Anonyme [1652], HISTOIRE DE MAGDELAINE BAVENT, Religieuse du Monastere de Saint Loüis de Louviers. Avec sa Confession generale & testamentaire, où elle declare les abominations, impietez, & sacrileges qu’elle a pratiqué & veu pratiquer, tant dans ledit Monastere, qu’au Sabat, & les personnes qu’elle y a remarquées. Ensemble l’Arrest donné contre Mathurin Picard, Thomas Boullé & ladite Bavent, tous conuaincus du crime de magie. DEDIÉE A MADAME LA DVCHESSE d’Orleans. , françaisRéférence RIM : M0_1640. Cote locale : B_5_56.
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HISTOIRE
DE
MAGDELAINE
BAVENT,
Religieuse du Monastere de Saint
Loüis de Louviers.

Avec sa Confession generale & testamentaire,
où elle declare les abominations, impietez,
& sacrileges qu’elle a pratiqué & veu pratiquer,
tant dans ledit Monastere, qu’au Sabat,
& les personnes qu’elle y a remarquées.

Ensemble l’Arrest donné contre Mathurin Picard, Thomas Boullé
& ladite Bavent, tous conuaincus du crime de magie.

DEDIÉE A MADAME LA DVCHESSE
d’Orleans.

A PARIS,
Chez IACQVES LE GENTIL, ruë d’Escosse, à
Penseigne Saint Ierôme, prés Saint Hilaire.

M. DC. LII.

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A
MADAME
LA DVCHESSE
D’ORLEANS

MADAME,

Ayant appris que Vôtre Altesse Royale n’a pas dedaigné de
lire vn petit imprimé portant le tiltre d’Avis, pour détruire l’auteur
de nos troubles, & découvrir les moyens dont il s’est servi
pour monter & se maintenir dans cette prodigieuse fortune, où
nous le voyons ; I’ay creu qu’elle n’auroit pas desagreable que je
luy presentasse ce petit Discours, qui est vne suite, & comme l’effet
de ce que le premier promettoit au public. I’avouë, MADAME,
que V. A. R. y lira plusieurs choses étranges, & qui peut-estre
blesseront la pureté de ses oreilles, & cette pieté que tout le monde
admire en elle, & que persõne ne peut imiter. Mais, MADAME,
comme je vous l’offre dans le mesme sentiment qu’étoit celle qui
la publié la premiere, c’est à dire d’vne fille repentante, qui à l’imitation
du grand S. Augustin, fait vne Confession publique des
desordres de sa vie, pour inciter les autres à les abhorrer, & suivre
la vertu. I’espere que vous excuserez la hardiesse que prend
celuy qui tient à gloire de porter la qualité,

MADAME do V. A. R.

Le tres-humble, tres-obeïssant & fidele
serviteur, LE GENTIL.

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AV LECTEVR.

LES choses prodigieuses dont cette Histoire est
remplie, me persuadant aisément que plusieurs
douteront de sa fidelité, j’ay creu, cher Lecteur,
te devoir donner avis d’où j’en tiens la copie,
afin de lever le soupçon que tu pourrois avoir, que ce
soit quelque conte fait à plaisir ; Elle m’a esté donnée par
vn homme de merite & de probité ; lequel pendant que
l’on exorcisoit les Religieuses de Louviers, eut la curiosité
de s’y transporter, pour estre le témoin occulaire de
tout ce qui s’y passoit, & le rediger par écrit. Depuis ce
temps ayant plusieurs fois visité Magdelaine Bavent,
prisonniere dans la Conciergerie du Palais de Roüen, où
elle est encore à present ; & Payant interrogée sur les particularitez
de sa vie passée, elle luy dit, que par le conseil,
& Paide du R. P. des Marets, Pere de l’Oratoire, &
Sous-penitencier de Roüen, son Confesseur, elle l’avoit
mise par écrit, en forme de Confession publique, generale
& testamentaire ; laquelle Confession il obtint du
mesme Pere des Marets, écrite de sa propre main, & conceuë
en mesmes termes que je te la donne. Ie te diray de
plus, que la qualité de la personne à qui je la dédie, par
l’ordre exprés de celuy dont je la tiens, est assez suffisante
pour te convaincre qu’elle ne contient rien qui ne soit
veritable. Au reste, je te supplie que quand tu liras les
abominations qui se treuvent dedans, tu loües Dieu de
sa bonté & de sa patience à souffrir les iniquitez des hommes,
& detester les ruses & les artifices dont le Diable se
sert pour les attirer dans le precipice. Adieu.

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RECIT DE L’HISTOIRE DE SOEVR MAGDELAINE
Bauent Religieuse du Monastere de Saint Louïs de Louviers,
atteinte & conuaincuë du crime de Magie, & ce qu’elle a dit au
Parlement de Roüen touchant les abominations qu’elle a veu
pratiquer au Sabat & ailleurs : Auec sa Confession generale &
testamentaire qu’elle a faite dans la prison.

PREFACE.

Au Nom de Iesus-Christ nôtre Seigneur, qui soit à jamais loüé
& glorifié.

IE pense que ce n’a point esté sans vne conduite speciale
de Dieu, dont les raisons me sont pourtant inconnuës,
que mon Iugement a esté differé, outre que j’avois besoin
de faire vne plus longue penitence des fautes de ma vie
passée : Peut-estre que ce delay servira à donner davantage connoissance
de tout le faict de la Maison de Louviers, dont il est tres-important
pour l’honneur de Iesus-Christ, de l’Eglise & de la
Cour, de rechercher la veritable source. Mon Confesseur, qui est
vn Prestre de l’Oratoire, que Monsieur le Penitencier de Roüen
de la mesme Congregation m’a baillé, croit que je suis obligée en
conscience d’y cooperer de ma part, & trouve à propos pour ce
sujet que je fasse moy-mesme vn bref narré de ma malheureuse
histoire, en forme de Confession derniere & testamentaire. Ie
n’ay eu aucune repugnance à suivre son avis, encore que je n’ignore
pas la confusion qui m’en arrivera devant les hommes ; & je
l’ay seulement prié de m’y assister, puis qu’il avoit oüy par deux
sois ma confession generale, & qu’il estoit encore saisi de mon interrogatoire,
sur lequel il m’avoit examinée. Sa charité, qui a
esté toûjours grande vers moy, l’y a fait consentir, & nous prismes
resolution d’y travailler tous deux. Il s’est donné la peine de
m’interroger de nouveau durant quelques jours ; & parce que
j’écris avec difficulté fort mal, & tres-lentement, il s’est encore
rendu à la priere que je luy ay faite de l’escrire selon mes responses
afin de me soulager, & de ne point diminuer le temps que je
dois donner à mes petits exercices de pieté & de penitence. C’est
ce que je presente à la Cour dans ce papier, où j’ay separé le vray

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d’avec le faux, pour servir à ce qu’il plaira à Dieu ; en la presence
duquel je proteste n’avoir autre chose à dire. Si je tasche de l’accompagner
de quelques sentimens de douleur & d’humiliation
que Iesus-Christ me donne, je ne fais que mon devoir, & je le
prie de m’en donner davantage. Mais je suis tres-asseurée que
j’y parle le plus sincerement & fidelement qu’il m’est possible ; &
comme j’ay parlé lors que j’ay fait ma derniere confession, pour
me preparer au supplice. Aussi ne m’est-il point arrivé d’ouvrir
la bouche pout declarer ce qui est icy rapporté, que je n’aye invoqué
à deux genoux auparavant le saint Esprit, qui est l’Eprit de
Verité, par les intercessions de la tres-sacrée Vierge, de sainte Madelaine,
& de mon bien-heureux Pere saint François. Ie supplie
tous ceux qui le verront de demander misericorde à Dieu au
Nom de son Fils pour moy sur les fautes qui y sont découvertes,
& perseverans jusques à la fin dans les bonnes dispositions ausquelles
on essaye de m’establir, qui y sont representées.

 

CHAPITRE PREMIER.

Dans la presente année 1647. en la quelle je fais cét abbregé
de l’histoire de ma vie criminelle, je crois avoir prés de 40.
ans, bien que je ne sçache pas precisément l’année de ma naissance.
Mes pere & mere ont esté Me Guillaume Bavent & Ieanne
Planterose de cette ville de Roüen. Dieu me les retira dés mon bas
âge, & je n’avois, ce me semble, que neuf ans lors qu’il les appella
de ce monde. Sa Providence n’a point voulu qu’ils ayent eu leur
part des déplaisirs que je donne à tous mes parens, qui craignent.
Dieu, & qui ressentent les offenses que j’ay commises contre sa
Majesté. Mon oncle Sadoc me prist chez luy apres leur deceds.
Ie n’y restay pourtant que jusques à l’âge de douze ou treize ans,
qu’on me mist chez dame Anne Lingere, pour apprendre la coûture.
Les Religieuses de Louviers m’accusent durant les trois
ans de mon sejour en la maison de dame Anne, d’avoir esté dés le
commencement de la seconde année débauchée par Bontemps
Cordelier, menée tres-souvent au Sabat avec d’autres filles ;
mariée au Diable Dagon sous la forme d’vn jeune homme ; &
rapportent quantité d’autres choses. Ie n’en ay aucune connoissance ;
& en verité certain article que j’ay avoüé à la Cour là dessus,
n’estoit qu’vn reste d’impression que j’avois de leurs discours ;

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& je creus le devoir declarer, craignant qu’il n’en fust quelque
chose ; parce qu’on m’a toûjours portée icy à respondre naïvement
à mes Iuges : Mais j’ay eu le temps du depuis de m’en éclaircir
mieux par diverses voyes. Premierement j’en ay parlé à vn
bon Pere Feüillant, qui me dirigeoit alors pour la conscience,
comme ayant en l’esprit que je m’en estois accusée à luy, & qu’il
m’avoit aidée à me retirer tout à fait d’vne telle hantise. Il m’a
asseurée, qu’il n’en estoit rien du tout, & qu’il sçavoit tres-bien
qu’au contraire Dieu me donnoit de tres-bons sentimens de pieté
dés cét âge ; que je le servois de grand cœur, & que j’avois déja de
grands desirs de la vie Religieuse. De plus, quand le Pere qui entendist
ma Confession generale apres mon interrogatoire, me demanda
comme estoit fait Bontemps ; de quel âge, de quelle hauteur,
de quel poil, de quelle couleur, je ne luy sceus que dire. Ce
fut ce qui m’ouvrist les yeux, parce qu’il me representa que c’estoit
vne chose impossible de hanter vn homme quinze ou seize
mois (selon le rapport des filles) & de ne le pas bien connoistre :
Mais sur tout lors que lisant les accusations des filles, il vinst à
m’enquerir de celuy qui avoit eu le premier ma compagnie, dautant
qu’il ne devoit pas estre fort mal-aisé de s’en souvenir, je me
trouvay encore plus surprise. Ie suis tres-certaine que ç’a esté
Picard en vne occasion que je déduiray ailleurs, pour ne point
confondre les choses, & observer quelque ordre. Cependant elles
nomment Bontemps, & disent de luy & de moy, là dessus en vn
âge assez tendre, d’horribles histoires. Il n’en est rien du tout, & si
le Demon parle par leurs bouches, comme elles pretendent, il se
fait toûjours voir menteur, & pere du mensonge.

 

La Cour peut aisément découvrir ce qui en est, sans s’en fier à
moy ; car la pluspart des voisins de dame Anne sont encore vivans ;
comme aussi quelques-vnes de mes compagnes, mesmes de celles
qui sont blâmées & calomniées avec moy par le recit des filles. Il
me semble que ce poinct n’est pas de legere consequence, & qu’il
merite bien vne information diligente. On doit avoir égard, que
ç’a esté vne de leurs intentions à Louviers de me décrier par cette
voye, afin de me faire passer dans la creance des esprits facilement
credules pour vne fille qui est venuë en leur Monastere déja Sorciere
ou Magicienne, & qui leur a causé le mal qu’elles ont. Dieu
le sçait, & fera sçavoir quand il lui plaira ce qui en est. Elles n’ont

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pas pourtant bien pris leurs mesures. Quoy que je laissasses supposer
que je fusses pervertie de la sorte dés mon entrée, il ne s’ensuit
pas que je leur aye causé le mal. Ie les prie de se souvenir de
Charlotte Pigeon, qui entra chez elles il y a 28. ans, & en sortit à
cause que les Diables la tourmentoient & l’empeschoient de se
confesser & communier, disant elle mesme qu’il luy estoit impossible
d’y faire son salut. C’est d’elle que je l’ay appris, non cette
premiere fois ; car je n’estois pas encore Religieuse : Mais la seconde
fois qu’elle y voulust rentrer il y a 21. an, & n’y demeura
que huict jours, ressortant pour le mesme sujet. Le mal estoit
donc en leur Monastere avant que j’y vinsses, & il ne m’en faut
pas faire autheure. Mais je le dis devant Dieu, & je prend à tesmoin
celui qui doit estre mon principal Iuge, que je n’estois point
gastée lors que je leur ay demandé d’estre receuë. Seigneur Iesus
je souhaiterois de bon cœur d’estre dans le mesme estat auquel
j’y suis entrée.

 

CHAPITRE II.

IE laisse tout le discours fabuleux sur le sujet de Bontemps,
pour raconter cõme je suis venuë au Monastere de Louviers.
Dieu me donnoit des pensées presque continuelles de la Religion
dés mon jeune âge ; & ayant quelque devotion particuliere pour
S. François, que j’ay toûjours aimé, j’appris qu’il se commençoit
vn establissement de filles de son Ordre en la susdite ville. Ce fut
là que je desiray d’estre placée ; & mes parents firent si bien que
j’y fus receuë. I’y entray dans ma seiziéme année, non encores
achevée ; & je jure sur mon ame, que ma seule intention estoit de
servir Iesus-Christ, & d’estre vne bonne Religieuse ; bien que les
filles alleguent, que tout mon dessein estoit de perdre leur Maison :
mais mon malheur fust d’y rencontrer David pour Confesseur &
Directeur des consciences.

On me tint six ou sept mois en habit seculier dans la closture,
apres lesquels je fus vestuë de celuy de la Religion, pour commencer
mon Noviciat, & je le portay bien prés d’vn an. David
qui nous conduisoit toutes, estoit vn horrible Prestre, & tout à
fait indigne d’vn estat si saint & si divin. Il nous lisoit le Livre de
la volonté de Dieu, composé par vn Religieux Capucin, qui servoit
quasi de seule & vnique regle en ce temps là dans la Maison :
Mais il l’expliquoit d’vne façon estrange, approuvée neantmoins,

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& suivie par les Meres, qui nous gouvernoient. Ce mauvais homme
& dangereux Prestre, sous pretexte d’introduire la parfaite
obeïssance, qui doit aller jusques aux choses plus difficiles & repugnantes
à la Nature, introduisoit des pratiques abominables, par
lesquelles Dieu a esté extraordinairement deshonoré & offensé.
Oseray-je seulement les nommer ? Il disoit, qu’il falloit faire
mourir le peché par le peché, pour rentrer en innocence, & ressembler
à nos premiers parents, qui estoient sans aucune honte
de leur nudité devant leur premiere coulpe. Et sous ce langage
de pieté apparente que ne faisoit-il point commettre d’ordures &
de saletez ? Les Religieuses passoient pour les plus saintes, parfaites
& vertueuses, qui se dépoüilloient toutes nuës, & dansoient
en cét estat ; y paroissoient au Chœur, & alloient au Iardin.
Ce n’est pas tout : On nous accoûtumoit à nous toucher les vnes
les autres impudiquement ; & ce que je n’ose dire, à commettre
les plus horribles & infames pechez contre la Nature, que mon
Consesseur m’a dit avoir esté remarquez par S. Paul en son Epître
aux Romains, pour avoir esté les plus excessifs desordres sous
le regne du Prince de l’Enfer parmy les Payens. I’y ay veu mesme
abuser de l’Image du Crucifié. O horreur ! j’y ay veu exercer
la Circoncision sur vne figure, ce me semble de paste, que quelques-vnes
prirent apres pour en faire ce qu’elles voulurent I’y ay
veu en outre prophaner le tres-saint Sacrement de l’Autel, qui
estoit à la disposition des Religieuses, parce que le Tabernacle
avoit vne ouverture aussi bien de leur costé que de celuy de l’Eglise,
& on me l’a voulu vne fois faire vser, apres l’avoir mis quelques
jours dans le fumier : ce que je refusay de faire. O abomination
de desolation dans le lieu saint, & au regard du Saint des
Saints ! En quelle penitence doit-on entrer, pour obtenir le pardon
de tant & de si horribles crimes ? Mettez nous y vous mesme,
bon Iesus, & nous daignez faire misericorde.

 

David
fait danser
les
Religieuses
toutes
nuës
dans
l’Eglise
& ailleurs,

A dire vray, j’avois d’etranges contrarietez pour les exercices
infames qui se pratiquoient, & je ne voulois pas toûjours faire
ce qu’on desiroit de moy. Mais aussi je passois alors pour vne fille
desobeïssante, opiniastre, rebelle, orgueilleuse, attachée à mon
sens. Plust à Dieu que je l’eusse esté davantage, il en seroit mieux
à mon ame, & je n’aurois pas cõmis vn si grand nombre d’offenses.
Sur tout je resistay beaucoup à communier vne fois dépoüillée

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toute nuë jusques à la ceinture. Il fallust pourtant le faire : & comme
je pensois me couvrir au moins de la nape de la Communion
à la petite grille, Pierre David (principal autheur de toute cette
action, & qui l’avoit ordonnée aux Meres pour moy) me la fit
oster : Et de plus comme je vins à me couvrir de mes mains, qui
me restoient libres, me commanda de les joindre. Voila vne effroyable
procedure, & de la quelle je ne me peus contenir de me
plaindre à celles qui m’y avoient forcée. Ie croyois que ce fust la
principale cause de ma sortie, laquelle ne m’apporta pas de tristesse,
mais plutost de la joye, à raison de l’esperance que j’avois de
me bien confesser. Ce n’estoit pas chose qui nous fust permise
dans la Maison, & durant les vingt mois du sejour que j’y fis, il ne
m’estoit point arrivé d’y faire vne bonne & entiere accusation de
mes fautes. David ne vouloit point qu’on s’accusast des vilenies
introduites, nous disant, qu’il n’y avoit aucune offense : & j’avois
beau demander vn Prestre à la Maistresse des Novices, qui avoit
son mesme langage, & estoit des plus sçavante en cette escole. Ie
laisse à penser si ma conscience me bourreloit sans cesse, y ressentant
de continuels reproches. Et toutesfois, ô aveuglement effroyable
que meritoient mes fautes ! je ne cherchay pas assez diligemment
le remede apres ma sortie ; & c’est dequoy en particulier
je me sens tres coupable.

 

CHAPITRE III.

SI j’avois plus de hardiesse que je n’en ay, je blâmerois ma devotion
pour l’Ordre de S. François : Au moins crois-je qu’elle
estoit indiscrete, excessive & superstitieuse. Ie m’obstinois à vouloir
estre de quelque Convent qui suivist sa Regle : Et n’ayant pas
grande connoissance pour cela, j’arrestay volontiers de demeurer
au Tour du dehors de celui-cy, selon qu’il me fust offert apres ma
sortie. Voila vne des sources de mes maux, & je pense qu’apres
avoir abandonné Dieu, en agissant contre ses inspirations, il m’abandonna
à moy mesme, pour suivre mon indiscretion : Car malgré
mes parents, & sans faire aucun estat des avis que plusieurs
personnes me donnoient, je voulus demeurer Touriere.

David ne vécut pas long temps, apres mes asseurances de demeurer
au Tour des Externes. Il n’eust pas moyen mesme de me
hante beaucoup : car j’estois sortie, à mon avis sur la fin de Ianvier,

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& il fut obligé vers la Chandeleur de faire vn voyage à Paris,
d’où il ne retourna que pour le Vendredy de la Passion. On le rapporta
fort malade, car il mourut le Lundy de la semaine Sainte
sur le midy. Ce n’est pas avec luy que j’ay plus offensé Dieu ; car
il ne s’est rien passé de tout à fait noir entre luy & moy ; & toute la
liberté qu’il a euë, consiste en quelques attouchemens lubriques
reciproques, vne fois principalement.

 

Mais en ce dernier voyage qu’il fit à Paris, je ne dois pas obmettre,
qu’il me confia vne cassette, dont il me laissa aussi la clef :
avec defense de l’ouvrir, & de la bailler à qui que ce fust. Il devoit
pourtant se souvenir, qu’il mettoit son depost entre les mains
d’vne fille, c’est à dire, d’vne curieuse effectivement. Ie me laissay
emporter à la curiosité de l’ouvrir ; & entre autres choses je sçais
que j’y vis vne fueille de papier écrite de sa main de tous les côtez,
laquelle je ne pus lire. A son retour je luy rendis sa cassette
avec la clef ; & apres que je l’eus soigné & assisté le peu de jours
qu’il fust malade, non pas toutesfois medicamenté d’vn vlcere
vilain entre le siege & la partie honteuse (ainsi que disẽt les filles)
moy estant presente le Lundy saint, jour de son deceds, il bailla ladite
fueille de papier à Mathurin Picard, & luy dit qu’il estoit son
frere & bon amy, qu’il sçavoit bien comme il avoit vécu, & qu’il
le faisoit son successeur pour la conduite de la Maison des Religieuses
en la mesme maniere qu’il l’avoit commencée. Puis la
cassette me fut remise entre les mains, pour la porter au Monastere,
luy me disant que je ne me souciasse point de ce qu’on en feroit,
& que j’eusse à me retirer de la chambre ; parce qu’il vouloit
entretenir secretement M. Picard touchant ma personne, me recommander
à ses soins, & luy dire quelque chose de particulier
qui me concernoit.

Cette fueille de papier écrite de tous les côtez, dont il est icy
parlé, est le papier de blasphemes. Il est signé de David & de Picard,
& je l’ay veu du depuis au Sabat diverses fois representé par
Picard. On en fait lecture durant la celebration de la Messe en ce
lieu infame, où il sert de Canon, aux Processions & Professions,
dans toutes les occasions d’importance ; & tous les assistans sont
obligez d’y consentir. Il ne contient que des blasphemes & imprecations
horribles, contre la Tres-sainte Trinité, le saint Sacrement
de l’Autel ; les autres Sacremens, & les diverses ceremonies

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de l’Eglise. Quatre charmes ont esté mis aux quatre coins de ladite
fueille depuis le decez de David en vn Sabat où j’estois, & je
diray ailleurs par qui. On est extrement en peine de le trouver, &
les Religieuses publient qu’il faut que je sçache où il est presentement :
mais en la verité de Dieu je ne le sçay point, & je me souviẽs
seulement que Picard me dit vne fois au Sabat, qu’il le remettroit
& ses registres dans vne armoire qui est au côté de l’Autel, où on
dit l’Epître en ce lieu là, & je ne l’ay veu en pas vn endroit, depuis
la lecture qui m’en fut faite dans ma Cellule par la Sœur Anne
Barré la nuict quelque temps apres la mort de Picard, dont il sera
parlé ailleurs. C’est à elle qu’il faut s’adresser pour en apprendre
des nouvelles ; & il est croyable qu’elle en sçait de certaines, puis
qu’elle me l’a montré & leu pour lors, encore que ceux qui la soûtiennent
veulent que ce soit vn Diable qui ait pris sa figure. Ie
laisse à d’autres esprits plus capables que le mien d’examiner le
tout ; & il vaut mieux que je m’applique à essayer de laver dans le
sang de Iesus-Christ, & dans mes larmes les offenses que j’ay faites,
en consentant au moins par ma presence aux impietez contenuës
en ce papier abominable, & le plus execrable, qu’on se puisse
imaginer.

 

CHAPITRE IIII.

David mort, je demeuray encore au Tour pour le moins l’espace
de neuf mois, & Picard estoit estably Confesseur &
Directeur de la Maison en sa place. Me voila tombée en de tres-méchantes
mains & bien pites encores que celles de son predecesseur,
au moins pour moy ; car son insolence alla bien plus avant,
& je n’ay jamais pû m’en delivrer, quelque volonté que j’en aye
euë. Il me tenoit pat des liens d’Enfer, & je ne recourois pas à
Iesus-Ch. avec ardeur & assiduité, afin de le supplier de les rõpre.

Le jour de Pasques je me presentay à luy pour estre ouïe en
confession, tres-aise de la liberté que j’avois de luy dire tout ce
qui s’estoit passé, & de luy ouvrir le fonds de ma conscience : Mais
je tombay, comme on dit, de fievre en chaud mal. Dés que je fus
devant luy, & que je commençay de declarer mes fautes, il ne
veut point m’écouter, il me parle de tout autre chose : il me dit,
que tout ce que je confessois n’estoit point offense de Dieu : Il me
témoigna vn amour passionné pour moy : Il me pria de l’aimer
comme il m’aimoit ; & il commença de me vouloir carresser, &

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mesme toucher impudiquement. Ie n’eus point d’autres sortes
de confessions prés de luy du depuis ; & toutes celles que je luy ay
faites ont ressemblé à la premiere, & ont esté encore plus sacrileges
& damnables ; car elles se passoient en discours d’amour, en
privautez illicites, en sotises & badineries : & d’ordinaire il me tenoit
sans cesse les mains sur ses parties honteuses, quoy que couvertes,
non pas découvertes (comme disent les filles.) Bon Dieu
quel abus des Sacremens ! Et quand je n’aurois fait autre peché
que celuy-là, combien meritay-je d’estre chastiée en ce monde
& en l’autre.

