit,
& qui l’auoit iusques à present conseruée dans l’vnion & la
liaison qui doit estre entre ses concitoyens, seroit preuaricateur
si par crainte, ou par complaisance il laissoit dissiper
vostre patrimoine, & brescher vostre Couronne en vn si
beau fleuron, sans exposer son deuoir aux y eux de toute la
France, & demander à vostre Majesté vn Iugement public
qui fasse cognoistre a ses peuples quelle est la main qui les
frappe.

Vos Officiers disent hautement que vostre regne est innocent.
Que la Reyne Regente vostre Mere leur a souuent
tesmoigné qu’elle desiroit que cette Prouince fust en
paix & en repos, & qu’elle auoit eu pitié de ses maux. Vos
Declarations du mois de Mars dernier sont les garants de
leurs paroles, & les gages de la foy publique : & toutesfois

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ce peuple ne change point de condition, au contraire il voit
les maux dont il estoit menassé, & les Prouinces voisines qui
courent à son secours, nous demandent auec estonnement,
où est le Dieu de ce Peuple ?

 

C’est vostre Majesté (SIRE) qui est sa Diuinité visible,
c’est elle qui doit entendre ses mal-heurs & les reparer : Les
tesmoignages d’amour & de bonté, & les applaudissemens
que tout ce pays auoit donnez à Monsieur le Comte d’Alais
durant les premieres années de son Gouuernement qu’il
auoit composées auec grande estude & dissimulation, ont
estably sa reputation dans l’esprit du feu Roy de tres-heureuse
memoire vostre Pere & de ses Ministres : mais ils ont
si mal reüssi à ce pauure peuple, qu’ils luy ont donné la hardiesse
de tout entreprendre, & le bon-heur d’en estre toûjours
creu, estant difficile d’effacer les premieres impressiõs,
lors qu’elles se sont saisies de l’esprit du maistre, en telle façon
qu’on auoit peine de croire le mal apres qu’il estoit executé,
les plaintes estoient repoussées comme les inquietudes
& les chagrains de quelques esprits impatients de toute sorte
de Gouuernement, & sa Morale estoit desja toute gastée,
qu’on ne s’estoit pas encore aduisé de son changement.

Mais enfin l’interest qui est l’endroit qui descouure toutes
les foiblesses des hommes, fit clairement recognoistre le
dessein de Monsieur le Comte d’Alais, lors qu’il voulut leuer
vn Regiment en cette Prouince contre vos Ordonnances
& les Loix de vostre Estat, & dresser en mesme temps sa
compagnie d’Ordonnance, & disposer des reuenans-bon,
qui sont les restes qui demeurent toutes les années apres que
l’imposition du Roy & du Païs est acquittée, au lieu que les
precedents Gouuerneurs les laissoient dans la bource du
Païs pour faire fonds en l’année suiuante, & n’auoient iamais
pensé de fouler la Prouince d’vne despense de quatre
cens mille liures qu’il faut pour l’entretien d’vn Regiment
duquel il s’est seruy pour faire aller à luy tous les mauuais
Citoyens, & a esté comme le fleau inondant qu’il a employé
pour toutes ses vengeances. On interpelle icy toute la Prouince

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(SIRE) de declarer en presence de vostre Majesté, s’il
n’est pas veritable que lors qu’vn Gentil-homme a voulu
exiger sur ses Vassaux vne injuste transaction, ou lors qu’vn
de vos Officiers de Iustice a refusé de la rendre à son appetit,
& suiuant l’interest que Monsieur le Comte d’Alais prenoit
aux affaires qu’il recommandoit, il n’a pas fait de soler son
village par ce maudit Regiment ; si lors qu’il s’est voulu vanger
contre ceux qui defendoient les interests d’vne Communauté,
ou refusoient des Consuls de sa faction, il ne les a
pas affligez d’vn logement de gens de Guerre, où tous les
actes d’hostilité estoient exercez impunément : si pour les
faire desloger il n’a pas fallu que la Communauté aye payé
sa rançon au Secretaire de Monsieur le Comte d’Alais, qui
a profité des sommes immenses par le logement & deslogement
frequens dudit Regiment, qu’on a fait promener continuellement
dans tout le Païs.

 

Il n’est que trop veritable, SIRE, que ce sont tous les exploicts
& les hauts faits de ce glorieux Regiment, qui a fait
plus de Consuls & de Transactions que de combats : Qui au
lieu de défaire vos ennemis, a opprimé vos Sujets qui donnent
de toutes parts des benedictiõs publiques à vostre Majesté
de l’auoir supprimé, & vous demandent auec des larmes
de sang d’en empescher le restablissement pour arrester
la continuatiõ des desordres qu’il a causez auec tant de scandale.
Vostre Parlement en auoit fait des remonstrances à
Monsieur le Comte d’Alais, il en a souuent porté ses plaintes
à vostre Majesté, & n’a iamais pû souffrir que ce Regiment
aye esté employé pour la desolation de ses Concitoyẽs,
peur executer les vangeances, & pour suffoquer dans
les assemblées du Pays la liberté des suffrages.

Voila, SIRE, ce qui a fait passer le Parlement pour factieux
& pour rebelle dans l’esprit de Monsieur le Comte
d’Alais, il n’y auoit plus que cette puissance qui balançast
son absoluë domination si preiudiciable au bien de vostre
seruice. Le peuple estoit accablé de ce fleau, vne partie de
la Noblesse gaignée par les emplois qu’elle auoit au Regiment,

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l’autre par le desir de la vangeance qu’elle executoit
par ce moyen sur ses Vassaux, & les plus sages estoient retenus
par la crainte des logemens, ou par l’esperance de l’exemption
d’iceux, qui a tousiours esté la plus grande de toutes
ses faueurs : Et par ce moyen cette Prouince a esté depuis
dix ans vn theatre de diuisions & de vangeances, pendant
que la terre d’vn Gentil homme estoit foulee, celle de son
voisin estoit inuiolable aux gens de Guerre : Et on a veu tres-souuent
en ce Pays ce fleau qui ne fut veu qu’vne fois en
Egypte, qu’vn petit nombre de gens voyoient le Soleil pendant
que toute la terre estoit obscurcie de tenebres : Mais
comme toute la politique de Monsieur le Comte d’Alais n’a
que cette seule fin de diuiser la Prouince pour l’affoiblir, &
de l’affoiblir pour la perdre. Il s’est choisi vn petit nombre
d’amis dans toutes les villes & lieux de la Prouince, & n’a pas
recherché ceux qui par leur naissance & probité s’estoient
acquis l’authorité par l’estime du peuple ; mais il l’a ostée de
leurs mains pour la donner à de petites gens, ou à des esprits
factieux lesquels il a fait valoir aupres des Ministres de vostre
Maiesté autant qu’il a peu, & par ce moyen son seruice a
esté tres-mal executé ; & on a veu enfin la desroute de cette
politique, parce qu’elle n’estoit pas appuyée sur de bons
fondements : Ainsi dans la ville d’Arles il a mesprisé cette
haute & ancienne Noblesse, qui s’est si souuent signalée dans
le seruice de ses Roys, & a voulu esgaler à eux de nouueaux
venus qui auoient assez d’ambition pour cõcourir aux honneurs
auec eux, mais ils n’auoient pas assez de force pour les
soustenir : Il en a vsé de mesme façon en toutes les autres
villes qui n’ont pû resister à ses violences, & le moyen pour
y paruenir a esté de leur oster la liberté des suffrages en leurs
Eslections Consulaires, & donner les charges Municipalles
à ceux qui se donnoient à luy sans reserue & sans condition.

 

De-là est venu, SIRE, que vos Secretaires d’Estat ont esté
si souuent importunez d’enuoyer toutes les annees des Lettres
Patentes & des Lettsres de cachet pour faire des Cousul

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és villes & lieux de cette Prouince ; & ce qui est pire, par vne
entreprise sur vostre authorité & sans exemple, il a luy mesme
sur ses simples Lettres missiues enuoyces par l’vn de ses
Gardes, fait faire des Consuls & autres Officiers Municipaux
sur les Roolles qu’il en enuoyoit, en telle sorte que celuy
qui estoit criminel ou incapable de l’administration publique,
ou reliquateur de la Communauté, auoit ce moyen
infaillible pour y paruenir, de se voüer à Monsieur le Comte
d’Alais & luy sousmettre sa conduitte ; Ce qui faisoit gemir
le peuple qui se voyoit liuré en proye à ses vsurpateurs,
interdit de cette naturelle liberté de choisir les Consuls,
suiuant ses anciens vsages, & reduit à cette extremité de ne
pouuoir esperer qu’vne complaisance seruile de leur part,
puis que c’estoit la seule qualité qui les faisoit preferer aux
autres.

 

Vostre ville d’Aix, SIRE, qui est la capitale de la Prouince,
qui est asseuree à vostre Maiesté par vne fidelité inébranlable,
& qui agit en toutes choses en presence de la Loy, &
auec l’authorité des Magistrats, n’a pas esté exempte de cette
fascheuse condition, quand elle a voulu eslire les Procureurs
du Pays, & Monsieur le Comte d’Alais a creu qu’ils ne
seroient pas dependans de sa volonté, il est entré hostilement
dans l’Hostel de ville l’espée à la main, & tous ceux de
sa suitte, fait briser les portes, fait tirer le pistolet, chassé
tous les gens de bien, mal-traitté les personnes de condition,
osté sans formalité les marques Consulaires à ceux qui
les auoient tres-bien meritées, par des Lettres patentes obtenuës
soubs des pretextes supposez, il a composé le Conseil
de Ville de ieunes gens de fils de famille, & de personnes
incapables de toute direction, pour auoir de leur foiblesse
ce qu’il ne pouuoit pas esperer de la raison.

