Anonyme [1649], REQVESTE CIVILLE Contre la conclusion DE LA PAIX. , françaisRéférence RIM : M0_3468. Cote locale : B_16_2.
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Requeste Ciuille, contre la conclusion
de la Paix.

LES peuples ignorans dans l’extremité de leur
mal heur, se persuadent tousiours les choses autremenr
qu’elles ne sont en elles mesmes, & comme
en flattant leur mauuaise humeur, ils se figurent des
deffauts dans des obiects qu’ils ne veulent pas aymer,
ainsi ils trouuent des perfections dans les personnes,
ou qui prennent leurs interests, ou qui deffendent leurs
querelle, & qui peuuent ou aduancer ou destruire leur
fortune ; Ie veux dire, Monseigneur, que vous ne serez
iamais grand Prince, si vous n’agissez autrement
que vous ne faites, & que vous ne preniez vne plus
parfaite cognoissance de tout ce qui se passe dans le secret
de la Cour, les plus sages Princes du monde ont
eu des intelligences, mesmes iusques dans les cabinets
de leurs ennemis, & ne se contentoient pas d’apprendre
la verité par la bouche d’autruy, si eux mesmes
n’en estoient informez par leut propre experience, si
i’auois moins de respect que ie n’en ay pour vostre personne,
vos importunitez m’obligeroient de me rendre
à la fin plus seuere : ie ne voudrois plus vous descouurit
vn mal auquel vous n’apportez point de remede, &
i’aymerois mieux que vous ignorassiez les choses, que
de la laisser dans l’estat ou nous les voyons maintenãt :
Pardonnez, Monseigneur, au zele qui me transporte,

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a l’affection qui m’engage si puissamment à vostre seruice
& à l’integrité de ma conscience, quine me permet
plus d estre ny flateur ny retenu. Ie veux paroistre
en vostre endroit aussi courageux que sincere, & bien
que ie loüe vostre deuotion ie ne puis permettre quelle
se voye dans l’abondance ou dans la quantité des eauës
benistes que l’on donne à la Cour ; En effet que pensez
vous que soient les postures, les complaisances,
les deuotions, les ceremonies estudiées de la Reyne,
ce sont des embusches pour surprendre les interests des
pieges pour precipiter les malheureux, des appas pour
perdre les ambitieux, des masques pour cacher la malice,
des voiles pour pallier les passions les plus déreiglées.
Les sots ny voyent gouste, les plus sages y sont
trompez mesme par leur prudence. Ceux qui en peuuent
parler n’oseroient le faire, & ceux qui le peuuent
n’ont pas assez de hardiesse pour l’entreprendre. Ie
deffere beaucoup à vostre iugement, mais ie l’estime
bien foible ou peu versé dans les maximes de la Cour,
s’il ne cognoist pas que toutes les manigances qui s’y
prattiquent ne sont que des fourbes des plus rafinés &
des tours de passe passe des plus subtils, la Reyne qui
tient le tymon de l’Estat, & qui gouuerne tout selon
la passion qui la tyrannise, ou le dessein de la vengeance
qu’elle a conceu contre vn parti qui n’approuue pas
les siens pour se maintenir dans l’authorité, ou pour
se faire craindre donne de l’eau beniste à tous venans :
Elle fait croire aux Prince qu’en qualité de Mere & de
Reyne Regente, il faut tout renuerser pour appuyer le
Domaine d vn ieune Prince, dont l’innocence demande

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des larmes & du secours, que les peuples ne sont
que des victimes dont il faut reprendre le sang sans regret
& sans esmotion lors qu’il est question de maintenir
vne Couronne qui vaut mieux que mille nations
entieres, que les armes sont tousiours iustes & la guerre
tousiours legitime quand il faut defendre son Prince,
son Roy & son fils. Que les sujets sont tousiours
coupables, criminels, & dignes de mort lors qu ils
resistent à leurs Souuerains, sous quelque pretexte
que ce soit. Mais voulez-vous que ie vous parle franchement,
vous sçauez qu’estant Espagnolle son esprit
a des adresses prudentes, que les plus clairs-voyans
ne peuuent esguiser, & dans l’artifice de ces entretiens
comme dans la grandeur de ces promesses, elle oblige
insensiblement tout le monde à son seruice, & par la
douceur de ces paroles, elle les trompe sans mesmes
qu’ils s’en apperçoiuent, que fait elle pour mieux iouer
son jeu, elle voit que Mazarin n’est qu’vn coquin dont
elle se sert comme vn homme fait d’vn cheual quand
il a vn long voyage à faire, & comme ce President de
la Cour qui changeoit autant de fois de Secretaire
qu’il fait d’enfans à ses seruantes, afin que les marians
ensemble, il fut deschargé des vns & des autres, le pauure
Secretaire qui auoit enuie de demeurer dans la
maison, consentoit d’abord au mariage que luy proposoit
son maistre, & sans considerer qu’il n’estoit pas
plustost entré dans le logis, qu’il estoit destiné pour
estre ienain, il espousoit librement la seruante, & ce
rendre seruiteur du maistre en deuenant esclaue d’vne
sotte : Vous me demanderez si ie veux conclure par là