 

Confessions
damnables
de
Magdelaine
Bavent
& de
Picard,

Il est veritable neantmoins, & je le dis devant mon Dieu, que
je n’ay jamais aimé ardemment ce malheureux Prestre : Mais je ne
puis dire ce qui m’attachoit à luy, ny par quel malheureux pouvoir
il me retenoit. C’est grande pitié de ne donner point de
liberté aux ames pour le choix des Confesseurs, & de les arrester à
vn seul qui les peut perdre. On n’ignoroit pas dans la Maison les
passions de cét homme pour moy, ses privautez, mes allées & venuës
en sa chambre par sa persuasion ; & les personnes mesmes de
dehors en murmuroient, me trouvans trop éveillée ; & crians hautement
quelquesfois qu’on me devoit tirer du danger où j’estois.
Mais les Religieuses faisoient les sourdes & les aveugles ; & jamais
ne me voulurent permettre de m’aller confesser ailleurs, quoy
que je les en priasse, dans les esperances qu’vn homme de bien remedieroit
à ma pauvre conscience, & me diroit ce que j’aurois à
faire. Si est-ce que je ne dois, ny ne veux pas m’excuser par vne
raison si legere & frivole : car encore qu’on m’eut accusée comme
d’vn grand crime, en cas que j’eusse esté à vn autre, dautant que
c’eust esté découvrir tout le secret du Monastere : toutesfois je
devois passer par dessus toute consideration, la chose m’estant
permise de Dieu & de l’Eglise Et puis n’y eust-il pas eu moyen
de couvrir mon action aux Religieuses, & de la leur cacher entierement,
feignant quelque autre necessité ou employ, puis que
j’allois souvent à la ville ? C’est moy tout de bon, soit par mon peu
d’esprit, soit par mon libertinage, qui suis la cause de mes desordres,
desquels vn prudent & charitable Confesseur m’eust aisément
tirée.

Les poursuites de ce malheureux apres moy ont toûjours persisté ;
& son impudence a esté telle, que dans vne maladie (de laquelle

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je croyois mourir) il ne laissoit pas de continuer ses attouchemens
lubriques, bien que je fusse presque sans sentiment, &
plus morte que vive. Iusques à quel poinct monte vne passion
aveugle & enragée ? Toutesfois quoy que les filles ayent dit sur ce
sujet, je suis tres certaine, que pour ce qui est de connoître le peché
dernier, & l’action consommée, il ne l’a jamais peu faire, à
cause de mes resistances & n’en est venu à bout pendant ce temps
qu’vne seule fois, lors que luy estant malade, ou feignant de l’estre,
trouva l’adresse de faire retirer vne garde de sa chambre où
j’estois ; & vsant de force plus que d’amitié, me fist consentir au
crime. On m’a accusée d’avoir eu sa compagnie dans l’Eglise &
sur l’Autel, estant Touriere : mais cela n’a point esté, & je diray
avec sincerité le faict tel qu’il est. Comme donc je mettois le
pavillon au Tabernacle, montée sur l’Autel, il est vray qu’il vinst,
& me fist vn attouchement tres-sale. Ie ne doute pas qu’il eust
voulu faire pis, & ses intentions asseurement y alloient mais Dieu
me fist la grace de sauter promptement à bas, où je luy reprochay
sa malice noire, & m’evaday de luy, avec qui je n’estois pas trop
asseurée. Beny soit sans fin celuy qui daigna me preserver de
l’action abominable, laquelle quelques vns m’imputent à tort.

 

CHAPITRE V.

CE n’estoit pas le seul & vnique dessein de Picard de me
ravir mon honneur. Il en avoit encore vn autre, dont je ne
pouvois pas me défier, ne connoissant pas l’art Diabolique qu’il
exerçoit, & je m’y conduisoit & acheminoit peu à peu, & comme
par certains degrez. Ie rapporteray icy certaines choses, qui ne
me le découvrent que trop presentement.

Dans la maladie que j’eus au Tour, & de laquelle je m’attendois
de mourir, il me presenta vne fueille de papier pour faire
Testament ; & comme je le priay de l’écrire lui-mesme, il n’y manqua
pas, & me le fist signer sans aucune lecture precedente. Ie le
luy ay souvent redemandé du depuis, & jamais il ne me l’a voulu
ny rendre, ny montrer : C’est ce qui m’a fait douter qu’il n’y ait
mis plusieurs choses, que je ne luy aurois pas dites, apres avoir
sceu dequoy il se mesloit. Ie prie Dieu que mon seing ne soit pas
cause, qu’elles me soient imputées en sa presence.

Il luy est arrivé quelque-fois de me faire tenir le Croissant du

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Soleil, dans lequel se met la sainte Hostie, lors qu’on la veut exposer
à l’adoration des peuples pendant l’octave du saint Sacrement,
& que lui-mesme l’alloit exposer. Les filles ont ajoûté, qu’il
me la bailloit entre les mains, & me la faisoit toucher & manier.
Cela n’est pas, & il n’y a que ce que je rapporte.

 

I’avouë pourtant, qu’il m’a mis vne fois, apres la consecration,
dans les mains vne grande Hostie. La chose arriva de la sorte : Il
me cõmanda d’approcher de luy prés de l’Autel, me prist la main,
me mist l’Hostie dedans ; & me serrant la main, rompit & brisa
l’Hostie, jusques à eu laisser tomber plusieurs fragmens & parcelles.
Ie luy en fis des reproches quand il fut sorty de l’Autel ; &
il me dit, qu’elle n’estoit point consacrée, ainsi que je le croyois :
mais j’ay bien de la peine à me persuader, qu’il m’ait dit vray, parce
qu’il venoit de prononcer les saintes, & mysterieuses paroles.

Il m’a voulu encore faire boire le sang de Iesus Christ dans le
Calice, le laissant dedans tout exprés apres le saint Sacrifice de la
Messe, & me conviant à n’y avoir point de peine, & à ne m’y rendre
point difficile. Iamais toutesfois je ne luy ay accordé cét article,
encore qu’il ait fait tous ses efforts pour m’y attirer.

Vn jour me prenant par la main, & me montrant les nouveaux
bâtimens qui se faisoient pour le Monastere, il me dit ces mots :
Mon cœur, je fais bâtir cette Eglise ; aprés ma mort tu verras des
merveilles ; y consens tu pas ? Ie luy respondis, qu’oüy. Mais je jure
sur mon ame, que ce fust sans avoir aucune mauvaise intention en
l’esprit, & sans sçavoir ce qu’il vouloit dire. Aussi n’avois-je pas
encore pû deviner le métier execrable qu’il pratiquoit, & je connoissois
seulement ses inclinations aux vilenies. C’est là tout le
premier consentement que je luy ay donné, ne pensant pas à ce
qui est arrivé par apres, & tres-éloignée d’y penser. Iesus-Christ
me le pardonnera, s’il luy plaist, puis que voyant le fonds de mon
cœur : Il sçait qu’en cela j’ay peché par ignorance, & non par malice.
Le monde en croira ce qu’il plaira à Dieu de permettre ; &
en sçaura & verra la verité lors que nous paroistrons tous devant
sa Majesté adorable, pour estre jugez selon nos œuvres, & selon
les intentions que nous y aurons euës.

Ie ne me souviens pas que d’autres choses me soient atrivées
avec luy lors que j’estois Touriere : mais il y en avoit assez, si j’eusse
eu de l’esprit, pour me porter à faire vne reflexion, que je ne fis

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pas en ce temps-là, & que j’ay faite du depuis, qu’il me vouloit
perdre. Tant y-a que je n’en eus point la pensée, & je ne ressentois
de la peine que pour ce qui concernoit mon honneur, estant
toûjours dans l’inquietude & la crainte ; luy mesme aussi en ressentit
à mon avis, parce qu’on parloit en la ville de luy & de moy
assez ouvertement, & qu’il apprehendoit que je ne fusse enceinte
apres m’avoir forcée. Ce furent ces deux considerations qui le
firent resoudre nonobstant sa passion pour moy à poursuivre pour
me faire rentrer dans la Maison, à la quelle il offrist & promist vne
somme d’argent à cette fin : & comme il y estoit fort consideré,
l’affaire fut bien-tost arrestée.

 

Me voila donc pour la seconde fois Religieuse au mesme Monastere,
où je trouvay les mesmes pratiques rapportées ailleurs
encore plus fortement établies : car la Maistresse des Novices les
aimoit avec ardeur ; & à peine estois-je rentrée, qu’on m’obligea
à les suivre. Il est vray que je n’ay pas veu que Picard y entrast si
familierement que David, & entrast pour aller & s’enfermer
dans les chambres des Religieuses. Mais les ordures continuoiẽt,
& y avoient grande vogue. Ie ne sçay si elles sont presentement
abolies : car le Noviciat estant le lieu où on les exerçoit, & en
estant sortie au bout de quatre ans, pour estre parmy les Professes,
je n’en ay point pris du depuis connoissance. Mais quoy qu’il en
soit, je suis bien asseurée que j’ay rentré dans la Maison à mon
tres-grand malheur, & que mon affection excessive pour l’Ordre
de saint François m’a esté nuisible. C’estoit à moy de me souvenir
de ce que j’y avois veu faire ; & je devois plûtost choisir vne
vie commune dans le siecle, qu’vne si perverse & méchante vie
dans la Religion : peu de personnes m’excuseront, & je ne sçay si
nôtre Seigneur luy-mesme daignera m’excuser, puis que cette
rentrée a esté la cause de ma ruine, & que je m’en ressens tres-criminelle
en sa presence.

CHAPITRE VI.

IL faut que je commence maintenant à parler de ce qui m’est
arrivé de plus notable apres que Picard m’eust fait rentrer.

Quinze jours à peine s’étoient écoulez, qu’il prit quelque pretexte
d’entrer au Iardin, où j’estois avec quelques-vnes des Religieuses.
Pour lors j’avois l’incommodité de mes mois. Il nous

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suivit, & comme nous fusmes arrestées en certain endroit, il prit
vne Hostie dans vn Livre qu’il portoit, avec laquelle il recueillit
quelques grumeaux de sang tombé en terre. Apres il l’envelopa
dedans, & m’appellant à luy vers le Cimetiere, me prit le doigt
pour luy aider à mettre le tout dans vn trou proche d’vn rozier.
Les filles qu’on exorcise ont dit, que c’étoit vn charme, pour attirer
toutes les Religieuses à lubricité. Ie n’en sçaurois que dire,
parce qu’il ne m’en a jamais parlé, ny si l’Hostie estoit consacrée,
parce qu’il ne m’en a rien appris. Mais il est certain que pour mon
particulier, j’étois fort encline à aller en ce mesme lieu, où j’étois
travaillée de tentations sales, & tombois en impureté. Le Dieu de
toute pureté, & qui a choisi vne Vierge si pure pour estre sa Mere
icy bas, daigne oublier les fautes que j’y ay commises ; & par sa
pureté adorable effacer toutes mes saletez.

 

Davantage prés de deux ans, ce me semble, apres mes vœux, il
me demanda ma profession écrite, ou du moins la copie, si je ne
luy pouvois bailler l’original, qui se garde toûjours au Monastere,
me representant que cette piece luy estoit necessaire, puis qu’il
m’avoit faite Religieuse Professe, encore que je ne fusse que Sœur
Laye. Ie la luy promets, sans m’enquerir davantage de son intention,
& luy mesme me la dicta sur l’heure de mot à mot : Puis
avant que je la signasse, me dit qu’il falloit referer mes fins en cét
écrit aux siennes, & que s’il mouroit devant moy, je devois vouloir
mourir bien-tost : s’il estoit sauvé, vouloir estre sauvée ; & s’il
estoit damné, vouloir estre damnée. Ce discours me donna de la
terreur ; & apres beaucoup de resistances, je ne laissay pas
d’y donner quelque sorte de consentement exterieur, exceptant
en mon esprit le poinct de la damnation, que je ne me souviens
pas bien si j’exceptay dans ma response, comme je fis en vne apparition
apres sa mort. Sauveur du monde j’espere en vôtre
grande bonté, & vos infinis merites ; & je vous prie de sauver
quelque jour la malheureuse Magdelaine, qui pleure maintenant
à vos pieds ses offenses.

Il me souvient encore, que deux ou trois ans, comme je croy,
apres l’action precedente, comme il venoit dire la Messe à l’Hospital,
ou je gardois les malades, il me donna deux graines, qui
avoient façon de Sarrazin, me disant, que je les misse en terre, &
que je prisse le soin de bailler les deux fleurs qui en viendroient à

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deux Religieuses, qu’il me nomma, & qu’elles les exciteroient à
son amitié. Ie les pris, les mis en terre, & jamais n’en ay veu de
fleurs. On a fait grand bruit de cét article, jusques à dire que
c’étoient deux Hosties au lieu de deux graines, & qu’il y avoit vn
malefice de consequence là dedans. Plust à Dieu que je fusse aussi
peu coupable en tout le reste qu’en cecy. Il suffit pour manifester
mon innocence, qu’on sçache que j’en parlay dés lors aux Religieuses,
leur racontant ce que Picard m’avoit dit. En effet
j’ignorois encore en ce temps là sa pratique infernale, qui me va
bien tost enveloper dans ses malheureuses chaisnes, & dans son
maudit esclavage.

 

Deux ans, ou environ, se passent encore, & voicy que mon extreme
malheur s’approche. I’estois fort inquietée en ma conscience,
& ne voyois pas ny si souvent ny si volontiers Picard. Vn
bon Ecclesiastique, nommé Monsieur Langlois, confessoit les malades
de l’Hospital ; je l’accostois quelquefois, & luy parlois du
besoin que j’avois de faire vne bonne confession : C’estoit pourtant
en secret, & à la dérobée. Il me dit qu’il le croyoit, parce
qu’il avoit beaucoup oüy parler de Picard & de moy, & qu’il estoit
mal-aisé qu’il n’y eust quelque chose de veritable dans le bruit
commun, à cause de nos hantises : mais qu’il ne sçavoit encore me
contenter, parce qu’il ne confessoit pas les Religieuses, & qu’il
verroit comme il en pourroit venir à bout. Asseurement Picard
craignit que je ne me découvrisse à luy, & se hasta d’executer sa
malice. Vn jour donc qu’il me fist communier à la grille, il me
toucha du doigt au seing par dessus la guimpe, en me donnant la
sainte Hostie : & au lieu de prononcer les paroles vsitées en cette
action sainte, il me dit : Tu verras ce qui t’arrivera. Ie me retiray
apres eu ma place au Chœur, pour faire mon action de graces selon
la coûtume. Mais il n’y eust pas moyen que j’y pusse rester, &
je fus contrainte par les agitations interieures que je ressentois
d’aller au Iardin, où je m’assis sur vne somme de bois, sous vn murrier.
Et ce fut là que le Demon m’apparut pour la premiere fois
sous la figure d’vn chat de la Maison, qui mit deux de ses pates
sur mes genoux, les deux autres vis à vis de mes épaules : & approchant
sa gueule assez prés de ma bouche, avec vn regard affreux
sembloit me vouloit tirer la communion. Ie fus en cét estat bien
vne heure, sans pouvoir faire le signe de la Croix, & prononcer

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vne bonne parole, ny chasser cette beste importune. Si la sainte
Hostie me fust tirée ou non, je n’en sçay rien. Le Diable l’asseure
en quelqu’vn de mes papiers rendus, & le dit encore parlant de
quelques autres de mes communions ; & ajoûte que c’estoit par
le commandement de Picard. Mais au moins est-il evident d’icy
qu’en communiant je ne luy baillois pas moy-mesme la sainte
Hostie, en m’appliquant à la retirer de ma bouche, ainsi que publient
les filles. Ie puis dire que par la misericorde de Dieu je n’en
ay jamais eu la pensée.

 

Le Diable
[1 mot ill.] à
Magdelaine
Bavent
apres
avoir
communié

Ce meschant Prestre n’en demeura pas là, & il n’en avoit pas
le dessein. Delivrée du chat, ou plûtost du Demon sous cette figure,
Picard me vid le mesme jour, à qui je demanday si c’estoit
là les merveilles qu’il avoit dit en me communiant que je devois
voir. Il me fit response : Tu en verras bien d’autres ; il n’est pas
temps de t’estonner. En effet cela arriva. Ie me souviens que deux
ou trois jours apres, il me dit avec ses familiaritez ordinaires,
Mon cœur, nous nous sommes veus aujourd’huy, ne veux tu pas bien
que nous nous voyons encore ? Ie luy dis qu’oüy : & certes à ma tres-grande
ruine pour mon ame. Dés la nuict prochaine, j’entendis
de mon lict vne voix, comme de quelqu’vne des Religieuses qui
m’appelloit. Il pouvoit estre prés d’onze heures, & j’avois dormy.
Ie me levay, m’en vay vers la porte de ma Cellule, & incõtinent je
me sens enlevée, sans sçavoir par qui, ny comment, perdant toute
connoissance pour lors, jusques à ce que je me vis en certain lieu,
qui m’est inconnu, où il y avoit plusieurs Prestres, & quelques
Religieuses ; & me trouvay aupres de Picard. Il me parle aussi-tost,
& me dit : Hé bien, mon cœur, t’avois-je pas dit avec verité, que nous
nous verrions encore aujourd’huy ? Ie luy repartis qu’oüy, mais que
je ne m’attendois pas que ce fust hors du Monastere, & que je ne
sçauois que signifioit cette assemblée. Il ne me satisfist point là
dessus, & me respondit seulement, que je ne m’en misse point en
peine ; & tira de moy dés ce premier transport vn consentement
verbal à tout ce qui se faisoit en ce lieu, & à tout ce qui devait
estre fait specialement par luy. C’est la seule voy que je sçache,
par laquelle je puisse avoir part aux malefices de la Maison, si Picard
les a posez, & à l’affliction des Religienses, si le mesme les
fait tourmenter. Ie n’ay jamais du depuis donné aucun consentement
particulier, ni à luy ni à d’autres, pour la Maison, & pour

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quelque endroit que ce soit. Si les hommes ne le croyent point,
c’est à moy de le souffrir humblement & patiemment, & je ne
suis pas pour cela moins obligée à rendre graces à Dieu dequoy
le malheureux qui me perdoit ne m’y a pas mesme portée.

 

Magdelaine
Bavent
portée
par le
Diable
au Sabat.

CHAPITRE VII.

Ceux qui liront cét écrit, ne manqueront jamais de juger que
je fus transportée au Sabat ; & peut-estre me nommeront-ils
Sorciere ou Magicienne : mais je les prie de suspendre durant
quelque temps leur jugement, & de considerer les choses suivãtes.

I’avois cela de bon, que ma conscience malade estoit sensible
toûjours à ses maux, & me faisoit des reproches sur tout ce qui
se passoit de la part de Picard en mon endroit : Il le sçavoit tres bien,
& c’est la vraye raison pour la quelle il ne s’est point fié tout
à fait à moy, ne m’a pas découvert tous ses secrets d’iniquité ; &
ne s’est pas mis en devoir de m’associer à ses œuvres Diaboliques,
disant luy mesme quelque fois, que j’estois vne fille à tout dire,
que j’avois trop de timidité, & que je me défiois de tout. Effectivement
il ne se trompoit pas, & j’en vay donner des preuves tres evidentes.
Le jour d’apres la nuict de mon transport, sans attendre
vn plus long temps, je declaray au bon M. Langlois comme
j’avois esté enlevée la nuict precedente ; ce que j’avois veu pratiquer ;
tout ce qui m’avoit esté dit ; & j’ay toûjours continué à luy
manifester mes enlevemens, qui suivirent le premier : Mais par
malheur pour moy, je ne sçay s’il estoit intelligent ou non en ces
matieres, il ne me fist point connoistre que ce fust au Sabat que
j’estois enlevée. Peut-estre que Dieu permist qu’il fust aveugle
dans vne chose qui a paru si claire aux autres lors qu’ils l’ont apprise ;
mes fautes meritans qu’on eust l’esprit fermé pour moy, puis
que ie l’avois fermé pour luy.

De plus il sçavoit de moy le tourment que m’avoit causé l’horrible
chat ; & comme il me suivoit en divers lieux de la Maison,
sans presque m’abandonner : & generalement je luy disois tout ce
qui m’arrivoit. Cependant je restois sans remede, comme s’il
n’eust sceu que me faire. Encore s’il eust pris la peine de consulter
quelqu’vn, ainsi qu’il luy estoit facile, afin que mieux instruit
il m’eust peu apporter quelque soulagement. Mon Dieu, mon
Dieu, je meritois d’estre delaissée de vous tres-justement, & les

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hommes sembloient imiter vers moy vôtre procedure.

 

I’aurois pourtant tort de dire, que Dieu que j’avois tant delaissé,
m’eust tout à fait delaissée, puis qu’il me pressoit toûjours
de rechercher sa grace, & de me remettre bien aupres de luy par
vne bonne confession generale, de laquelle j’attendois mon remede,
& j’y pensois tres-souvent. Six mois apres l’apparition du
chat, qui me poursuivoit, & mes enlevemens qui devenoient frequens,
j’en parlay derechef au mesme M. Langlois. Il n’y avoit
plus tant à craindre Picard, parce que sur quelques plaintes faites
de ses déportemens peu honnestes vers les Religieuses, le Confessionnal
luy estoit inter dit, ce me semble, tout a fait, & donné à
ce bon Prestre, bien que le Parloir luy fust permis. Nous prismes
jour pour la faire, & resolumes pourtant d’empescher que cela ne
vinst à sa connoissance, à cause qu’il n’apprehendoit rien davantage
qu’vne telle confession si necessaire à mon ame. Les
trois parts de ma confession, à mon avis, estoient dé ja vuidées, &
il ne restoit plus que la derniere à déduire pour l’achever & la rendre
parfaite : Picard vient à la Maison, & fort inquieté sur ce que
je pouvois faire si long temps avec le nouveau Consesseur, me
fit appeller, & se mit en colere de ce que je tardois à venir. On
voulust que j’alasse au Parloir, où il me demanda à quoy je travaillois
aupres de M. Langlois : Et luy ayant respondu, que c’estoit à
ma confession generale, il desira sçavoir à quelle partie j’en estois.
Ie luy dis fort simplement, A la derniere. Et bien, dit-il en me
touchant la main, tu as commencé, & n’acheveras pas. Il dit vray,
le miserable, car il jetta lors vn sortilege entre le Confesseur &
moy, & il m’en asseura quelque temps devant sa mort, & promist
qu’il m’en delivreroit. Du depuis je n’ay jamais peu achever. Il
me sembloit que M. Langlois me fermoit la bouche, me faisoit
rentrer mes pechez, qu’il estoit environné de Diables. Pour luy, il
estoit comme vne personne immobile vers moy, abatuë, & toute
demeurée ou percluse. On nous comparoit tous deux, pour ce
qui regarde le Sacrement de confession, aux personnes mariées
qui ont l’eguillette noüée : Cela commença dés l’apresdinée que
je croyois tout achever, afin qu’il vist plus aisément dans les coins
& recoins de ma conscience. Mais en outre, toutes les fois que je
partois pour aller essayer de me confesser, je n’estois pas plûtost
au Confessionnal, qu’on m’y tourmentois horriblement. I’y ay

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veu assez souvent comme vn petit cerf volant arresté sur la petite
grille fort noir, qui se jettoit sur mon bras quand je voulois commencer
à parler ; me pesoit autant qu’vne maison ; me frapoit la
teste contre les parois ; me renversoit par terre au Parloir. Si je
changeois de place, en esperance d’estre plus libre, je ne le voyois
pas neantmoins toûjours, & cela n’empeschoit pas que je ne fusse
mal traittée, jusques à faire compassion, & donner de la pitié aux
personnes. Les coups qu’on me donnoit estoient oüis ; & on me
voyoit toute meurtrie & livide ; toute noire & plombée ; toute
gâtée, & mal accommodée, sans sçavoir d’où pouvoient venir
mes battures. Dieu qui est adorable en tous ses Iugemens sur les
enfans des hommes le permettoit ainsi, & me faisoit porter des
effets vn peu severes de sa Iustice, dont mes demerites avoient
attiré la pesanteur.

 

Picard
jette vn
sortilege
entre
M. Langlois
&
Magdelaine
Bavent.

Me voila doresnavant plus empeschée que jamais : Le chat me
poursuivoit, j’estois souvent enlevée au Sabat ; je ne pouvois me
confesser ; mesme en ma Cellule & dans la gallerie du Dortoir ; &
ailleurs, les Diables me tourmentoient & affligeoient avec vne
grande cruauté ; voire quelque temps apres les communions, me
mettoïent les pieds en haut, & me provoquoient à vomir, comme
pour avoir la sainte Hostie. Ie ne perdis point courage, & je m’avisay
d’écrire mes peines au Pere Benoist Capucin, que je communiquois
quelquefois, & à qui je disois bien des choses, encore que
Picard luy eust dit, qu’il ne me devoit point croire. La Lettre me
fust emportée, & je ne doute point que ce ne fust par le Demon,
quoy qu’il ne parust pas visiblement : Ie persistay à chercher de
l’aide, & j’écrivis, & fis écrite à Monsieur l’Evesque d’Evreux. On
en peut encore voir des Lettres, & je croy qu’il y en a quelques-vnes
entre les mains de la Iustice. Il n’en fit point de cas, sinon à
la fin je pense de la cinq ou sixiéme année de mes tourmens, & vn
an ou quinze mois avant mon devoilement, dont je parleray en
son lieu. Si les hommes apres tout cecy, me condamnent comme
Sorciere & Magicienne, qui ay pris mes plaisirs avec les Diables,
& les suposts de sa religion infame : il me semble qu’ils ont vn peu
de tort, & peut-estre feroient-ils mieux de compatir à mes miseres,
eu égard à l’état fâcheux & penible où j’estois, & aux efforts
que je faisois pour y trouver remede : Mais je ne souhaite point
d’eux nonobstant tout cecy, d’autre traittement que celuy qu’il
plaira à mon Dieu permettre qu’ils me fassent.

Les
Diables
tourmentẽt
Magdelaine
Bavent

-- 23 --

CHAPITRE VIII.