Il faut aduoüer (SIRE) que c’est vne douce liberté, &
bien sensible à cette Prouince, de se choisir ses Magistrats
municipaux. Il n’y a point de difference entre l’extreme
seruitude & l’obeyssance honneste, quand elles sont esgalement
interdites de ce chois : Il y a quelque consolation

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de se faire saigner par vne main amie, & faire traiter ses
maux auec tendresse & pitié : Neantmoins on n’a pas veu
seulement dans les Villes importantes, & dans la capitalle,
vne suppression funeste de cette liberté qui a fait murmurer
tout le peuple contre la violance de ce Gouuernement :
Mais par vn exemple malheureux, il n’y a si petit village
dans la Prouince auquel pour des considerations pernicieuses
à tout le public, Monsieur le Comte d’Alais n’aye voulu
faire le mesme.

 

On ne peut dissimuler (SIRE) que ces Consulats, briguez,
& affectez, ne soient aux yeux de tous les gens de
bien, des spectacles odieux, & des suiets d’oprobre & de malediction,
leur marque legitime est l’amour & l’estime du
peuple, & non pas la complaisance & la flaterie.

Il est impossible que le peuple donne son consentement à
vne authorité qui luy a esté imposee auec violance, & qu’il
reçoiue dans son cœur celuy qui ne s’est pas introduit par
son iugement : voila pourquoy on n’a iamais veu tant de
contradictions & de tumultes dans les villes que depuis que
ces fausses authoritez les ont vsurpees : Les souspirs, & les
derniers accens de la liberté suffoquee, y ont fait vn murmure
pitoyable qui a frappé l’oreille des Iuges, & enfin est
allee iusques à vostre Maiesté, pour en exiger cette solemnelle
Declaration du mois de Mars dernier, qui veut que
les Consuls soient esleus en toutes les villes & lieux de la
Prouince suiuant leurs anciens Vsages, & les Reglemens
des Communautez, qui est leur prudence domestique, &
leur veritable Economie.

Mais si la noblesse a souffert sous le Gouuernement de
Monsieur le Comte d’Alais par les diuisions & les enuies
qu’il a semees dans leurs corps par les partialitez qu’il a faites,
& les defferences iniurieuses dont il la traité. Si le peuple
a esté tourmenté par la complaisance de ses faux Directeurs
qui luy ont esté supposez, & s’il a esté contraint de
seruir plutost à Monsieur le Comte d’Alais qu’à vostre Maiesté,
à laquelle il doit son entiere obeyssance : afin qu’il ne

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restast plus aucune partie saine en cette Prouince, il trouua
son coup mortel en l’inuention d’vne Chambre des Requestes,
laquelle incommodoit le Clergé par des Iuges necessaires,
qu’on donnoit aux Ecclesiastiques hors de leur domicille :
Assuiettissoit les Nobles par vn Committimus forcé,
despoüilloit les Officiers Subalternes de leur iurisdictiõ
en rendant leurs Tribunaux oysifs & solitaires, & faisoit entrer
des Iuges nouueaux, & dependans de Monsieur le Cõte
d’Alais en la participation des honneurs du Parlement &
des affaires publiques, qui se traitent en l’assemblee des
Chambres pour y ieter la semence de diuision qu’il auoit
desia respanduë par tout, afin qu’ayant osté cet obstacle, &
emporté le dernier retranchement de l’honneur & de la
vertu de la Prouince, il peut quand il voudroit de Comte
d’Alais se faire Comte de Prouence.

 

Il veut persuader au peuple que cette Chambre fut accordée
par quelques Officiers du Parlement, & qu’elle n’auoit
point d’autre dessein que la suppression des Edicts plus pernicieux
à la Prouince. On luy a souuent demandé où estoiẽt
les seings & les Declarations de ces Officiers qui ont trempé
leurs mains en ce parricide, ils ont iuré en sa presence
qu’ils n’y auoient donné aucun consentement, il n’a iamais
peu les conuaincre, & il ne cesse pourtant de les en accuser.

Il seroit bien plus facile de faire voir à vostre Maiesté la
participation & l’interest d’auarice qui auoit engagé Monsieur
le Comte d’Alais à ce dessein contre son honneur &
la gloire de sa naissance : Le peuple est desabusé de cette apparance
de charité dont il le flattoit ; on sçait que la sienne
commance & finit par soy-mesme, & on n’a garde de le
remercier de son secours puis que pour esteindre vne bluette
il excite vn embrasement.

Aussi l’instrument dont il s’est seruy pour esleuer cette machine
qui deuoit ruiner tous les ordres de la Prouince, est
sortie de la fournaise d’vn cœur bruslé d’ambition & de
melancolie, c’est l’Aduocat Gaufridy qu’il a fourny : Chaun
sçait qu’il est d’vne naissance fort mediocre, & d’vne

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maison incommodee ; que son esprit qui a plus de fumee
que de lumiere, n’auoit iamais peu attaindre à la gloire du
Barreau, & qu’il s’estoit addonné à l’Economie de l’Hostel
de la ville d’Aix où il a profité toutes les Commissions & les
voyages qu’il a fallu faire à la Cour : Mais comme ces profits
estoient incertains, & qu’il commençoit à perdre le credit
qu’il auoit aupres du peuple, il tascha d’en acquerir aupres
de Monsieur le Comte d’Alais, & par vne preuarication
criminelle, estant deputé pour l’interest de la Prouince
qui le payoit, il suggera la creation de cette Chambre, dont
la premiere place luy auoit esté promise, & n’aprehenda pas
de marcher sur tous les ordres de la Prouince pourueu qu’il
montast sur vn Tribunal.

 

Quand cet Edict fut representé, il treuua le rebut de tous
les gens de bien, mais il treuua l’applaudissement de Monsieur
le Comte d’Alais, qui touché d’vn motif pressant &
sensible, se porta à cette extremité d’aller luy mesme en
Parlement pour verifier l’Edict, le fit enregistrer, le fit publier
par son Secretaire apres que toutes les Chambres eurent
rompu pour n’assister pas à ce spectacle, & ne voir pas en
vne mesme main l’authorité de la Iustice, & la force des armes,
ce que cette Monarchie n’a iamais veu qu’en celles de
son Souuerain.

Ce procedé, SIRE, n’a iamais eu d’exemple en ce Royaume,
& il n’y a point de Gouuerneur qui eust voulu profaner
la Iustice, iusques dans cet excez de verifier luy mesme dans
le Palais vn Edict par vne pure voye de fait, contre toutes
les Loix fondamentales de l’Estat.

C’est pourtant vne des pieces les plus celebres du Gouuernement
de Monsieur le Comte d’Alais, & comme si cet
Edict estoit vn sortilege qui deust enchanter toute la Prouince,
il fut suiuy par tant de tonnerres & de tẽpestes, qu’on
recogneut aysement qu’il estoit venu contre les principes ordinaires
de la nature, & que c’estoit vn meteore que la corruption
du siecle auoit produit.

En effet il fit vn tel fraquas dans cet illustre Compagnie, &

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vne bresche si pitoyable, qu’on vid à mesme temps plus de
trente places vuides par les cittations qui suiuirent la publication
de l’Edict, & ce coup qui frappa les plus anciens de
la compagnie, infecta tous les autres, & laissa vne si mauuaise
odeur en la Prouince, qu’elle n’a depuis respiré que le
soulphre & le feu.

 

Cependant de la ruine d’vn tribunal ancien & legitime,
Gauffridy en a esleué vn à son ambition, & aux desseins de
Monsieur le Comte d’Alais : & comme c’est vn esprit violent
& extreme, il print la premiere place de la Chambre
des Requestes auec fierté : il s’y est maintenu auec artifice,
& en est sorty par vn insigne perfidie.

On ne vid iamais tant de plaintes & de procez verbaux
comme il en a dressé durant cinq ou six années qu’il a tenu
cette Chambre ; iamais tant de continuations de menasses
qu’il a fait pour soustenir cette fresle Iurisdiction dont il s’estoit
flatté : ce Committimus forcé estoit vn priuilege insupportable
aux Nobles, qui n’ayants pas bonne opinion de ces
Iuges, ne pouuoient s’y soubmettre, & ce fut le sujet ordinaire
qui eschauffoit sa bille & sa melancolie, en telle façon
qu’on l’a veu plus souuent prononcer par sa Iurisdiction, que
pour l’interest des parties.

Meantmoins sa malice a esté si extréme qu’il a imputé au
Parlement les iniures & les affronts qu’il deuoit imputer à sa
personne & à ses actions : il a tellement importuné vostre
Conseil de ses plaintes, & a trouué vn appuy si facile & si fauorable
dans l’esprit de Monsieur le Comte d’Alais, que les
choses ridicules ont passé pour des contrauentions à l’Edict,
& des iniures faites à l’authorité Souueraine.

L’euenement a fait cognoistre pour quel dessein il auoit
multiplié ses plaintes : cette Magistrature subalterne ne pouuoit
pas satisfaire son ambition, ce Siege n’estoit pas son repos,
il regardoit auec enuie les places qui surpassoient sa naissance
& son genie, & se voulut rendre le compagnon de ses
Maistres.

Cela ne se pouuoit que par l’appuy de Monsieur le Comte

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d’Alais, il luy voũa sa personne & sa conscience, il fut secrettement
destiné par luy à la charge de premier President, &
au ministere de la Prouince.

