Anonyme [1649], SVITTE DE LA REVELATION OV LE SECOND ORACLE RENDV PAR LE IEVSNEVR DV PARVIS DE NOSTRE-DAME, SVR LA CONCLVSION DE LA PAIX le iour de la feste aux jambons. , françaisRéférence RIM : M0_3541. Cote locale : C_8_63.
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SVITTE
DE LA REVELATION
OV
LE SECOND ORACLE
RENDV PAR LE
IEVSNEVR
DV PARVIS
DE NOSTRE-DAME,
SVR LA CONCLVSION DE LA PAIX
le iour de la feste aux jambons.

A PARIS,

M. DC. XLIX.

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L’ORACLE RENDV PAR
le Ieusneur de Nostre-Dame, sur la
conclusion de la Paix, le iour de la
feste aux jambons.

 


Par vne coustume ancienne,
Le Ieudy de cette semaine,
Que l’on surnomme l’Absolu,
Ou pour mieux parler le goulu,
Dans ce Paruis où l’on contemple
La face d’vn superbe Temple,
Iambons croissent de tous costez,
Ainsi que s’ils estoient plantez :
Icy le Bourgeois hors de peine,
Voyant finir la Quarantaine,
S’en vient auec ses deux testons
Choisir parmy tant de jambons
Quelque large & puissante fesse,
Qui puisse au retour de la Messe
De Pasques en beuuant comme vn tron
A Caresme rompre le cou.

 

 


Là poussé de la mesme enuie,
Vne Marchande me conuie
De venir achepter du sien,
Pourueu que ie le paye bien :
Elle auoit planté sa boutique
Au pied d’vne figure antique,
Qui sert de bornes dans ce lieu.
Tout vis à vis de l’Hostel-Dieu.
Là cependant qu’elle me prise
La bonté de sa marchandise,
I’entends tousser à plusieurs fois,

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Puis enfin éleuer la voix
De cette plaisante statuë,
Dequoy toute la trouppe émuë,
S’assemble au tour en vn monceau
A ce prodige tout nouueau ;
Lors que par vn autre miracle
Elle prononce cét oracle.
Apres auoir trois fois craché,
Et meuty deux fois & mouché.

 

 


Peuple deuot à la cuisine,
Plus qu’à l’Eglise ma voisine,
Que non la Messe & les Sermons,
Mais l’odeur des frians iambons,
Idoles de la populace,
Attire en foule en cette place :
Oyez la voix d’vn sermonneur,
Vulgairement nommé Ieusneur,
Pour s’estre veu selon l’histoire
Mil ans sans manger & sans boire,
Et sans chier par consequent ;
Mais qu’vn peuple plus eloquent
Mal-gré la rongeure & la sappe,
Appelle tousiours Esculape ;
Iadis des peuples adoré,
Maintenant par eux atterré,
Et mis sans lampe & sans chandelle,
Comme vne borne en sentinelle ;
Le nez & le menton rongé,
Et de tout le peuple outragé.

 

 


I’ay long-temps gardé le silence ;
Mais voyant les maux de la France,
Et qu’auiourd’huy les Artisans,
Les Marchands & les paysans,
Et les Procureurs sans pratique,
Commentent sur la politique ;
I’ay creu que selon mon mestier,

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Ie deuois y remedier.
Moy qui naquis en conscience
D’Appollou Dieu de la science ;
Et qui fus par mon geniteur
Sur Parnasse passé Docteur ;
Qui courant l’vn & l’autre Pole,
Gueris Iuppin de la verole,
Et Mars d’vn chancre enraciné
Que Venus luy auoit donné :
Que pour obeyr à mon pere
Gueris sa sœur du mal de mere ;
Enfin moy qui depuis milans
Que i’ay maintenant sur les dens,
Et que i’ay fait apprentissage,
Ay deu pour le moins estre sage ;
N’en parleray-ie pas plustost
Que mon voisin le Sabrenaut,
Qui ressemelant vne botte,
Dit tout haut sifflant sa linotte,
Que s’il estoit fait General,
Comme on l’a crée Corporal,
Qu’il donneroit en asseurance
Dans huit iours la paix à la France,
Et forceroit ses enuieux
A se manger le blanc des yeux.

