Anonyme [1649], REMONSTRANCE FAICTE A MAZARIN A S. GERMAIN PAR VN BOVFFON SVR SON OBSTINATION à demeurer en France. En Prose & Vers BVRLESQVES. , françaisRéférence RIM : M0_3326. Cote locale : A_8_82.
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REMONSTRANCE
FAICTE A MAZARIN
A S. GERMAIN
PAR VN BOVFFON
SVR SON OBSTINATION
à demeurer en France. En Prose & Vers
BVRLESQVES.

A PARIS,
Chez IACQVES GVILLERY, ruë des Sept-Voyes,
deuant le College de Fortet,
proche Mont-Aigu.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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REMONSTRANCE FAITE
à MAZARIN, à S. Germain en Laye,
par vn Boufon, sur son obstination à demeurer
en France.

En PROSE & VERS Burlesques.

VOVS m’excuserez bien, Messer Iulles, si ie vous
parle icy franchement & auec tant de liberté, ie ne
vous traitte ny de Monseigneur ny d’Eminence,
ces hautes qualitez ne sont plus de saison chez les bons
François ; i’en suis vn & de plus, vostre seruiteur : mais treue
de compliments, & de ces discours inutiles, venons au
necessaire. Or ça, Messer Iulles, dite-moy, n’este-vous pas
vn grand foû d’estre sorty de Paris où vous viuiez paisiblement
auec le Roy & la Reyne, où vn chacun vous faisoit
la Cour ? attendant quelquefois des mois entiers pour receuoir
vne œillade de vous, & quand vous les auiez regardez
du coin de l’œil, ils s’estimoient les plus heureux du
monde, pensant que leur fortune estoit faicte : Car vous
possediez toutes les Finances disposiez à vostre volonté
des benefices & grandes charges & qui plus est du Royaume,
s’il faut ainsi parler, en qualité de premier Ministre
d’Estat, ce que vous n’auez iamais merité, non pas mesme
d’estable ou d’escurie pour dire plus noblemẽt, car cõment
pourriez vous gouuerner vn Empire, veu que vous ne l’auez
pas de vous mesme. Vous n’auez pû vous maintenir
dans les biens, dans les honneurs, dans les dignitez ou vous
estiez cy-deuant. On dit bien vray, quand vn gueux a fait
fortune difficilement la peut il conseruer, il veut tousiours
monter & quand il à atteint le faiste des grandeurs il vient
vn reuers qui le iette à bas & le ruine entierement. Confessez-moy

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la verité, vous ne pensiez pas que vostre sortie
de Paris, en fust vostre bannissement aussi bien que de la
France ! O le grand iugement & digne de vostre personne.
Il est vray que si vous en auez, on en doute : car on n’en à
veu encore aucuns effets. Vostre Ministere demande toutes
les qualitez qui rendent vn homme parfait, toutes
vos perfections ne sont que dans la fourberie, & à piper au
ieu ô l’Eminent personnage, vous me direz peut-estre que
c’est vn fou qui vous parle, i’aduoüe que ie le contre fais
quelquefois : mais pour bien s’en acquiter, il faut estre
bien sage, ie vous dõne aduis que vous n’ayez pas à pẽser le
contraire, que pour estre sage, il faille estre bien fou. Si vous
m’estimez tel, en cette qualité vous me deuez croire ; car
les fous prophetisent quelquefois & disent vray la pluspart
du temps. Il semble que vous dormiez, reueillez vostre attention
& prenez garde à ce que ie vous vay dire. N’esperez
iamais de retourner à Paris, si ce n’est pour passer par
la gréue en allant à Montfaucon, qui à bien besoin d’vn tel
habitant que vous pour le faire rebastir : car ie vous puis
asseurer que tous les Peuples sont autant de Iuges Criminels
qui vous condamnent à la mort : chacun prononce son
Arrest selon son opinion & sa passion, les vns vous destinent
à vn gibet, puis à la voirie, les autres à vn pareil supplice
que Rauaillac, vous sçauez entre vous & moy, que
vous le meritez. Il y en a qui vous veullent seruir de bourreaux
eux-mesmes & vous deschirer à belles dents pour se
vanger des maux que vous leur auez fait souffrir, quelques
vns vous veulent bruller à petit feu : ne tremblez vous pas
à ce recit, quoy que vous fassiez vous ne pouuez euiter
quelques vns de ces supplices, on est bien venu à bout
d’vne infinité d’autres Tyrans que vous, entr’autres de
fresche memoire du Marquis d’Ancre vostre deuancier, on
vous attrapera tousiours, pour bien gardé que vous soyez.
Dieu ne laisse rien impuny, vous esperez peut-estre que les
François estans bons, ils vous pardonneront, vaine esperance :
car cette bonté mesme fera que vous n’eschaperez
iamais de leurs mains ? N’est-il pas iuste qu’vn meschant

