Anonyme [1648 [?]], REMONSTRANCE DE LA VILLE DE PARIS, A LA REYNE REGENTE MERE DV ROY, Sur le faict des Thoisez. , françaisRéférence RIM : M0_3307. Cote locale : C_9_48.
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REMONSTRANCE
DE LA VILLE DE PARIS,
A
LA REZNE REGENTE
MERE DV ROY,
Sur le faict des Thoisez.

MADAME,

Puis que le plus noble effect de la puissance souueraine des
Rois, que Dieu a est ably sur la terre comme ses lieutenans, est
la distribution des biens ou des maux que Dieu veut communiquer
aux hommes par leurs mains, & dont il leur a laissé la disposition
sous sa prouidence ; C’est auec grande raison que cette
ville de Paris, qui a tousiours esté tesmoin de la haute bonté, dont
toutes vos actions sont remplies, ne peut pas croire que vous
soyez née pour luy distribuer par vos mains le plus sensible de
tous les maux qui peuuent affliger vne ville libre, qui est la perte
de ses libertez.

Les tesmoignages publics & particuliers que la France voit
tous les iours de vostre bonté, font qu’il est mal-aisé qu’elle puisse
croire que vous ayez resolu de souffrir qu’elle demeure plus long
temps dans l’oppression où elle est, & pendant que les autres
villes respirent auec aduantage la douceur de vostre Regence,
vous ayez reserué seulement pour elle l’amertume & le desplaisir.

Cét Estat, quoy que le plus fleurissant de l’Europe, n’a pas toûjours
esté exempt des vicissitudes des temps & mutations de la
Fortune, ayans veu par trois fois ces Lys presque abbatus sous

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la violence des Estrangers ; Et cependant dans toutes les extremitez
où ses derniers malheurs l’auoient lors reduit, il n’a iamais
rien veu de semblable à la violence dont on le traitte pour
renuerser sa liberté que quelques particuliers persecutent.

 

Ce qui est estrange en cette disgrace est, que l’on veut encores
authoriser cette violence du pretexte de la Iustice, & de l’execution
d’vn Edict fait par le Roy Henry II. par des considerations
de Police en l’année 1548. & incontinent aboly par vn vsage
contraire, sans que pendant le regne de quatre Roys qui luy
ont succedé iusques en l’année 1627. il ait esté parlé en façon quelconque
des defenses de cét Edict, qui ont esté ainsi abolies.

Les graces & Priuileges des Princes estoient autresfois perpetuels,
& l’Empereur Tibere a esté le premier qui ordonna que
les graces qui seroient faites par les Empereurs n’auroient point
d’effect apres eux, sinon apres la confirmation de leurs successeurs :
Mais à l’esgard des peines par eux establies, il n’y a iamais
eu de Prince qui ait voulu pretendre de se seruir des peines introduites
par vn Edict precedent de ses predecesseurs, pour en
trauailler ses subjets.

Cependant c’est ce que sont auiourd’huy ces particuliers sous
le nom du Roy vostre fils, de l’authorité duquel ils abusent ; &
parce qu’ils sçauent bien que cela n’est point dans les regles de la
Iustice, ils croyent qu’il leur est permis de les violer : & sans se
soucier de leur ordre, ils font en vertu d’vn Arrest du Conseil,
ce qu’ils ne pourroient pas mesme faire auec des Lettres Patentes :
& par cét Arrest, sous pretexte de cét Edict de l’an 1548. ils
foüillent dans les sepulchres des morts, & pour des contrauentions
pretenduës par eux faites à ce vieil Edict, Ils taxent ceux
qui n’en sont point coupables, & qui en sont aussi peu tenus dans
les ordres de la Iustice, que si on les vouloit punir à present pour
les fautes de leurs grands peres, parce qu’en 1510. & auparauant
ils ont porté des passemens d’argent & habits de soye, contre les
defenses qui en furent faites en ce temps.

Encores si ces contrauentions pretenduës auoient fait souffrir
au Roy quelques pertes ou diminué ses profits : au moins ces Taxes
auroient quelque pretexte : Mais comme au lieu de nuire
aux droicts du Roy, il en a receu de tres-grands profits par l’accroissement

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& le plus grand nombre du peuple, l’augmentation
des entrées & des autres droicts imposez sur luy, qui sont de telle
qualité, qu’au lieu des cinq sols qui se payoient lors sur chacun
muid de vin, il s’en paye à present vnze & douze liures, &
ainsi du reste. Il est vray de dire, que si on reduisoit les choses en
l’estat auquel elles estoient sous Henry II. le Roy n’y pourroit
pas trouuer son compte : & ainsi ces contrauentions ne le blessent
point, & ne peuuent pas donner lieu à l’establissement de
ces taxes.