 

 


Bien que ie ne sois que de pierre,
I’ay pourtant veu faire la guerre ;
I’ay veu les peuples mutinez,
Faire aux soldats vn pied de nez ;
I’ay veu iadis toute l’intrigue,
Et les interests de la Ligue ;
Depuis enterrer à mes pieds
Les Hardos pis qu’estropiez,
Par les pierres & mousquetades
Des anciennes Barricades :
I’ay veu les Bourgeois dans Paris

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Pris par les dens comme souris ;
Mais sans chercher dedans l’Histoire,
I’ay veu tout de fraische memoire
Certain sortant du Te Deum
Conduit dans le Capharneum,
Ce qui mit le peuple en boutades,
Qui pour faire les Barricades
Me fit, auec quatre ou cinq muids,
Seruir de Baricade au Paruis.
Depuis dans la guerre ciuile,
I’ay veu le blocus de la Ville,
Qui fit voir de maint bon disneur
Dedans ce lieu plus d’vn ieusneur,
Courant d’vn piteuse mine
A l’Hospital nostre voisine,
Ie veux dire dans l’Hostel-Dieu :
Enfin sans bouger de ce lieu
I’ay conneu toute la souffrance,
Et le mal de la pauure France ;
C’est ce qui m’a fait recourir
Aux remedes pour l’acquerir.

 

 


I’ay donc consulté ma science,
Mon Art & mon experience,
Enfin tout ce qui en depent,
Iusqu’à mon cocq & mon serpent :
Dans cette cure si hardie,
I’ay conneu que sa maladie
Procedoit d’inanition ;
Qu’vn excez de purgation,
Ioint au deffaut de nourriture
Luy a corrompu sa nature ;
Que son foye trop alteré,
Par le sang qu’on luy a tiré,
Force sa chaleur naturelle
D’employer sa force contr’elle,
Et faute d’vn bon aliment

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La va destruire entierement.

 

 


Comme vn remede salutaire
Doit estre à son mal tout contraire,
Nous auons enfin arresté,
Vn regime pour sa santé.

 

 


Dans l’estat où elle est reduite,
Elle doit quitter la conduitte
De ses violens Medecins,
Qui causent ses maux intestins,
Et suiure l’auis que luy donne,
Pour la santé de sa personne,
Le Medecin sage & sçauant
Qui la traitte dorasnauant :
Et puis que le mal l’a pressée
Pour auoir esté trop vexée ;
Elle doit quiter à present.
Tout trauail rude & violent ;
Et calmant cette rude guerre
Que dans ses flancs elle resserre,
Donner maintenant à son corps
La paix & dedans & dehors ;
Quitter tous ses suppositoires,
Medecines & vomitoires,
Et remedes trop purgatifs ;
Et par lauemens lenitifs
Se rendre doucement purgée,
Des humeurs dont elle est chargée ;
Et puis par vn bon aliment,
Reparer son temperamment,
Changé par la notable perte
De tant de sang qu’elle a soufferte.

 

 


Ainsi donc braues compagnons
Fournissez vous de ces jambons,
Et que chacun de vous s’appreste
De bien trinquer apres la feste,
A la santé du Parlement,

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Qui dedans ce mesme moment
A conclu pour chose asseurée
La Paix de vous tant desirée :
A ces mots l’idole cessa
De discourir, & nous laissa
Par cette auenture nouuelle
Encore plus immobile qu’elle :
Si bien qu’alors on eust iugé
Que le Ieusneur estoit changé
En vne figure viuante,
Et que cette trouppe presente
S’estoit muée en ce moment
En Idoles sans mouuement.
Enfin l’on sort de cette extaze,
Chacun en rit chacun en jaze ;
Marchands rappellent leurs chalans,
Chalans retournent aux marchands,
Et sçachant que la paix est faite,
Chacun fait viste son emplette,
Pour s’en retourner tout ioyeux
Publier la paix en tous lieux.

 

FIN.

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