 

Les preuues en sont aysées, le sieur du Bernet premier President,
qui est vn des plus dignes Magistrats du Royaume,
préuoyant les mauuais desseins qui ont depuis paru, voulut
reprimer cette ambition naissante, & recogneut par la fumee
l’ardeur qui deuoroit cette ame, il fut en mesme tẽps poussé
par Monsieur le Comte d’Alais, lequel ne pouuant trouuer
en la personne ny en la conduitte de ce digne Magistrat vne
seule matiere de soupçon, flatta Monsieur le Cardinal de Richelieu
d’vne delicatesse de son humeur, & par ce moyen il
fit changer ses emplois en vne relegation dont il a esté depuis
rappellé pour tenir le mesme rang en son pais qu’il auoit
en celuy-cy.

Le sieur de Mesgrigny qui luy a succedé en sa charge, n’a
pas esté traité auec plus de discretion : Sa naissance, sa dignité
& sa vertu qui luy deuoit acquerir la consideration de
Monsieur le Comte d’Alais, & le respect de Gaufridy son
inferieur, n’ont pas empesché qu’il ne soit venu aux prinses
auec luy, & deux citations qu’il a souffert sont les effects de
son imposture, & non de la partialité qu’il luy auoit imputé.

Bref, son chagrin naturel a trouué tant de complaisance
en la conduite de son dessein, qu’il ne s’est iamais passé vne
annee que pour vanger ses iniures domestiques, & les affrõts
de ses Officiers des Requestes, il n’aye fait citer ou interdire
quelque Officier du Parlement par l’appuy de Monsieur le
Comte d’Alais, duquel il s’est seruy comme d’vn contrepoids
pour se releuer en abaissant les autres.

Ces aduantages luy ont donné iour à vne inuention encore
plus malicieuse, le bruit du Semestre ne pouuoit trouuer retraite
en aucune part, les peuples accoustumez aux formes
anciennes & constantes de leur iustice, ne pouuoient comprendre
ces interualles & ces changemens qui l’affoiblissent
& la deshonnorent ; les Ministres n’en estoient pas bien persuadez
à cause des troubles qu’il auoit excité dans la Prouince

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de Normandie, & les exẽples de Roys vos predecesseurs
monstroiẽt à vostre Maiesté que c’estoit vn dessein que l’experience
auoit condamné, & qu’on ne pouuoit plus remettre
en estat sans esbranler toute la Monarchie.

 

Neantmoins cet esprit eschauffé d’ambition & de bile par
vn effort de melancolie fit esclorre vn Edict qui a depuis esté
suffoqué comme vn monstre, il le fit proposer par le Chanoine
la Bastide Conseiller aux Requestes, il le fit appuyer par
Monsieur le Comte d’Alais, & comme la necessité publique
reçoit auec autant d’auidité le venin que les bons alimens,
ceux qui administroient pour lors les Finances de vostre
Maiesté se laisserent surprendre aux apparences, ils prenoient
vn Nain pour vn Geant, & vne chimere fantastique
pour vn celebre coup d’Estat.

Il est vray qu’on voulust adiuster les autres Parlement à
cette mesme façon, mais on la trouuée par tout inégale &
disproportionnée, & ce qui luy donna cours en cette mal-heureuse
Prouince, est, que par effort & contention on tascha
de l’apliquer sur cette illustre Compagnie, & au lieu que
la regle Lesbienne suiuoit les proportions de son suiet, cette
fausse & iniuste regle violantoit le suiet sur lequel elle estoit
appliquée.

Monsieur le Comte d’Alais fit semblant de ne connoistre
pas cet Edict, & de luy refuser sa protection, quoy qu’il fust
son domestique, & qu’il eust pris naissance dans son cabinet,
mais on a depuis verifié que ce ne fut qu’vn tour de politique
pour engager les Ministres à l’entretenir, & luy donner
le titre redoutable de la volonté de vostre Maiesté.

C’est à ce seul nom, SIRE, que ce Parlement a flechy, il est
glorieux d’auoir donné vn exemple d’humiliation aux yeux
de toute la France, & d’auoir baissé les marques de son authorité
au seul bruit de vostre commandement. L’euenement
a bien fait voir qu’il estoit fondé dans le cœur des peuples,
sa conduite a fait cognoistre à ses ennemis qu’il auoit
assez de force pour leur resister, & de sagesse pour les confondre.
Il est malaisé de desraciner vne authorité que deux

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siecles ont confirmee, & de renuerser vn Tribunal qui a fait
cette Prouince Françoise, & a esleué la fleurs de Lis où estoient
les Pals d’Aragon, & la Croix de Hierusalem & de
Sicile.

 

Mais dans cette obeissance infinie que les Sujets doiuent à
leur Prince legitime, le Parlement n’a point trouué d’autre
bord que de suiure la volonté apparente de vostre Maiesté
sans s’il former de ses motifs, il pouuoit par des remonstrances
differer sa dissipation & sa perte, il a creu qu’il estoit plus
seant de meriter son authorite apres l’auoir quitée, que de le
demander en la retenant : que c’estoit vn depost sacré qu’il
falloit tousiours representer au Maistre, & que la seule defence
que les Suiets peuuent auoir contre leur Prince, est de
luy ceder & se taire.

Il ne faut pas que Monsieur le Comte d’Alais attribuë son
authorité à ce grand exemple d’obeïssance, il auoit vn mois
auparauant fait engager en l’Assemblée des Communautez
qui fut tenuë à la Cieutat, Cauffridy & ses Collegues par la
foy des hommes, & par la religion des sermens qu’ils ne receuroient
point la commission du Semestre, & qu’ils s’excuseroient
enuers vostre Maiesté de cet employ odieux à
toute la Prouince, il faut bien qu’il y ait du déguisement en
ce procedé, ou il faut dire que Monsieur le Comte d’Alais ne
suiuoit pas alors l’intention de vos Ministres, & ne soustenoit
pas ouuertement les ordres de vostre Maiesté qu’il dit maintenant
d’auoir appuyé de toutes ses forces.

Ainsi l’ambiguité de Monsieur le Comte d’Alais, la perfidie
de Gauffridy, & l’obeïssance exemplaire du Parlement
ont estably le Semestre en cette Prouince, on y a veu cet ambitieux
monter en la premiere place sans autre fondement
que celuy de son orgueil & de son imposture ; on a veu dans
les places des anciens Conseillers de la Grand Chambre des
gens sans estude & sans experience, & des personnes mesprisables
par leur naissance ou par leur humeur qui estoient sortis
du village & de l’ordure pour faire des Arrests en la ville
capitale de la Prouince, habile & ingenieuse : On y a veu

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des personnes affamees, qui portees du desespoir de leurs
affaires domestiques, poursuiuies de toutes parts par leurs
creanciers, ont prins cet auguste lieu pour vn azile de leur
mauuaise foy, & pour vn secours à leur extreme misere : Enfin
dans cet estrange changement, & ce bijarre assemblage
que la fortune auoit fait de ses Iuges ridicules : On eust dit
que c’estoit vn Parlement Comique, & qu’il estoit plus propre
à representer vn Senat dans l’Hostel de Bourgongne,
qu’à rendre iustice dans vne Prouince.

 

Aussi ce monstre n’a iamais pû paruenir à sa naturelle grandeur,
il s’est enflé d’orgueil, mais il n’a iamais pû croistre iusques
à sa mesure, & la politique a fait voir que si elle pouuoit
comme la nature faire des fautes, elle ne les vouloit pas
acheuer.

Il est important (SIRE) que vostre Majesté sçache beaucoup
des choses qu’elle n’auoit pas ordonné, & que toute la
France voye le desordre que ce Semestre a fait en cette
Prouince. A peine il fut monté sur ce Tribunal qu’il en fit vn
lieu de vangeance & de haine : On y a veu publier des Declarations
contre l’honneur & la dignité de vos Officiers,
qui faisoient murmurer tous les gens de bien enuers les calomniateurs
qui donnoient à vostre Conseil de si fausses
impressions de leurs Magistrats legitimes : On y a veu regner
absolument Monsieur le Comte d’Alais, vn billet escrit
de sa main estoit vn Arrest solemnel : sa liuree estoit la
Iurisprudence de son nouueau Parlement, il n’y auoit point
de cause qui n’eust esté decidee deuant luy auant que d’estre
portee aux Iuges, & la Loy n’auoit plus rien à faire apres
que sa volonté auoit esté expliquee.

C’estoit vn moyen facile pour sousmettre toute la Prouince
à ses desirs, la crainte & l’interest partagent la pluspart
des hommes, & il s’estoit rendu par cette voye ma stre
de l’vne & de l’autre ; car on l’a veu si persuadé de ce nouuel
Empire, que pour s’y maintenir il enuoya dix sept Lettres
de cachet par son Secretaire en autant de maisons des anciens
Officiers qui luy commandoient de vuider la Prouince,

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& les dispersoient par tout le Royaume, afin que toutes
les Prouinces fussent informees de la misere de la nostre, &
que ces dignes Magistrats fussent traduits comme vn spectacle
public aux yeux de toutes les Nations pour porter les
marques de la Iustice persecutee.

 

Le Cõte Venaisin dõna retraite à ces Illustres Exilez, il en
fut mesme si irrité, qu’il fit publier en toutes les villes de la
Prouince vne proscription contr’eux, il les fit proclamer à
son de trompe dans leurs terres & en celles de leurs parens
comme des insignes malfaicteurs ; il les chargea de confusion
& d’oprobres au conspect de leurs Iusticiables : il en fit
sa risee & son diuertissement : il ordonna aux Consuls des
villes de les saisir, & au peuple de courir sur eux, peu s’en faut
qu’il ne mist vn prix à leur teste, car il tascha mesme contre
le droit des Gens & le respect que vostre Maiesté a tousiours
eu pour les Estats de sa Saincteté, de les tirer par force de
leur azile, & violer la paix de l’Eglise pour les sacrifier a sa
haine qui n’auoit point d’autre motif sinon le mal qu’il leur
auoit fait.