A cause du recit que j’ay fait de mes enlevemens au Sabat,
qui ont esté publiez par tout, la curiosité a porté plusieurs
personnes à m’enquerir de diverses choses sur le sujet de ce lieu
infame. Mon Confesseur m’a defendu absolument de leur en
parler pendant ma prison en cette ville ; & m’a dit, que je ne devois
respondre là dessus qu’à mes Iuges. Dieu sçait combien cette
defense m’a coûté de mepris, d’humiliations, & de tourmens d’esprit,
parce que le monde qui me visitoit, s’est imaginé que le Demon
me fermoit la bouche, & que je n’avois garde de penser à
vne conversion serieuse, puis que je ne leur voulois rien dire : mais
je m’en vay presentement les contenter, & on desire que j’en parle
amplement, pour le faire abhorrer, & afin qu’vn chacun connoisse
mieux la grieveté de mes crimes effroyables. Toutesfois
dans tout ce que je diray de ces matieres, je supplie ceux qui verront
cét écrit, de n’y ajoûter qu’autant de creance qu’ils trouveront
estre à propos, & de separer ce qu’ils penseront estre réel
d’avec ce qui portera quelque marque d’illusion ; c’est à moy de
rapporter tout en esprit de sincerité, cõme je pense l’avoir veu ; &
c’est aux esprits plus intelligens de faire le discernemẽt necessaire.

Iamais je n’y ay esté enlevée que de nuict, & apres avoir dormy.
On me venoit toûjours appeller, & d’ordinaire devant Matines,
qui se disent à minuict chez nous ; soit vne fois la semaine, soit
deux fois ; soit de plus loin à loin, sans que les jours fussent determinez.
Ie me levois, éveillée comme du premier somme, pour
aller respondre à la voix, qui me sembloit estre d’vne Religieuse
de la Maison ; & dés que j’arrivois à la porte de ma Cellule, je me
sentois transportée, sans pouvoir discerner par qui ni comment,
perdant toute connoissance, jusques à ce que je me trouvasse en
ce maudit lieu. Mon Confesseur m’a fait voir icy que ç’a esté vne
de mes fautes de m’estre levée pour aller à ma porte, puis que je
pouvois bien sçavoir ce qui m’alloit arriver, apres ce qui s’estoit
passé les premieres fois. En effet je le reconnois ainsi ; mais cela
ne m’est point venu pour lors en l’esprit, & je ne sçay comme je
n’y ay point pensé. Tant y-a que je ne me suis servie d’aucune
graisse, ni d’autre chose, pour y aller ; & personne ne doit croire
que j’aye sceu la maniere de me faire enlever, car cela n’est pas,
mes papiers montrent evidemment que ç’a esté par l’ordre &

-- 24 --

le pouvoir de Picard. Et quand j’aurois toutes les plus grandes
envies d’aller au Sabat (à quoy je n’ay jamais pensé) je le dis devant
Dieu, il me seroit impossible, & je ne sçaurois par quel bout
m’y prendre. Au reste on me rapportoit de mesme qu’on m’avoit
emportée ; & je me retrouvois apres vne heure & demie, deux
heures, ou trois heures en ma chambre, & me remettois dãs le lict.

 

Magdelaine
Bavent
fait vn
recit
des choses
horribles
qu’elle
a veuës
au Sabat.

Le lieu où se faisoit le Sabat m’est inconnu, & je ne sçay si
j’étois enlevée prés ou loin du Monastere : Ie n’en ay pas mesme
dicerné les particularitez, pour en pouvoir faire la description : &
si j’en voulois entreprendre le dessein, je tromperois le monde,
qui doit estre plus content que je parle sincerement : seulement
me souvient il, qu’il est plûtost petit que grand ; qu’il n’y a point
de sieges pour s’asseoir, & qu’il y fait clair, à cause des chandelles
posées sur l’autel en façon de flambeaux.

L’assemblée qui y paroissoit n’est point nombreuse, & je n’y
ay apperceu que des Prestres & des Religieuses, tres-rarement
des personnes seculieres, & fort peu. Peut-estre que le Sabat où
j’assistois n’estoit pas le leur, qui est vn peu moins impie & execrable.
Quelle horreur, bon Dieu ! d’ouïr que ces personnes qui devroient
se rencontrer dans l’assemblée des Saints, pour chanter
vos loüanges aux heures que vous avez daigné accomplir les
plus grands & les plus divins mysteres de nôtre salut, se trouvent
en vn tel lieu, & dans l’assemblée des Diables, pour y proferer ou
écouter des blasphemes horribles contre vôtre Majesté !

I’ay dit dans l’assemblée des Diables, car les Diables y sont
assez souvent en demy-hommes & demy-bestes ; quelque fois
seulement en figure d’hommes : & Picard (auprés de qui je me
suis toûjours rencontrée) me les montroit. Ie ne les ay point
veus sous la forme du bouc, dont parlent les filles, ni apperceu
qu’on leur rende l’hommage de l’adoration par quelque ceremonie
speciale, & jamais on ne m’en a parlé : leur place m’a
semblé estre assez prés de l’autel.

On doit remarquer que j’employe souvent le mot d’Autel, parce
qu’effectivement il y en a vn sur lequel les Prestres celebrent
la Messe avec le papier de blasphemes ; & peut-estre les Diables
sont-ils prés de l’Autel, parce qu’on la dit à leur loüange ; & je ne
sçay si ce ne seroit point pour ce sujet qu’on ne leur rendoit point
là d’adoration particuliere, se contentans bien de celle du sacrifice,

-- 25 --

que mon Confesseur m’a dit estre la plus grande, la plus
magnifique, la plus solennelle adoration, & qui ne se doit rendre
qu’au seul vray Dieu. Quant à l’Hostie, qui est employée à la
celebration de leur Messe, elle ressemble à celles dont on se sert
en l’Eglise, sinon qu’elle m’a paru toûjours roussastre, & sans figure ;
& j’en puis parler, à cause qu’on y communie. On en fait
aussi l’élevation, & pour lors j’oyois prononcer des blasphemes
execrables.

 

Mais outre ce sacrifice étrange, plusieurs autres choses s’y pratiquent,
comme des Processions, renonciations, malefices, piqueure
d’Hosties consacrées, égorgemẽs, tantost les vnes, tantost
les autres, & quelques vnes bien moins souvent que les autres. Ie
reserve le recit des plus extraordinaires à vn chapitre particulier.

Quand on y mange, c’est de la chair humaine qu’on mange :
mais cela arrive tres-rarement, & je ne sçache point l’avoir veu
qu’vne ou deux fois.

I’y ay veu vne forme de registre : mais qu’on ne me demande
point ce qu’il contient ; car il est d’vne écriture où je ne connois
rien. Le Testament pretendu estre de David, qui m’a esté montré
en Iustice, ou aux exorcismes, ressemble assez à cette forme d’écriture.
Ie ne sçay pas si c’est le mesme dont Picard m’a parlé, je ne me
souviens non plus en quel temps ce fut que Dauid & luy s’étoient
fait vn Testament reciproque ; car il ne me l’a point montré ; & je
ne puis pas deviner de quelle écriture ils l’ont fait. I’asseure
que je sçay tout aussi peu des nouvelles du papier ou registre, tant
des malefices, que Sorciers & Magiciens, dont Picard m’a parlé
dans le Sabat, me disant, qu’il en avoit fait & écrit vn de sa main ;
& me promettant peu de temps avant son deceds de me le faire
voir, parce que cela ne s’est point effectué, & je suis entierement
ignorante du lieu où il l’a mis : comme encore si c’est le mesme
que j’ay veu au Sabat. Plaise à Dieu que mon nom par son excessive
bonté soit écrit dans le Livre de vie, & aux Cieux, non pas
dans ces Livres de mort, & en ces maudits lieux des tenebres.

La Iustice m’a demandé par tout les noms des personnes qui
estoient au Sabat : le dis en verité qu’on ne les dit point en ce lieu
d’horreur ; & que si on ne les sçait d’ailleurs, on ne les apprend pas
là ; & ma vie renfermée ne me permettoit pas de hanter & de connoître
toutes sortes de personnes. I’ajoûteray mesme vne chose,

-- 26 --

qu’on ne penserois pas facilement, à sçavoir, que chacun de ceux
qui vont en ces assemblées infernales, est tellement acharné aux
actions impies, qu’il pretend faire, qu’on n’a pas beaucoup d’attention
aux autres, sinon lors qu’on leur a quelque association
particuliere, comme j’avois à Picard, n’ayant jamais esté aupres
d’autre que de luy. Ie passeray encore plus avant, & me croye
qui voudra, que je ne sçay quels propos se tenoient les assistans les
vns aux autres, parce qu’ils parlent à l’oreille hors les actions
communes & publiques, peut-estre pour s’asseurer mieux du secret,
& ne se mettre point au hazard d’estre declarez dans ces
occasions ; & il est tres certain que je ne suis pas si sçavante en ces
matieres noires comme le monde pense. Si on me juge dissimulée,
artificieuse, couverte, imperieuse, à cause que je ne dis pas
tout ce qu’on desireroit sçavoir là dessus, je dois avoir patience :
On ne me force & violente pas icy comme à Louviers, pour me
faire parler de ce que je sçay, & de ce que je ne sçay pas, & m’obliger
à le signer. D’ailleurs cét écrit est comme vne confession publique
que je fais à toute l’Eglige de Dieu (si on trouve à propos
de le faire voir) pour quelque reparation des scandales de ma vie
si décriée, & je veux qu’elle ne contienne que verité, & qu’elle approche
de celle que je dois faire à Iesus-Christ, lors qu’il me jugera,
& que je luy rendray compte de ma vie. Ie ne diray que ce
que j’estimeray donc vray ; & encore en le disant comme je le
voy en mon esprit, je supplie Iesus-Christ mon Sauveur, mon
Seigneur & mon Dieu, qui est la verité mesme, de ne permettre
pas qu’il en arrive dommage à personne, si les choses sont illusoires,
& que je porte toute seule la peine deuë à mes fautes.

 

Outre que j’y ay toûjours apperceu Picard, ne m’y estant jamais
trouvée sans luy, & qu’aupres de luy, j’y ay encore reconnu
son Vicaire Boullé, quoy que je ne me souvienne pas s’il y estoit
dés le commencement, & s’il s’en est absenté quelque fois j’oüy
bien que luy, Picard, & d’autres Prestres, que je ne connois point
par leurs noms, y ont porté des Hosties & des Calices, où estoit le
sang de Iesus-Christ : quatre Religieuses de Louviers, Catherine
de la Croix, Catherine de Sainte Genevieve, Elizabeth de la
Nativité, dés mon premier enlevement, qui pratiquoient avec
David mort, ou plûtost avec le Demon sous sa figure les mesmes
nuditez & ordures specifiées de la Maison, avec d’horribles prophanations

-- 27 --

du S. Sacrement, quoy que je ne les aye jamais veu
marquer ; & Anne Barré, bien que tres-peu de fois, dans le temps
de mes derniers enlevemens : Et je ne m’estonne pas si apres que
ma chambre fut fermée à la clef, elle ne laissa pas de m’y venir lire
le papier dans ma chambre, lors que je n’allois plus au Sabat, parce
qu’on ne me venoit plus appeller ; vn nommé Des-hayes Chirurgien,
qui me toucha vne fois sur la teste avec vn petit fer chaud,
ce qui me fit promptement retirer de luy, crainte qu’il ne me
marquast, comme pour le mesme sujet je me retiray vne fois de
Picard, qui me touchoit de la main sur les reins au côté droit pretendant,
à mon avis, me marquer : si bien que je ne pense pas avoir
esté marquée.

 

I’ignore les noms de tous les autres que j’y ay pû voir, & ne les
connois que de visage. Ie ne parleray que de deux en particulier,
de ceux-cy, parce que j’ay remarqué qu’ils avoient vn grand pouvoir
dans l’assemblée : L’vn est vn certain hõme vestu de violet,
âgé de cinquante ou soixante ans, de poil noir meslé de gris, de
moyenne taille, assez fourny de corps, mais fort incommodé des
jambes : L’autre est certaine fille ou femme, de laquelle on m’a
toûjours obligée à dire tout ce que j’en sçavois, à cause que les
Religieuses dans les exorcismes ont dit, & publié, que c’estoit la
petite Mere Françoise ou Simonette de Paris. Ie ne le sçay
point, puis que jamais on ne me l’a nommée au Sabat, & que je
ne l’ay point veuë en ce Monastere qu’elle a fondé. Il faudroit
que je la visse entre plusieurs autres, afin d’éprouver si je la reconnoîtrois.
Quant à celle dont je fay mention maintenant, elle
estoit vestuë d’vne tunique blanche, paroissoit plus petite, plus
brune, plus âgée que moy, & marchoit avec incommodité, &
comme boiteuse. On la consideroit & honnoroit beaucoup, & je
croy qu’on luy demandoit avis de tout : au moins la faisoit-on
venir prés de l’Autel, où on luy parloit assez long-temps, & fort
bas. Ie ne croy pas l’avoir veuë en mon premier enlevement,
mais seulement aux autres qui ont suivi. Le Vicaire Boullé étoit
son amy, la recevoit, la tenoit par la main, la conduisoit, & ils se
faisoient de grandes carresses. Il y a plusieurs années que Boullé
ayant esté marqué avec vn petit fer chaud au Sabat par vn Prestre,
à l’endroit où les Chirurgiens ont rencontré la marque, il le
dit auparavant à celle-cy ; & ajoûta, qu’il falloit qu’elle se fist

-- 28 --

marquer le mesme jour apres luy, comme il fut fait, & on la marqua
du mesme fer sur la teste. Ie me souviens de plus, qu’vn Ieudy
saint, quantité d’Hosties ayans esté apportées là par Picard &
Boulle ; Picard en prit quatre, qu’il distribua entre elle & Boullé,
luy & moy pour cõmunier, nous obligea à les retirer de nos bouches
pour les piquer : puis Boullé & elle changeans d’Hostie, en
firent offrande à Picard, & Picard & moy pareillement changeasme
le tout en signe d’vnion par ensemble : Apres quoy on les remist
toutes sur l’Autel du Sabat, pour les prophaner davantage
par les actions impures & sales tout à fait, qui furent exercées : Et
enfin on en fit des charmes, sans que je sçache determinement
pour quelle intention, ni qui les emporta. Picard, à qui je me
suis vne fois principalement informé d’elle en ce lieu, afin de sçavoir
si elle estoit Religieuse, selon que je m’en doutois, m’a avoüé
qu’elle l’estoit, & me dit, qu’elle n’estoit ni de Roüen, ni de ce
canton ; que la Maison d’où elle estoit avoit esté fondée par vn
Grand ; & qu’il souhaitoit beaucoup l’vnion de la Maison de Louviers
avec la sienne. Voila tout ce qui m’en est resté dans l’esprit,
& on ne doit point m’en demander davantage. Ie voudrois de
tout mon cœur ne m’estre jamais trouvée avec elle, ni avec les
autres ; & tant que je vivray sur la terre, je regretteray chaque
heure du jour, & s’il se pouvoit faire de la nuict, d’avoir eu part
vn si long-temps, par l’abus malicieux de mes Confesseurs & Directeurs
impies, & par la simplicité des autres peu experimentez
& trop negligens, aux offenses qui se commettent dans telles assemblées
des Diables & de ses principaux membres. On en va
apprendre d’effroyables, & le seul narré que j’en dois faire m’épouvante.
Ie supplie tous ceux entre les mains de qui parviendra
cét écrit, de ne les lire qu’avec vne actuelle detestation, & d’en
estre excitez à implorer mon pardon vers Dieu avec plus de ferveur,
de soûpirs & de larmes.

 

Magdelaine
Bavent
entre
ceux
qu’elle
dépeint
a voir
veu au
Sabat,
elle nõme
la
petite
Mere
Frãçoise
de la
Place
Royale.

CHAPITRE IX.

Toutes-les actions que j’ay veuës pratiquer dans le Sabat
sont infames ; & il est impossible que j’y pense sans horreur.
Les hommes ne sçavent pas la peine qu’ils me donnent, lors qu’ils
ne me visitent que pour les sçavoir. Mon Confesseur mesme dit,
qu’avant ma Confession generale, il ne m’en avoit presque point

-- 29 --

interrogée, & que la premiere fois qu’il l’oüist, il m’avoit fait les
demandes seulement necessaires, & avec tres-grande retenuë :
comme en effet il est vray, pour la honte & la confusion qu’il
voyoit que j’en avois, bien que je n’aye jamais eu de repugnance à
luy declarer toute ma malheureuse vie : Neantmoins les œuvres
Diaboliques que je vay icy accuser, surpassent tout ce qui peut
tomber dans l’imagination des plus grands pecheurs de l’Enfer ;
& il faut avoüer, que si les saints Religieux de Dieu font des choses
extraordinaires, les maudits Religieux du Diable ne leur
cedent nullement.

 

Ie dis donc que la malice des Prestres principalement qui se
trouvent à ces assemblées nocturnes, va jusques à ce poinct, d’y
apporter souvent de grandes Hosties consacrées à l’Eglise, lesquelles
ils posent sur vne forme d’Autel, qui y est, puis disent leur
Messe ; les reprennent apres, levent le rond du milieu de la grandeur
d’vn quart d’écu ; les appliquent sur vn velin ou parchemin
percé & accommodé de la mesme sorte, les y font tenir avec vne
sorte de graisse, qui ressemble à de la poix ; les passent en suite à
leur partie honteuse jusques prés le ventre, & s’adonnent en cét
état à la compagnie des femmes. Certainement telles actions
meritent d’estre oubliées plûtost que rememorées. Mais comme
je fay icy ma Confession generale, je n’y dois pas taire vn de mes
plus enormes crimes, puis que ce malheureux Picard m’a connuë
de la sorte en ces lieux d’iniquité. Il est vray que cela n’est pas
arrivé souvent : hors le Sabat il ne m’a jamais connuë que dans
l’occasion rapportée ailleurs. Dans le Sabat cinq ou six fois au
plus, dequoy mon Confesseur s’étonne ; & de la sorte que je dis,
vne fois ou deux seulement. Mais c’est offenser Dieu trop criminellement,
& j’avouë qu’vn si grand peché requiert de moy vne
penitence extraordinaire : Mon Dieu me daigne faire la grace de
la pratiquer.

Actions
horribles
cõmises
par Picard
&
Magdelaine
Bavent
dans le
Sabat.

Vne nuict, je ne me souviens pas en quel temps, apres avoir
porté en procession le papier de blasphemes, & fait quantité de
renonciations, fut presentée certaine petite croix en presence de
tous où fut attachée vne grande Hostie consacree aussi à l’Eglise,
avec de petits clouds vers la fiugure des mains & des pieds ; & fut
semblablement percée au côté figuré, chacun y donnant son coup
l’vn apres l’autre, & on m’obligea aussi d’y donner le mien. Il en

-- 30 --

sortit deux ou trois goutes de sang, qui furent recueillies de quelques
vns, & meslées avec l’Hostie, pour en composer des charmes.
Bon Iesus, c’est vous crucifier vne autre fois autant qu’on
le peut faire ; & la pitié, c’est que souvent on fait cét exercice de
piquer des Hosties, pour renouveler vos outrages : Car j’en ay veu
mesmes piquer de celles qu’on consacre au Sabat, bien qu’il n’en
soit jamais sorty de sang, ainsi qu’il en est coulé des autres consacrées
à l’Eglise.

 

Certain Prestre apporta vne fois quelque Hostie, pour estre
brûlée. On en veut à Iesus-Christ dans cette maudite assemblée
des meschans, & leur rage est specialement contre luy : mais nôtre
Seigneur parust, qui foudroya le Prestre, dont il ne resta pas vn
atome, & l’Hostie fut enlevée en haut visiblement. Les Demons
s’enfuirent au moment de cette apparition ; & tous les assistans
furent épouuentablement menacez de Iesus-Christ. Mais ni cét
exemple de châtiment, ni les menaces du Sauveur, n’empescherent
pas la continuation de leurs impies assemblées.

I’ay veu apporter à quelque autre Prestre vn Calice, où estoit
le sang de Iesus-Christ, parce qu’il avoit consacré avant que venir
au Sabat. Luy le beau premier prend vn coûteau, & en donna vn
coup dedans, & le coûteau parust tout ensanglanté : Vn second en
fait autant, & les especes prirent la vraye couleur de sang Vn troisiéme
en fit de mesme, & le Calice devint tout plein de sang, qui
ruisseloit jusques à terre. Nôtre Seigneur se montra encore cette
sois accompagné de la Vierge & de deux autres Saints. Les Demons
vouloient s’enfuir, & il leur fit defense de desemparer.
Apres il reduisit les trois Prestres en cendre, & ils n’ont jamais
esté veus du depuis. On vid prendre le Calice à l’vn des Saints, &
l’autre recueillit le sang, & mesme la terre qui en étoit abreuvée.
Tout fut porté en haut, & les assistans furent tous dispersez par
vn coup de tonnerre. Si ces choses sont réelles, dequoy je laisse
le jugement aux autres, voila de grandes abominations, & quant
& quant de grands miracles ; & moy tant s’en faut que j’aye le
moindre doute de la presence réelle de Iesus-Christ au S. Sacrement,
à cause des insolens abus que les Diables & les hommes en
font dans ces lieux de desolation, qu’au contraire ma foy touchãt
cét article en est plus confirmée : car ce n’est qu’à raison de cette
presence que la Terre & l’Enfer joints ensemble en la fureur

-- 31 --

contre Iesus-Christ, abusent si meschamment du S. Sacrement, &
j’ay veu dans les occasions specifiées Iesus-C. punir les mes vsages.

 

Le jour d’vn Vendredy saint, vne femme apporta son enfant
nouveau né. On fit dessein de l’attacher en croix ; & premier que
de l’y attacher, ils luy appliquerent de petites Hosties par les endroits
qui devoient recevoir les clouds, au travers desquelles on
les perça ; comme aussi on luy ficha d’autres clouds en la teste en
forme de couronne ; on luy perça encore le côté, & puis ils le détacherent,
pour en prendre les parties principales à l’vsage de
leurs malefices, & l’enfoüirent. Que de crimes enormes commis
tout à la fois !

Deux hommes de condition tres-bien couverts ont paru au
Sabat ; mais chacun en son particulier, & non tous deux ensemble
ni en vn mesme jour. L’vn d’eux fut attaché en croix tout
nud, & eut le corps percé, dont il mourut aussi-tost. Il avoit refusé
de pratiquer leurs maudites ceremonies, & s’en étoit moqué.
L’autre fut attaché à vn poteau, & eventré. On le pressoit & violentoit
de renier Dieu & les Sacremens ; ce qu’il ne ne voulut pas
faire. Peut-estre ceux-cy venoient-ils en ce lieu par curiosité,
mais ils y furent tres-mal traittez.

Cruautez
faites
au
Sabat.

Le jour du Ieudy saint, j’ay veu faire la cene d’vne horrible
maniere. On apporta vn enfant tout rôty. Il sut mangé de l’assemblée,
& je ne sçaurois dire avec vne certitude evidente, si j’en
ay goûté. I’ay dit à mon Confesseur, qu’il me sembloit qu’oüy,
& que je cessay aussi tost, parce que cette viande étoit fade. Mais
ce qui est plus à remarquer, c’est que pendant vne si detestable
cene, vn Demon faisoit le tour de la table & crioit, Pas vn d’entre
vous ne me trahira. Ie croy mesme que sur ces paroles, ils renouvellent
alors leurs intentions de ne s’accuser les vns & les autres,
pour estre fideles au Diable.

Pourra on lire sans étonnement tout ce que j’ay dé luit icy ?
O Dieu, combien je ressens le besoin que j’ay de vôtre grande
misericorde, pour obtenir le pardon de si griefs pechez ! Ouy, mon
Dieu, la grande misericorde m’est tout à fait necessaire : Car encore
que je n’aye pas cooperé toûjours aux œuvres extraordinairement
impies & meschantes, que je viens de rapporter, neantmoins
j’y etois presente à toutes, & j’y ay eu part en la façon que
je l’ay dit à quelques-vnes. Ayez donc pitié de moy, selon vôtre

-- 32 --

grande misericorde, laquelle seule peut effacer de si grandes iniquitez :
& selon la multitude de vos miserations, daignez me pardonner
le nombre innombrable de mes offenses.

 

Ie prie les serviteurs de Dieu qui liront ce papier, d’avoir inclination
à demander pour moy le pardon de tant & de si abominables
actions, qui ont esté encore accompagnées de plusieurs autres,
desquelles je n’ay pas vn souvenir si certain : seulement me
souvient-il des suivantes, que je deduiray avec brieveté.

On fait au Sabat quantité de malefices, composez des Hosties,
du sang qui en tombe quelque fois, & des principales parties internes
des corps des enfans, ou autres morts. Ie ne sçay s’il y entre
quelque autre drogue. Ce sont comme de petits boulots, & je
n’ay point d’autre nom à leur donner. Picard en faisoit souvent.
Et je le dis en la verité de Dieu, jamais je ne me suis employée à
en faire : je n’ay point sceu les fins pour lesquelles on les faisoit :
je n’en ay emporté pas vn ; & Picard se défiant de moy, n’a jamais
voulu ni permis qu’on m’en ait baillé.

I’ay veu tenir à Picard vne grande Hostie entre ses mains, sur
laquelle il écrivit sa renonciation à Dieu.

Boullé, Vicaire de Picard, a eu vne fois ma compagnie en ce
lieu là, par l’ordre & le commandement de Picard, qui dit qu’il
falloit que cela fust ; & qui me tenoit les mains pendant que se
commettoit cette ordure.

Magdelaine
Bavent
est forcée
par
Picard
de condescendre,
à la
paillardise
de
Boullé
Vicaire.