 

Aussi pour soustenir cette Iustice, il se voit que la raison leur
manquant, ils y ont employé la force : & par vn attentat inoüy
contre les libertez de la France, ils ont abusé de l’honneur & de
la dignité de l’employ des Compagnies des Gardes du Roy vostre
Fils, pour les rendre recors & ministres de leurs passions, resolus
de renuerser plustost l’Estat (dont la conseruation ne les
touche, qu’autant que leur interest les y porte) que de rien quitter
de leurs violences, quoy que preiudiciables au public.

Ainsi dãs le calme d’vne profõde paix domestique, le Bourgeois
de cette ville de Paris, a veu & void encore tous les iours ce que
l’Estranger ne void pas chez luy dans les desordres de la guerre,
des escoüades dans sa maison, des picques baissées, & des mousquets
apprestez contre son estomach desarmé, pour satisfaite à
la conuoitise & violence de ces particuliers, qui font ainsi obseruer
à vostre Majesté le serment que vous auez fait de leur rendre
iustice, & conseruer leurs priuileges.

La cognoissance que cette ville a de vostre bonté, luy fait assez
croire qu’elle ne contribuë point à ces violences : & le respect
& l’obeïssance qu’elle proteste de luy rendre eternellement aux
despens mesme de la vie de ses habitans, a fait que dans le tumulte
qui s’esleua dans ces derniers iours, elle apporta tous les soins
& les diligences possibles, pour asseurer mesme la vie de ceux
qui l’affligent, & qui sont autheurs de son mal.

Pour la remercier de son assistance, ces particuliers ont fait
publier vn Arrest du Conseil d’Estat le 7. du present mois de Iuillet,
par lequel ils font declarer, que l’on n’a point entendu comprendre
dans les Taxes de cét Arrest du 27. Ianuier les Proprietaires
des maisons qui sont situées au dedans des anciennes bornes,

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ny de celles basties en vertu de Permissions en bonne forme,
ou qui en ont obtenu lettres de don & remise : mais seulement
les maisons basties au delà des anciennes bornes.

 

Mais cét Arrest n’est point vn remede suffisant à son mal parce
que la Taxe qui est faite contre cette ville, subsiste tousiours,
& sa liberté oppressée par la leuée que l’on en veut faire contre
les ordres publics en vertu de cét Arrest du Conseil, dont la consequence
emporte auec soi la ruine entiere de ses priuileges.

Et quoi que par cét Arrest, on dise que l’on n’en veut qu’aux
faux-bourgs : & que d’ailleurs on les diuise, pour n’y comprendre
que ce qui est au delà des anciennes bornes, neantmoins il est
mal-aisé qu’elle ne ressente ce coup aussi sensiblement que si
c’estoit elle mesme, puis que c’est vne partie dont elle est le tout,
qui n’en peut estre separée sans vne extreme violence.

D’ailleurs, comme l’iniustice n’a point de bornes, ils passeront
sans doute en suite au reste des faux bourgs, & puis à la ville :
mais comme cette entreprise ne leur peut pas reũssir d’abord,
ils ne la veulent prendre que par parties, & pour les affoiblir dauantage
les diuiser les vnes des autres, comme le Gange de
Xerxes.

Et quoi que pour oster les iustes deffiances du peuple on ajouste,
que la leuée en sera faite par les Bourgeois, neantmoins
comme cette asseurance ne luy est donnée que par vn Arrest du
Conseil, la facilité qu’il y a d’en changer la disposition, & leur
instabilité les accroist plustost, que de les effacer.

Les Arrests du Conseil du Roy ne passent point dãs le Royaume
pour des contracts de bonne foy : & c’est pourquoy comme
vn Ancien disoit autresfois, que les parjures pour estre creus deuoient
chercher de nouueaux Dieux ; les Partisans qui ont aussi
en mille rencontres tomerairemenr engagé, & impunément
violé le nom & la parole du Roy, doiuent chercher d’autres
voyes pour authoriser leurs promesses, que des simples Arrests
du Conseil : veu mesmes que les Lettres de Declaration bien &
deuëment verifiées, ne les peuuent pas retenir.

Leurs sermens ne sont que des pieges pour y engager les plus
simples, & il ne tombera point sous le sens, qu’apres qu’ils auront
leué vn million, ils n’en leuent en suite le triple pour eux ;

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sans que le public, ny vostre Majesté en profitent, comme ils ont
fait en d’autres rencontres.