Vostre Maiesté, SIRE, a esté touchee de leurs plaintes,
elle aduoüa leur seiour dans le Comté, & quelques temps apres
vos Ministres ayans recogneu que c’estoit sa propre passion,
& non pas la volonté de vostre Maiesté qui auoit fait
agir Monsieur le Comte d’Alais auec tant d’excez, que la
conseruation du peuple priué de ses Magistrats, les rumeurs
de la Prouince assuietie à ces mauuais Iuges, & la voix de
tout le Royaume mal edifie de cet exemple, condamnoient
cette malheureuse inuention, ils le prierent de finir par vne
paix agreable le desordre qu’il auoit excité.

Le Parlement contribua de sa part toutes les soumissions
& les respects qu’il n’est obligé de donner qu’à vostre Maiesté,
mais il les receut auec tant de hauteur, & print vn si
grand aduantage de leur abaissement, qu’il dit à feu Monsieur
le Cardinal de Sainte Cecile, qui taschoit auec tous les
gens de bien de le fleschir, que puis qu’il les auoit abbatus il
les vouloit exterminer.

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Ces paroles, SIRE, deuoient elles estre dites soubs vostre
regne, & dans vne si heureuse Monarchie ? A-on iamais
veu la Iustice foulee aux pieds auec tant de mespris, ny les
gens de bien abandonnez à vne si grande misere ? neantmoins
il a si bien executé ce dessein qu’en mesme temps que
le Semestre fut estably il mit vne garnison dãs la ville d’Aix,
& a fait gemir durant vne annee la ville capitale de la Prouince
soubs les opprobres & les insolences des soldats : Il
logea son Regiment Colonel de Caualerie dans la ville de
Pertuis voisine d’Aix, où ils ont vescu comme dans vne terre
ennemie, & n’ont pas apprehendé d’arracher les femmes
mariees des mains de leurs maris : de rauir les filles, de rançonner
les Bourgeois, & exercer contre vos suiets toutes les
inhumanitez que vostre Maiesté ne permettroit pas contre
les rebelles.

Monsieur le Comte d’Alais n’a point consideré toutes ces
plaintes, c’estoient des maux supposez, & des larmes affectees,
pourueu que le Semestre regnast, il luy sembloit que
ce bien public recompensoit abondamment tous ces desordres :
& ce qui est insupportable pour faire subsister ses troupes
destinees à la garde de ces Iuges precieux, & de ces dignes
personnages, il a espuisé toutes les Communautez de
la Prouince iusques à la derniere goute de sang : il a tary les
veines par lesquelles on entretient les impositions qu’il faut
faire pour vostre Maiesté : On voyoit les Deputez de tous
les lieux de la Prouince l’vn apres l’autre reclamer de ces
contributions qui les accabloient, & payer des sommes immenses,
pendant que dans les villages les habitans y viuoient
de gland, & brouttoient l’herbe comme des bestes
sauuages.

Il n’a iamais espargné cette Prouince quand il a treuué suiet
de l’espreindre & de la fouler, les comptes du Pays monstrent
encore des playes si larges & si sanglantes qu’on ne les
peut considerer sans horreur : mais ce dernier coup est pire
que tous les autres, parce qu’ils auoient pour le moins vn
pretexte specieux, & le seruice de vostre Maiesté en estoit

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le tiltre s’il n’en estoit pas la cause, au contraire ce dernier
effort qui arrachoit le cœur & les entrailles, auoit cette mauuaise
fin de tuer les peres par les mains des enfans, & suffoquer
la Iustice par l’obeyssance des peuples.

 

Aussi quand vostre Maiesté eut declare ses intentions, &
qu’elle eut enuoyé le sieur de Ferrõ en cette Prouince pour
negocier le retour des Officiers exilez, ce peuple releua toutes
ses esperances, & Monsieur le Comte d’Alais ne fut iamais
si attentif à ses resolutions, il abandonna librement les
desseins des Ministres pour poursuiure le sien, & c’est alors
qu’on remarqua dans son procedé ce qu’il blasme sans suiet
en celuy du Parlement, dans son Manifeste, où il luy reproche
qu’il suit fort exactement les volontez de vostre Maiesté
pourueu qu’elles soient conformes aux siennes.

En effet, quel despit ne tesmoigna il pas lors qu’il eut veu
les acclamations que chacun donnoit au retour de ses Officiers,
que tout ce qu’il y a d’honneste & de raisonnable dans
la ville d’Aix, estoit allé à leur rencontre, que le peuple s’estoit
espanché dans les grands chemins comme à vn iour de
solemnité : Que son Semestre tout esperdu se cachoit de
honte & de confusion deuant le Soleil de Iustice, & comme
des foibles oyseaux ils se precipitoiẽt aux cris de la victoire.

Chacun croyoit alors qu’il luy seroit bien aysé de relascher
d’vn sentiment auquel il tesmoignoit d’auoir esté porté
par l’intention des Ministres, au contraire il aduoüa son
ouurage lors qu’il le vid abandonné de tous, & l’a depuis affermy
auec tant de passion, que pour s’asseurer de la ville
d’Aix suiuant ses maximes ordinaires, il fit venir vn Estat
Consulaire qu’il publia les armes à la main dans l’Hostel de
ville, auec des termes si sensibles & si offensifs, que les plus
moderez ne pouuoient supporter cet exemple, & il fut deliberé
de se pouruoir à vostre Maiesté pour la supplier de ne
priuer pas ce peuple fidelle & genereux d’vne liberté dont il
n’a iamais fait mauuais vsage.

Monsieur le Comte d’Alais empescha l’effet de cette Deliberation,
& fit instaler ces Consuls qui n’auoiẽt ny l’amour

-- 21 --

ny l’aprobation du peuple : Quelque temps apres il obtint vn
nouuel Arrest du Conseil qui confirmoit le Semestre, & par
ce moyen il versa l’amertume dans la ioye publique, & reduisit
la patience de cette Prouince à l’extremité, alors on
recogneut que la ruïne du Parlement & de la Prouince estoit
sa passion, & non pas le dessein de vostre Maiesté : il demandoit
ces petits aduantages soubs pretexte de mesnager son
honneur, & faire retraite honorable en vn dessein où il s’estoit
trop auant engagé, mais les ayans obtenuës il les faisoit
passer pour des preuues constantes de la volonté de vostre
Maiesté, & pour des solides fondemens d’vn edifice qui deuoit
estre abbatu.

 

Le peuple murmuroit contre ces artifices qui luy retardoient
vn contentemẽt si legitime de voir ses Iuges en estat :
le Sieur Archeuesque d’Arles, qui par commandement de
vostre Maiesté s’estoit arresté durant trois mois en la ville
d’Aix, pour disposer Monsieur le Comte d’Alais à se despartir
d’vn si mauuais sentiment, quoy qu’il eust apporté vne
tres-grande prudence, & tesmoigné vne charité signalée,
n’a iamais pû toucher au fonds de son cœur, ny l’esmouuoir
à la paix : toutes les personnes considerables de la Prouince
ont tenté inutilement son esprit : au contraire on le voyoit
tousiours se fortifier de ses amis qu’il appelloit de toutes
parts : on le voyoit assally de ses mauuais conseils qui ne luy
presentoient que le fer & le feu. Il emprisonnoit des domestiques
des Officiers du Parlement sans aucune formalité. Il
menassoit de visiter leurs maisons. Il paroissoit accompagné
de ses Gardes & des Archers de la Mareschaussée pour faire
des prisonniers, & dans cette braue démarche que les Gardes
auoient appris pour faire bruit, ils lascherent en sa presence
trois carabines contre vn Laquais d’vn Conseiller du
Parlement qui ne l’auoit pas assez bien salué.

On n’a iamais veu mesnager honneur aux grands iusques
à cette extremité de considerer les ciuilitez d’vn Laquais, &
les respects du bas peuple, la liberté Françoise reprouue toutes
ces apparences de gloire, & fait consister tout l’honneur

-- 22 --

à le meriter : aussi ce violant exemple fit l’effet qu’on en deuoit
attendre. Le peuple voyant que sur de si foibles sujets
on le poursuiuoit iusques à la mort, fit vn mauuais presage de
sa liberté, & dans le degoust que la conduite de Monsieur le
Comte d’Alais luy auoit donné, on voit en mesme temps la
haine & la fureur respanduë par toute la ville d’Aix, le peuple
se mit en armes & accourut à la defence de ses Magistrats
qu’il voyoit opprimez.

 

Monsieur le Comte d’Alais fut tres à propos persuadé de
n’essayer pas ses forces contre celle de ce peuple si iustement
animé : Il auoit aduancé vne foible barricade pour l’attirer
plustost, que pour s’y cacher : & quoy que die son Manifeste,
si Monsieur le Comte de Carces pour lequel tout ce peuple a
des respects infinis, & des sentimens d’amour tres-passionnez,
ne l’eust appaisé, les suittes ne pouuoient estre que fort
perilleuses.