En vn Sabat j’ay veu poser quatre charmes apres le deceds de
David, aux quatre coins du papier de blasphemes, & vne Hostie à
chaque charme. Picard les avoit apportées, & y mit la sienne, me
bailla celle qu’il m’y fit mettre. Il me semble que les deux autres
furent posées par Boullé, & par sa grande amie, dont j’ay parlé.
Mais en cas qu’on eust égard à ce qui s’est passé dans les Sabats,
parce que je laisse le jugement de la realité de ces choses aux esprits
plus discernans : Ie supplie la Iustice de ne point recevoir ce
mien tesmoignage d’eux pour l’article present, puis que je n’en
puis parler avec assez de certitude. Mon histoire comprend tant
d’articles, qu’il est mal-aisé de me souvenir exactement de tout
ce qui s’est passé en particulier dans ces lieux Diaboliques. Voila
tout ce qui m’en est present, apres m’estre soigneusement examinée,
& avoir esté exactement interrogée. On ne doit point
s’attendre que j’en puisse rien dire davantage ; car j’en écris tout

-- 33 --

autant que j’en ay dit à mon Confesseur lors qu’il m’a preparée à
la mort ; & je n’y croy pas rendre plus fidelement compte de ma
vie à Iesus Christ, que je les rends maintenant à ses serviteurs,
dans la confiance que j’ay qu’ils tacheront de fléchir sa Iustice
pour moy, & de m’obtenir que je sois vn des objets de sa misericorde.

 

CHAPITRE X.

Apres la deduction faite de tout ce qui concerne le Sabat, où
j’ay esté toûjours enlevée jusques à la mort de Picard, il
faut que je continuë de declarer ce qui s’est passé hors ce lieu
execrable.

Ie commenceray par vn des principaux poincts : C’est celuy
de mes écrits & papiers, ou de mes cedules au Diable. I’ay peché
grievement en cecy ; & si quelques-vns trouvent qu’il y a raison
de douter de la verité & realité de mes offenses commises au Sabat,
personne n’en trouvera pour douter de la verité & realité du
crime que j’ay commis contre Dieu, à qui j’appartenois comme
creature, comme Chrestienne, cõme Religieuse, en m’obligeant
& me donnant à l’ennemy de sa gloire & de mon salut. Mon crime
est mesme dautant plus enorme, qu’il a esté diverses fois reïteré :
& quoy que ce soit la pure verité, que c’est Picard qui m’a
pressée & poussée à faire toutes les cedules, & qui me les a dictées
de mot à mot, neantmoins je ne dois m’excuser là dessus, ni diminuer
par cette voye la grieveté de mon crime. Ie croy pourtant
que le malheureux m’avoit maleficiée : car en les écrivant je ne
sçay cõme j’estois. Et quand mon Confesseur me demande, d’où
vient que dans mes papiers ; apres avoir écrit ce que je veux au
Diable, j’écris ce que le Demon dit ; Ie n’ay point d’autre response
à faire, sinon que je ne sçavois ce que j’écrivois, estant toute hors
de moy, & ne me connoissant pas presque moy mesme.

I’aurois grande difficulté à me souvenir du nombre des cedules,
si elles n’avoient esté renduës par les voyes que je diray ailleurs ;
& mesme j’ignorois les choses qui y sont contenuës, à cause
de l’état où j’estois en les écrivant, si elles ne m’avoient point esté
leuës apres que Dieu eust obligé les Demons de les rendre. Il y
a premierement vne cedule écrite toute de mon sang, qui est
restée entre les mains de Monsieur Barillon, envoyé à Louviers
pour prendre connoissance de mon affaire, Il y en a vne autre en

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forme de supplication au Diable, pour remettre quelque pellicule
ou autre chose dans mon corps, qu’il m’avoit tirée & ostée en me
tourmentant douloureusement, & qui fut mise sur l’autel du Sabat,
où Picard me la montra, l’appelant vn noüet de chair, pour la
diviser en quatre parts, & l’employer à des malefices. Il y en a
vne troisiéme, qui cause à mon ame plus de regret & de déplaisir
que les precedentes ; car les mots en sont horribles & étonnans :
elle a esté faite apres que Monsieur d’Evreux m’avoit fait renoncer
au Demon & à ses œuvres ; & je la croy signée de mon nom,
avec le sang que le Diable me tira de la veine proche du cœur. Les
filles disent, qu’il y en a encore d’autres, que le Demon a retenuës.
Ie ne le puis croire, & n’en ay aucun souvenir. Mesme ce m’en est
quelque preuve, que, graces à Dieu, je ne voy & ne ressens rien de
la part de l’Enfer il y a plusieurs années Et de plus, je me confie
en Iesus-Christ, qui est parfait en toutes ses œuvres ; & qui s’étant
employé à me les faire rendre, il n’aura pas voulu faire cét œuvre
à demy. Mon Confesseur a eu les deux dernieres entre ses mains
quelque temps, & en a pris la copie : il me les a fait voir, & je les
mets icy, afin de me confondre davantage, & de faire mieux connoître
l’horreur de ma meschanceté.

 

Cedule
de Magdelaine
Bavent
écrite
de son
sang au
Diable.

La seconde cedule de laquelle j’ay parlé, est écrite en ces termes,
Ie te prie de remettre dans mon corps ce que tu y viens d’oster par
rage : je n’en puis plus, & aime mieux mourir. Tu me presse de te
donner mon corps & mon ame, prens tout ce que tu voudras. C’est
grande pitié, Dieu ne veut point que je me découvre à personne.

Ie te tiens par le pouvoir que m’a donné celuy qui m’a fait
prendre la Communion sous le meurier, t’ayant dit, Tu verras ce
qui t’arrivera. Voila tu me donne ton corps & ton ame, apres avoir
tiré de ton corps cette piece, par le pouvoir que tu me donne tant
que tu vivras, & apres ta mort, tant que nous aurons cette piece
seellée par celuy à qui tu as donné ton consentement mille fois à tous
les malefices qu’il feroit, & ne cesseront jamais que cette piece ne
soit renduë, & trouuez deux charmes à deux coins, par lesquels j’ay
pouvoir de te mener au Sabat, & te faire consentir à tout ce qui s’y
fera, estant à côté de celuy qui les a placez. Moy Astaroth, qui te les
a prises apres avoir receu pouvoir de M. P. que si jamais tu en parle,
ou découvre ce qui se passe entre nous, ou que nous soyons obligez
de rendre cette piece si importante, par laquelle nous perdons tout

-- 35 --

pouvoir sur toy, je t’asseure que nous t’étranglerons. Respons. Ie
le veux bien. Magdelaine.

 

Magdelaine
Bavent
mesle la
respõse
du Diable
avec
ses cedules.

O. O.

Ces deux marques faites à la fin de cette cedule, sont deux Hosties,
que le Demon appele charmes, & qu’il dit m’avoir ostées : &
dans la derniere sont écrites ces deux lettres M. P. Quant à la
troisiéme cedule, elle est écrite en ces mots épouvantables :
Ie me donne à toy de tout mon cœur, mon corps & mon ame ; &
t’adorant comme mon Dieu à present, renonce à tous les renoncemens
que l’on me fait faire contre toy, & à touts ceux qui t’appartiennent.
Tu m’appartiens tant que j’auray cette promesse signée
de ton sang, que je te tire de ton cœur, par la puissance que m’en
donne celuy qui me fait te tourmenter, & me donne à tous momens
de nouvelles forces. Ie ne peux rendre cette promesse qu’apres sa
mort, ayant tout pouvoir sur ton ame ; & t’empescheray d’aimer
d’autre Maistre que moy tant que j’auray cette promesse, selon qu’il
m’est ordonné. 1638. S. Magdelaine.

Mon nom qui est au bas de cette cedule est écrit en lettres de
sang : Ie ne mets point les termes de la premiere, parce que je ne
m’en souviens pas, & mon Confesseur ne l’a point veuë. Que si
on est curieux de sçavoir que devenoient ces cedules, apres les
avoir écrites, Picard les emportoit, & c’est luy qui les a toutes
baillées au Demon avec la copie de ma Profession, qu’il m’avoit
long temps avant cecy demandée : & jamais le Demon n’a emporté
de luy mesme qu’vne lettre dans ma Cellule, de laquelle je
parleray bien tost. Le meilleur pour moy est, que toutes ces pieces
sont renduës : & quoy que les Religieuses puissent dire, ce
n’est pas mon opinion qu’il en ait d’autres : & de ma part je renonce
de toute la plenitude de ma puissance à luy & à ses suposts,
pour me donner, voüer, & consacrer toute uniquement, parfaitement,
invariablement à Iesus-Christ, & par luy à Dieu son Pere.

CHAPITRE XI.

I’Ay parlé de tous mes papiers de cedules ensemble dans le
chapitre precedent, quoy qu’ils ayẽt esté faits en divers temps,
lesquels je ne puis marquer : Ie dois aussi découvrir les choses qui
sont arrivées, au moins les plus notables entre celles qui me concernent
pendant les années de tous ces temps. Qu’on n’y cherche

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pas beaucoup d’ordre, parce qu’il m’est impossible d’y en mettre,
ne pouvant les rapporter que selon que je m’en sou viens.

 

Picard quatre ans devant sa mort me donna vn papier cacheté
en forme de petit paquet long d’vn doigt, pour serrer en ma Cellule,
avec promesse de ne l’ouvrir qu’apres son deceds. Ie le dis
dés le lendemain à M. Langlois : & comme je le cherchay apres
pour le luy donner, n’ayant fait que le mettre sur ma table le jour
de devant, jamais je n’en pû rien trouver. Il ne fut trouvé que le
jour de son decez, qu’il parust sur ma table. Mais comme je l’allois
porter au mesme M. Langlois je fus traisnée violemment des
Demons jusques dans la vieille despense, où il y avoit du feu ; &
ils ne me laisserent point jusques à ce que je l’eusse jetté au feu, où
il fut brûlé. Ie l’ouvris neantmoins auparavant, je trouvay qu’il
n’estoit plein que de poil noir, n’y pouvant remarquer aucune
autre chose.

Vn jour je trouvay au coin de mon chevet de lict trois petites
fueilles de chesne roulées ensemble, desquelles ouvertes sortirent
plusieurs petites bestes noires, que je jettay par la fenestre, & qui
ne laissoient pas de rentrer toûjours par vne fente de la mesme
fenestre fermée. Elles ne parurent plus quelque temps apres, &
je ne sçay ce qu’elles devindrent, ni qui m’avoit apporté ce beau
meuble.

Ie me souviens que Picard ayant vne fois dit la Messe, comme
on eust repassé les ornemens au dedans, en prenant le corporau,
on vid tomber vne Hostie en la Sacristie qui est vers les Religieuses.
On l’en avertit, & il dit qu’on la luy donnast. Elle luy fut donc
repassée au Parloir d’en-bas, & je vis que se baissant, il la mit le
long de la grille au lieu où il estoit. Ie ne sçay s’il l’y laissa. Mais
depuis ce temps là j’ay toûjours ressenty beaucoup de peine de
m’approcher de M. Langlois pour luy dire mes peines ; & j’ay
toûjours soupçonné que c’estoit quelque charme qu’il avoit fait.

C’a esté pendant ce temps que j’écrivis au Pere Benoist Capucin,
vne partie de mes tourmens dans certaine Lettre, qui me fut
emportée du Demon avant que je l’eusse signée, & le Demon ne
laissa pas de s’y mesler luy mesme comme je l’écrivois. Mon
Confesseur trouve bon que je la mette icy : elle est écrite en ces
termes : Mon reverend Pere, vôtre benediction, s’il vous plaist ; Depuis
vôtre depart je suis extremement tourmentée, & plus que

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jamais : Ie ne sçaurois plus voir nôtre Pere Confesseur : Il me semble
de voir mille Diables quand je suis devant luy : Ie ne voy autre chose
en sa presence. Et quand il m’y veut faire renoncer, c’est quand je
m’y donne, il m’est avis qu’il me le commande par mots exprés,
C’est grande pitié. La Communion a esté prise deux fois depuis vôtre
depart avec de grands & horribles tourmens, m’excitant à renoncer
à Dieu, & à tous les Sacremens à tout moment. I’aime autant
mourir que de vivre en cét état : C’est pourquoy je vous prie, mon
tres-cher & reverend Pere, de ne me dénier point vôtre assistance le
plûtost que vous pourrez. Nôtre Pere du Mesnil m’a fait venir au
Parloir, & m’a dit qu’il sçavoit bien qu’il y avoit vn sortilege jetté
sur nôtre Pere Confesseur & moy, & qu’il me gueriroit, auquel j’ay
consenty.

 

* C’est moy Astaroth à qui tu as consenty, & proche de mon
maistre. C’est moy qui prens tes Communions, & les y porte par son
pouvoir pour en faire des malefices. Tu pense bien nous échaper. Renonce
de ta propre main d’estre à d’autre qu’à moy, à qui tu as donné
ton cœur mille fois, & luy donnant, tu m’appartiens : & pour te montrer
la verité, j’emporte cette piece.

Réponse
du Diable
à la
Lettre.

Ie vis vn jour à neuf ou dix heures du soir, comme j’estois occupée
à penser mon sein, qui me faisoit beaucoup de mal, vn homme
qui se nomma le frere du Vacher de Louviers, & me dit de la
part de Picard, que je ne me misse point en peine pour mes confessions
& communions. Tout étoit fermé dans ma chambre, &
je ne sçay par où il y pust entrer.

I’ay receu vne fois certaine hostie de Picard au retour de l’Autel,
pour la donner à vn Religieux, qui me visitoit quelque fois.
Picard sçavoit qu’il demanderoit vne Hostie, afin de dire la Messe.
Il me bailla celle-là tout exprés pour luy donner, me disant, Il
vous aime, & vous aimera davantage. Le Religieux ne manqua
pas de me demãder quelque Hostie, & je luy mis celle-là dans son
mouchoir ; l’avertissant que nôtre Pere du Mesnil m’avoit baillée
celle que je luy baillois : mais sans luy dire les paroles qu’il m’avoit
dites, non par malice, ce me semble, mais plûtost par curiosité
d’éprouver ce qui en arriveroit. Ie ne sçay ce qu’il avoit fait à
cette Hostie ; mais il est vray que le Religieux apres cela me tesmoignoit
de grandes inclinations d’amitié, & vouloit vser de
quelques privautez vers moy, jusques à s’en étonner luy-mesme,

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lors que je luy disois, qu’il se souvinst de ce qu’il estoit. Les filles
ont beaucoup ajoûté à cette histoire, & l’ont accusé d’avoir eu ma
compagnie en ma Cellule, au temps d’vne visite de la Maison
faite par Monsieur d’Evreux, & d’avoir porté mon bonnet, &c.
Tout cét allegué est tres-faux, & sa reputation apres sa mort luy
doit estre conseruée, non pas ostée.

 

Magdelaine
Bavent
donne
vne hostie
à vn
Religieux
pour
l’éprouver.

Pource qu’on m’a interrogée si je sçavois quelque chose de la
haine de Picard vers le sieur de la Val, il est bon que je n’oublie
point à mettre icy pendant qu’il m’en souvient, que j’ay oüy dire
effectivement à Picard, que ledit sieur luy déplaisoit à cause de
ses hantises au Monastere : mais jamais il ne m’a dit s’il pensoit à
le faire mourir par sortilege ou autrement, & je ne puis pas sçavoir
s’il y a cooperé.

Ie ne dois pas aussi obmettre, que Picard me faisoit sentir assez
souvent des bouquets de fleurs, sans que j’aye sceu à quel dessein ;
& sur tout, que quelques jours avant sa mort, il me montra vne
fueille de papier écrite de la main de son successeur, & me dit que
c’étoit Boullé.

Mais entre les choses principales qui me sont arrivées, il y en
a vne qui me donna beaucoup de peine, de douleur, & de confusion,
& qui m’en donne encore, & m’en donnera tant que je vivray.
Ie pense avoir dit, que les Demons, notamment dans les
dernieres années avant mon devoilement, m’affligeoient avec
cruauté, me battoient en ma Cellule, & en d’autres endroits ; me
jettoient en terre, & me laissoient assez peu en repos : Mais j’étois
bien plus importunée du Demon, qui me suivoit presque par tout
sous la forme d’vn chat : Car ce chat infernal à peine me permettoit-il
de manger ; & il m’ostoit tout de devant moy ; me le tiroit
mesme hors de la bouche, & vouloit tout avoir. Certainement
je me represente maintenant, qu’vne telle vie que la mienne ne
meritoit pas d’estre conservée, & qu’étant ennemie de Dieu, je ne
devois pas seulement avoir vne miette de pain. On trouva neantmoins
remede à cette sorte d’importunité, & depuis que M. Langlois
se fust avisé de benir mon manger, je le prenois en paix, &
n’estois point inquietée : Mais voicy bien quelque chose de pire ;
Il m’est arrivé par deux fois d’avoir rencontré entrant dans ma
Cellule, ce maudit chat sur mon-lict en vne posture la plus lascive
qui se puisse dire, & portant tout le semblable des hommes. Il

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m’effraya, & je pensay à m’échaper : mais en vn moment il saute
vers moy, m’abat violemment sur le lict, & joüit de moy par force,
me faisant sentir des tourmens étranges. Voila ce que le Demon
me reservoit pour la fin ; & Dieu, qui est juste en ses châtimens,
& terrible en certains châtimens, permit que mes pechez fussent
punis par celui-cy, que j’estime le plus severe ; & qui ne peut proceder,
à mon avis, que de sa grande colere, voire de sa colere changée
pour la miserable Magdelaine en fureur.

 

Le Diable
viole
Magdelaine
Bavent
dans sa
chãbre.

CHAPITRE XII.

ON ne me doit pas enquerir si j’étois fort peinée, troublée,
& inquietée dans ce malheureux état ; & d’ailleurs tres-insuportable,
où je me trouvois. Ie l’étois de telle sorte, que M.
Langlois se sentit obligé d’en écrire d’vne meilleure encre que
par le passé à Monsieur d’Evreux. Il vinst à Louviers, fit venir
devant luy M. Langlois au Chœur, où je me trouvay ; vid mes difficultez
pour la confession ; & à la priere du Confesseur se resout
de m’entendre luy-mesme, & de me rendre ce charitable office.
Ce fut en l’année, ce me semble 1642.

Ie croy m’estre confessée trois ou quatre fois à luy. Il est bien
vray que je ne luy ay pas fait de confession generale : mais je proteste
que dans mes confessions particulieres, hors les choses particulieres
qui se passent dans le Sabat, & que j’ay déduites, il a tout
sceu ce qui étoit de moy. Ie l’informay de mes enlevemens, de
mes cedules écrites, de ma lettre emportée, de mes battures, des
poursuites du chat, de mes difficultez à prier Dieu, & à faire le
signe de la Croix ; de mes inclinations fortes à renier & blasphemer,
&c. Il me fit renoncer au Diable, & je fus fi malheureuse,
ne quittant pas tout à fait Picard, ainsi qu’il me l’avoit commandé,
que de croire derechef ce méchant homme, qui me fit faire
vne nouvelle donation, comme j’ay dit ailleurs, & la plus forte
que j’eusse encore faite.

De plus, pour remedier aux poursuites du chat, & specialement
aux violens efforts par lesquels il joüissoit de moy, bien que
cette action horrible ne me soit jamais arrivée que deux fois, dans
la crainte que j’avois qu’elle n’arrivast encore, il trouva que le
plus seur seroit de mettre le tres-saint Sacrement en ma chambre.
Cela fut fait trois mois je pense apres que j’eus commencé de

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me confesser à luy ; & on l’y mit dans vne façon de petit Tabernacle
qui fermoit à clef. Il y étoit encore quand je fus devoilée,
& je louë Dieu de ce qu’à raison de la sainte presence de son Fils
vnique le Verbe Incarné, jamais le chat n’y parut du depuis, bien
que l’on n’ait pas desisté pour lors de m’enlever au Sabat comme
à l’ordinaire.

 

Mes enlevemens pour le Sabat n’ont cessé qu’à la mort de Picard,
qui arriva dans la mesme année. Il est bon qu’on sçache
deux choses, qui se passerent le jour de sa mort : L’vne est, que
comme il étoit en agonie, montant l’escalier pour aller à la galerie
du Dortoir, je vis Boullé qui entroit dans la court du dehors,
comme pour aller à la Chapelle, avec vne face affreuse : & aussitost
la vitre par où je le regardois fut cassée auprés de moy, & me
fit tourmenter horriblement des Demons, qui me traisnerent
par le Dortoir, & m’accommoderent d’vne façon qui n’est pas
imaginable : L’autre, que le mesme soir, comme j’étois retirée en
ma Cellule, on frapa le long des ais avec grand bruit, & jouïs
qu’on crioit comme d’vne voix enroüée & cassée, Nous tenons la
proye : Ce que je racontay le lendemain au Pere Benoist Capucin,
il me dit que j’avois ouy ces cris justement à l’heure qu’il venoit
d’expirer.

Mort
déplorable
de
Picard,
& de ce
qui arriva à
Magdelaine
Bavent.

Depuis la mort de Picard, j’ay veu en ma Cellule de nuict vn
certain Religieux, qui avoit la forme du Gardien d’vn Convent
que je connois, & que je n’ay jamais veu pourtant au Sabat, non
plus qu’oüy parler de luy en aucune occasion : Il me somma de
tenir mes promesses à Picard, que je luy avois faites pendant sa
vie, de mourir bien-tost apres luy, de le suivre, & de vouloir estre
où il seroit. Comme je ne luy répondis rien, il disparut : Mais dés
la nuict suivante je fus enlevée devant le corps de Picard, qui me
dit, qu’il étoit temps d’executer mes promesses. Il étoit sur le
bord d’vne fosse, & le Vicaire Boullé luy soulevoit vn peu les
épaules lors qu’il me parla. Quantité de Demons étoient proches
du corps. On me commanda de luy prendre les pieds, que je sentis
tres-froids : & on me fit descendre trois marches en la fosse ;
mais y ayant apperceu des flammes épouvantables, je remontay
promptement, disant, que je ne luy avois pas promis d’estre damnée
avec luy, & que je voulois me sauver, & je me trouvay rapportée
en ma chambre.

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Outre cét enlevement, j’en ay eu encore vn autre : Ie reconnus
le lieu, & vis bien que j’étois au Ménil-Iourdain : Boullé & sa
grande amie y parurent, & nous estions auprés du cadavre de Picard,
où je vis vne beste effroyable grande comme vn cheval ; &
je croy que c’est la mesme qui parut apres en l’air vers la court de
la Maison de Louviers, & qui fit de si horribles cris. Les filles ont
dit beaucoup de choses en suite de cette vision : mais elles ne contiennent
pas vn mot de verité.

Ces deux enlevemens furent cause, lors que je les rapportay
en sincerité à M. Langlois, qu’il fit fermer ma chambre à la clef,
& du depuis il ne m’en est point du tout arrivé, en quelque façon
que ce soit. Si ceux-cy sont réels & effectifs, non pas imaginaires
& illusoires, le miserable Picard est mal traitté en l’autre monde,
& il faut que sa mort ait esté conforme à celle des méchans
aussi bien que sa vie. Ie prie mon Dieu qu’il me fasse vn traittement
plus doux ; & qu’ayant par sa grace cessé de luy adherer en
sa vie, je ne luy ressemble pas en sa mort.

CHAPITRE XIII.

IL est bien temps de parler du faict de mon devoilement qui
s’approche, & de declarer sur quoy il est fondé : car Picard mourut
au mois de Septembre 1642. ce me semble, & je fus devoilée
au mois de Mars de l’année suivante 1643. comme chacun sçait.

Encore que mon Confesseur m’ait toûjours dit icy que je le
meritois bien, puis qu’au lieu de servir Iesus-Christ, je servois son
ennemy ; & que devant estre vne bonne Religieuse, j’étois tres-méchante ;
neantmoins je ne puis douter que cette affaire n’ait
esté tramée contre moy avec vn peu de malice. La chose s’est
passée de la sorte que je m’en vay tout simplement raconter. Il
faut donc sçavoir que la Mere Superieure Catherine de la Croix,
la Mere Vicaire Catherine de Sainte Genevieve, & la Mere des
Novices Elizabeth de la Nativité, me haïssoient beaucoup, &
avoient vne grande animosité en mon endroit. Ie sçavois tout
ce qui se faisoit par elles dans la Maison ; & en particulier j’avois
toûjours abhorré ces trois creatures, à raison des pratiques infames
par où elles m’avoient fait passer. Cela leur déplaisoit ; & si
je me fusse liée davantage à elles, asseurément que je n’en serois
pas où j’en suis presentement. D’ailleurs, je croy qu’elles n’ignoroient

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pas qu’en me declarant à M. Langlois, à qui j’avois
liberté de parler quelque fois, bien que je ne l’eusse pas de me
confesser Sacramentellemẽt, je l’informois qu’elles se trouvoient
au maudit lieu où j’étois enlevée. Ce qui me le fait penser est,
qu’assez souvent j’ay trouvé des Religieuses qui écoutoient ce
que je luy disois. Il m’a pourtant esté impossible de les dicerner ;
elles s’evadans assez promptement, & le lieu étant obscur : seulement
en ay-je reconnu vne, qui se nomme Ieanne de Saint François.
Il y a plus, La Mere de la Croix desiroit que je me découvrisse
à elle dans mes troubles & mes peines : Ie luy répondis, que
mon affaire n’étoit pas pour des femmes, mais pour des hommes ;
& pour des hommes qui ne fussent pas bestes. Elle eust bien voulu
que je me fusse confessée à certain Ecclesiastique de la Maison,
puis que je n’avois pas la liberté de le faire au sieur Langlois. Ce
n’étoit point mon dessein, parce que je ne le croyois pas capable
de m’aider suffisamment ; outre que je luy avois veu faire quelques
actions assez peu honnestes vers des Religieuses, qui me
donnoient peu d’estime de sa personne.