 

La Nature a bien donné des bornes à la mer : mais elle n’en
a pû donner à leur auarice ; les Cieux ont leurs mouuemens &
leurs touts reglez ; le iour à ses heures ; & toutes choses creées,
leurs mesures : mais l’ambition des Partisans n’en est point capable,
& ne seroit pas mesme assouuie de toute la substance du peuple.
Ce sont des sangsuës, qui ne quittent que par la mort ; des
hidropiques, dont la soif ne s’esteint iamais ; vn feu qui consomme
tout ce qui l’approche, & qui embrasera enfin le Royaume,
si vostre Majesté n’y pouruoit.

On a veu disputer en ces derniers iours, dans le Parlement de
Paris, vn testament de vingt millions, fait par vn homme dont
la sœur n’auoit eu en dot que six mil liures par son contract de
mariage : Et ce qui est encores plus estrange est, que l’on a dit
pour defenses, qu’il y auoit plus de trente particuliers dans l’Estat,
qui en auoient laissé dauantage sur de plus foibles commencemens.

Ainsi l’exemple de la persecution publique & commune, est la
defense la plus legitime de ceux qui ont volé le bien du Royaume,
& succé le plus pur sang des François : & cependant sur le
mesme pretexte de la necessité de l’Estat, on passe dans cette rencontre,
aux plus extremes violences, sur les pretextes recherchez
d’vne iustice imaginaire : au lieu que dans vn ordre mieux
reglé, il seroit bien plus raisonnable de se seruir de cette iustice
contre ces mesmes particuliers, à l’esgard desquels, les restitutions
seroient sans doute bien plus iustes, que de nouuelles
exactions contre les habitans de Paris.

Si l’Edict de l’an 1548. defend, à peine de confiscation des materiaux,
de plus bastir dans les fauxbourgs, les Ordonnances de
ce mesme temps defendent, à peine de la vie, de donner de nouueaux
aduis pour leuer deniers sur le peuple ; & de faire aucunes
leuées sans Lettres Patentes, & verification precedente, à peine
de punition exemplaire & repetition du quadruple : De sorte
que si l’on veut executer cét Edict, il ne faut pas oublier les autres,
& sans doute il en reuiendra plus de fruict.

Ce n’est pas tout que de tirer de l’argent du peuple ; mais il

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faut que la raison en authorise les leuées : car de le vouloir exiger
par force, la picque & le mousquet dans le ventre des particuliers,
contre la disposition des ordres publics ; ou il faut abolir
les Ordonnances du Royaume, ou dire que la Iustice ne le souffre
point.

 

Ne pensez pas, Madame, que Dieu qui vous a donne la puissance
en main en vous donnant la Regence, ne vous oblige
aussi de luy rendre compte de la Iustice, dont il vous a renduë
la depositaire, pour la transmettre au Roy vostre fils : puis que
c’est seulement pour l’exercice de cette vertu, qu’il vous a donné
la puissance, & non pour en abuser contre elle ; comme pretenderoient
faire ceux qui vous y portent, engageans vostre
authorité à soustenir leurs violences contre la seureté de l’Estat.

Vn Prince disoit autrefois qu’il auoit attaché sa Couronne
auec des cloux de diamans : & cependant n’ayant point acquis
l’amour de ses peuples, il perdit dans la violence, ce qu’il auroit
conserué sans doute dans la bien veillance de ses subjets.

Souuenez-vous, grande Princesse, que l’amour ne se commande
iamais, & que Dieu mesme ne veut point que des offrandes
volontaires. Et si, comme vous l’auez tesmoigné dans ce
dernier Arrest du Conseil, vostre esprit vous porte à chercher
le soulagement & repos des subjets du Roy ; ne touchez point à
ses libertez, & si la necessité de l’Estat vous oblige à chercher
des secours extraordinaires, au moins faites-le dans l’ordre public,
& souffrez pour vostre descharge, que le Parlement de Paris
y contribuant ses suffrages, y apporte le consentement public,
si la Iustice s’y rencontre, au moins vostre conscience sera
en repos, & l’Estat vous demeurant obligé de vostre Iustice, &
de la bonne nourriture que vous donnerez au Roy vostre Fils,
dans la bien-vueillance de son peuple, vous remporterez iustement
le tiltre que cette ville vous donna le premier iour de vostre
Regence, de Reine, & Mere du Peuple.

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Anonyme [1648 [?]], REMONSTRANCE DE LA VILLE DE PARIS, A LA REYNE REGENTE MERE DV ROY, Sur le faict des Thoisez. , françaisRéférence RIM : M0_3307. Cote locale : C_9_48.