Mais à peine il fut desarmé, que Monsieur le Comte d’Alais
adioustant ce nouueau motif à sa haine, au prejudice de
la parole qu’il donna au Sieur Archeuesque d’Arles, de desarmer
de sa part, & restablir le Parlement dans trois iours, il
mit secrettement des soldats dans l’Hostel de Ville, fit visiter
les murailles, donna ordre à son regiment de Caualerie
& d’Infanterie de se preparer, & à ses amis d’estre aupres de
luy, qui estoit tout l’appareil d’vne vengeance premeditée
dont il y auoit grande apparence de se deffier, parce que tous
ses domestiques faisoient depuis long-temps des menasses
insupportables, ses Officiers se partageoient desia en esperance
le butin de la ville d’Aix, & on ne pouuoit pas douter
que Monsieur le Comte d’Alais qui auoit pris pour injure la
resistance qu’on auoit eu pour ses sentimens ne se vengeast
de celle qu’on auoit tesmoigné contre ses armes.

Cet appareil trouuant le peuple émeu de ce premier mouuement,
excita vne telle chaleur dans la ville d’Aix le iour
de sainct Sebastien, que dans moins d’vne heure on y vid
toutes les ruës barricadées, & plus de vingt mil hommes
soubs les armes.

-- 23 --

Le Parlement qui n’auoit plus d’authorité ne pouuoit pas
empescher ce tumulte : Le Semestre estoit le sujet de sa haïne
& de son aduersion. Monsieur le Comte d’Alais les auoit
trop pressez & trop ennuyez de la violence de son Gouuernement :
il n’y auoit que Monsieur le Comte de Carces qui
en peust estre le maistre : il en demesla auec vne generosité
& vne prudence admirable, & ce fut à la priere de Monsieur
le Comte d’Alais qui luy en fit parler par le Cheualier de
Vins, & n’eust pas creu sa vie asseurée s’il n’en eust eu ce garant.

En effet il eut le pouuoir de faire expliquer ce peuple, ce
qui est tres-difficile dans vn tumulte violent : il mesnagea
par addresse, & le fit persuader par le Sieur Archeuesque
d’Arles, & les Sieurs de Seguiran & de Reauuille premier &
second Presidents en la Chambre des Comptes & Cour des
Aydes d’Aix, à se laisser conduire : on vid dans vne extreme
fureur vne demande tres raisonnable. Ce peuple ne vouloit
plus les Consuls qu’ils n’auoient pas choisis. Ce Semestre
que Vostre Majesté auoit resolu de supprimer, & cette Garnison
iniurieuse qui ne deuoit iamais estre soufferte en leur
ville.

Il est vray que Monsieur le Comte d’Alais ceda contre
son gré à toutes ce, demandes, & tesmoigna d’estre surpris
de ce mouuement : peut-estre il n’auoit iamais creu d’auoir
fasché tant de personnes, & d’en auoir si peu obligé, ce iour
luy descouurit ses flateurs & ses ennemis, mais il n’en a pas
voulu faire son profit : & parce que cette verité estoit trop
rude, elle luy a esté suspecte.

Neantmoins encor qu’il aye esté surptis, il n’auoit pas
laissé de se bien preparer : car son regiment de Caualerie étoit
en armes pendant qu’il se promenoit hors la ville, & que
Madame sa femme faisoit ses deuotions à son accoustumée.
Il est vray qu’on ne luy auoit pas donné loisir de pouruoir à
sa maison, & se saisir des portes de la ville : mais la preuoyance
du peuple auoit deuancé la sienne, & non pas le dessein
du Parlement qui estoit encor vn corps immobile &

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sans fonction : il est bien constant que lors que le peuple accourut
à la maison du Sr. President d’Oppede, il estoit chez
le Sr. Archeuesque d’Arles, & ne pensoit ny à sa deffence,
ny à sa seureté.

 

On aduouë que cette iournee fut redoutable, & qu’on ne
vid iamais plus de resolution que la peuple en tesmoigna en
cette rẽcontre : Mais vostre Maiesté, SIRE, a desia sçeu que
tous ces brouïllards furent dissipez, & que la tempeste fust
calmée aussi tost qu’on vid paroistre la legitime Magistrature
que ce carractere Illustre que vous auez imprimé sur les
Iuges, fit cet effet miraculeux de le contenir par sa seule presence,
qu’il changea ces Lyons en Agneaux, qu’il mit en
seureté ceux qui trembloient de frayeur, & en repos ceux
qui estoient dans vne violante agitation, que les cris de fureur
& de vengeance furent suiuis par les benedictions que
le peuple donnoit à ses Magistrats, & le respect qu’ils rendirent
à Monsieur le Comte d’Alais fut vne sauuegarde inuiolable.

Le Parlement a donné en cette rencontre à la posterité vn
exemple de moderation si celebre, qu’il a confondu tous ses
ennemis, & a merité le secours de Dieu, & les loüanges de
Vostre Maiesté : il les auoit en son pouuoir : le peuple demandoit
Gauffridy pour le sacrifier à sa vengeance : il cherchoit
par tout les Officiers du Semestre, la mort estoit le plus
fauorable traitement qu’ils pouuoient esperer, mais par vn
acte signalé de mansuetude, le Parlement se rendit le Protecteurs
de ceux qu’il l’auoient persecuté : ils auoient chassé
vos Officiers de leurs maisons, & vos Officiers ont empesché
que les siennes ne sussent pillées. Ils auoient detenu leur authorité
par vsurpation contre le gré de vostre Maiesté, & le
premier vsage qu’ils en ont fait, a esté de garantir leur vie :
Ils les auoient fait proscrire & proclamer comme des infames
par toute la Prouince, & ils ont eu soin de les faire garder
contre la fureur du peuple. Ils les auoient poursuiuis iusques
dans leurs azile dans le sein de l’Eglise, & au pieds de
l’Autel : & au contraire ils les ont fait escorter, leur ont donné

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des retraites asseurees, en les laissant viure en repos dans
leurs maisons dans vne Prouince irritée, sous la seule authorité
des loix publiques, & la foy de leurs Arrests.

 

Aussi quoy que ce remede semblast violent, l’operation en
a esté si douce, que Vostre Maiesté l’a approuuee, Monsieur
le Cardinal Bichy fut enuoyé pour connoistre l’estat de la
Prouince & la pacifier, sa prudence inimitable, & sa douceur
l’auoit mise en si bon ordre qu’il ne luy restoit pas mesme
la couleur de la maladie ; la ville d’Aix estoit dans sa premiere
beauté, & dans vne serenité parfaite ; la Prouince tesmoignoit
son contentement, toutes les villes venoient se
conjoüir auec la capitale de ce qu’elle auoit recouuré ses ornemens
& sa pompe : le peuple y accouroit en foule pour y
demander iustice qui auoit esté detenuë prisonniere par l’ignorance
& la crainte, & autant de Communautez qu’il y a
dans la Prouince, ont enuoyé leurs Deputez pour remercier
vostre Maieste en la personne de ses Officiers de la suppression
du Semestre, de la cassation du Regiment, de la liberté
de ses eslections Consulaires, du restablissement de ses anciens
vsages, & de l’attache des Procureurs du païs au logement
des gens Guerre, que les Declarations du mois de Mars
ont solemnellement confirmée.

Monsieur le Comte d’Alais engagea sa foy & sa parole enuers
Vostre Maiesté, & Monsieur le Cardinal Bichy, qu’il ne
les violeroit iamais, il a tesmoigné qu’il vouloit mettre le
repos & la tranquillité publique qui auoit esté troublée,
qu’il estoit desabusé de ses mauuais conseils qui l’auoient
porté à vn Gouuernement violent, que ces suittes n’estoient
pas de son humeur ny de son dessein ; il vouloit mesmes que
la ville d’Aix creust qu’il n’estoit point offense de l’effort
qu’elle auoit fait, il luy promit par escrit remis au Sieur Archeuesque
d’Arles d’y tenir l’Assemblee des Communautez
de la Prouince, donna les mains à la cassation de son Regiment,
qui a esté tousiours l’instrument dont les factieux se
sont seruis pour troubler la tranquillité publique : Bref il a
desaduoüé publiquement la legereté & la facilité de la ville

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de Tarascon qui auoit pris les armes contre le bien public,
& la sentiment de toute la Prouince qui auoit mis dehors les
principales familles qui n’adheroient pas à ce caprice, &
auoit persisté en sa faute pour euiter la honte du repentir.

 

La Prouince, SIRE, auoit bien suiet de croire que cette
paix seroit inesbranlable, puis que les Declarations de vostre
Maiesté l’auoient formee, que le Traité d’vn Prince de
l’Eglise & d’vn Ministre d’Estat celebre l’auoit disposée,
que le consentement de Monsieur le Comte d’Alais l’auoit
affermie, & la voix du peuple demandee.

Au contraire, à peine Monsieur le Comte d’Alais fut sorty
de la ville d’Aix, qu’il remua plus ouuertement les factiõs
& les partys qui sembloient estre entierement dissipez :
On disoit hautement dans sa maison qu’il ne reuiendroit
plus dans Aix qu’en teste d’vne armee de dix mille hommes ;
Il fit porter le ruban bleu pour marque de sa Ligue : Il
courut toute la Prouince accompagné extraordinairement
pour y sonder les volontez des peuples, il promit vne euoquation
à tous ceux qui la demandoient, & se fit suiure de
tous les endebtez, de tous les criminels, de tous ceux qui
craignoient la Iustice, ou qui auoient vn mauuais procez : Il
licencia en apparence son Regiment, & en effect il le retint
dans les mesmes Garnisons où il estoit auparauant : Il empescha
que le Regiment de Peraud que vostre Maiesté auoit
enuoyé pour la garde de la Coste, n’y entrast. Il changea le
lieu de l’Assemblee des Communautez. Il mit garnison
dans le Fort d’Orgon, & au lieu de faire desarmer la ville
de Tarascon il fit seiour pour la confirmer dans la foy. Enfin
soubs pretexte d’achepter le Gouuernement, il a fait entrer
deux cens hommes qu’il a fait venir des Seuenes pour
empescher que ce pauure peuple abusé ne reuienne à son deuoir,
& n’entende la voix de la Prouince, sa Mere qui la rappellé
dans son sein, & luy fait souuenir de tant de foules de
gens de guerre que M. le Comte d’Alais luy a fait souffrir
lors que leurs Deputez dans les assemblees du pays auoient
parlé trop librement contre ses desseins.