 

Toutes ces conjectures ne sont pas si legeres, & meritent bien
d’estre pesées. Mais voicy l’occasion qu’elles prirent, pour se liguer
contre moy : Anne Barré, dite de la Nativité, avoit esté receuë
dans la Maison quelques mois devant la mort de Picard. Ie ne
sçay pas comme elle a vécu estant au monde : Mais il est certain
qu’assez tost apres son entrée, & lors qu’elle n’avoit encore que
son habit seculier, elle se comporta comme vne fille qui commençoit
d’avoir des visions, & qui étoit d’ordinaire hors d’elle.
Cela augmenta apres le deceds de Picard. Ie diray icy deux choses
qui me sont arrivées avec elle : L’vne est, que dans le mois de
Decembre de l’année 1642. le S. Sacrement étant en ma Cellule,
que M. Langlois avoit fait fermer à la clef, à cause des deux enlevemens
rapportez cy-devant, elle ne laissa pas de paroître dedans
la nuict, y apporta le papier de blâphemes, m’éveilla pour me le
faire lire : & refusant de le faire, me le lust distinctement tout entier,
le tenant entre ses mains : Dequoy j’avertis dés le lendemain
matin M. Langlois, qui en fut fort étonné : L’autre, qu’au mois de
Ianvier ensuivant de l’année 1643. elle me joüa vn étrange trait,
& qui peut donner ouverture à juger ce qu’elle peut estre. Ie
sortois de ma Cellule, & rencontray la Mere de Sainte Genevieve,

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qui me dit, Entrez vn peu en cette chambre, pour rester avec ma
Sœur Barré jusques à ce que je revienne. Elle étoit pour lors sur
vn lict, & commence de me dire en riant assez fort, Tu n’es pas
toute seule. Et qui est avec moy ? luy dis-je, Elle me répondit, le
Diable est auprés de toy. Ie luy demanday, en faisant le signe de
la Croix, En quelle forme ? Elle me répondit, De jeune homme,
mais tout nud. Ie luy dis, C’est vn vilain, je le renonce. Tais toy,
tais toy, me dit-elle, il sera bien-tost vétu. La Mere de Sainte
Genevieve étant de retour, je sors ; & dés que je fus sortie la porte
de la chambre, on me dépoüilla toute nuë, sans que je visse personne,
& m’enfuis promptement en ma cellule, où j’appelay du
monde ; dis ce qui s’étoit passé, priay qu’on cherchast mon habit ;
lequel on trouva (selon qu’on me le fit entendre) au grenier. Ie
n’estime pas ces deux choses là de petite consequence, si on les
veut approfondir. Mais quoy qu’il en soit, elle se lia extraordinairement
aux Meres de la pratique, & je laisse à Dieu de faire connoître
si c’est par leur moyen, ou par quelque autre voye qu’elle a
esté au Sabat, où je l’ay veuë, quoy qu’assez peu, parce que je n’y
ay point esté enlevée depuis la mort de Picard. Cette liaison toutefois
si étroite avec des creatures si sales, & cete particularité avec
la plus sale des trois, m’a toûjours esté fort en soupçon, & ne m’a
rien fait juger de bon de ses pretenduës revelations. Si la Cour
prenoit la peine d’examiner diligemment le tout, & que Dieu
daignast benir le travail qu’on prendroit, on pourroit découvrir
d’étranges mysteres. Il en sera ce qu’il luy plaira. Tout ce que
j’ay à faire remarquer icy est, que le trouble de la Maison a commencé
par elle. On l’a exorcisée plus de deux mois en cachete,
avant la venuë de Monsieur d’Evreux : Et le bon est que si Monsieur
Ravaut l’exorcisoit de jour, ces bonnes Meres, par le privilege
de leur sainteté eminente, bien que tres incapables de l’ordre
& de la fonction des exorcistes, à raison de leur sexe, l’exorcisoient
de nuict. Les demandes qu’elles luy faisoient estoient admirables ;
car elles l’interrogeoient avec grand soin sur la sublimité
de leur état de grace, & sur l’excellence de leurs ravissantes
perfections : Mais elles n’en demeurerent pas là ; leurs exorcismes
tendoient à la faire principalement parler de moy : Elle leur en
dit plus qu’elles n’en vouloient sçavoir ; & il fut ordonné que M.
d’Evreux seroit averty de tout, & qu’on le prieroit de venir. Monsieur

-- 44 --

Langlois étoit malade pendant ces belles tragedies, & il m’a
dit plusieurs fois, que s’il se fust bien porté, il eust bien empesché
qu’on n’eust pris cette resolution. Mais le saint Nom de Dieu soit
beny de tout : ce m’est vn bien qu’il ait permis qu’on m’ait humiliée,
afin que je retournasse plus serieusement & solidement à luy.

 

Anne
Barré
entre
de nuit
dans la
chãbre
encore
que la
porte
fust fermée
à
la clef.

Voila donc Monsieur d’Evreux arrivé : ce digne homme étoit,
vn des plus doux & benins Prelats que la terre ait jamais porté, &
que l’Eglise ait jamais veu : Il n’y a que moy seule, je pense, qui l’ait
éprouvé dans les dernieres années de sa vie vn peu severe : Mais
je le meritois bien, quand il n’y eust eu autre chose en moy à punir
que mon consentement redonné à Picard, pour faire la nouvelle
donation au Demon, dont il a esté parlé, apres la revocation que
j’avois faite des autres. Il apprend tout ce qui avoit esté dit de
moy dans les exorcismes secrets faits à la Sœur Barré, & peu apres
me fait venir à l’Infirmerie, où elle étoit. Ie ne m’attendois à rien
moins qu’à ce qui m’arriva : la Sœur Barré se met à declamer contre
moy, dit que c’étoit moy qui donnois des Diables à la Maison ;
que j’étois cause de tout le mal, & qu’il se falloit defaire de moy.
Puis se tournant vers Monsieur d’Evreux, & parlant en Demon,
ajoûta que quand il m’auroit devoilée & chassée, la maison seroit
guerie. Il demanda au pretendu Demon, Mais où iras-tu apres
que cela sera fait ? On luy fist réponse, Ie m’en vay posseder la Superieure
de Loudun dés que tu auras fait ce que je dis. Sur l’heure
mesme, luy qui m’avoit confessée encore pour la derniere fois
dans le mois de Novembre vers les derniers jours, me fit devoiler
& oster l’habit de Religion, sans autre examen ny preuve, le
troisiéme jour du mois de Mars de l’année suivante. Et parce que
ladite Sœur Barré avoit indiqué dans son discours que j’étois marquée,
il commanda à ces bonnes Meres de la pratique, de me visiter
& razer. C’étoit ce qu’elles demandoient, accoûtumées
qu’elles sont à repaistre leur veuë sensuelle des nuditez des filles ;
Et je puis dire que leur visite me fut aussi sensible & déplaisante
que mon devoilement.

Magdelaine
Bavent
est dévoilée
par le
cõmandement
de Mr
l’Evesque.

On deterra Picard le mesme jour de mon devoilement, & son
corps fut jetté dans vne morniere : la Sœur Barré le manda aussitost
à sa Mere, & l’asseura, que la Maison alloit estre guerie, puis
qu’il étoit exhumé, & moy sortie. Plusieurs m’ont attribué d’avoir
esté la cause de cette exhumation de Picard : Mais ils ne sont

-- 45 --

pas bien informez de l’affaire, & ils parlent trop precipitamment,
Il est vray que depuis l’enterrement de Picard, je croyois voit
toûjours vn Diable à l’Autel au lieu d’vn Prestre : je voyois la grille
comme pleine de Demons : je ne pouvois dicerner l’Hostie sinon
lors qu’on me la donnoit en la bouche. Davantage j’avois eu
deux enlevemens divers aupres de son corps, qui m’avoient extraordinairement
effrayée. Tout cela m’avoit porté à demander
à M. d’Evreux qu’on changeast le lieu du cadavre, & qu’on le mist
vn peu plus loin de la grille : Mais ce fut la Sœur Barré qui solicita,
pressa, & poursuivit, qu’il fust absolument exhumé, pour le jetter
à la voirie, bien que le tout se fist secretement, & que tres-peu de
personnes le sceussent. De sorte que nous fusmes tous deux traittez
selon nos demerites, sans autre procedure. Mais il étoit mort,
& n’en sentoit rien, & moy j’étois vivante, & le sentis vivement.
Ie ne crains point de dire, que je ne sçaurois me ramentevoir la
misere en laquelle on agist vers moy, sans y estre sensible encore.
C’est grande pitié de dire, qu’on me refusa seulement vne tente
& vn morceau de linge, pour mettre à mon sein, tout gâté & pourry,
qui me faisoit des douleurs insupportables, & que j’ouïs de
mes oreilles, Qu’elle meure si elle veut la miserable. Ioignant cecy
avec mon devoilement si prompt, & ma visite si-tost faite, je
confesse que les larmes m’en viennent aux yeux, & les soûpirs au
cœur. Toutefois il faut que je me souvienne toûjours que cette
conduite bien que fâcheuse en apparence, m’étoit la meilleure en
verité. Ayant perdu ma chasteté, que j’avois voüée, & mon saint
habit Iesus-Christ, sa grace, sa vertu, sa sainteté, qui est l’habit de
la nouvelle creature en la Religion Chrestienne, n’avoit-on pas
droit de m’ôter le voile, & de me dépoüiller l’habit de Religion ?
Puis que je n’avois pas visité mon ame & ma conscience soigneusement,
pour y reconnoître les marques criminelles de mon appartenance
au Demon depuis tant d’années, par tant & de si grieves
offenses, ne pouvoit-on pas visiter vn corps, pour voir s’il portoit
aussi quelques indices visibles de sa servitude ? Et comme je
devois estre dans l’Enfer comme au lieu deu à mes fautes, où les
damnez ont besoin de tout, & n’auront jamais rien, non pas mesme
vne goute d’eau pour rafraischir leur langue brûlante : puis-je
me plaindre comme si on avoit mal fait, lors qu’on m’a refusé
quelque petit soulagement à mes maux ?

 

Le
corps de
Picard
est deterré.

-- 46 --

CHAPITRE VIX.

Trois jours apres mon devoilement, Monsieur d’Evreux fit
venir la Sœur Barré, pour luy declarer elle mesme avec plus
d’exactitude & davantage d’étenduë tout ce qu’elle desiroit sçavoir
de ma vie, & de ma personne par revelation divine. On l’ouït
comme si elle fust venuë du Ciel ; & il se pourroit faire qu’elle seroit
venuë de plus bas. Ses paroles étoient autant d’Oracles. Tant
y-a qu’elle fust creuë en tout & par tout, & sans m’avoir oüy ni
parlé : personne n’entreprenant ma defense. Ce vertueux Prelat
qui avoit daigné depuis quatorze ou quinze mois estre mon Confesseur,
par la facilité de son naturel trop benin & trop credule,
donna Sentence contre moy, par laquelle il me condamna à demeurer
prisonniere toute ma vie, & à jeûner trois jours la semaine au
pain & à l’eau, sur les simples depositions d’vne fille, qui parloit
tantost en Sainte, tantost en Demoniaque. Sa Sentence fut
trop douce, eu égard à mes fautes precedentes, mais trop prompte,
eu égard aux sujets pour lesquels il la donna, puis que par la
grace de Dieu je croy en estre tres-innocente, & qu’en la verité
de Dieu je pense n’avoir jamais causé de mal à la Maison.

On m’envoya à la prison d’Evreux l’onziéme Mars, quelques
jours apres la Sentence donnée : & dés le jour que j’y arrivay on
me mist dans la basse fosse seulement pour trois heures. Au mois
de Mars le Fils de Dieu descendant du Ciel en terre, avoit daigné
reposer non pas trois heures, mais neuf mois dans la petite prison
des flancs de la tres-sacrée Vierge sa Mere, n’abhorrant point ce
lieu obscur, & trois heures entieres sur la Croix. Si j’eusse eu ces
pensées Chrestiennes, saintes & divines, j’aurois tiré profit de
mon état : Mais je n’avois point d’homme qui m’aidast à les prendre,
& je ne recourois point à Dieu pour les recevoir de luy : ne
vivant point de la foy comme les Iustes, mais de la passion brutale
comme les bestes : I’en ay fait vn tres-méchant vsage, & je ne le
tairay pas.

Magdelaine
Bavent
envoiée
en prisõ
par le
cõmandement
de Mr
l’Evesque.

Dans le mois d’Avril suivant, je fus remise pour quatre jours
& quatre nuicts dans la basse fosse. En voicy l’occasion : Monsieur
le Penitencier d’Evreux avoit pris la peine de me venir confesser
& communier ; C’étoit vne charité qu’il me faisoit, mais jamais
je n’ay esté contente qu’il me la fist, parce que je n’avois point
confiance en luy. Il aida à me juger en la Sentence de Monsieur

-- 47 --

d’Evreux. C’étoit luy qui me tenoit la teste apres mon devoilement,
pour empescher le Diable, disoit-il, de me faire couvrir &
dissimuler la verité de mes déportemens nuisibles à la Maison, &
m’exciter à accorder tout ce que la Sœur Barré declaroit. Tant
y-a que le meilleur eust esté de m’en donner vn autre, puis que je
le regardois cõme mon ennemy, & bandé tout à fait contre moy.
Ce fut luy neantmoins qui vint, & qui a toûjours voulu pendant
que j’ay esté en leur pouvoir, me rendre cét office. Or apres m’avoir
confessée & communiée, s’en allant à Louviers, il demanda à
la Sœur Barré ce que j’avois fait de la Cõmunion : Elle luy dit, parlant
en Demoniaque, que je l’avois envoyée par les Diables à la
Maison de Louviers, pour les fortifier tous en leur possession : Car
plusieurs filles apres la Sœur Barré, furent agitées diversement, &
on les prit toutes pour des possedées. Il pouvoit tres-bien juger
que cela ne pouvoit estre, puis qu’il avoit passé plus de trois quarts
d’heure aupres de moy, quand il m’eust donné la sainte Hostie, &
qu’il me fist prendre vn verre de vin. Si est-ce qu’il la creut ; &
on commanda de me remettre dans la basse fosse, qui est vn lieu
épouvantable.

 

Ce fut dans ce mesme mois, qu’étant tirée de la basse fosse, je me
donnay en vn desespoir, trois coups de coûteau ; l’vn au bras, pour
me couper les veines ; l’autre à la gorge, pour me couper le sifflet ;
& le dernier au ventre, où je le tins quatre heures enfoncé jusques
au manche ; & le remuant de fois à autre pour m’achever plus
promptement. Ie perdis beaucoup de sang, & devins extremement
foible. La seule playe du ventre s’apostuma, & je n’y mis
pourtant qu’vn peu d’eau fraische, n’ayant autre chose à y mettre.
I’eus beau demander vn Confesseur, on ne m’en voulut point
accorder, & M. le Penitencier s’obstina à me faire seul cét office.

Magdelaine
Bavent
se donne
trois
coups
de coûteau
étant
dans la
basse
fosse
prisonniere.

Les desespoirs me continuans, trois jours apres cette action
noire, j’en entrepris vne, qui ne l’étoit pas moins. Ie pris du verre,
le brisay, le broiay, & le pris par cueillerée, n’vsant d’autre chose
pendant quelques jours, afin d’avancer ma mort. Cela me fit vomir
quantité de sang par la bouche, & tõber souvent en defaillãce.

On a creu que le Diable m’avoit apporté le coûteau, & donné
le verre, parce que les filles interrogées là dessus l’ont dit : Mais
elles se trompent, & leurs Diables ne sont pas bien sçavans, ou
sont menteurs & peres de mensonge. I’avois trouvé le coûteau

-- 48 --

dans la basse fosse, en tâtonnant par tout : car je n’y voyois point
& pour le déroüiller, je l’éguisay quelque temps. Le verre étoit
d’vne bouteille pleine de vin que M. le Penitencier m’avoit envoyée
par aumosne. Tout cecy se passa dans le cachot de la cave,
qui est sur le soupirail de la basse fosse. Quand j’y reposois, je demandois
souvent à Dieu, Seigneur à quoy reservez-vous la miserable
Magdelaine, puis qu’elle ne sçaüroit mourir ? Ie luy rends graces
tres-humbles pourtant de m’avoir conservée, quelque chose
que ce soit qui puisse arriver de moy : car si je fusse morte en cét
état, j’étois perduë pour jamais, & il n’y avoit point d’esperance
de salut pour moy.

 

Quantité de personnes sont en peine comment j’ay peu guerir
sans remedes, & disent que ce sont là de grands miracles. Il
faut faire cette demande à Dieu, & non pas à moy. Ie les asseure
d’vne chose, sçavoir est, que le Diable ne m’a point guerie en ces
occasions, non plus qu’en celle de mon sein delaissée & abandonnée.
Il cherchoit ma mort & non ma vie ; ma perte eternelle, &
non mon salut, & Dieu tout au contraire vouloit la vie de la pauvre
pecheresse, & non sa mort ; le salut & la conversion de la perverse
& pervertie, & non sa perte. Où le secours des hommes m’a
manqué, j’ay trouvé celuy de Dieu : Moins je le meritois, & plus
je dois admirer sa bonté, qui fait pleuvoir ses miserations & ses
faveurs sur les Iustes & les injustes ; & qui envoye les rayons du
Soleil de sa charité aux bons & aux méchans. Que mon ame benisse
à jamais son tres-saint Nom, & que tout ce qui est en moy
publie eternellement ses misericordes nompareilles.

I’en vay rapporter vne, pour laquelle je luy ay de tres grandes
obligations, encore que je n’en aye pas bien vsé, non plus que des
precedentes. On ne sçauroit s’imaginer ce que j’ay enduré durant
ma prison d’Evreux, qui a continué cinq ans. I’ay esté tenuë
trois ans & demy dans les cachots, tant de la cave que d’enhaut.
I’y jeûnois mes trois jours prescrits, au pain & à l’eau, sans remission ;
& les autres jours j’étois assez mal nourrie. Trois ou quatre
fois on m’en a tirée plus morte que vive ; & j’ay passé cinq fois
sept jours sans manger ni boire, dans mes desespoirs. On m’a
fait visiter par divers Medecins & Chirurgiens quatre fois au
moins, avec des tourmens assez violens ; & la teste piquée de toutes
parts, & toute en sang, me grossist comme vn boisseau. Durant

-- 49 --

vn tres-long temps personne ne me voyoit, ni parloit, & Monsieur
de Longchamp gardoit mesme, par l’ordre de M. d’Evreux, la
clef de mon cachot, craignans que les Concierges ne me donnassent
vn peu d’air. I’étois dans des puanteurs & des ordures insuportables.
Tout ce que je dis est vray, & je ne sçaurois tout dire.
Mais ce qui me dõnoit davantage de peine, étoit ma conscience
tres-malade, à laquelle on ne remedioit point : car j’ay demandé
cent fois vn Confesseur, & je n’en pouvois obtenir d’autre que M.
le Penitencier, que je ne pouvois souffrir. Dans ce temps, & comme
je croy bien, prés de deux ans apres ma prison, Mõsieur le Curé
de Vernon vint à Evreux, & desira me voir : Il en parla à M. d’Evreux,
qui luy fit envoyer la clef de mon cachot, qui étoit pour
lors celuy de la galerie. Ie n’avois beu ni mangé depuis six jours,
quand il arriva. Il me parle de Dieu & de mes devoirs, & je l’écoute
de grand cœur : Car je proteste que tout ce qui m’a manqué n’a
esté qu’vn homme de bien, qui me mist dans le bon chemin. Nôtre
Seigneur m’envoya celui-cy : Ie commençay de m’ouvrir à
luy, & de l’asseurer que je voulois sauver mon ame ; mais que ceux
qui me detenoient, y mettoient empeschement, & pretendoient
perdre l’ame & le corps, ne me donnans personne en qui je me
pusse confier ; & ajoûtans foy à tout ce que disoient les filles de
Louviers. Il me demanda si je prendrois bien confiance en luy,
qui faisoit état de ne regarder que l’interest de Dieu & de mon
salut, & qui n’avoit point de part à l’affaire. Ie luy répõdis qu’oüy.
Et il se resolut de me donner quelques heures de son temps par
l’espace de plusieurs jours, pour oüyr ma Confession generale,
apres en avoir demandé la permission à M. d’Evreux, m’envoyant
tout le temps de son sejour, ma nourriture. Entre tous les poincts
qui l’affligerent le plus de ma Confession, furent mes cedules
données à Picard, & il eut la pensée de recourir fortement & assiduëment
à Dieu par les saints Sacrifices & les prieres ardentes.
Dieu qui ne lui avoit pas imprimé en l’esprit cette pensée en vain,
benit ses travaux & ses gemissemens pour vne ame rachetée du
sang de son Fils. Vn de mes papiers fut rendu le jour de la Pentecoste
sur l’Autel, à l’élevation du Calice, comme il celebroit la
Messe, & M. de Longchamp present ne le vid pas, mais sentit
passer prés de son visage quelque chose de tres-chaud à l’instant
mesme, & moy j’avois de tres grandes douleurs. Il fut encouragé

-- 50 --

par là à continuer & redoubler ses clameurs & ses soûpirs. En
effet je croy que tous ont esté rendus : Les vns jettez en quelque
place, dans vne chambre, où quantité de personnes étoient en
prieres. On en a trouvé dans ma main, & les filles de Louviers
ont voulu se servir de cét exemple, pour se justifier de quelques
malefices trouvez en leur main, bien qu’il y ait beaucoup à dire ;
car mes papiers sont contre moy, & elles ne pretendent pas que
leurs malefices pretendus mis par moy soient contre elles ; outre
que je ne les ay pas jettez étant pour lors comme insensible : Et on
les a prises sur le faict lors qu’elles alloient faire semblant de les
jetter en leur profonde fosse, ou plûtost de les recueillir : & tous
mes papiers ont esté rendus en plein jour, au lieu que tous leurs
malefices ne se trouvent que de nuict, lors qu’on ne peut pas voir
de tous côtez facilement. Quoy qu’il en soit de leur faict, qui
merite d’estre diligemment examiné, j’ay sujet de loüer Iesus-Christ
du mien. Ie pense que l’vn de mes papiers a esté rendu à
M. le Penitencier, sans que j’en sçache la maniere. Tous les autres
ont esté donnez aux prieres ferventes de M. de Vernon ; & ce
m’a esté vne grande consolation de voir que Dieu a approuvé ma
Confession generale de la façon que je l’ay faite à son serviteur,
quoy que je n’y aye pas dit tous les articles des filles de Louviers
contre moy, desquels je ne me sens point coupable, & pour lesquels
on ma devoilée, & reduite au lieu & en l’état où je suis. Que
les Anges & les Saints supplient pour moy vers mon adorable
Liberateur, qui est plus fort que le Tyran d’Enfer, qui luy ravit à
bon droit ses richesses & ses dépoüilles ; qui m’a delivrée de son
pouvoir tyrannique, & qui m’a retirée de la gueule beante de
l’Enfer, toute preste de m’engloutir. Mon ame en magnifie le
puissant & invincible Seigneur ; & mon esprit se réjouït à la veuë
de ses merveilles de misericorde en Dieu son salutaire, dautant
qu’il a regardé avec pitié l’extreme malheur de son infidele servante.
Ie prie tous ceux qui liront cecy, de l’en glorifier & benir,
parce qu’il le merite.

 

Magdelaine
Bavent
est visitée
des
Mede
cins &
Chirur
giens
pour
voir si
elle
étoit
marquée.

Le Curé
de
Vernon
confesse
Magdelaine
Bavent

CHAPITRE XV.

IE n’ay point fait le denombrement de mes papiers en rapportant,
comme ils me furent rendus, & il est bon de le faire.
Il y a la copie de ma profession, que Picard m’avoit autrefois demandée

-- 51 --

la Lettre au Pere Benoist Capucin, qui me fut emportée
aussi tost qu’elle fut écrite, & les trois cedules que j’ay specifiées
ailleurs. Voila tout : Mais il est encore à propos qu’on sçache que
tous ces papiers n’ont esté rendus en la mesme façon que je les ay
écrits ; car en quelques-vns on a ajoûté les deux premieres lettres
du nom & surnom de Mathurin Picard, M. P. qui n’y étoient pas,
& des lettres où on ne connoist rien, qui ressemblent à celles que
j’ay veuës au Sabat. Ie ne sçay si Picard a fait cette addition, ou si
ç’a esté quelque Demon. Peut-estre n’importe-il pas beaucoup de
s’en enquerir, & il me suffit que mon Dieu par sa puissance m’ait
tout fait rendre, ce qui sembloit m’engager à son ennemy. Il faut
que je parle maintenant d’autre chose.

 

Entre les peines que j’ay portées pendant ma prison d’Evreux,
les tentations interieures contre Dieu & Iesus-Christ son Fils,
m’ont esté les plus fâcheuses : Et parce que je n’étois pas fidele à
y resister, je me suis trouvée en des desespoirs horribles, où les fautes
que j’ay faites me semblent bien autres que celles de mes Sabats
plus passifs qu’actifs, & plûtost soufferts que recherchez. Ie
ne sçay si je me trompe dans ce jugement que j’en fais ; mais je le
croy ainsi, parce qu’outre que j’ay commis ces fautes apres de si
notables & extraordinaires misericordes de Dieu en mon endroit,
je n’étois point tourmentée des Diables au corps comme en ma
cellule, & aux autres endroits de la Maison de Louviers ; & depuis
ma sortie de Louviers je n’en ay jamais esté persecutée. Mais encore
que j’offensasse grievement Dieu en ces occasions, c’est vne
chose étonnante qu’il ne m’a jamais delaissée, & qu’il m’a toûjours
tres-particulierement assistée, continuant sans cesse à me
donner des preuves de sa volonté de me sauver, lors que je prenois
& suivois les moyens de me perdre : & s’il y a chose qui m’aide
à connoistre Dieu & moy-mesme, qui il est, & qui je suis, certainement
c’est celle que je vay raconter. Ie diray mes offenses
& ses faveurs, en avertissant neantmoins qu’on en fasse le jugement
qu’on voudra, dautant que je ne suis pas capable de le faire.