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que la Reyne se serue purement de Mazarin pour satisfaire
à ses passions, & quelle vse en son endroit comme
cette Reyne d’Egypte qui faisoit tuer tous ceux qui l’auoient
baisée, de peur qu’ils ne descouurissent ses impudicité ;
Ie vous responds que mes pensées ne sont pas
si malheureuses, & que ie ne puis pas iuger absolument
d’vne chose dont ie n’ay pas vne parfaire connoissance.
Ie vous diray pourtant que dans leurs entretiens,
dans leurs regards, dans leurs yeux, dans leur façon de
proceder, l’on cognoist assez qu’ils s’affectionnent passionnement,
& qu’ils ne peuuent sans grande violence
se separer l’vn de l’autre, s’il est vray ce que l’on dit
qu’ils soient liez ensemble par vn mariage de conscience,
& que le Pere Vincent Superieur de la Mission
ait ratifie leur contract, ils peuuent tout ce qu’ils
font, & d’auantage ce que nous ne voyons pas. Mais
sçachez, Monseigneur, que toutes ces deferences exterieures
que la Reyne rend au Cardinal, ne sont que
de l’eau beniste qu elle iette dessus sa teste pour effacer
les anciens pechez qu’il a commis auec vn ieune Page
de ma cognoissance, à qui ce malheureux à fait sortir
l’ame par le cul, & quoy quelle se ioue de Mazarin, elle
ne laisse pas de se moquer des autres elle promet à
Monsieur de Mercœur de l’en cornailler d’vne Itallienne,
& de luy faire auoir vn con precieux qui est
allié à la pourpre Romaine, & d’oré cõme ses victimes
que l’õ offroit autrefois à Apollõ, elle luy a promis en
outre l’Admirauté de France & se persuade dans la malice
de ses desseins, qu’elle perdra plustost vn Prince sur
mer, qu’elle n’a fait dessus la terre. Ie ne puis vous exprimer

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les artifices industrieuses de cet esprit ingenieux
à malfaire, & à se conseruer dans l’estat ou elle est : elle
promet esgalement aux grands & aux petits, & repaist
les vns & les autres de vaines esperãces & de grands salaires.
Que direz vous si ie vous asseure que Mr le Prince
qui fut las de sa femme des le lendemain de ses nopces,
& qui ne l’espousa que par consideration, luy ait
porté parole pour auoir Mademoiselle, & que la Reyne
luy ait promis de faire rompre son mariage, afin de
les marier ensemble. Elle pretend par la s’appuyer des
vns & des autres, & en iouant son ieu se mocquer de
tous ceux desquels elle a besoing : Mais aussi le Prince
de Condé, Monsieur de Mercœur, le grand Maistre &
le Mareschal de Grandmond ne cherchent que les
moyens de donner a leur tour de l’eau beniste à la Reyne,
& luy persuader qu’ils sont ses seruiteurs, pourueu
qu’ils ayent de l’argent, & qu’ils fassent leurs affaires.
Le Prince de Condé entr’autres plus vilain que ne fut
iamais son pere, demande continuellement de l’argent
& apres auoir tiranissé Mazarin dutant cette guerre
passée le presse auec des importunitez enragees, de le
recõpenser des despenses qu’il y a fait, ou dugain qu’il
esperoit y faire. Iugez de là, Mõseigneur, si nous ne somes
pas bien mal-heureux d’auoir affaire à des Princes
qui sont si lasches ou si interressez. La Reyne n’agit
que par passion ou par aueuglement, elle veut tout ce
quelle veut qu’il soit raisonnable, ou qu’il ne le soit
pas : & pour en venir à bout promet tout ce qu’on luy
demande, & pourtant ne donne iamais rien que de
l’eau beniste. On ne cognoist plus de Dieu dans la Cour

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que par benefice d’inuentaire, tous les Sacremens y
sont abolis, la pieté ny la vertu ny la vertu ny trouuent plus aucune
demeure ; & de toutes les ceremonies de l’Eglise, il
n’y a que l’eau beniste qui y soit en vogue & en reputation.
Il faut croire que cette eau soit bien precieuse ;
puisque les Religieux mesmes en ont voulu prendre &
que les plus sains en apparance en ont approuué l’vsage
& la communication. Neantmoins elle n’a pas encore
produit grand effet : & bien que l’on l’ait estimee extremement
feconde, elle n’a encore engendré que des
ronces & des espines. Messieurs de Parlement qui se
croyent les plus scrupuleux, comme les plus deuots, se
sont imaginez qu’il falloit, & prolonger & multiplier
les conferences de Ruel & d’autres lieux, afin d’auoir
plus de loisir de prendre de cette eau beniste & d’en
verser par deuotion iusques sur la teste de leurs enfans,
Aux vns la Reyne promettoit des Mittres ; aux autres
des Crosses : aux autres des Abbayes, aux autres des
benefices de consequence. L’on dit mesme que le premier
President espere d’estre Cardinal ; & que l’eau
beniste qu’il a receuë de la Reyne luy doit produire cet
aduantage pour auoit trompé les Parisiens. Cette eau
seroit bien salutaire, si elle pouuoit lauer les noirceurs
de son ame, & d’vn mauuais Officier en faire vn homme
de bien Enfin pour vous parler librement de tout
ce qui se passe en la Cour, ce n’est qu’vn ieu de fourbe
& de plaisanteries, où les plus fins sont attrapez, & les
autres entieremẽt perdus. La Reyne se mocque de Mazarin,
Mazarin se iouë de la Reyne, les Princes pretendent
tout & ne possedent rien : Le Parlement n’attend

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que la recompense de ses laschetez, & la deroute de son
authorité. Les Partisans seront à la fin des victimes
couronnées que l’on conduit au supplice, ou comme
à ces animaux que l’on engraisse pour sacrifier. Et apres
qu’vn chacun à son tour, aura bien beu de l’eau beniste :
cette eau funeste & mal heureuse, se conuertira
en sang, comme firent les fleuues du temps de Moyse,
& les peuples accablez soubs la pesanteur de leur misere
& sous la violence des Princes insolens seront contraincts
d’aualler de mauuais breuuage qui leur causera
la mort.

 

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