-- 27 --

Cependant le Parlement qui n’a point d’autre espee que
celle de la Iustice, ny d’autre force que celle des loix, a deffendu
par ses Arrests les ligues & les factions, les marques
des partis, les querelles, & les discours tendans à esmouuoir
le peuple, il a procedé contre la ville de Tarascon comme
vn bon pere auec vn enfant desbauché : il le menasse tousiours
quand il s’esloigne, & l’embrasse quand il le veut approcher.
Il a fait poser les armes à toutes les villes qui les auoient
prises. Il a tasché par sa prudence d’appaiser le feu
qui s’allumoit par tout, & ouurir les portes de Iustice qui auoient
esté fermees durant vne annee,

Sur la foy des Declarations de vostre Maiesté plusieurs
Communautez de la Prouince s’estant rendu appellantes des
eslections Consulaires faites de voyes & de fait, & contre
leurs Reglemens, le Parlement a esté obligé de les escouter,
il y a veu des procedures scandaleuses & de mauuais exemple :
les parties ont esté ouyes en personne sur leurs deffences,
& se sont elles-mesmes conuaincuës : Le Parlement a
ordonné qu’il seroit procedé de nouueau pardeuãt les Lieutenans
des ressorts suiuant les formes anciennes : Il le pouuoit
bien faire auec Iustice, puis que la plus serieuse occupation
du Semestre a esté de deputer des Commissaires de
leur corps à la foule du peuple, pour faire des Cõsuls ez villes
& lieux de la Prouince suiuant les intentions de Monsieur
le Comte d’Alais, neantmoins il a prins ces Arrests
pour des infractions du traicté, & vouloit que le Parlement
fust sourd aux plaintes du peuple, & immobile à la misere
des Communautez qui luy demandoient iustice.

Que cela ne soit, aussi tost que la Communauté de Vente
eut secoüé le ioug de cette iniuste domination, & ent decredité
ces factieux, elle fut mal traictee par le Regiment de
Modene que Monsieur le Comte d’Alais fit passer expressement
sans l’attache des Procureurs du pays, & contre la Declaration,
auec ordre de les tourmenter. Ils inuenterent de
nouuelles façons de rançonner les peres, en embrochant les
enfans par leurs langes, & les presentans au feu, qui est vne

-- 28 --

Barbarie qu’on n’auoit pas encore ouy, elle obligea cette
Communauté de se mettre en deffence & en estat de courir
sur eux,

 

Il en fut de mesme aux Mees où Monsieur le Comte d’Alais
fit porter par Artaud Lieutenant de Preuost la coppie
d’vn pretendu Arrest du Conseil, collationné par le nommé
Iuuenel : cet Arrest n’a iamais parû, & n’a pas esté donné
contre les Declarations de vostre Maiesté, ny contre les
Arrests du Parlement qui les ont suiuies, parce que la copie
n’en fait pas mention, neantmoins Artaud abusant de sa
charge, il fit tumulte le iour de la Pentecoste, le peuple s’esmeut,
se mit en armes, & le mena prisonnier à Aix, où il est
accusé d’vne infinité d’ordures & de concussions : On a
pourtant differé son procez, afin que ce qu’on en fera ne soit
pas suspect de vangeance.

Mais il est impossible de la dissimuler en l’Ordonnance
que Monsieur le Comte d’Alais a fait sur ce suiet, qui donnoit
charge à Artaud de saisir les opposans, les mener prisonniers
en la Citadelle de Sisteron, l’opposition est vne
voye legitime de droict, qui n’est iamais refusee, l’Arrest
qu’il vouloit executer, & Monsieur le Comte d’Alais le veut
empescher, il veut que sur vne copie portee par son ordre,
celuy qui n’a pas esté ouy ne puisse pas dire ses raisons, &
qu’il souffre le mal sans se plaindre.

C’estoient des attaques pour attirer le Parlement au combat,
il a preueu cet artifice, il n’a opposé que des Arrests
donnez suiuant les Ordonnances & les Loix publiques,
Monsieur le Comte d’Alais n’a pas cessé pourtant de faire des
leuees de Gens de guerre en Dauphiné & Languedoc, d’inuiter
tous ses amis au pillage de cette Prouince, & de les appeller
à la ruine de vos suiets nonobstant les ordres de vostre
Maiesté qui les enuoyoit en Italie & en Catalogne, le
Parlement en a plusieurs fois aduerty vos Ministres, ils ont
protesté que ce n’estoit point de leur ordre, & que ces soupçons
estoient sans fondement, & toutesfois il en void maintenant
les effects, & a esté obligé d’en empescher les suites.

-- 29 --

Le parlement fut aduerty d’vn detestable assassinat commis
sur vn grand chemin par de Meaux iadis Officier au Semestre
contre vn Lieutenant de Draguignan qui reuenoit
d’executer à Montauroux vn de ses Arrests, on luy dit que
le coupable s’estoit rendu le plus fort dans ce lieu, que Monsieur
le Comte d’Alais y auoit enuoyé le sieur de Canaux &
Ville-neufue le Basque, & c’estoit vn crime qui ne pouuoit
pas estre souffert, le sang innocent demandoit vangeance à
Dieu & aux hommes, & le public vouloit estre reparé d’vn
si brutal attentat.

Il y fut procedé par la voye des Ordonnances, elles veulent
que l’on courre sus à main armee, à son de tocseing, que
les lieux circonuoisins donnent ayde à la Iustice, & que la
force luy demeure : On a mesme veu en pareilles rencontres,
lors que le crimes estoient graues, qu’il n’y auoit pas
seureté pour la Iustice, & que les coupables se defendoient,
que les compagnies Souueraines ont fait armer, qu’ils ont
trainé le canon, qu’ils ont batu & rasé les chasteaux où les
criminels s’estoient retirez : & non seulement les Gouuerneurs
leurs ont laissé faire, mais le plus souuent ils les ont
aydez comme l’Ordonnance les y oblige. Le Parlement
n’employa pas tout son pouuoir, il deputa quatre Commissaires
pour faire le procez sur le lieu iusques à l’Arrest : ordonna
qu’ils seroient accompagnez de soixante fuziliers
seulement : il est vray que plusieurs personnes de condition
les voulurent suiure, & que leur troupe augmentoit tous les
iours mais elle ne fut employee qu’à voir faire vne procedure
de Iustice : Les Commissaires n’allerent pas se saisir des
places, ny poser des Sieges, ils ne firent pas d’actes d’hostilité,
ny des exploits d’armes : ils exhortoient les Communautez
au seruice de vostre Maiesté, & à se maintenir en repos
sans diuision & sans partialité, qui est l’office d’vn Parlement,
& la vraye fonction de la Magistrature.

Monsieur le Comte d’Alais qui ne trouuoit point de pretexte
declarer la guerre sans offencer vostre Maiesté le print
sur ce procez criminel : on attendoit qu’il aydast la Iustice

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comme l’Ordonnance l’oblige ; au contraire ce crime passa
dans sa maison pour vn acte de generosité, & la procedure
du Parlement, de rebellion, qui est vn deguisement bien
estrange des actions & des pensees des hommes.

 

Il dit que c’est le suiet pour lequel il a fait entrer en mesme
temps le Regiment de Caualerie de Saint André Montbrun,
& celuy de Saint Aunez, qu’il a de toutes parts appellé
de gens de guerre, & qu’il ne pouuoit pas demeurer les
bras croisez pendant que le Parlement procedoit à ses informations.

Peut-on iamais ouyr parler d’vn plus leger pretexte de
guerre, & d’vne querelle plus mal fondee : s’il vouloit vne
explication de cette procedure ? il la falloit demander au
Parlement qui luy eust monstré qu’il faisoit sa charge auec
toute la retenuë qu’on pouuoit desirer : il falloit obseruer ses
toutes, & attendre qu’il entreprint sur son authorité. Mais
les Commissaires ont-ils forcé toutes les villes qui leur ont
ouuert les portes, & qui les ont receus auec applaudissemẽt,
quel suiet auoient-ils de commancer la guerre puis qu’ils
iouyssoient de leur authorité par la bonté de vostre Maiesté :
y a-il eu en la Prouince quelque ville ou quelque lieu qui ne
parle François, & qui ne soit dans vne parfaite obeyssance.
Ceux qui ont les armes en main peuuent abuser de leur pouuoir,
& la force n’est pas tousiours legitime : mais ceux qui
n’empruntent leur authorité que de vostre Maiesté, qui n’ont
autre pouuoir que celuy qu’ils reçoiuent, n’y d’autre deffence
que celle de la loy ne la peuuent iamais changer sans la
perdre.

