Anonyme [1649], REMONSTRANCE DV ROY LOVIS XII. AV ROY LOVIS XI. SVR LEVR DIFFERENTE FAÇON de regner. , françaisRéférence RIM : M0_3322. Cote locale : C_9_41.
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REMONSTRANCE DV
Roy Louys XII. au Roy Louys
XI. sur leur differente façon de
regner.

LOVYS. XII.

HEVREVX les Princes ausquels Dieu
donne l’esprit de iugement, & de
discernement, & leur fait connoistre
qu’ils sont hommes, & pourtant
capables de faillir. Aduoüons franchement
que l’éclat des grandeurs & la vanité de
commander nous esbloüit le plus souuent l’esprit,
& nous empesche de rentrer en nous mesmes.
Et considerer que nous n’aurions aucune puissance
si elle ne nous estoit d’enhaut, & que Dieu authorisant
vne iuste Royauté, & vn Empire legitime
contient seul tant de milliers d’ames dans
l’obeyssance & le deuoir, lesquelles n’y pourroient
estre contraintes ny violentées par aucune
force exterieure, si Dieu ne disposoit leurs volontez

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à se soumettre à la domination de celuy qui
leur a esté donné pour Chef, & Souuerain en terre.
Tremblons & fremissons auec suiet dans l’apprehension
des iugemens de Dieu. Puis que d’autant
plus que nous sommes releuez en grandeur
& authorité, d’autant plus sommes nous contables
& responsables deuant Dieu, qui fait misericordeaux
petits, & chastie puissamment les grãds,
& les Puissans de la terre. Considerons que le pouuoir
& l’authorité nous sont donnez de la part du
Trés-haut, lequel interrogera de tres-haut nos
œuures & sondera nos pensées. Ie me suis maintesfois
estonné des attaches que vous auiez pour
cette miserable vie, laquelle bien considerée est
beaucoup plus detrempée de fiel, & d’amertume
que de douceurs. Hé ! bon Dieu, croyez-vous que
les Reliques que vous faisiez venir de tous les costez
de la France, au Plessis Lez-Tours quelque
peu auant vostre deceds ; puissent adiouster vn
moment aux iours de vostre vie, dont Dieu auoit
prescript les bornes ; Vous imaginez-vous, que
ce bon Hermitte Galabrois eust le pouuoir d’en
prolonger la durée ; Dites moy ie vous prie lesquels
estoient les plus captifs, ou ceux que vous
teniez enfermez dans des cages de fer, & liez à des
grosses boulles de fonte que vous nommez vos
fillettes, ou vous mesmes qui vous estiez recluds

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dans vn Chasteau enuironné de gens de guerre,
dont les murailles estoient parsemées de broches
de fer, crenelées à plusieurs pointes, & si druës
qu’homme ne les pouuoit outrepasser, outre que
vous auiez fait reuestir tout le circuit de la Motte
du Plessis d’vn treillis de gros barreaux, auec quatre
moineaux de fer bien espoix aux encognures,
& forces cannoniers où quarante Archers iour &
nuict estoient en sentinelle, y eust-il iamais criminel
plus estroitement reserré ; Ne peut-on pas
dire que c’estoit vne prison volontaire, dans laquelle
vous vous estiez enfermez, auec cette seule
difference, que les autres prisonniers sont ordinairement
detenus dans les cachots, & les geoles
par l’ordonnance d’vn Iuge superieur ; mais
vous n’auiez autre Iuge que vous-mesme, ou plustost
le tesmoignage secret de vostre conscience,
laquelle vous representant les rigoureux traitemens
que vous auiez exercé contre grands & petits,
vous donnoit suiet de craindre tout le monde,
puis que vous vous estiez rendu redoutable à
tous. Encores si les Corps de gardes, doubles &
triples, si les forteresses, & les donjons, bref si
aucune inuention pouuoit barrer l’entrée aux
maladies, & les empescher d’assaillir les Grands
de la terre ; l’aduouë que nous aurions vn grand
aduantage sur le commun, & que nostre condition