Il me semble que les tentations dont je veux faire mention,
m’ont attaqué deux ans & demy apres mes coups de coûteau, &
six ou sept mois apres ma Confession generale. I’en ay eu de deux
sortes ; les vnes de rage & de fureur à l’encõtre de nôtre Seigneur
les autres de desespoir, à cause de mes souffrances & humiliations,

-- 52 --

qui augmentoient toûjours, & me causoient beaucoup d’ennuy
& de tristesse. Vne fois la Concierge m’ayant presté ses heures, j’y
rencontray vne Hostie dedans : I’eus en l’esprit qu’elle pouvoit
estre consacrée, & par haine, dépit, & aversion de Iesus-Christ, qui
ne m’assistoit point en la façon que je l’eusse souhaitté, il me prit
envie de la piquer, comme on fait au Sabat : Vne vision me parut,
comme de quelque Ange, qui me dit que cette Hostie n’étoit
point cõsacrée, mais que je ne laissois d’estre tres coupable, pour
la méchante volonté que j’avois euë, de laquelle il me reprit &
tança âprement. Si cette vision étoit vraye ou non, d’autres l’examineront :
toûjours elle me fit du bien en m’empéchant ce mal.
Au reste il est certain que l’Hostie n’étoit point consacrée, & la
Concierge l’avoit apprestée (selon qu’elle le dit) pour cõmunier
à la Messe de quelque Chapelain, à qui elle la devoit bailler, parce
qu’il ne s’en rencontre pas toûjours de propre.

 

Vne autre occasion, peut-estre à cinq ou six jours seulement de
la precedente, si je m’en souviens bien, j’eus vne tentation bien
plus furieuse : quand tous les Diables eussent esté aupres de moy,
je croy que je n’aurois pas esté davantage tourmentée en l’interieur.
Il me sembloit estre toute acharnée contre Iesus Christ ; que
luy dis-je, mais que ne luy dis-je point ? Il m’arriva de luy faire des
reproches, de luy prononcer des injures, des blâphemes, des impietez.
Ie le blâmois & le tançois de me faire souffrir pour des
choses dont il devoit sçavoir que j’étois innocente, de m’avoir
mise entre les mains de gens qui ne cherchoient que la perte de
mon ame ; de me vouloir damner ; de me bannir du fruict de sa
Croix ; de m’exclure de sa redemption ; de n’estre point mort pour
moy ; d’avoir répandu son sang pour qui il avoit voulu, sans m’y
donner de part, &c. Aprés en dépit de luy j’invoquois les Demons,
je me promettois à eux de bon cœur, & m’y donnois interieurement :
Ie les conviay à prendre mon ame & mon corps, & à
emporter tout : Ie les solicitois par mes postures sales à jouïr de
moy, si cela servoit de quelque chose pour les attirer. Ie les priois
de me vanger s’ils pouvoient : Et certainement si j’eusse eu le
pouvoir sur eux qu’on m’attribuë, ils auroient fait merveilles :
Comme encore s’ils eussent eu tant de pouvoir sur moy, comme
on le croit, j’aurois esté bien-tost leur proye. Ce n’est pas tout,
car ne voyant, n’oyant, ne trouvant point de Diables qui vinssent

-- 53 --

à moy, ou me faire mourir, ou me tirer des mains de mes ennemis,
ou m’emporter en leur Enfer avec eux, je retournay à Iesus-Christ,
pour recommencer mes blâphemes. On m’avoit donné
l’Image d’vn Crucifix, qui étoit attachée à la paroy. Ie me bande
contre elle, & toute enragée, je la tourne contre la paroy, au lieu
qu’elle étoit tournée vers moy, parce qu’il me sembloit qu’elle
me menaçoit, & retiroit sa veuë de moy, outre que j’en avois horreur.
I’eus pour lors encore l’apparition du mesme Ange (si c’étoit
vn Ange) : Il me dit, que j’avois grand tort de m’en prendre à
Iesus-Christ crucifié, en qui seul je devois & pouvois esperer ; &
me commanda de defaire ce que j’avois fait, & de retourner vers
moy l’Image : Mais je luy resistay, & n’en voulus rien faire ; cela
fut cause qu’il s’en mit effectivement en devoir, la detacha & retourna.
Apres il me fit mettre à genoux, & me tinst en cette
posture vne bonne heure, demeurant toûjours aupres de moy, &
me faisant prononcer plusieurs paroles de devotion, par lesquelles
je tâchois de reparer ma faute : Ie me consacrois toute à Iesus-Christ
crucifié : Ie le reconnoissois mon Sauveur, mon Seigneur &
mon Dieu ; & je mettois toute mon esperance en luy : Puis il me
laissa, & je demeuray fort consolée.

 

Desespoir
de
Magdelaine
Bavent
qui appelle
les
Diables
à son
secours.

Mais cette consolation ne dura pas toûjours : trois semaines
apres ce que je viens de dire, il me prit des pensées de desespoir ;
& pour essayer d’avancer ma fin, ne pouvant faire autre chose, je
voulus retenir mes incommoditez de mois : Cela me causoit de
grands étoufemens, & je vomissois tout par la bouche : voicy derechef
la mesme apparition ; l’Ange se presente, me commande
d’ôter ce que j’avois mis autour de moy, ajoûtant que je ne m’attendisse
pas qu’il deust faire comme il avoit fait pour le Crucifix,
& qu’il ne me toucheroit point. Ie luy obeïs à la fin, & mes maux
interieurs & exterieurs cesserent.

Magdelaine
Bavent
vse de
tous les
moyens
qu’elle
se peut
imaginer dãs
son desespoir
pour se
faire
mourir.

Cecy ne fut point encore de durée, & je recommançois toûjours ;
lasse & ennuyée de vivre de la façon qu’on me traittoit, je
pris environ quinze jours apres ce que j’ay dit presentement des
araignes : En verité j’en pris de toutes les sortes, & à toutes sauces ;
de petites & de grosses ; de vives & de mortes ; d’entieres & de pilées.
Comme j’eus veu que cela me faisoit seulement affoiblir,
vomir, languir, & non pas mourir, je pense à vn autre poison. Sous
pretexte qu’il y avoit des rats en mon cachot, j’en fais acheter

-- 54 --

par vn pauvre garçon, qui cherchoit son pain ; & il ne manqua pas
de m’en apporter : Ie l’appreste, & il étoit déja tout battu & accommodé
pour le prendre, quand la mesme apparition se montre.
L’Ange prend mon arsenic que je tenois dé ja à la main, le jette, &
me defend de penser doresnavant à attenter sur ma vie, m’exhortant
à souffrir mes peines avec plus de patience. Ie ne croy pas
apres cecy avoir eu d’autres tentations ; ni de dépit contre Iesus-Christ,
ni de desespoir, au moins qui ayent esté fortes, & qui
m’ayent travaillée.

 

Si quelques-vns s’étonnent de ces choses, je les prie de n’en
juger que ce qu’ils trouveront à propos : ou elles sont d’illusion, &
toûjours j’ay receu assistance, & dans des besoins extremes : ou elles
sont de realité, & certainement je suis bien redevable à Dieu
de ses soins, pour vne miserable ; & je remercie vn bon Ange des
assistances qu’il m’a donné de sa part, comme je deteste ce mauvais
Ange des dommages qu’il m’a apporté, par-son envie criminelle
contre les hommes. Au reste, ce ne sont pas, peut-estre, là
les seuls services que ce bon Ange m’a rendus : Il y en a que je ne
puis déduire ; seulement diray-je que les hõmes m’ont esté cruels
en vn autre sens auquel on ne songe pas. La Iustice doit prendre
garde à qui elle nous baille à gouverner dans les prisons &
dans les voyages : car assez souvent on baille les brebis à garder
aux loups. Si j’eusse esté fille à vouloir leur obeïr, il y eust eu
d’étranges histoires : Mais Dieu qui m’a donné sa crainte de ce
côté là ; outre ce que j’ay dit de Picard & de Boullé, jamais homme
ne m’a rien esté. Mon esprit m’a donné plus de travail que
mon corps ; mais les hommes en ont voulu donner à mon esprit &
à mon corps. L’Ange de qui j’ay parlé m’y a assisté, & je n’en
puis douter : Car bien qu’il ne fust pas toûjours visible, je ressentois
quelqu’vn aupres de moy en certains rencontres qui m’aidoit
à resister, & il me sembloit que j’étois assez forte pour resister
à cent hommes. Certains que je connois me l’ont mesme dit,
& ne se sont pas vantez de leurs efforts vicieux, & de leurs volontez
malignes. Loüé soit des Anges & des hommes en la Terre &
au Ciel, dans le temps & l’eternité, celuy qui est si bon que de
commander à ses Anges de garder les hommes en toutes leurs
voyes, & de les porter dans leurs mains, crainte qu’ils n’interessent
leur ame contre la rude pierre des tentatiõs de cette vie presente.

-- 55 --

CHAPITRE XVI.

VN de mes plus grands travaux pendant ma prison d’Evreux
a esté, qu’on ne m’a presque jamais tirée du cachot au
moins dans certain temps que j’ay trouvé bien loin, pour autre
sujet sinon pour aller à Louviers. I’y ay fait tant de voyages, que
je n’en sçay point le nombre. C’étoit afin d’assister aux exorcismes,
& d’ouïr tout ce que les filles rapportoient contre moy, en
presence de tout le monde. Il n’y a que Dieu qui sçache ce que
j’y ay enduré en l’esprit & au cœur, lors que je m’y suis veuë l’opprobre
des hommes, & le mépris des peuples, passant pour la plus
detestable Magicienne qui eust jamais esté. Ie le dis devant Dieu,
que je ne croy point avoir esté ni Magicienne, ni Sorciere. Il est
vray que j’ay esté au Sabat : mais on m’y enlevoit, & je n’y ay eu
jamais aucune intelligence ni communication des malefices qui
s’y faisoient, parce qu’on se defioit de moy, & que j’y étois à regret.
I’ay fait aussi des cedules de donation au Diable : mais solicitée
par Picard, qui avoit vn maudit pouvoir sur moy par son art
Diabolique, comme les cedules mesmes le montrent, que luy mesme
m’a dictées & emportées, & je ne sçavois ce que j’écrivois,
étant pour lors hors de moy mesme : & jamais je n’ay demandé en
icelles le pouvoir de mal faire à personne en quelque façon que
ce soit : comme aussi n’en sçay-je pas les moyens. Ie me console
en la veuë du Iugement de Iesus-Christ, où la verité paroîtra, si
elle ne paroist point plûtost : Et je suis bien certaine que la vallée
de Iosaphat, où on dit, que tous les hommes doivent estre jugez,
découvrira les fourbes & les mensonges, si la Iustice de la terre ne
les découvre pas auparavant.

Dans Louviers, outre les exorcismes des filles, ausquels on me
faisoit assister, & les divers interrogatoires sur lesquels on m’a
forcée de respondre ainsi comme on a voulu, certaines choses me
sont arrivées, que je ne dois pas taire : La plus importante de toutes
regarde vn pauvre prisonnier, qui est maintenant en cette
mesme Conciergerie du Palais. A n’en point mentir, ma conscience
a esté extremement bourelée à son sujet : & je jure, que me
preparant à la mort, il n’y a eu que son affaire qui m’ait donné de
la peine, pource que Messieurs de la Cour ne m’avoient point interrogée
là dessus ; & si j’eusse esté conduite au suplice, j’avois preveu
& pourveu à en décharger mon ame. Ce prisonnier se nõme

-- 56 --

Du Val. Les filles de Louviers l’ont accusé de plusieurs choses ;
comme d’estre marqué, & que je le sçavois bien : d’avoir paru dans
ma chambre, &c. Apres qu’elles en eurent parlé en ces termes,
Monsieur le Penitencier me vint confesser : Il me tourmenta deux
heures la teste ; me fit vne infinité de signes de croix, afin que je
disse que cela étoit. Toute ennuyée & lasse que j’étois, je luy dis à
la fin, pour demeurer en repos : Et bien puis que vous le voulez,
cela est. Il me dit : Ce n’est pas tout, il le faut témoigner en public ; on
vous l’amenera l’apresdinée, c’est vn vieillard. Luy mesme s’y trouva
dans le temps qu’on l’amenoit : Et comme il entra, il me dit, Le
voila : & je répondis, Oüy le voila. Ie laisse à juger si c’est là vne
excellente conduite, pour faire reconnoître vn homme. Tant
y-a que j’ay esté merveilleusement inquietée de cette réponse,
parce que je ne le connois point, & ne sçay qui il est, & ne l’ay
jamais veu au Sabat ni ailleurs : Il ne sçait rien de ce que j’écris, &
je donne toute liberté de l’interroger contre moy : Mais je me sens
obligée devant Dieu, de prier la Iustice de n’avoir point d’égard
au faux témoignage que j’ay rendu de luy.

 

Magdelaine
Bavent
est en
grande
inquietude
à
cause
d’vn
prisonnier.

Personne ne doit s’étonner si j’ay dit cecy de cét homme, apres
les tourmens qu’on me faisoit, puis que j’ay avoüé & signé vne
infinité d’articles contre moy-mesme, qui sont aussi faux, comme
il est vray qu’il n’y a qu’vn Dieu, auquel tous ceux qui m’ont sans
cesse tourmentée pour les avoüer & signer, rendront compte de
leur procedure, aussi bien que moy, de ne m’estre point roidie plus
fortement contre la fausseté, & de me rendre, peut estre, cause de
ma mort. On me disoit à tous momens, que le Diable me fermoit
la bouche ; me lioit la langue ; m’empéchoit de m’accuser ; Si
bien que je ressemblois à ce possedé de l’Evangile, qui avoit vn
Diable muet que je n’avois garde de confesser des choses si horribles,
craignant d’estre remise dans la basse fosse ; d’estre penduë,
d’estre brûlée mesme toute vive, mais que je ne lairrois pas de
l’estre. Là dessus j’accordois tout ; & le desir d’estre hors des peines
& des opprobres que je recevois en suite des accusations de
celles qu’on pretendoit possedées, & qu’on écoutoit comme l’Evangile
de Iesus-Christ, par vne plus prompte fin, m’en eust fait
encore accorder d’avantage. Il faut que je rapporte icy ce qui
s’est passé en certaine occasion. Les filles dirent, qu’vn Ieudy
saint j’avois retiré l’Hostie de ma bouche apres la Communion,

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pour la donner à Belzebuth, qui me parut, à leur compte, assis en
vn Trône, & environné de Demons, dans le Cœur du Monastere ;
& que par apres me la rendant, j’écrivis dessus de mon propre
mouvement, que je me donnois à luy pour toutes ses volontez,
specialement au regard de la Maison. Que ne me fit-on point de
menaces, de tourmens, & de signes de croix, afin que je confessasse
cét article, & le signasse ? Monsieur le Penitencier s’en doit
souvenir : car apres avoir dit, que je le signerois comme le reste,
puis qu’ils le vouloient, & fait ce que j’avois dit : Ie le fis appeler
l’apresdinée, & luy dis, que je desirois me confesser, & qu’il apportast
le S. Sacrement, parce que je ne pretendois pas me confesser
à luy, mais à Iesus-Christ, de la faute que j’avois faite d’avoüer
vne si horrible fausseté, qui ne m’étoit jamais venuë en la
pensée. Il n’apporta pas le S. Sacrement, & se contenta de me dire
qu’il feroit oster du procés cette piece, qui n’étoit qu’vne adjonction.
Cependant, l’a-il fait ? Ie luy reprochay icy sa mauvaise
foy, & il me dit, qu’il dediroit l’article en pleine grand’Chambre,
& prieroit qu’on n’y eust point d’égard.

 

Il y a vn autre poinct qui m’arriva à Louviers, duquel on pourra
conjecturer comme j’y ay esté traittée. La premiere apparition
que j’ay euë depuis ma prison, ce fut là Ie ne sçay si c’étoit
du bon Ange, ou du mauvais : seulement suis-je bien asseurée,
qu’il ne ressembloit pas à l’autre dont j’ay parlé, & qu’il me faisoit
quelque horreur à voir. Tant y-a qu’il me dit, qu’il étoit venu
pour me dire, que j’avois oublié dans ma Confession generale la
plus noire de toutes les actions de ma vie, & que j’eusse à l’accuser,
non à la Iustice, mais à vn Confesseur. C’est, continua-il, qu’étant
Professe, & employée aux malades de l’Hospital, Picard vous
renversant contre les balustres de la Chapelle qui y est, & vous tenant
les bras étendus, se mit en état, tout debout, d’avoir vôtre
compagnie, apres avoir passé vne Hostie à ses parties honteuses, qu’il
retira pour mettre dans vn Livre : & puis pendant vne telle action
certain chat étoit accouplé par derriere avec luy. Voila qui est
horrible, & je proteste n’avoir aucun souvenir que cela nous soit
arrivé, sinon au Sabat, comme je l’ay marqué ailleurs. Si est-ce
que je fis sur l’heure appeler M. de Longchamp, pour luy dire ce
que je venois d’apprendre, & demander vn Confesseur, puis qu’on
m’y avoit obligée : On peut bien voir que je n’avois pas envie de

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celer mes fautes. Il me dit que c’étoit chose à confesser à Monsieur
d’Evreux, qui vint bien tost apres, & me donna en ma Confession
pour penitence, ou du moins m’obligea en conscience, je
ne sçay lequel c’est des deux, de le dire à la Iustice ; & on l’avoit
déja fait écrire quand on vint me le faire signer. Quand cét article
eust esté vray, n’y en avoit-il point assez d’autres dans le procés,
sans l’y mettre ? Et falloit-il mesme se servir de ce qui m’étoit
appris par cette voye, simplement pour m’en confesser dans le
secret ? Et étoit-ce là le moyen de m’encourager à faire vne confession
entiere & parfaite selon Dieu, si j’eusse eu d’autres choses
à dire.

 

Accusatiõ
horrible
contre
Magdelaine
Bavent

Ce qui suit est encore assez considerable : La Sœur Barré, qui
parlant en Demoniaque, dit avoir ordre de Dieu pour la découverte
des malefices, fit grand bruit par l’espace de quelques jours
de certaine boëte du Sabat, en laquelle se gardent & conservent
les Hosties, disoit elle, qu’on y porte, principalement celles de Picard
& les miennes. Il y en a vn long discours dans les exorcismes.
Tant y-a que la fille promit que la boëte seroit renduë dans peu
de temps, & fit là dessus des exagerations nompareilles, asseurant
qu’il y avoit en icelle des charmes de telle consequence, qu’aussitost
qu’elle seroit renduë, la Maison devoit estre entierement purgée
& garentie, ou du moins beaucoup soulagée : Ce que Picard
apprehendant, m’avoit fait autre fois jurer de ne confesser jamais
le secret, & les fins de ladite boëte. Elle ajoûtoit en ses propos,
qu’en la touchant j’en dirois bien, & qu’on auroit de la peine à me
faire taire. Pour moy je me suis toûjours extremement defiée de
la malice de la fille, à cause qu’elle m’avoit apporté autre fois le
papier de blâphemes en ma chambre fermée, & m’a fait dépoüiller
toute nuë par le Diable, comme il a esté dit. Ie craignois que
la boëte dont elle parloit ne fust maleficiée : & ainsi lors qu’elle
parut, & qu’on voulut me la faire toucher, pour reconnoître les
Hosties, & tous les ingrediens qui y étoient, je resistay assez pour
m’en defendre. A la fin il fallut obeïr pour les menaces qu’on
me faisoit : & veritablement en la touchant, mon esprit se sentit
rempli de plusieurs choses, lesquelles je produisis sur l’heure, sans
qu’il m’en soit resté du depuis aucune memoire. Mais d’où pense-t’on
que vienne cette boëte ? On pretend qu’elle vienne du Sabat,
& elle vient du grenier où elle a traisné long temps, & quelques

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Religieuses l’y peuvent avoir veuë. On croit qu’elle a esté jettée
en la place par miracle, & la fille l’a tirée de sa manche pour la jetter,
bien que M. le Penitencier le nie, alleguant qu’il la tenoit par
vn bras ; & des personnes presentes attestent l’avoir eux mesme
apperceu. I’ay toûjours dit, premier que de voir la boëte, que ce
poinct là seul suffisoit pour sçavoir bien des nouvelles de la malicieuse
procedure des filles : Et si on prenoit la peine de l’approfondir,
je n’en puis encore douter : Ie ne croy pas aisément leur
possession des Diables ; elles me l’attribuent, & je suis bien asseurée
qu’il n’y a rien de ma part, & que je n’y ay pû, ni ne peut rien. Elles
montrent des malefices en quantité, mais de nuict : c’est elles mesmes
qui les trouvent, & on leur prend entre les mains quand
elles sont prestes de faire semblant de les tirer de leur fosse, mais
qui ne guerissent de rien étant trouvez, mais qui sont en trop
grand nombre pour faire croire qu’vne Maison pour estre infectée
en requist tant, cela est trop facile à reconnoître faux par le poil de
leurs cheveux, & les filets de leurs couvertures, mais qui portent
toûjours les premieres lettres de mon nom & surnom, que je sçay
n’avoir jamais pensé à y mettre : & en la verité de Dieu je ne doute
point qu’elles ne les composent aussi bien que tous les ingrediens
de la boëte. Il n’y a qu’vne seule parole de Picard qui me
fasse soupçonner quelque mal en la Maison, sans que je sçache par
qui ni comment il a pû estre causé. C’est celle que j’ay rapportée
ailleurs, quand il me dit, Tu verras des merveilles apres ma mort,
y consens-tu pas ? Ie pense que si elles se convertissoient à Dieu, &
renonçoient à leurs impuretez, & se vouloient adonner d’vne autre
façon qu’elles n’ont fait aux exercices d’vne vie vrayement
Religieuse, haïssans le peché, & aimans la vertu, elles seroient
gueries, & feroient vne tres-austere penitence, pour appaiser l’ire
de Dieu, qui a esté tant offensé par leurs blâphemes, leurs sacrileges,
& leurs ordures.

 

Outre ces articles specifiez que je dédis, parce qu’ils sont tres-faux,
j’en cotteray plusieurs autres au chapitre suivant. Ie n’ay
plus rien à ajoûter en celui-cy que certaines choses qui concernent
Boullé. Plusieurs me font la cause de sa mort, alleguans, que
mes depositions y ont presque tout fait : Par la bonté de Dieu, ce
scrupule ne m’est point entré dans l’esprit. La Cour ne juge pas
vn Prestre à mort sur les simples depositions d’vne fille, & il falloit

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qu’il y en eut d’autres. On luy a trouvé les marques indiquées par
les filles premierement, & que j’avois veu luy imprimer. I’ay toûjours
dit, & tres-distinctement devant les Iuges, qu’on distinguast
les choses du Sabat d’avec les autres : Ma conscience est en repos
de ce côté : Mais j’ay icy à dire, que dans Louviers, où on me faisoit
aller souvent : comme j’entretenois Monsieur de Longchamp
sur mon devoilement, dans le Parloir, accommodé pour lors en
Chapelle, où on avoit dressé vn Autel, Boullé luy apparut au dessus
de la porte seulement de face, mais effroyable, selon qu’il l’a
dit ; & incontinent je le vis au dessus de l’Autel, la face seulement,
qui étoit deux fois plus grande que la naturelle, qui avoit des
yeux étincelans, & qui a côté du Crucifix sembloit me menacer,
sans me dire mot. De plus, vne autre fois que j’étois là pour deposer
de luy en sa presence, prenant occasion par quelque rencontre
de me dire que je m’en repentirois : Il me toucha, & je sentis
plus de vingt quatre heures comme vne ligature autour du corps,
qui me fit grande douleur : en suite dequoy j’ay toûjours desiré
lors qu’on me le confrontoit, qu’il fust vn peu loin de moy. C’est
pitié que le pauvre homme n’ait rien dit des choses dont il étoit
accusé : & je voy bien que la grace de Dieu est necessaire pour accuser
en humilité, douleur, confusion, & sincerité, nos fautes. Ie
la demande au Nom & par les merites de Iesus-Christ, bien que je
sois obligée de dicerner les fausses d’avec les veritables.

 

CHAPITRE XVII.

I’Ay esté extremement reprise par mon Confesseur, d’avoir
accordé & signé tant de choses fausses, alleguées contre moy
par les pretenduës possedées : En effet je devois davantage respecter
Dieu, qui est verité, & par amour vers la verité, ne les point
accorder & signer, nonobstant toutes les poursuites & violences
qu’on me faisoit, & toutes les peines & humiliations dont j’étois
accablée : Neantmoins je suis si malheureuse, que si je me trouvois
encore dans le mesme état, & les mesmes rencontres, je ne sçay
s’il ne m’arriveroit point d’en faire tout autant que j’en ay fait.
Mon Dieu ne le permettra pas, s’il luy plaist, on me donnera plus
de force.

Ce seroit bien plûtost fait de dire, que tout ce qui n’est point
avoüé de moy en cét écrit est faux, & m’est imputé à tort. I’abregerois

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beaucoup, & ceux qui ont veu le procés s’en pouvoient contenter.
Mais on trouve plus à propos que je specifie & déduise,
quoy que brievement tous les articles. Voicy les principaux dont
les filles m’accusent.

 

Que Dagon m’a épousée, m’est souvent apparu, & a eu diverses
fois ma compagnie, &c.

Que j’ay procuré quantité de décharges, & abusé d’icelles en
sortilege.

Que j’ay eu plusieurs enfans, morts, vivans, portez au Sabat,
mangez, &c.

Que plusieurs Diables & Sorciers ont joüy de moy, tant en ma
cellule, qu’au Sabat.

Qu à la persuasion de Picard j’ay cooperé & contribué à la
composition de plusieurs malefices.