Aussi Monsieur le Comte d’Alais ne preuoyoit pas cette
procedure deux ou trois mois auparauant, toutefois il faisoit
des leuées, & mettoit ses Garnisons. Il ne pouuoit pas sçauoir
si cet assassinat seroit commis, si ces Commissaires marcheroient
de cette façon : & neantmoins le mesme iour ses
trouppes ont paru dans la Prouince au rencontre de Commissaires
à dessein de les attaquer & de les mal-traiter. Ils
n’auoient pas mis des Garnisons à leur nom dans les villes où

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ils auoient passé, & Monsieur le Comte d’Alais fit saisir en
mesme temps Brignolle par le Cheualier de Vins, Sisteron
par Ramefort Gouuerneur de la citadelle. Il enuoya le sieur
de Vallauoire à Manosque, Flotte à Roqueuaire, & le sieur
du Pille à Berre, qui sont des entreprise de guerre ouuerte
que le Parlement au moyen de ce n’a pas commancée : ne s’estant
au contraire mis en defense que lors qu’il a veu toute la
Prouince rauagée par des trouppes estrangeres, & qu’il s’est
veu menassé d’vn Siege dans la ville capitale par le grand
amas de canons, & de gens de guerre que Monsieur le Comte
fait de toutes parts.

 

Et pour ce sujet Monsieur le Comte de Carces Lieutenant
general de Vostre Maiesté en cette Prouince, aduerty de ce
desordre excité contre la volonté de Vostre Maiesté, que
toutes les villes de la Prouince se mettoient en estat de deffense,
& consideroient Monsieur le Comte d’Alais comme
leur ennemy public, que les plus molles auoient souffert ce
Gouuerneurs, & les autres les auoient genereusement repoussez,
& protesté qu’elles se vouloient conseruer elles
mesmes au seruice de vostre Maiesté : Il fut prié par le Parlement
de ne souffrir pas que ces trouppes estrangeres composees
de Huguenots factieux, dont le nom est encore odieux
à cette Prouince, tinssent la campagne : on l’aduertit qu’ils
s’estoient saisis d’Espinouse, & qu’ils surprenoient ainsi des
places en leur marche : Que les Commissaires de la Cour n’estoient
pas asseurez en leur retraite s’il ne leur ouuroit le passage,
& que sa charge & generosité digne de sa naissance,
l’obligeoient à secourir la Iustice quand elle estoit opprimee,
& ce fut le sujet qui le fit mettre en campagne pour aller
ioindre les Commissaires à Barjoux, & faciliter leur retour.
Que ce Regiment logé au lieu du Val vouloit empescher
aussi depuis que les Commissaires ont esté dans Aix, ils
ont fait autre chose que se deffendre par des Arrests, & par
l’authorité que vostre Maiesté leur a confié, qui sont des armes
innocentes, & des combats de paix.

Au contraire Monsieur le Comte d’Alais excite toutes les

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Prouinces voisines à nous faire la guerre : Il fait piller la
Prouince par ses trouppes qui courent la campagne, & font
le degast lors qu’on ne veut pas leur donner leur subsistance.
Il menasse la ville d’Aix ouuertement de l’assieger, & la donner
au pillage. Il publie des Manifestes remplis d’opprobre
& d’iniure contre le Parlement pour esmouuoir le peuple
contre luy, & par ses Ordonnances des 17. & 20. Iuin. Il
dispose des deniers publics destinez à vostre Maiesté, veut
qu’ils soient en son pouuoir : & declare la ville d’Aix où
sont toutes les Compagnies de Iustice rebelle & criminelle
de leze-Maiesté.

 

C’est en cet endroit, SIRE, où le Parlement implore vostre
Iustice pour estre reparé de la plus sensible de toutes les
iniures, & de la plus fausse de toutes les calomnies, il proteste
auec respect & sousmission, qu’il ne despend que de
V. Maiesté, que tout ce peuple & vos Officiers sont prests de
mettre leur bien & leurs vies pour son seruice, que vostre
commandement est sa seule loy, & que c’est vne vsurpation
trop hardie sur vostre authorité, de faire des criminels, &
declarer des rebelles.

Mais Monsieur le Comte d’Alais n’a iamais pû comprendre
la difference qu’il y a entre l’image & la verité : il s’est
persuadé que la personne du Gouuerneur est la mesme que
celle du Souuerain, comme dit son Manifeste. Il s’y fait traiter
de personne sacrée : aussi on la veu dans le siege du Parlement
ouurant les Estats generaux de la Prouince, prendre
la place Royale qui n’est deuë qu’à vostre Maiesté. Il a fait
battre le tambour dans la ville d’Aix à sa Garnison, en presence
de son Semestre toutes les fois qu’il sortoit ou reuenoit
en sa maison, comme l’on fait au Palais Royal. Il a fait
rendre le mesme honneur à Madame sa femme, & à Madamoiselle
sa fille, & par cette flaterie qui excede la moderation,
& iusques à l’extremité de l’orgueil il a tellement corrompu
son esprit, que ceux qu’il veut appeller ses ennemis
il les appelle rebelles, & ce qui n’est pas mesmes vne iniure
particuliere il en fait vn crime de leze-Maiesté.

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Vostre Parlement ne peut iamais apprehender le fait de
la rebellion, mais aussi n’en peut-il pas souffrir le nom. C’est
encore, SIRE, cette Compagnie qui a est ê si solemnellemẽt
loüee par le Roy Henry IV. de tres-glorieuse memoire, vostre
ayeul, par cette belle Declaration du 10. May 1594. en
ces termes, Declarons estre tres satisfaits de nostre Cour de Parlement
de Prouence que nous declarons auoir esté le principal instrument
de la reduction de toutes les villes de nostre Royaume en nostre
obeyssance, ayant veritablement tesmoigné en cette rencontre vne entiere
recognoissance de nostre authorité, & monstré vne constance &
fidelité exemplaire à toute la France.

C’est la mesme Compagnie qui a contribué volontairement
de ses biens pour chasser l’Espagnol des isles de sainct
Honorat & saincte Marguerite, qui est vn exemple signalé
d’amour & de fidelité, qui merita les loüanges du feu Roy
vostre pere. C’est elle qui dans vostre minorité a tesmoigné
tant de veneration pour vostre sacré Nom, qu’il n’a point
fait de resistance à quitter son patrimoine, & depoüiller son
authorité quand V. Maiesté l’a voulu. C’est elle qui vient
tout maintenant de contribuer à l’entretien des armes d’Italie,
dont vostre Maiesté luy a fait l’honneur de luy tesmoigner
satisfaction. Et apres ces preuues de fidelité dans les
aduantages qu’elle a receu de la bonté de son Roy, estant
en l’exercice de sa charge, ayant en main l’authorité que vostre
Maiesté luy a donnee, pourroit-elle auoir vne pensee
contraire à sa fidelité, ny à son deuoir.

La Chambre des Comptes & Cour des Aydes qui a toûjours
si fidellement seruy Vostre Maiesté, & irreprochable
en son integrité, & en ses emplois, qui est regie par vn tres-digne
Chef, & composee de tres-habiles Magistrats, en
presence desquels le Parlement agit. Vos Thresoriers generaux
qui administrent vos Finances auec tant de pureté
& tant de zele à vostre seruice. Et vos Officiers du Siege general
qui exercẽt vostre Iustice subalterne auec tant d’honneur,
seroient-ils tous complices de cette imaginaire rebellion ?

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Monsieur le Comte de Carces vostre Lieutenant dont
vostre Maiesté vient de louër la conduite & recompenser la
fidelité, qui par l’obligation de sa charge est attaché si precisement
à son seruice, est il encore rebelle dans l’esprit de
Monsieur le Comte d’Alais ? Les Sieurs Procureurs du Pays
qui sont les veritables peres de la Patrie, en ont ils esté les
parricides ? Et le Sieur Baron de Bras, auquel vostre Maiesté
a commandé expressement de reprendre l’administration
des affaires publiques, qui par sa generosité & sa bonne
conduite, a souuent merité l’estime du feu Roy vostre Pere,
& les remerciemens de tous les gens de bien, a il esté destourné
de ses bons sentimens, & s’est precipité en cette rebellion ?
Toute cette bonne Noblesse qui ne peut consentir
aux desseins de Monsieur le Comte d’Alais, qui vit glorieusement
dans la pureté & l’honneur que sa naissance luy inspire,
sans dependre d’vn petit employ, sans se sousmettre
à l’interest, & sans impression de crainte seruile, a-elle aussi
participé dans ce crime ? Et enfin toutes le villes de la Prouince
qui ferment les portes à ses trouppes, qui leur reffusent
subsistance, qui chassent les Gouuerneurs qu’il veut
establir, qui reclament de la vexation qu’on leur fait souffrir,
adherent aux iustes desirs que le Parlement a tesmoigné
pour le repos de la Prouince, sont-elles toutes (à la reserue
de Tarascon & de Brignolle) preuenuës de la mesme
fureur ?