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seroit encores plus eminée, mais les maladies
& la mort mesme se font voye à trauers les
Corps de garde, forcent les barricades, escaladent
les murs, & viennent saisir les plus robustes
Monarques au milieu de leur Throsne ; Bon Dieu
que ceux-là furent hardis qui oserent vous annoncer
la mort, puis que le seul nom vous estoit
tellement en horreur, que vous auiez fait tres-expresses
deffences de le proferer en vostre presence
aux dernieres periodes de vostre vie. Les
dix-mil escus que vous donniez chasque mois
à vostre Medecin Coetier, n’eussent pas esté mal
employez s’il eust eu le pouuoir de prolonger vos
iours, mais vous & moy auons enfilé la route de
toute la terre, & auons experimenté la vanité de
nostre condition. Dieu ma fait tousiours la grace
de recognoistre que i’estois homme mortel, semblable
à tous, formé & basty de mesme façon que
les autres ; & que iamais aucun Roy n’a eu autre
principe de naissance, l’entrée de la vie nous est
commune auec le reste des hommes, & l’issuë pareillement
n’est pas plus glorieux de partir de cette
vie, auec la benediction des Peuples que Dieu
nous a sousmis, que non pas retenir iusques au
dernier souspir cette autre seuerité, laquelle fait
craindre, & redouter les Rois ; mais aussi d’autre
part, les fait hayr durant leur vie, & rend apres

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leur mort leur memoire odieuse à la posterité ne
croyez vous pas que l’ame du feu Roy vostre fils,
& la mienne ne se sentissent maintenant touchées
d’vne grande consolation, voyant la satisfaction
que nos Peuples ont eu de nos gouuernemens,
Les regrets qu’ils ont tesmoigné à nostre mort,
& les benedictions qu’ils rendent à nostre memoire.
Il me souuient qu’aux Obseques du feu
Roy vostre fils, qu’on pouuoit nommer à meilleur
titre que les Empereurs Romains, Les delices
des hommes, vingt Gentils-hommes de sa
Chambre, voulurent auoir l’honneur quoy qu’auec
grande fatigue, de porter le cercueïl de plomb
dans lequel estoit son corps, depuis nostre Dame
des Champs iusques au tombeau, sans vouloir
souffrir que les Porteurs de sel de Paris nommez
Annonares, joüissent des Priuileges qu’ils auoient
de ce faire, mais bien plus, lors que l’on descendit
le Corps, dans le caueau de S. Denys, & que le
Grand-Maistre selon l’ordre vient à rompre le
baston, deux Officiers du deffunct Roy, l’vn Sommeillier,
& l’autre Archer de la Garde, moururent
subitement de regret & de tristesse ; C’est vne seconde
vie ou plustost vne espece d’immortalité,
que la bonne odeur laquelle nous laissons de nos
deportemens, ou au contraire c’est vn insigne
mal heur pour vn Prince, quand la memoire de

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ses actions ne sert qu’à se faire detester, & rendre
execrable à la posterité.

 

LOVYS XI.

Comme les humeurs des personnes sont autant
differentes que leurs conditions, aussi
est il mal aisé, voire mesme impossible de satisfaire
vn chacun, & qu’vn Souuerain, lequel sur toutes
choses doit buter à la conseruation de son authorité,
puisse contenter grands & petits, & par consequent
receuoir loüange & approbation des vns
& des autres. S’il est d’humeur guerriere, il sera aymé
des Soldats, & des gens de guerre ; mais d’vn
autre costé les Peuples decrieront son gouuernement ;
sous ombre qu’ils contribuent du leur, pour
la subsistance des armées, si d’autre-part il cherit la
Paix, & tâche de conseruer ses Sujets dans le repos,
on le fera passer pour vn Casanier, & cela donnera
cœur de vouloir entreprendre sur son authorité ;
Les plus accomplis Monarques de l’Antiquité n’õt
iamais possedé vne gloire parfaite, ny laissé apres
eux vne reputation si nette que les mauuais esprits
n’y ayant trouué à redire ; Dauid qui estoit vn Roy
selon le cœur de Dieu, rencontra pourtant vn nommé
Semey, lequel luy fit milles outrages, & le chargea
d’vne infinité d’opprobres, l’appellant homme