Que j’en ay fait neuf ou dix composez d’ingrediens étranges,
& toujours consenty en particulier à ceux que Picard composoit.

Qu’on m’a promis au Sabat de me faire honorer comme on
faisoit la grande amie de Boullé, voire de m’y établir Reine, si
j’attirois certaines Religieuses à l’amitié de Picard.

Que j’ay fait & placé divers charmes en divers endroits de la
Maison, Chapelle, Hospital, parce que les Religieuses y logeoiẽt,
passoient, & marchoient.

Que j’ay veu composer à Picard celuy de la Sacristie dans le
Sabat, qu’on dit avoir esté fait pour exciter à charnalité.

Que je sçay des nouvelles de la ligature composée de huict
charmes, où est le C coupé.

Que plusieurs fois on m’a fait signer au Sabat sur vn registre
avec plusieurs autres Magiciens & Sorciers, me donnant à entendre
que c’étoit pour renouveler la promesse du secret au regard
de ce qui se passoit entr’eux.

Que Picard m’a diverses fois presenté des Hosties, sur lesquelles
luy & moy prononcions ensemble les paroles de la Consecration,
afin qu’il les remportast apres, ou qu’il me les fist vser.

Que j’ay baillé quantité d’Hosties aux Demons, consacrées au
Parloir de la sorte, ou tirées de mes Communions, & porté d’autres
en ma cellule, pour servir à ma sensualité, ou pour les prophaner
par autre voye, joignant mes intentions à celles de Picard, &
que la boëte presentée, comme venante du Sabat les contient,
avec d’autres.

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Que je sçay si les robes de Vironceau ont esté charmées avec
d’autres habits.

Que le charme appelé l’Etendard, ou Mariage spirituel, m’est
connu.

Que l’Any donné à la Sœur de Vironneau, & la tablette de
sucre donnée à la Sœur de Saint Bonaventure, ont esté portez au
Sabat dans la poche de la manche de mon habit Religieux, avec
lequel vn Prestre y dit la Messe, afin de les porter à m’aimer.

Que l’écorce de citron donnée au sieur Ravaut a esté charmée
par les mesmes voyes, & aux mesmes fins.

Que je sçay que Boullé a donné son consentement à Picard
pour tous les charmes de la Maison ; qu’ils les ont signé ensemble,
& dit plusieurs Messes au Sabat, afin qu’ils eussent plus de force.

Que Boullé apres la mort de Picard, en certain transport, m’a
demandé d’avoir sur moy le mesme pouvoir de Picard : auquel
apres avoir consenty, Picard mort m’a donné charge de faire avec
son Vicaire comme avec luy.

Que j’ay écrit sur vn des charmes du papier de blâphemes, Les
filles de Saint Louïs renieront à jamais la Trinité.

Que les Demons me demandãs vne renonciation au Baptesme
pareille à celle de Picard, je leur ay dit, agissez : Consentant qu’ils
la fissent pour moy, afin que mon écriture ne fust point connuë.

Que je sçay bien ce qui a esté fait d’vn enfant de Picard âgé
de seize ans.

Que je me suis servie de charmes pour me lier aux Demons.

Que Picard & les autres Prestres ont lavé leur honte avec le
sang de Iesus-Christ dans les Calices au Sabat, devant que de venir
aux actions impudiques, & que je me suis laissée aller à cette
mesme abomination.

Que j’ay veu des femmes accoucher au Sabat, dont les enfans
ont esté égorgez par les propres meres & les assistans ; déchirez &
enfoüy dans terre, ou mangez avec les miens, apres en avoir pris
les parties principales pour la composition des malefices.

Que je me suis charnellement jointe au bouc, par le desordre
de mon inclination au plaisir charnel apres l’avoir adoré.

Que j’ay connu charnellement les Demons pendant ma prison
d’Evreux, a pres quoy je leur ay demandé d’augmenter le mal de
la Maison, & de faire mourir M d’Evreux avec le sieur Ravaut, &
tous ceux qui étoient cause de ma detention.

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Que j’ay envoyé, & eu tout pouvoir d’envoyer les Demons
dans les corps.

Que les Demons m’ont apporté du poison, le coûteau & le
verre, pour me causer ma mort moy-mesme en la prison.

Que je suis venuë au Monastere déja gâtée par Bontemps, & à
dessein de le gâter.

Que Picard m’a montré vn memoire où étoient inserez les
noms de ceux & de celles qu’il pretendoit attirer à luy, & dont il se
servoit en l’application de leurs malefices.

Que j’ay veu vne missive de Picard écrite au bouc, pleine d’adorations
& d’excuses, de ce qu’il ne pouvoit assister à vn Sabat.

Qu’vn an devant ma prison j’ay pris l’Hostie de ma Communion,
l’ay portée au Parloir, luy disant avec vn regard de haine :
Ie te reconnois pour mon Dieu icy present aussi bien qu’au Ciel, &
tout aussi puissant : mais pour montrer comme je te meprise je te foule
aux pieds : & puis l’ay jettée en terre, brisée, & vsée deux jours
apres.

Que je connois le malefice de quelques Hosties laissées par Picard
en mourant, & posées en la grange du Ménil par les Sorciers,
de mon consentement, & en ma presence.

Que j’étois presente aux Sabats lors que les resolutions furent
prises pour les charmes de la Maison, referant mes intentions à
celles du general, & consentant en particulier à vn, placé à la porte
de l’Eglise.

Que mon mal de sein étoit la marque du Diable, qui me le
doit avoir guery.

Que les Diables avec vne Hostie que j’ay retenuë de ma Communion,
& quelque goute de mon sang tiré de la veine de dessus
le cœur, m’ont fait vn charme en forme de boulot, me l’ont appliqué
sur le cœur ; me l’ont laissé, pour les attirer à moy avec tous les
Sorciers & Magiciens que je voudrois, prenant ledit boulot en
main, pour avoir leurs accouplemens, & pour dõner mon concours
à tous leurs malefices, afin de me transporter de lien en autre.

Que j’ay receu puissance au Sabat de charmer toutes les personnes
que je voudrois en les touchant, en les regardant, ou en
leur donnant quelque chose, soit pour me faire aimer, soit pour
toute autre fin.

Que je sçay bien qu’il y a eu vn jeton destiné au Sabat pour

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charmer M. Langlois & celles qu’il oiroit de confession, & vn autre
pour Marie Cheron, & tout le Noviciat.

 

Que j’ay écrit sur vne Hostie consacrée en l’appliquant au
papier de blâphemes pour vn des quatre charmes, les premieres
lettres de mon nom, M. B. apres avoir fait sur la mesme Hostie
ma renonciation à Dieu.

Que j’ay souvent oüy parler à Picard de la possession des Religieuses.

Que Picard m’a fait connoître son dessein d’estre enterré tout
auprés de la grille, quand il seroit decedé, & pour quelles fins.

Que j’ay reservé vne Hostie de ma Communion, puis l’ay
brûlée, en disant à Iesus-Christ, Ie veux que ta puissance cesse sur
moy à mesure que les especes brûleront en ce feu.

Que j’ay appliqué au papier de blâphemes l’Hostie que j’avois
foulée aux pieds, pour recevoir force de n’estre point convaincuë
par Dagon, lors qu’il declareroit ma méchanceté.

Que j’ay écrit vne M sur vne Hostie consacrée, qui étoit alors
entre les mains de Picard.

Que les Demons retirans l’Hostie que j’avois jettée au feu, la
rendirent à Picard seulement roussie & enfumée par vn coin, &
que Picard me la bailla pour appliquer à son trezain, dont je ne
sçay le mystere.

Qu’vn Religieux m’a baillé vne grande Hostie consacrée, pour
la donner à Picard, apres l’avoir gardée huict jours dans ma celle.

Qu’il y a eu des poudres dans ma chambre pour faire des malefices.

Que dans vne rage j’ay demandé à Picard vne Hostie consacrée
pour la piquer.

Que je sçay bien (cõme y étant presente) que le Vicaire Boullé
durant sa Messe au Sabat, a envoyé couper du poil des parties honteuses
à toutes les femmes qui étoient presentes, pour le mettre
dans le Calice, & le boire tous apres luy.

Que j’ay donné mon consentement à Picard pour faire mourir
trois des Religieuses, par vn charme qui sert à faire méchans ceux
qui entreroient dans l’Hospital, pour luy offrir tous les malades
de l’Hospital au moment de leur agonie, & mettre des patenôtres
de Sabat sur leurs corps morts.

Que Du Val que j’ay veu marquer au Sabat, m’a envoyé de son
sang par Verrine son Demon.

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Que j’ay donné vne Hostie de ma Communion à Belzebuth
assis en vn Trône, &c. sur laquelle j’écrivis, que je me donnois à
luy pour toutes ses volontez au regard de la Maison.

Que Picard aprés sa mort m’a defendu de parler des malefices,
& de l’accuser vers Monsieur d’Evreux, sous de grieves peines.

Que j’ay oüy au bouc prescrire & ordonner avec voix rauque
les malefices au Sabat, leurs compositions, leurs effets, &c :

Que je fortifie de plus en plus les Diables pour la possession
des filles ; que je leur envoye mes Communions, & que je leur
fais de nouvelles donations & cedules.

Bon Dieu ! combien d’articles, & d’articles capables d’épouvanter
tous ceux qui les liront ! encore ne sçay-je s’il n’y en a point
quelques-vns d’obmis, à cause du grand nombre, & quelque fois
de leur ressemblance : Mais nonobstant leur multitude, & leur
enormité, je les confesserois tres-librement avec l’accusation, s’ils
étoient veritables : Aussi bien ce n’est pas mon dessein de penser
à sauver ma vie, mais seulement mon ame ; & j’ay déja envisagé la
mort & le supplice par plusieurs jours, & ay tâché de me mettre en
l’état auquel je veux estre pour aller à Dieu par la voye qu’il luy
plairoit ordonner sur moy. Il y a assez dé crimes dans tout le cours
de ma miserable vie, sans qu’on m’impute ceux-cy encore. Dieu
n’a pas permis que j’y sois tombée : & comme j’attribuë à sa grace
la remission des pechez commis, aussi dois-je luy attribuer la preservation
des autres que je n’ay pas commis. S’il permet que les
filles soient creuës, je l’accepte de bon cœur, afin de luy sacrifier
ma reputation avec ma vie. Ie le prie seulement de me pardonner
la faute que j’ay faite en leur accordant & signant autre fois
presque tous pour me delivrer des opprobres & des tourmens, parce
que je n’ay peu offenser de la sorte la Verité, sans l’offenser
luy-mesme, qui est le Dieu de verité.

Magdelaine
Bavens
se prepare
à
la mort.

CHAPITRE XVIII.

Vne bonne partie du temps de ma prison d’Evreux a esté
employée en voyages à Louviers, pour ouïr contre moy les
articles rapportez, & plusieurs autres dont je ne me souviens
point. Sur la fin neantmoins Monsieur d’Evreux me fit traitter
beaucoup plus doucement, & me donna aussi plus de liberté en la
prison ; & si j’eusse voulu m’evader, je gardois assez souuent les

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clefs de la porte. Il prenoit mesme la peine quelque fois de m’appeler
en l’Evesché, où on me donnoit à manger, & on me laissoit
prendre l’air. Ie prenois occasion de luy parler de mon devoilement,
& de ce qu’il m’avoit fait souffrir, bien qu’en la verité de
Dieu, jamais je n’eusse causé de mal ni à la Maison, ni à personne ;
toutes mes fautes étans contre Iesus-Christ seul, comme il est
tres vray, & ne prejudicians qu’à mon ame. Il me répondit, que
l’affaire de Louviers étoit bien embroüillée, qu’il n’y connoissoit
plus rien ; qu’il falloit que la Barré fust vne grande Sainte, ou vne
grande Magicienne ; qu’il voudroit ne s’en estre jamais meslé : &
ajoûta en son dernier voyage de Paris, qu’à son retour il faudroit
voir ce qu’il feroit de moy, & où il me placeroit. Dieu l’appela en
l’autre monde, lors qu’il sembloit commencer d’avoir quelque
bonne volonté pour moy ; & il voit à present tout ce qui est de
l’affaire des filles, ausquelles sa trop grande bonté, douceur & facilité,
ont esté nuisibles. Cependant je suis demeurée prisonniere,
& il a fallu venir des prisons d’Evreux en celles de Roüen. I’en
vay déduire le sujet.

 

Il a esté dit, que le mesme jour de mon devoilement, le cadavre
de Picard avoit esté exhumé, & jetté en vne morniere : mais l’affaire
s’étoit passée en secret. On en ouït neantmoins parler ; car
les filles ont toûjours trop de langue, & je l’ay bien eprouvé ; car
celles de Louviers ont dit de moy ce qui étoit, & ce qui n’étoit
pas. Là dessus il en fut fait recherche, & des personnes qui cherchoient
des cuirs le trouverent. Ses parents en firent plainte à la
Cour de Parlement, qui ordonna qu’on fist enqueste, pour découvrir
l’autheur de l’exhumation. Le bruit couroit assez, & on apprist
bien-tost que cela avoit esté fait par le commandement de
Monsieur d’Evreux. Ainsi les nommez Estienne & Roch Picard,
frere & neveu, intenterent procés contre luy, pour en dire les
raisons. Il evoque l’affaire à Paris au Conseil, qui apres plusieurs
poursuites de part & d’autre, donna vn Arrest, par lequel il fut
ordonné, que le corps seroit inhumé de nouveau aux frais dudit
sieur Evesque. Le Promoteur d’Evreux étoit pour lors à Paris,
qui presenta requeste, pour faire surseoir l’Arrest, & obtint à la
fin, que le procés seroit renvoyé au Parlement de Roüen, pour
juger l’affaire diffinitivement. Voila la cause pour laquelle on me
fit venir avec le cadavre de Picard, & Boullé son Vicaire, en l’année

-- 67 --

1647. quelque temps apres la mort de Monsieur d’Evreux.

 

Les chifõniers
trouvent
le
corps de
Picard
jetté à
la voirie.

Ce ne fut pas vne petite humiliation pour moy, qui suis de la
ville : Le peuple me regardoit comme la plus horrible Magicienne
qui ait jamais esté au monde : mais sa voix en cecy, non plus qu’en
plusieurs autres choses, n’est pas, à mon avis, celle de Dieu. Ie suis
grande pecheresse, & non pas grande Magicienne. Si les personnes
qui font profession de cét art Diabolique, n’en sçavoient point
davantage que moy, la terre n’en recevroit pas de grands maux.

On me conduisit à la prison de l’Archevesché, sans m’ordonner
vn morceau de pain seulement pour ma nourriture. Tout le
mon de m’y venoit voir par curiosité ; & je pense qu’on prenoit
garde si on ne voyoit point des Diables à mes côtez. I’oyois des
discours, qui ne me consoloient gueres ; car on n’en disoit pas
moins qu’ailleurs : Que je meritois d’estre brûlée à petit feu toute
vive : Qu’il falloit inventer pour moy de nouveaux supplices, &c.
Dieu ne laissa pas d’inspirer quelque personne de condition, de
m’envoyer quelque petit ordinaire pour me sustenter.

Entre les Ecclesiastiques qui prirent la peine de me visiter, je
suis grandement obligée à la charité de M. le Penitencier de
Roüen : Il daigna se charger de la conduite de mon ame, & parce
que ses occupations ne luy permettoient pas de me parler autant
qu’il jugeoit que j’en avois besoin, il pria vn Prestre de la Congregation
de l’Oratoire, de l’aider en ce rencontre. C’étoit tout ce
que je demandois, & ma seule apprehension eust esté que M. le
Penitencier d’Evreux me fust venu encor tourmenter. S’il s’en
fust meslé, comme il le pretendoit bien, & m’en parloit quelques
fois, j’étois mal. Il faut avoir confiance aux personnes qui dirigent
la conscience, & je ne sçaurois luy en avoit. L’apparence, si
on sçavoit les choses ; outre ce que j’ay déja dit de sa procedure
vers moy, mes mécontentemens s’étoient accreus contre luy par
d’autres rencontres : Il m’avoit fait visiter à Evreux deux fois au
corps, à cause que les filles de Louviers disoient que j’étois grosse,
bien qu’en ce temps là je ne voyois personne. Il avoit esté present
à Louviers, pour voir visiter ma teste : & luy-mesme, qui me
confessoit, prenoit la peine de leur marquer divers endroits à
piquer ; dequoy je le tançay âprement. Sur le rapport des filles
il étoit venu autre fois me demander froidement ce que j’avois
fait de mes enfans venus à terme ; & je le frapay de colere, le renvoyant

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consulter ses Oracles de Louviers. Il s’étoit amusé à me
faire des exorcismes avec le bon Monsieur Gauffre ; me traittoit en
possedée, & je le trompay d’importance ; car je la contrefis, pour
luy donner le passe-temps qu’il cherchoit ; & j’imitay parfaitement
ce que j’avois veu pratiquer aux filles & à la Sœur Barré, sa
grande sainte, sans instructions à l’oreille, ni de luy ni d’autres, devant
les exorcismes, encore que je le reprisse aigrement apres d’abuser
ainsi de son Maistre & du mien, qui étoit au tres saint Sacrement,
lequel il tenoit en cette action ; luy repetant tout ce qu’il
m’avoit dit, & tout ce que je luy avois reparty, & luy disant qu’il
donnoit matiere de rire aux Huguenots. Lors qu’on fit mourir
Bellard, accusé de sorcelerie, à Evreux, comme on m’eust fait venir
devant luy, qui étoit tout prest d’aller au supplice, & avoit déja
eu les tortures, pour luy estre Confrontée sur ce qu’il avoit dit de
moy : ledit Bellard répondit, que tout ce qu’il en avoit dit n’étoit
que par vn oüy dire public ; & que pour ce qui concernoit le papier
de blâphemes, son Confesseur Mr le Penitencier luy avoit dit,
que s’il pouvoit parler de moy en ce faict, il luy donneroit six sols :
pour lesquels avoir (sa pauvreté étant extreme) il avoit dit à dessein
de le contenter, que je l’avois mis entre Louviers & Evreux :
En suite dequoy je fis demander le Confesseur en presence des
cinq Iuges, qui se cacha, & ne parust point. Mon Confesseur vouloit
absolumẽt que je ne misse point ces choses, & m’en a suppliée :
Mais parce que je desire que cette Confession testamentaire soit
mise entre les mains de la Cour, plusieurs personnes de condition,
à qui je les ay dites, luy ont dit qu’elles étoient de consequence, &
qu’il étoit obligé de me laisser libre. Ie laisse à penser apres tout
cecy, si j’ay occasion d’avoir vne grande confiance en vne personne
qui cherche ma perte entiere.

 

A dire vray, je receu vne consolation tres-particuliere de voir
mon ame en d’autres mains que les siennes : Et je le dis de bon
cœur, j’ay loüé cent fois Dieu dans ma prison de Roüen de sa providence
vers la miserable Magdelaine, à la faire venir en cette
ville, & à luy donner pour sa conscience les personnes qui la dirigent.
Si je les eusse eu dans le Monastere, je ne serois pas ce que
je suis : & si on m’eust conduite en leur mesme façon, j’aurois davantage
profité de mes tourmens, & aurois évité beaucoup d’offenses.
Leur premier travail a esté de me gagner le cœur à Dieu.

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Ce n’étoit pas de mes Sabats qu’ils me parloient, comme les autres
qui me venoient voir à la Cour d’Eglise. Ils m’entretenoient
de mes devoirs vers Dieu, & de mes infidelitez à son service. Peu à
peu je me sentis touchée, & leur fis le narré de ma miserable vie,
ou plûtost de ma méchante mort : car je n’ay commancé de vivre
selon Dieu qu’aux prisons de Roüen, lors que je me suis preparée à
mourir.

 

C’eust esté mon dessein de faire bien-tost ma Confession ; car
depuis ma generale, je n’en avois pas fait vne bonne : mais ils me
dirent que ce n’étoit pas où il falloit commancer, & qu’il étoit
question auparavant de se convertir serieusement & solidement
à Dieu par la penitence interieure du cœur humilié & contrit, &
exterieure du corps affligé & mal traitté. De plus, que je devois
travailler à oster de moy toute haine, inimitié, aversion contre feu
M. d’Evreux & les filles. Ce dernier poinct me déplaisoit vn peu :
neantmoins apres plusieurs jours de prieres, de larmes, & de lectures
devotes, Dieu me fit la grace de pouvoir tres-aisément prier
pour feu M. d’Evreux, & me resoudre d’écrire aux filles. Ils virent
mes lettres, & y changerent trois ou quatre mots, qui ne leur sembloient
pas assez humbles. Elles étoient adressées à la Mere Abesse :
& apres luy avoir dit, qu’on se disposoit à travailler bien-tost
au procés pour le vuider, & que je m’apprêtois à parler à mes Iuges
en toute verité & sincerité, comme à Iesus-Christ mesme : Le
reste ex exprimé en ces termes : Ie demande pardon à toutes des
fautes tres-grieves & innombrables que j’ay commises en la Maison
de Dieu, où je ne devois faire que de tres-saintes œuvres, selon ma vocation.
Il n’y en a pas vne depuis la premiere jusques à la derniere
d’entre elles à qui je ne pardonne d’aussi bon cœur que je souhaite
que nôtre Seigneur me pardonne. Si j’ay eu quelque pensée qu’on ait
agi trop rigoureusement contre moy ; I’espere qu’elles auront toutes
assez de bonté pour en faire autant à l’endroit de la miserable Magdelaine,
qui est toûjours leur pauvre, bien que tres-indigne, Sœur, &
qui est preste d’expier ses offenses contre Dieu en la maniere qu’il luy
plaira. Peut-estre ne nous verrons nous plus elles & moy en ce monde : Ie
suplie nôtre Seigneur Ie sus, que nous nous puissiõs revoir devant luy.
Ce sera là où nous paroîtront vrayement ce que nous sommes, n’y ayant
rien de caché à ses yeux ; & où nous recevrons nôtre Iugement, qui est
beaucoup plus à craindre que celuy des hommes, puis qu’il est à toute
eternité. Priez-le par ses travaux, & par sa douloureuse mort, qu’il
me soit doux & favorable.

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Mes Lettres leur furent renduës par vn honneste homme, qui
demanda si on n’y feroit point vn petit mot de réponse. La Mere
dit, que son conseil ne le trouvoit pas à propos. Il me semble pourtant
qu’il est toûjours à propos do tesmoigner qu’on pardonne
volontiers, quand nous en sommes suppliez. Mais chacun sçait
comme je l’entend, & non pas comme l’entend Iesus-Christ. Les
personnes qui me dirigeoient creurent que j’avois satisfait de ma
part à mon devoir, & M. le Penitencier commença d’entendre
ma confession generale. Ie creus que c’étoit assez que je la fisse depuis
ma derniere à M. de Vernon, puis que nôtre Seigneur sembloit
l’avoir autorisée & approuvée, en me faisant rendre mes papiers
fort peu apres l’avoir achevée : Ie la fis en cette sorte, & il me
differa l’absolution jusques au temps qu’il jugeoit le devoir faire,
afin que je m’y disposasse mieux. Ce n’étoit pas suivre la procedure
de ceux qui me confessoiẽt & me dõnoient l’absolution à Evreux,
& puis me faisoient aller à Louviers, pour y paroître en qualité de
Magicienne, & y écouter des crimes dont je n’avois garde de me
confesser, n’ayans jamais eu la pensée de les commettre. Mais certes
la penitence qu’il me donna, me sembla tres rude. Sans parler
du reste qui ne m’importunoit point, il voulut que j’envisageasse
tous les jours la mort, & que je me tinsse vn tẽps notable aux pieds
de Iesus-Christ crucifié, pour luy offrir ma vie, afin que s’il le permettoit,
elle luy fust sacrifiée par la voye la plus humiliante. Dieu
me fortifia beaucoup en y satisfaisant, & j’avouë que cela m’a
bien servi, & plus qu’on ne pense.

Ie fus changée de prison quand on fust prest à deliberer sur le
procés, & on me fit mener en la Conciergerie du Palais. On me fit
monter deux fois devant la Cour dans le mois d’Aoust, pour estre
interrogée & ouïe, & je pense y avoir bien esté trois heures chaque
fois Chacun sçait l’Arrest qui fut donné & executé contre
Boullé, & le corps de Picard, dont voicy la teneur.

Extraict des Registres de la Cour de Parlement.