 

Toute la Prouince, SIRE, vous benit & vous adore, &
toute la Prouince est rebelle par les Ordonnances de Monsieur
le Comte d’Alais : Le Parlement a fait Arrest qui enioint
aux Procureurs du Païs de se pouruoir à sa Maisté pour
faire tenir vne Assemblee, la Chambre des Comptes &
Cour des Aydes a soin des impositions qui se leuent pour
vostre seruice, & de vostre patrimoine qui se dissippe dans la
diuision de la Prouince ; Et Monsieur le Comte d’Alais fait
publier en son Manifeste que l’on veut abolir les impositions
& les subsides qui seroient desia leuée, s’il eust tenu

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l’Assemblee comme il auoit promis, le Parlement chasse à
ses despens l’Espagnol de la Prouince, & par vne ridicule
imposture on dit au peuple qu’il a intelligence auec l’Espagnol,
que Monsieur le Comte d’Alais en a eu de bons aduis,
& on auoit escrit à vostre Maiesté qu’il faisoit porter le ruban
rouge pour marque de sa ligue & pour excuser celle du
ruban bleu, qui est vne calomnie dont tout le peuple exclame.
Le Parlement a souffert vne infinité de citations pour
garantir le peuple des Edicts qui luy sembloient pernicieux.
Il a sauué la Prouince de l’Eslection, & du cinq pour
cent, qui eust esté sa ruine. Il a esté blasmè par Monsieur le
Comte d’Alais de n’auoir iamais voulu passer aucun Edict si
par les iussions reïterees, & par des citations frequentes il
n’y estoit contraint, & pour le rendre odieux au peuple luy
mesme qui a fait passer tous les contracts de vente des Offices
dudit Semestre dans sa maison, fait compter sur sa table
le prix d’iceux ; qui a fait leuer par le mesme Semestre les
modifications de l’Edict du siege de Tholon pour estre payé
de ce qu’il en deuoit auoir : qui estoit interessé en la creation
de la Chambre des Requestes, l’accuse iniustement d’auoir
participé aux Edicts ausquels la necessité des affaires de
vostre Maiesté le contraint de ceder.

 

On ne dit pas cela, SIRE, à vostre Maiesté pour offencer
Monsieur le Comte d’Alais, sa naissance le met au dessus des
iniures, & le respect que le Parlement a pour Monsieur le
Prince, & Monsieur le Duc d’Angoulesme qui ont tesmoigné
de n’adherer pas à tous ces desseins, ne luy permettent
que ce que est necessaire pour sa iustification & la deffence.
Mais puis qu’il demãde dans son Manifeste où sont les exemples
de violãce qu’õ luy peut reprocher, il est bien iuste qu’õ
luy monstre les Communautez qu’il a opprimez, le peuple
qu’il a foulé, le Parlement qu’il a persecuté, les gens de bien
qu’il a fait emprisonner depuis peu à Tarascon & à Sisteron
sans formalité, les Consuls qu’il a destituez auec infamie de
leur charge sans sujet, les Bourgeois qu’il a exilez de leurs

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maisons sans aucun crime, qui sont les derniers effets de la
violence & de la cruauté.

 

Puis qu’il veut qu’on luy monstre le sang qu’il a respandu,
il luy faut faire ouyr la voix de tant de vefues & d’orphelins
qui demandent leurs peres & leurs marys à tous les gens
de guerre qu’il a toleré dans la Prouince. Il luy faut produire
en tesmoin les Procureurs du pays qui n’ont peu estre
escoutez de luy lors qu’ils se plaignoient des meurtres &
des insolences que ces soldats auoient commis : Il faut euoquer
l’ame du Cadet de Bonnet qui fut tué à Marseille en sa
presence, & par son commandement, & le nommé plein
mis en Galere de son authorité.

Il luy faut opposer cette guerre iniuste qu’il entreprend,
qui est vne multitude innombrable des meurtres qu’il conçoit
dans son cœur, & vn rauage violant qui enueloppe l’innocent
auec le coulpable. S’il ne cognoit pas les outrages,
d’où vient qu’il n’a iamais fait vn Estat Consulaire qu’il
n’aye blasmé la Communauté de faction & de monopole
contre vostre seruice ? Lors quelle n’a pas fait choix des
Gens de sa faction, qu’il n’a fait donner aucun Arrest au
Conseil en faueur de la Chambre des Requestes, ou pour
le Semestre, qui n’aye deshonoré le Parlement, & cette rebellion
dont il accuse la ville d’Aix, les Officiers & toute la
Prouince, est-ce vn mouuement de charité chrestienne ?

Enfin pourquoy ce Manifeste examine il Monsieur le
Comte d’Alais sur l’interest, puis que l’on void que depuis
vnze années qu’il est Gouuerneur de cette Prouince, vostre
Maiesté n’en recite pas d’auantage qu’auparauant, & la Prouince
paye le triple de ce qu’elle auoit accoustumé. Les
passeports qu’il a si souuent accordez à tant de personnes
qu’il a par ce salle trafic attirez à son party, de sortir des
bleds hors de vostre Royaume contre les deffences portees
par vos Declarations, ne luy ont-ils pas acquis de sommes
immẽses à la foule de vos suiets qui en ont souffert des miseres
extremes par les chertez extraordinaires des bleds, &

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dont ils ressentent encores auiourd’huy les pitoyables effects.
La cassation de ce Regiment luy seroit-elle si sensible,
si la moitié de ses Compagnies n’estoient destinées
pour garder ses coffres ? Ces reuenans-bon qui ont disparu,
sont-ils tombez dans l’abysme ? Toutes les autres Economies
de sa maison sont-elles sans interests ? Et tant de charges
d’argent que le peuple a si souuent veu transporter hors
la Prouince, estoient-ce les gratifications volontaires qu’il
dit auoir refusees ?

 

Au contraire, SIRE, c’estoient plustost les despoüilles
de vostre peuple, le sang de la vefue & de l’orphelin, la sueur
& la substance du pauure, lequel on interpelle de venir au
conspect de vostre Maiesté rendre ce tesmoignage à la verité,
en quelles mains il reconnoist le bien qui luy a esté enleué,
si c’est en celles de son Gouuerneur, ou en celles de ses
Iuges ? Il declare hautement auec tout le Royaume qu’il ne
les a iamais veu salir dans les partys qu’on leur veut faussement
imputer, que les traitans & les faiseurs d’affaires apprehendent
leur Tribunal comme vn escueil où toutes les
iniustes negotiations ont eschoüé : qu’il a tousiours protegé
les interests du peuple autant que son obeyssance l’a permis,
& que les Corps de garde n’ont esté posez en la maison
des Partisans, que par l’ordre de Monsieur le Comte d’Alais
qui leur a tousiours donné protection : Il leur aduoüe que
c’est vn parlement qui ne connoist ny la corruption ny l’interest,
que l’honneur & la generosité sont ses principales
Loix : que toute la France admire encore sa fingalité en la
moderation de ses salaires : que la necessité & la lascheté
qui sont les deux plus mauuaises Conseilleres des Iuges
n’ont aucune intrigue auec eux : Il est bien informé que la
pluspart d’eux sont d’vne naissance releuee & des plus illustres
familles de la Prouince, & il n’y en a presque point qui
n’aye par vne suite honorable de trois ou quatre generations
confirmé l’honneur & la Magistrature dans sa famille, &
n’aye trouué en son patrimoine les terres & les biens qu’on

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regarde auec enuie : Il sçait que les crimes n’ont iamais
trouué support ny faueur aupres d’eux ; Il trouue estrange
qu’on l’accuse de conniuence au duel fait entre le bastard de
Montolieu, & Besson, puis qu’il fit à l’instant Arrest du dix-septiesme
Mars dernier, l’execution duquel fut empeschee
à Marseille par Monsieur le Comte d’Alais, pour mettre à
couuert les biens dudit feu Besson l’vn des chefs de sa faction ;
Qu’on appelle rauissement vn mariage bien composé,
fait auec le consentement de tous les parents, & que pour
commencer vne guerre iniuste, on parle d’vn assassinat horrible
comme d’vn genereux combat. C’est la voix du peuple,
SIRE, qui le dit, c’est cette voix veritable & sans artifice
qui vous a demandé instamment le retour de ses Iuges,
qui a fait effort pour les tirer de l’oppression, & qui est appellée
rebelle par Monsieur le Comte d’Alais, parce qu’elle
luy est contraire.

 

Enfin cette rebellion est vne vengeance premeditée de
Monsieur le Comte d’Alais, il la pardonne librement si son
Regiment est remis, si les euocations sont accordées ; si la
liberté des eslections Consulaires est estouffée, & l’attache
des Procureurs du pays supprimée. Si c’est vne rebellion,
SIRE, de n’accorder pas des demandes si iniustes : de confier
en vos Declarations, & ne dispenser pas des loix & de
la Iurisdiction publique, ceux que vostre Maisté leur a sousmis ;
quelles sont les defences qu’on peust auoir en Iustice, &
les raisons qu’on peust opposer aux Grands.

Mais comme le peuple, SIRE, connoist que le Parlement
souffre cette guerre, s’espuise pour luy donner la paix : que
ce n’est plus l’interest du Semestre condamné à vne mort
eternelle qui le fait agir, mais celuy de ses Concitoyens &
le repos de la Prouince qui ne peut souffrir les diuisions &
les vengeances, que ce Regiment & ces euocations y ont
produict, comme le pays accablé de ses charges ne peut supporter
cette rançon qu’on luy demande iniustement : Il
espere aussi de vostre Majesté qu’elle ne permettra pas

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que Monsieur le Comte d’Alais tourne les armes contre le
peuple qu’il doit defendre, qu’elle mettra la derniere main
aux maux de cette Prouince, & si elle ne peut changer son
cœur & sa volonté, elle changera ses emplois. Ce sont,
SIRE, les vœux & les prieres solemnelles de cette Prouince ;
ce sont les supplications tres-humbles des Officiers de
vostre Parlement, qui pour estre traittez en rebelles par
Monsieur le Comte d’Alais, Ne sont pas moins, qu’ils ont
tousiours esté,

 

SIRE,

De vostre Majesté,

Les tres-humbles, tres-obeïssans & tres-fidelles
Sujets & Seruiteurs les Gens tenant la Cour
de Parlement de Prouence.

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Anonyme [1649], TRES-HVMBLE REMONSTRANCE DV PARLEMENT DE PROVENCE. AV ROY, SVR LE GOVVERNEMENT de Monsieur le Comte d’Alais. , françaisRéférence RIM : M0_3816. Cote locale : A_8_10.