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comme vous perisse ? Ils ne sont pas sans vengeance non
plus que ceux de vostre nation ? Escoutez le conseil d’vn
fidelle Amy, qui vous parle sans fard & qui ne vous dissimule
rien, faite gisle pour iamais de la France, à ces mots vous
deuenez blesme, cela vous fait peine ie le voy bien : mais
quoy il faut vous resoudre à partir sans autre attirail ny bagage,
que le regret d’abandonner, ce que vous cherissez le
plus. Fuyez au plustost de peur de quelque surprise, taschez
d’emporter vos oreilles saufues, si vous pouuez, n’attendez
point la Couronne de la main de vos ennemis comme
on vous la fait esperer, si ce n’est cette Couronne fatale
dont en enuironnoit la teste des victimes que l’on alloit
immoller, si vous auez quelque peu de vertu faites-en paroistre
quelque eschantillon en cette conioncture. Forcez
cette inclination qui vous porte, & vous obstine si fort à
ne point quitter ce climat ; ne me dite point qu’on ne
peut euiter son malheur apprenez que sapiens dominabitur
Astris, ie vous aduertis en passant que c’est du latin
dont ie vous donnerois l’explication si vous auiez
la teste bien tymbrée. Faicte banqueroute au vice aussi
bien qu’à la France, dont vous auez emprunté toutes
les Finances ; pour ne pas dire vollé. L’Amour que vous
auez pour le Roy, vous a obligé d’en prendre tant de Portraits.
Retirez-vous dans vn desert, quittez le Monde.
Veillez, jeunez, priez & macerez vostre corps que vous
auez tant delicaté en cette vie, si vous voulez aller bien-heureux
en l’autre ; où vous fussiez pour vostre bien & pour
le nostre, il y a dix ans. Mais ie vous amuse, chaque moment
vous vaut vne heure, pour vous enfuir. Hé quoy !
vous ne partez pas ; Qui vous retient ? C’est infailliblement
que l’éloquence de ma Prose n’a pas d’éguillons assez
forts pour vous chasser. Voyons si mes Vers n’auront
point quelque pointe qui vous serue d’éperon pour vous
faire déloger.

 

 


Seul Objet de nostre souffrance,
Comme Paris, quitte la France,
Quitte la Cour & S. Germain

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Aujourd’huy plustost que demain,
Quitte cett’agreable Terre
Que tu desole par la Guerre,
Par les feux & les assassins ;
Apres que par mille larcins,
Et mille infames Monopoles,
Non satisfait de ses pistoles,
Non satisfait de ses deniers
Que tu retiens jusqu’aux derniers.
Tu las, ô fere appriuoisée !
De sang, & d’humeur épuisée ;
Lasche ; mais cruel Ennemy !
Monstre que Gibel a vomy !
Retourne en ton Isle maudite.
Haste-toy de prendre la fuite
Craignant que nostre aueuglement
Faisant place au ressentiment,
Nous nous vangiós de nos miseres,
Et des cruautez de tes peres,
Sur ton abominable chef
Ie t’en conjure derechef
Par la meilleure de tes pieces,
Par tes deux nabotes de Niepces,
Par tes faits les plus innouys,
Par nos Ecus & nos Louys,
Par ton fauory Particelle,
Et par cette haine immortelle
Que tu garde pour de Broussel,
Par le charbon, le bois, le sel,
Par le vin que ton avarice
Eust fait vendre comme l’épice
Si tes desseins du tout maudits
N’eussent point esté contredits.
Ie t’invite & conjure encore
Par la Cabale qui t’adore
I’entends Messieurs les Partisans
Dont les aduis sont suffisans

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De t’enuoyer à la Floride
Pourueu que ton esprit avide
Espere d’y faire moissons
Mettant imposts sur les glaçons.
Ce seul mot d’Impots te réveille,
Dieux ! il opereroit merveille
S’il te faisoit partir d’icy,
Apres vn ample grand-mercy ;
Ie celebrerois leur loüange,
Disant comme de terre estrange
Mazarin suiuant leurs appas,
Vers la France addressa ses pas
Et que l’ayant du tout perduë
Cette cause de sa venuë,
Pour nostre bien, vn peu trop tard,
Fut le suiet de son depart.
Mais ie m’amuse & te retarde,
Tire paїs ou bien prens garde
A ne pas ressentir l’effet
De ce qu’vn boufon te promet
Ie veux dire chanter l’An tienne
De la vespre Sicillienne.

 

FIN.

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