Anonyme [1652 [?]], REMONSTRANCE AV PRETENDV PARLEMENT DE PONTOISE, , françaisRéférence RIM : M0_3294. Cote locale : B_15_24.
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REMONSTRANCE
AV PRETENDV
PARLEMENT
DE
PONTOISE,

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REMONSTRANCE
AV PRETENDV PARLEMENT
DE PONTOISE.

MESSIEVRS,

Ie sçay bien le respect que l’on doit porter à des
Illustres Senateurs comme vous, & à des Arbitres sacrez
de tous les differends des hommes. Mais comme
ie suis vn des plus zelez Administrateurs de la Verité
politique, de grace ne trouuez pas mauuais que ie
vous parle hardiment & en veritable François, pour le
salut de ma Patrie. Il n’y a rien que ie ne sois capable
d’entreprendre pour elle ; & si c’est vne temerité que
de vous dire vos veritez auec respect, ie veux tascher
de passer en ce faisant pour le plus impudent de tous
les hommes. Cette passion est si vehemente, qu’elle
me va mettre vn certain flambeau d’artifice à la main,
pour consommer toutes les froideurs qui se voudroient
opposer à ses empressemens & à ses atteintes.
Et ie puis dire à l’imitation du Prophete Royal Dauid,
que le zele que i’ay conceu d’obeïr à cét ardent desir,

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me consomme le cœur, & me deuore les entrailles.

 

C’est ce qui fait que i’entreprends dans ce petit
discours, d’essuyer tous les dangers, & de surmonter
tous les hazards qui se pourroient trouuer, dans vne
action si raisonnable que la mienne ; d’où vient que
i’ay tousiours l’esperance pour compagne, qui ne me
parle iamais que de la bonté, que vous aurez pour vn
homme qui ne fait en cecy que se sacrifier pour le
public, dont vous faites la plus importante partie, &
qui ne pretend autre recompense de ce qu’il fait, que
l’honneur de vous auoir rendu quelque bon seruice.

Aujourd’huy que Messieurs les Princes, & cét auguste
& veritable Parlement de Paris, agissent en
illustres Defenseurs de la liberté publique, pour
chasser le Tyran de l’Estat ; le moyen que ie vous
puisse reconnoistre pour les veritables Protecteurs de
la cause commune, & pour les membres de ce sacré
Corps, qui merite vne esclatante veneration sous
l’auguste titre de Peres de la Patrie, si vous ne vous
opposez genereusement selon que vous le pouuez &
que vous le deuez à la tyrannie de Mazarin : & si vous
ne prestez main forte à la valeur de ces inuincibles
Guerriers, afin de remettre le Roy, l’Estat, & tous les
peuples de France dans leur liberté premiere.

Certainement si vous me condamnez par la liberté
que ie prens de vous parler de la sorte, ie seray fonde en
raisons d’en apeller de vous mesmes à vous-mesmes, &

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de ce que vous estes à ce que vous fustes : & i’opposerois
la faueur que ie meritay pour les loüanges
dont ie fus prodigue à vostre apparence de
bonté, quand vous formastes cette fameuse
Vnion, qui mist vostre gloire au plus haut point
où vous eussiez iamais pû desirer de la voir, à l’aigreur
que i’aurois fait naistre en vos esprits, par le
blasme que i’ose icy vous donner, de vous relascher
d vne iuste entreprise, par vn changement
autant preiudiciable à vostre gloire, qu ennemy
de nostre bon heur, en ce qu’il fait voir que vous
craignez d’obtenir l’auantage que vous sembliés
souhaiter. Quoy donc, Messieurs, vous auriez animé
les peuples de l’esperance du soulagement
des tributs, en leurs donnan de faux auant gouts
de la liberté, vous auriez prouoqué contre eux
la haine de leurs tyrans : attiré sur leurs bras de
sanglantes guerres, cause des pillages & des
meurtres de toutes sortes, & loin de nous faire
quelque bien en compensation de tant de maux
vous tascheriez à faire vostre paix en particulier,
& nous abandonneriez, comme vous auez de ja
fait vne fois, à la discretion de nos ennemis. Ainsi
vous auriez fait la faute, & vous en laisseriez
la peine à porter au peuple, & vous pourrez croire
qu’il auroit assez d’aueuglement ou de respect
pour vostre authorité, pour ne s’en pas vanger

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sur vos personnes & sur vos biens.

 

N’entendez vous pas aussi ce murmure perpetuel
du peuple desesperé qui vous menasse
par les ruës, & qui fait hautement des reproches
à la bonté de nos Princes, de ce qu’ils souffrent
toutes vos longueurs, & ne vous forcent pas
comme ils le pouroient facilement, à mettre la
main à l’ouurage que vous auez si fort auancé,
pour vous obliger à les soustenir, quand il paroist
plus chancelant. Sans mantir la iustice la plus
sincere, aussi bien que vostre conscience vous y
condamne absolument : mais le peril tres euident
qui vous menasse en cas de refus, est vne loy de
rigueur qui vous y force, & qui dans vos esprits
ne doit point laisser de place à de contraires pensées,
si vous escoutez bien cette voix, qui comme
elle fit autrefois au Senat Romain, vous semble
crier à tous moments, Oreus vobis ducit pedes.