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de sang, fils de betail, & vsurpateur du Throsne de
Saül ; il n’est pas mesme qu’apres la mort du sage
Roy Salomon, les Peuples ne se plaignissent des
charges qu’on leur auoit donnez. Si Cesar n’eust
pas esté si indulgent il eust conserué sa vie, & preuenuë
l’attentat commis sur sa personne, par ceux
qu’il auoit garanty de la mort, la deffiance est
quelquefois necessaire à vn Prince, puis qu’estant
tres asseuré que plusieurs portent enuie à
sa grandeur, il ne sçauroit apporter trop de precaution
pour sa conseruation.

 

LOVYS XII.

I’En demeure d’accord, mais aduoüez pour
tant que c’est mourir mille fois que de viure
continuellement dans des transses, allarmes &
deffiances, comme on dit que faisoit l’ancien Denis
le Tiran de Siracuse, lequel pour se maintenir
dans la domination confia la garde de sa personne
à des barbares estrangers, ayans esloigné tous
ceux de sa connoissance, encor ne s’estimant pas
assez en seureté, il s’enferma dans vne forte Citadelle,
ou plustost s’emprisonna volontairement.
Le razoir dont son Barbier se seruoit à luy faire le
poil luy donnant de lombrage, il fit apprendre

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à deux ieunes filles qu’il aymoit à faire la barbe ;
mais estant deuenuës grandes, il ne voulut plus
qu’elles le touchassent auec le fer, si bien qu’il
trouua inuention de se faire rotir la barbe & les
moustaches auec des coques de noix bruslées.
Quand il estoit question d’aller coucher auec sa
Dame ; il faisoit auparauant visiter tous les coings
& recoings, il auoit entouré son lict d’vn large &
profond fossé, auec vn pont leuis, lequel il haussoit
& baissoit luy mesme, selon qu’il en estoit
besoin ; Lors qu’il vouloit haranguer son Peuple,
il parloit du faix d’vne Tour, il auoit fait bastir
vn jeu de paulme dans le pourpris de son Chasteau
où parfois il se diuertissoit ; arriua vn iour
que s’estant depoüillé pour ioüer, il donna ses habits
& son espée en garde à vn ieune garçon qu’il
aymoit esperduëment, quelqu’vn de la compagnie
dit en se gaussant à ce ieune homme, au
moins il met à present sa vie entre les mains de
ce ieune homme, s’estant pris à sousrire, fut apperceu
de Denys, lequel sur le champ les fit tuer
tous deux, l’vn pour auoir monstré le chemin
d’attenter à sa personne, l’autre pour l’auoir approuué
par son sousris ; Voila ce me semble vne
image d’vn Prince mal-heureux, lequel ayant
mieux aymé se rendre maistre des corps de ses

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Sujets s’est rendu quant & quant esclaue de soy-mesme,
ne rapportant autre fruict de sa domination
tyrannique qu’vne haine publique durant
sa vie, & vne malediction eternelle apres sa mort :
iusques là mesme que les plus delicieux obiets
de la vie, & les plus sensibles voluptez sont pleines
d’amertumes à qui regne de la sorte ; Ainsi
que ce mesme Tyran fit aduoüer à son Fauory
Damocles, lequel voulut ioüir des plaisirs d’vne
Royauté momentanée : Ie demeure bien d’accord
qu’il n’est ny seur ny expedient de se fier indifferemment
à tous, & qu’vn Souuerain est obligé de
veiller à sa conseruation, puis que le salut de son
Peuple en despend, mais autre chose est, de se
commettre à toutes sortes de rencontres & sans
distinction, autre chose est aussi de viure en telle
deffiance, & perplexité d’esprit qu’on ne soit iamais
en repos, & qu’on ne se puisse fier à qui que
ce soit, ainsi qu’il vous arriua quelque peur auant
vostre decés, où vous entrastes en tel soupçon que
vous n’estiez pas asseuré de vos plus proches, vous
deffiant mesme de vostre propre fils, de vostre
fille, & du Duc de Bourbon vostre gendre, tesmoing
lors qu’estant en vne gallerie au Chasteau
du Plessis Lez Touts, vous commandastes à vn
Capitaine de vos Gardes de taster sans faire semblant