VEV PAR LA COVR, les grande Chambre, Tournelle
& Edict assemblées, le procez criminel extraordinairement
encommancé par le Conseiller d’icelle à ce deputé : Sur la
plainte d’Estienne & Roch Picard, frere & neveu de deffunt
Maistre Mathurin Picard, viuant Prestre Curé du Mesnillourdain,
& se disans heritiers d’iceluy : Appellans comme
d’abus de ce qui fait a esté par Messire François de Pericard, Evesque d’Evreux,

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& de la sentence parluy donnée le 12. iour de Mars 1643. portant
qu’exhumation seroit faite du corps dudit Picard de l’Eglise du Monastere
des Religieuses hospitalieres de S. Louys de Louviers, à l’instance du Promoteur
de l’Officialité d’Evreux, en suite des procedures pour ce faites par ledit
sieur Evesque ; ledit procez continué & achevé tant par ledit Conseiller Commissaire,
que par le sieur Barillon, Maistre des Requestes de l’Hostel du Roy,
& par Maistre Antoine Routier, Lieutenant Criminel du Bailly de Roüen,
au siege du Pont-de larche, en execution des Arrests & commissions du
Conseil Privé du Roy, contre la memoire dudit Picard, au Cadavre duquel
Laurens Touroude auroit esté estably Curateur : De Magdeleine Bavent cydevant
Religieuse audit Monastere, & de Maistre Thomas Boullé Prestre,
Vicaire de ladite Parroisse du Mesnil-lourdain, accusez de Magie, & d’avoir
donné lieu aux malefices qui ont causé les desordres arrivez au dit Monastere
de S. Louys de Louviers, ledit Boullé & ladite Bavent prisonniers en la
Conciergerie du Palais : Arrest du Conseil Privé du Roy, du dernier Iuin 1645.
Par lequel avoit esté ordonné que par ledit Routier, Lieutenant Criminel au
Pont-de-larche, il seroit incessamment procedé iusques à sentence diffinitiue
exclusivement, pource fait estre ledit procez apporté au Greffe de cette
Cour, & iugé par icelle : Procez verbal dudit Evesque d’Evreux, du 2. iour de
Mars 1643. tant de la representation à luy faite, lors de sa visite audit Monastere
des Religienses y nommées, possedées & agitées par le malin esprit,
que des exorcismes faits sur aucunes desdites filles : Audition desdites Religieuses
devant ledit Evesque, du 3. dudit mois : Declarations & reconnoissances
faites par aucunes desdites Religieuses possedées ou maleficiées de ce qui
leur estoit arrivé, & pretendu avoir esté revelé des 9. Fevrier, 4. & 5. Mars audit
an : Infomation faite par Maistre Pierre de Langle, Penitencier d’Evreux,
Commissaire à ce deputé, de la vie, mœurs & comportemens desdites filles
possedées & maleficiées, du 3. Mars : Procez verbal de l’exorcisme, descouverte
& enlevement des malefices des 5. six & 7. dudit mois : Interrogatoires
de ladite Bavent : Cahier de recollements & confrontations de tesmoins à
ladite Bavent : Articles baillez par le Promoteur à l’encontre dudit deffunt
Picard : Information faite par ledit de Langle Commissaire à ce deputé, sur
les vies & mœurs dudit deffunt Picard, du 11. dudit mois ; Conclusions dudit
Promoteur sur ledit procez dudit iour : Ladite sentence renduë par ledit
Evesque le 12. Mars 1643. Par laquelle ladite Magdeleine Bavent auoit esté
declarée, deuëment attainte & conuaincuë d’apostasie, sacrilege & magie,
d’avoir esté au Sabat & assemblée de Sorciers & Magiciens, par plusieurs &
diverses fois, d’avoir obey aux Diables, & obtenu d’eux le pouvoir d’employer
ses charmes sur telles personnes qu’elle voudroit, d’avoir consenty
qu’il en ait esté mis, ou en avoir fait mettre en plusieurs lieux dudit Monastere,
de s’estre donnée au Diable diverses fois par billets & cedules, signées
de son propre sang, voire mesme d’estre retombée en cette abomination,
apres la renonciation faite par elle entre les mains dudit Evesque, d’avoir abusé
des saints Sacremens, & particulierement pris la sainte Hostie, lors qu’elle
communioit, pour estre portée au Sabat, & employée à faire charmes & autres

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choses abominables, honteuses & detestables, d’avoir prostitué honteusement
son corps aux Diables, aux Sorciers, & autres personnes, de la copulation
desquels estant devenuë grosse par plusieurs fois, ils luy auroient procuré
plusieurs descharges par elles portées au Sabat, dont vne partie auroit
servy à faire des charmes, d’avoir voulu seduire plusieurs Religieuses dudit
Monastere, & les attirer par ses charmes à son affection démesurée à mauvaise
fin, d’avoir conspiré avec Sorciers & Magiciens dans leurs assemblées, &
dans le Sabat au desordre & ruine generale de tout ledit Monastere, perdition
des Religieuses & de leurs ames ; d’avoir esté desobeyssante à ses Superieurs,
& montré mauvais exemple aux autres Religieuses : Pour la reparation
desquels crimes ladite Bavent avoit esté declarée indigne de porter à
l’avenir le nom & qualité de Religieuse, ordonné qu’elle seroit despoüillée du
saint Voile & habit de Religieuse, & revestuë d’habit seculier ; Qu’elle seroit
confinée à perpetuité, tant qu’il plairoit à Dieu prolonger ses iours dans la
basse-fosse, ou vn des cachots des prisons Ecclesiastiques de l’Officialité, & à
ieusner au pain & à l’eau trois iours la semaine tout le temps de sa vie, sçavoir
les Mercredy, Vendredy & Samedy ; Qu’il seroit signifié au Geolier de luy
faire observer ledit jeusne & prison à peine d’excommunication, & autres
peines au cas appartenans. Et pour le regard dudit Picard inhumé deuant la
Grille du chœur desdites Religieuses, à l’endroit où elles reçoivent la sainte
Communion : Veu ce qui resultoit des exorcismes & examens de ladite Bavent,
& de l’information faite contre la memoire dudit Picard ; par lesquelles
il apparoissoit suffisamment qu’il avoit abusé de ladite Bavent, & commis
avec elle plusieurs sacrileges, & par ses sortileges, charmes & magies causé le
desordre arrivé aux Religieuses dudit Monastere ; en consequence desquelles,
il avoit encouru l’excommunication, & s’estoit rendu indigne de la sepulture
en lieu saint : pour reparation dequoy, & pour restituer le repos desdites Religieuses
troublé par la sepulture du corps dudit Picard, auroit esté ordonné
que pour tenir la chose secrete sãs obseruer autre formalité requise de droit,
qui tourneroit au scandale, & pourroit arriver au deshonneur du Sacerdoce,
Religion & prejudice dudit Monastere, que son corps seroit exhumé & tié
dudit lieu secretement, & porté en autre lieu profane escarté dudit Monastere,
au moins de bruit que faire se pourroit, & sans scandale. Procez verbal de
Me. Adrian le Conte, Lieutenãt general du Bailly de la haute-Iustice de Louviers,
du 20. May 1643 de la visitation d’vn corps mort, entier & non consommé,
trouvé dans la fosse apellée Puis-crosnier, lieu servant de voyrie ordinaire,
& reconneu par plusieurs personnes, l’ayans veu & visité que c’estoit le
corps dudit Picard. Autre procez verbal de Me Antoine Routier, Lieutenant
general, criminel au siege du Pont-de-larche, du 21. dudit mois, contenant la
plainte à luy renduë par ledit Estienne le Picard, frere dudit deffunt, pour lui
& les autres parens, afin d’estre informé de ladite exhumation. Informatiõ sur
ce faite dudit iour : Autre information faite par ledit Routier du 22. dudit
mois, à l’instance du Substitut du Procureur general du Roy, sur l’obsession
& possession de quelques Religieuses dudit Monastere S. Louys de Louviers,
pretenduë estre arrivée par malefices. Requeste presentée à la Cour par lesdits

-- 73 --

Estienne & Roch le Picard, le 20. dudit mois de May ; A ce qu’il leur fust
accordé mandement pour faire faire ouverture de ladite Eglise de S. Louys,
afin de faire remettre ledit corps dans la terre, au lieu où il auoit esté inhumé,
ou en tel autre lieu saint, qui seroit designé par ledit Bailly de Louviers,
& qu’il leur fust permis vser des Censures Ecclesiastiques, pour avoir connoissance
des personnes qui avoient deterré ledit corps, & jetté iceluy à la
voirie, pour l’information faite par ledit Bailly de Louviers, & raportée à la
Cour estre pour veu ce que de raison : sur laquelle requeste & conclusions du
Procureur General du Roy, auroit esté ordonné le 22. iour dudit mois, que
par Me François Auber, Conseiller en ladite Cour, il seroit informé de ladite
exhumation, circonstances & dependances, ensemble pourveu de l’inhumation
dudit corps si le cas y escheoit, & sur les occurrences ainsi qu’il appartiendroit.
Procez verbal de la visitation dudit corps, par Medecins & Chirurgiens,
en presence dudit Conseiller Commissaire, du 28. dudit mois. Auditiõs
& Examens prestez par les Religieuses dudit Conuent S. Louïs de Louviers
devant ledit Conseiller Commissaire, du 30. dudit mois & an, & autres iours
ensuivans : Information faite par ledit Conseiller Commissaire, à l’instance
dudit Substitud, du 12. dudit mois de Iuillet, & autres iours : Interrogatoire
presté devant ledit Conseiller Commissaire, par ladite Magdeleine Bavent,
du 16. Iuin audit an. Procez verbal dudit Conseiller Commissaire, de l’audition
d’aucunes desdites Religieuses possedées & maleficiées, du 26. Iuin, & 1.
Iuillet ensuivant : Interrogatoire de ladite Bavent devant ledit sieur Barillon,
Me des Requestes, Commissaire deputé par Arrest du Conseil en cette part,
des 27. & 31. Aoust 1643. & autres iours : Auditions & dépositions d’aucunes
desdites Religieuses, pretẽduës possedées & maleficiées devant ledit Routier
Lieutenant, Commissaire deputé par le Conseil, des 1. & 2. Avril 1644. Information
faite par ledit Routier Lieutenant, sur les causes du mal arrivé audit
Monastere, du 12. Iuillet audit an, & autres iours : Interrogatoires & examens
prestez par ladite Magdeleine Bavent devant ledit Routier, du 21. dudit mois
de Iuin, & autres iours ensuivant : Procez verbal de Me Iean de l’Emperiere,
& Pierre Maignard Docteurs en Medecine, de la visitation de ladite Bavent,
du 2. Sept. 1643. Sentence dudit Routier Lieutenant, des 18. Ianvier & dernier
Mars 1645. par la derniere desquelles ledit Touroude auoit esté nõmé d’office,
pour faire ladite fonction de Curateur estably au Cadavre dudit le Picard ;
Decret de prise de corps decerné par ledit Routier contre ledit Boullé, du 2.
Iuillet 1644. Interrogatoire, tant desdits Boullé & Magdeleine Bavent, que
dudit Touroude Curateur, Cahiers de recollemens & confrontations de tesmoins,
rapportans charges à l’encontre desdits accusez : Procez verbal dudit
Iuge de la visitation, faite en sa presence dudit Boullé, par Me Iacques Breant
Docteur en Medecine, Thomas Geroult l’aisné, Pierre Gautier, & Thomas
Geroult le Ieune Chirurgiens, du 25. Ianv. 1645. portant leurs attestatiõs, que
ledit Boullé estoit marqué de la marque aux Sorciers, reconneuë par l’insensibilité
dudit Boullé à l’endroit de ladite marque ; Exorcismes de nombre
desdites Religieuses pretenduës possedées & maleficiées : Procez verbaux
dudit sieur Evesque d’Evreux, & autres exorcismes de la descouverte de plusieurs

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malefices estans dans ledit Monastere lors des exorcismes, Testament
dudit le Picard passé devant les Tabellions de Louviers, le 8. Septembre 1642.
Escrits & conclusions desdits Estienne & Roch le Picard : Procez verbal dudit
Routier Lieutenant, du 21. de May dernier, de ce qui s’estoit passé lors de
l’enlevement dudit Cadavre des prisons de Louviers, pour aporter en cette
ville de Roüen en execution de l’Arrest de la Cour : Conclusions du Procureur
General du Roy, & oüis en la Cour ledit Boullé & ladite Bavent en ce
qu’ils ont voulu dire & alleguer pour leurs défenses, ledit Boullé iudiciairement
confronté à ladite Bavent, icelle estant sur la sellette : Et apres que les
Aduocats des heritiers dudit Picard & du Curateur, ont conclud à leurs appellations
comme d’abus, en la presence dudit Promoteur & dudit Procureur
General : Le procez mis en deliberation, tout consideré. LA COVR les
Grand’Chambre, Tournelle & Edict assemblées, faisant droit sur l’apel comme
d’abus : A dit, que par le Iuge d’Eglise il a esté mal, nullement & abusiuement
procedé à l’exumation du corps dudit Picard : Et veu ce qui resulte des
preuves du procez ; A declaré & declare lesdits Mathurin le Picard, & Thomas
Boullé deüement attaints & conuaincus des crimes de Magie, Sortilege, Sacrileges
& autres impietez & cas abominables, commis contre la Majesté diuine
mentionnez au procez, & la memoire dudit Picard condamnée comme
impie & detestable ; Pour punition & reparation desquels crimes, ordonne
que le corps dudit Picard & ledit Boullé, seront ce jourd’huy delivrez à l’Executeur
des Sentences criminelles, pour estre trainez sur des clais par les
ruës & lieux publics de cette ville, & estant ledit Boullé devant la principale
porte de l’Eglise Cathedrale Nostre Dame, faire amende honorable, teste,
pieds nuds & en chemise, ayant la corde au col, tenant vne torche ardante du
poids de deux liures, & là demander par don à Dieu, au Roy, & à la Iustice.
Ce fait estre trainez en la place du Vieil marché, & là y estre ledit Boullé
bruslé vif, & le corps dudit Picard mis au feu, iusques à ce que lesdits corps
soient reduits en cendres, lesquelles seront jettées au vent. Et sans auoir
égard au Testament dudit Picard, que la Cour a annullé, a declaré & declare
tous & chacuns les biens par luy delaissez, ensemble ceux dudit Boullé acquis
& confisquez au Roy sur iceux préalablement, pris la somme de mil
liures d’amende, qui seront employez au profit desdites filles Religieuses de
S. Louïs de Louviers, & avant l’execution dudit Boullé, ordonné qu’il sera
appliqué à la question ordinaire & extraordinaire pour declarer ses complices :
Et à ladite Cour ordonné & ordonne, que sœur Simone Gaugain, dite
la petite mere Françoise, cy-devant Superieure audit Monastere de S.
Louïs de Louviers, & depuis habituée à Paris, sera prise & apprehendée au
corps, amenée & constituée prisonniere en la Conciergerie du Palais, pour
estre interrogée sur les charges contr’elle rapportées par les informations &
procedé, ainsi qu’il appartiendra, & si prise n’y recouurée ne peut-estre,
qu’elle sera adjournée à Baon par trois briefs iours ; le premier d’vn mois du
lendemain de l’exploit, & les deux autres de quinzaine en quinzaine ; Et que
sœurs Catherine le Grand, dite de la Croix, Anne Barré, dite de la Nativité,
& sœur de sainte Geneuiefve, Religieuses audit Monastere de S. Louïs de

-- 75 --

Louviers, seront assignées à comparoir en la Cour, pour estre ouïes sur aucuns
points resultans du procez, le iugement de ladite Bavent differé. Et si
à la Cour ordonné, que par le Conseiller Commissaire rapporteur du procez,
en la presence de l’Evesque d’Evreux ou ses grands Vicaires, il sera
procedé à la translation des Religieuses dudit Monastere en autre Monastere,
chez leurs parens, ou en telles maisons Religieuses ou Seculieres, qui
sera par eux avisé, iusques à ce qu’autrement y ait esté pourueu ; comme
aussi à l’application des maisons dudit Monastere de Saint Loüis, pour l’vsage
d’autre Religion d’hommes de ladite ville de Louviers, par vente,
échange ou autrement, les Escheuins de ladite ville oüis, & estre les deniers
qui en prouiendront, & reuenu dudit Monastere, employez au restablissement
du Convent & Communauté desdites Religieuses professes en ladite
ville de Louviers, ou autre lieu du Diocese, ainsi qu’il appartiendra : Et au
surplus, que pour éviter aux abus & inconveniens mentionnez au procez,
les Evesques de la Province seront exhortez & admonestez de pouruoir
soigneusement à enuoyer des Confesseurs extraordinaires, tant Seculiers
que Reguliers, aux Superieures des maisons Religieuses de Filles, trois
ou quatre fois l’an, pour y entendre les confessions desdites Filles, conformément
aux constitutions canoniques, & enjoint aux Superieurs desdites
maisons de les y recevoir. Fait à Roüen en Parlement, le 21. iour d’Aoust
mil six cens quarante-sept,

 

Arrest
contre
Mathurin
Picard
&
Thomas
Boullé,
cõuaincus
de
magie.

Signé, BERTOVT.

EXPLICATION DV TESTAMENT
de Dauid.

AV nom de Belzebut. Moy ie laisse au grand Dieu Belzebut, mon ame
& mon corps à nostre venerable assemblée : Moy Dauid, & à nostre
tres & bien-aimé frere Arles ; Ie laisse la conduite de mes tres-cheres Filles,
pour continuer iusqu’à la fin en mon premier dessein en cette Congregation,
pour acroistre la grandeur du grand Dieu trine & vn, lequel j’adore iusqu’à
l’éternité, & moy vostre tres cher amy, vous laisse tous mes pouvoirs &
authoritez que ie peux pretendre ; car en cette Congregation pouvons continuer
ces hauts & admirables exercices & perfections ; A quoy je vous exhorte
au nom de ce mesme Dieu Belzebut, à l’exaltation duquel toutes choses
reüssiront. Ie vous garderay pour jamais fidelité. Ie veux viure eternellement
en vous Pierre Dauid, auec vn pataraphe.

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EXPLICATION DV TESTAMENT
de Picard.

Arles Picard. Au nom du grand Dieu Belzebut, le Prince sur toute
nostre venerable Congregation, auquel moy ie iure fidelité pour l’éternité,
pour trauailler à l’acroissement de sa gloire en foy, duquel je m’oblige
à mon tres-cher frere Pierre David, de continuer ces tres-saints &
adorables fondemens de perfection, par luy establis en cette petite maison,
pour puis apres croistre à l’avenir en cette haute & sublime pratique parfaite
à la gloire du mesme Dieu Belzebut ; auquel ie demande force & pouvoir
de continuer en cette affaire de si grande importance, pour lequel ie ne
souhaite autre chose, que d’acroistre par mon travail en son ayde, ces hauts
& sublimes exercices, à l’honneur & gloire du mesme Dieu. Fait par moy
Maistre en l’Archimagie Picard.

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ARREST DV CONSEIL D’ESTAT
du Roy signifié au Parlement de Roüen, en
faveur de la petite Mere Françoise Superieure
des Religieuses de la Place
Royale.

EXTRAICT DES REGISTRES DV CONSEIL D’ESTAT.

VEV par le Roy estant en son Conseil, la Reine Regente sa
Mere presente, l’Arrest donné en iceluy le 20. Ianvier dernier,
sur la requeste du Promoteur de la Cour Archepiscopale, &
Maistropolitaine de la ville de Paris, par lequel defenses ont esté
faites au Parlement de Roüen, de prendre connoissance des cas
concernans la Mere Françoise Superieure des Religieuses Hospitalieres
de la Place Royale de Paris, mentionnée és informations
sur ce faites, & imposé silence au Procureur general dudit Parlement
pour ce regard : Cependant ordonne, que ledit Archevesque
de Paris, son Superieur, connoistra desdits cas : avec injonction au
Greffier dudit Parlement d’enuoyer les charges & informations au
Greffe de l’Officialité ; à quoy faire ledit Greffier seroit contraint
par corps pour proceder par ledit sieur Archevesque ou son Official,
contre ladite accusée, ainsi qu’il appartiendra par raison : les procés
verbaux de la signification faite dudit Arrest, & de la Commission
expediée sur iceux par Herbin Huissier dudit Conseil, les 14. &
15. Mars ensuiuant, tant audit Parlement de Roüen, en parlant au
sieur Procureur general en iceluy, qu’à Maistre Christophle de
Montgoubert principal Commis au Greffe Criminel dudit Parlement
en la grand’Chambre ; auec commandement de porter ou enuoyer
incessamment au Greffe de l’Officialité, ou à Maistre Regné
Hubert Notaire Apostolique, & Greffier de ladite Cour Archepiscopale,
ou mettre és mains dudit Herbin les charges & informations,
Autre Arrest dudit Conseil du 21. Iuin dernier, portant,
que celuy du 25. Ianvier seroit executé selon sa forme & teneur : Ce
faisant, que le Greffier sera contraint par corps d’apporter ou enuoyer

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lesdites charges & informations au Greffe de l’Officialité,
sur lesquelles sera procedé par ledit Official de Paris à l’instruction
& iugement du procés, à la charge du cas priuilegié pour l’instruction
duquel le Lieutenant Criminel dudit Chastelet de Paris assistera,
l’ayant à cét effet sa Majesté commis, sauf l’appel de la Sentence
ressortira au Parlement de Paris, auquel entant que besoin
seroit, Sa Majesté en auroit attribué toute Cour, Iurisdiction &
connoissance, & icelle interdite à toutes autres Cours & Iuges. Le
procés verbal dudit Herbin Huissier au Conseil, du 14. Iuillet ensuiuant,
de la signification faite dudit Arrest à la requeste de ladite
Mere Françoise, audit Parlement, és personnes dudit Procureur
general, & du sieur du Mesnil-Costé, Conseiller en iceluy, Rapporteur
du procez, & de Montgoubert Greffier ; auec commandement
audit de Montgoubert de mettre és mains dudit Herbin toutes
les procedures, charges & informations, en ce qui concerne ladite
Mere Françoise, en le payant de ses salaires raisonnables, autrement
qu’il luy contraindroit par les voyes portées par ledit Arrest.
Ledit procés verbal contenant la réponse dudit de Montgoubert,
qu’il n’estoit saisi d’aucunes pieces dudit procés, qui estoient és
mains du sieur du Mesnil-Costé Rapporteur d’iceluy ; & que lors
qu’il seroit saisi dudit procés, il obeïroit audit Arrest. L’Arrest
du Parlement de Roüen du 21. d’Aoust 1647. par lequel entre autres
choses auroit esté ordonné, Que Sœur Simone Gaugain, dite
la pétite Mere Françoise, cy deuant Superieure au Monastere de
Saint Louïs de Louviers, & du depuis habituée à Paris, sera prise &
apprehendée au corps, menée & constituée prisonniere en la Conciergerie
du Palais de Roüen, pour estre interrogée sur lesdites charges
& informations, à proceder ainsi qu’il appartiendra : & si prise &
apprehendée ne pourroit estre, qu’elle seroit adjournée à baon par
trois briefs iours, & iusques à ce, differé le Iugement de Magdelaine
Bavent, accusée cy-deuant, Religieuse dudit Monastere. Et d’autant
que ledit Arrest a esté rendu par entreprise contre le Conseil, &
au prejudice de ceux dudit Conseil, LE ROY ESTANT EN
SON CONSEIL, la Reine Regente sa Mere presente, A deschargé
& descharge ladite Sœur Simone Gaugain, dite la petite
Mere Françoise, du decret de prise de corps contre elle decerné
par ledit Arrest du Parlement de Roüen du 21. d’Aoust dernier,
qu’il n’aura lieu pour ce regard seulement : Et fait defenses à tous

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Preuosts des Mareschaux, ses Lieutenans, Exempts, Archers, Huissiers,
Sergens, & tous autres, de le mettre en execution, ny attenter
à la personne de ladite Mere Françoise, à peine de perte de leurs
Charges, de six mil liures d’amende, & tous despens, dommages &
interests. Ordonne Sadite Majesté, que les Arrests de sondit Conseil
des 25. Ianvier, & 21. Iuin dernier, seront executez selon leur
forme & teneur : Ce faisant, que le Greffier dudit Parlement, & tous
autres qui se trouueront saisis desdites charges & informations, seront
contrains par emprisonnement de leurs personnes, de les renuoyer
incessamment au Greffe de l’Officialité ; sur lesquelles sera
procedé par ledit Official de Paris à l’instruction & Iugement dudit
procés concernant la Mere Françoise ; à la charge du cas priuilegié :
Pour l’instruction duquel assistera le Lieutenant Criminel du Chastelet
de Paris, auquel entant que besoin est, Sa Majesté en a d’abondant
attribué toute Cour, Iurisdiction & connoissance ; & en cas
d’appel au Parlement de Paris, & icelle interdite au Parlement de
Roüen, & à toutes autres Cours & Iuges. Fait Sadite Majesté tres-expresses
inhibitions & defenses iteratiues au Parlement de Roüen
de passer outre, ordonner ny prononcer aucune chose, & son Procureur
general en ladite Cour, n’en requerir ny bailler aucunes conclusions
au preiudice du present Arrest, pource qui concerne ladite
Mere Françoise, à peine de desobeïssance, d’interdiction, reduction
de leurs gages, & autres plus grandes peines, s’il eschet. FAIT au
Conseil d’Estat du Roy, Sa Majesté y estant, la Reine Regente sa
Mere presente, tenu à Paris le 7. iour de Septembre 1647. Signé,
PHILIPPEAVX.

 

LOVIS PAR LA GRACE DE DIEV ROY DE
FRANCE ET DE NAVARRE. Au premier des
Huissiers de nostre Conseil, ou autre Huissier ou Sergent premier
sur ce requis : Nous te mandons & commandons par ces presentes
signées de nostre main, signifier à tous qu’il appartiendra l’Arrest
cy attaché sous le contre-seel de nostre Chancellerie, ce iourd’huy
donné en nostre Conseil d’Estat, Nous y estant en personne, & la
Reine Regente nostre tres honorée Dame & Mere, faits les contraindre
par les voyes y declarées, & defenses y contenuës, sur les
peines portées par iceluy : ensemble tous autres actes & exploits
requis & necessaires pour l’entiere execution, sans demander autre

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congé, ny permission, nonobstant clameur de Haro, Chartre Normande,
prise à partie de choses au contraire : CAR tel est nostre
plaisir. DONNE à Paris le septiéme iour de Septembre, l’an de
grace mil six cens quarante sept. Et de nostre regne le cinquiéme.
Signé, LOVIS. Et plus bas, Par le Roy la Reine Regente presente,
PHILIPPEAVX. Seellé & controllé.

 

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Anonyme [1652], HISTOIRE DE MAGDELAINE BAVENT, Religieuse du Monastere de Saint Loüis de Louviers. Avec sa Confession generale & testamentaire, où elle declare les abominations, impietez, & sacrileges qu’elle a pratiqué & veu pratiquer, tant dans ledit Monastere, qu’au Sabat, & les personnes qu’elle y a remarquées. Ensemble l’Arrest donné contre Mathurin Picard, Thomas Boullé & ladite Bavent, tous conuaincus du crime de magie. DEDIÉE A MADAME LA DVCHESSE d’Orleans. , françaisRéférence RIM : M0_1640. Cote locale : B_5_56.