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de rien, aux Gentils-hommes qui accompagnerent
vostre fils, & vostre gendre pour voir
s’ils n’auoient point de bregantines sous leur
robbes. Croyez-moy la plus ferme garde d’vn
Prince est l’amour & l’affection de son Peuple,
nous auons beau employer toute la prudence
humaine, pour garantir nostre vie des attentats
des méchans, cela sert de peu s’il se rencontre
quelque desesperé volontaire qui abandonne
sa vie pour estre maistre de l’autre, & bien
que par vne particuliere grace de Dieu, il ne se
remarqua point de semblables exemples arriuées
en la personne d’aucun Roy de la seconde & troisiéme
lignée, si est-ce pourtant que l’Histoire
tant ancienne que moderne, ne nous en fournit
que trop dans toutes sortes d’Estats, & de Monarchies.
Ie ne puis passer sous silence deux belles
remarques que ie fis dernierement lors qu’on
me lisoit deuant moy vne Histoire Romaine ; La
premiere est de Numa Pompilius, lequel ayant
esté proclamé Roy, à cause de sa vertu, prudence
& douceur, fit incontinent casser & congedier
certaines compagnies de Sattelites au nombre
de trois cens, lesquels auoient accoustumé d’estre
autour de la personne du Roy. Romulus son
predecesseur qui pourtant ne laissa pas d’estre

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mis en pieces, à cause de laspreté de ses mœurs.
Ces Gardes se nõmoient Celeres, comme qui diroit
gens prompts à la main, & dispots à tout faire.
La raison qu’allegua ce bon Prince, fut qu’il
ne se vouloit point deffier de ceux qui se seruoiẽt
en luy, ny estre Roy des gens qui se deffiassent
de luy. L’autre exemple est tirée des loüanges que
Senecque donnoit à l’Empereur Neron, lequel
fut autant iuste, moderé & clement, comme le
reste de sa vie fut monstrueux & abominable. Ce
Philosophe parlant à Neron luy disoit que l’amour
& l’affection de ses Citoyens estoit toute
sa deffence & sa sauuegarde, qu’il n’auoit besoin
d’autre protection exterieure, puis qu’il estoit en
plaine asseurance par le moyen des biens-faits
qu’il exerçoit enuers tous, & que les armes dont
il estoit enuironné ne luy seruoient que de parades,
& non pas de deffences. C’est pour vous dire
que le plus fort donjon de la Royauté est l’assistance
dans les inconueniens de la vie, & l’amour
des Sujets : l’vn & l’autre venant à manquer pour
prudent, & accort que puisse estre le Prince a sujet
de tout craindre dans vne asseurance de toutes
choses. Nos successeurs pourront iuger dans la
differente façon de nostre gouuernement, lequel
leur sera plus expedient ou de regner par la force

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& puissance absoluë, ou par vne douce & tranquille
authorité ; I’aduoüe que le premier rend
vn Prince redoutable durant sa vie, mais l’autre
luy acquiert vne gloire qui se perpetuë à la posterité,
& comme nostre ame est de condition immortelle,
aussi deuons-nous estendre nos desirs
au delà des bornes de nostre vie, & nous procurer
vne espece d’eternité par la bonne odeur de
nos deportemens, en quoy gist le solide & le veritable
bon-heur de celuy qui aspire aux recompences
que Dieu promet aux bons Princes.

 

FIN.

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Anonyme [1649], REMONSTRANCE DV ROY LOVIS XII. AV ROY LOVIS XI. SVR LEVR DIFFERENTE FAÇON de regner. , françaisRéférence RIM : M0_3322. Cote locale : C_9_41.