Ie m’estonne en effet que vous ne pensés
que ce n’est pas vn ieu d’auoir émeu ce grand orage
si vous n’aués soin de l’appaiser, & qu’ayãt irrité
tant d’esprits, dont le desespoir commence à
s’emparer au defaut de vostre secours, si vous leur
refusés la proye qu’ils desirent, vous vous mettés
en hazard de la deuenir vous mesmes. Pensés de
grace quels appas vous semastes parmy la France
pour seruir d’amorce au peuples ? quels biens vous

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leurs fistes esperer, & iugés si vous leur en auez
donné la iouyssance. N’aués vous pas élude toutes
leurs pretentions, & voit on vn Partizan puny
depuis que vous commançastes à les menasser ?
Qu aués vous fait que changer le ioug de leur
seruitude en vn cent fois plus cruel ? ils estoient
accablés de tributs & vous les aués tout à fait ruinés
par la guerre. Aussi les plus fins le sçauoient
bien coniecturer dés le commancement de vostre
entreprise, & nous rompoient la teste de ce
vers.

 

Parturient montes, nascetur ridiculus mus.

Mais de quelle façon fistes vous la premiere
guerre contre le Mazarin ? à qui donnastes vous
le commandement de vos armées ? à des Chefs
dont il estoit facile à voir qu’ils n’auoient d’autre
dessein que de vous tromper. Ie n’ay point besoin
de specifier leurs personnes, on les connoist parfaittement
aussi bien que toutes les autres circonstances
necessaires à sçauoir sur ce sujet. Il suffit de
dire que qui veut bien estre trõpé pour en tromper
d’autres, merite qu’on le trompe apres contre
son dessein ; & que qui veut bien estre vaincu
lors qu’il a pris les armes pour se deffendre, se
rend digne de porter la peine de sa rebellion &
de sa foiblesse. Vous en vsiés en effet comme ces
Amants irrités qui ne paroissent animés de couroux

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contre leurs Maistresses, que pour les obliger
à changer l humeur de mespris qu’elles ont
pour eux en quelque meilleur traittemẽt, prests à
les adorer si tost qu’ils sçaurõt que leurs vœux sõt
mieux receus de ces beaux objets. Vous faisiés
la guerre & demandiés sans cesse la paix, & par
vne repugnance difficile a conceuoir, vous paroissiés
a la fois, libres & soumis, reuoltés & obeïssants,
braues, & timides, prompts & lents, & ne
faisiés rien moins que ce que vous deuiés faire en
effet. Cependant les bruits qui couroient dans
les Prouinces touchant vostre armement, supposoient
mille auantages qu’on croioit que vous
remportiés sur vos ennemis, parce que vous les
pouuiés remporter auec beaucoup de facilité, en
quoy la renommée s’arrestoit moins à publier ce
que vous faisiés, parce qu’elle eust eu honte de le
raconter, que ce que vous pouuiés faire auec les
moyens que vous auiés en main, & c’est ainsi
que vous transportiés les esprits que vous ne vouliés
qu’exciter, & ce qui rendit leur consternation
vniuerselle, quand on sçeut tous les points
de vostre accommodement. Mais en suitte quelle
recompense eurent ceux qui s’estoient declarés
pour vous dans les Prouinces ? Ie traitté de
Paix eût il la force d’ẽpescher que leurs maisons
ne fussent pillées, & ce fut lors qu’on vid clairement

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qu’au dessein de vous vẽger de ceux qui vous
auoient maltraittés, vous auiés fait vostre interest
particulier, de l’interest du general, & qu’estans
arriués à vos fins, vous negligiés les moiens
qui vous y auoient conduits comme les Architectes,
apres que leur bastiment est acheué renuersent
les gruës & les autres instruments, dont ils
se sont seruis pour le mettre à bout. Mais le malheur
fut pour vous que vous auiés à faire à des suiets
animés qui descouurans vos intentions ne purent
souffrir sans murmurer de se voir si maltraités
par ceux là mesmes, dont ils auoient attendu leur
protection, & vous vous trouuastes d’autant plus
en peine, que ceux auec lesquels vous auiés traitté,
vous regardoient comme les autheurs des troubles
precedents.

 

Vous vous souuintes alors qu’aux entreprises
d’Estat comme aux parties d’amour, il ne faut
rien faire à demy, & qu’vn Prince d’Italie auoit
raison de dire, que quiconque ose tirer l’espée
contre son Souuerain, en doit ietter le foureau, &
ne le reprendre qu’apres la victoire : & que qui
ne suit cette maxime, se met en hazard d’estre forcé
de s’en donner luy-mesme dans le sein. Ayant
esbranlé la France, vous creustes que vous la pouuiez
arrester dans le panchant de sa cheutte, &

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vous voyez que le bransle que vous luy donnastes
alors, vous emporte à present vers le precipice, &
que le poids du Colosse de ce que vous auiez esleué
pour espouuanter vos ennemis, comme il panche
maintenant sur vos testes, vous menasse de
les écraser. Ayant troublé la forme du gouuernement
precedent de l’Estat sans en introduire vne
nouuelle, vous voulez que la France souffre vn
vuide, que la nature ne reçoit point ; & ne vous
souuenez pas que comme de mauuais Medecins
ayant émeu les humeurs d’vn corps sans les dissiper,
au lieu de la langeur qu’il sentoit auparauant,
vous n’auez manqué de luy causer vne maladie qui
le met en peril de mort. Les pointes de vostre ressentiment
ont picqué la France iusques au vif, &
fait que se ressentant des outrages du passé, cõme
porte l’Ecriture sainte, deiecit equum & ascensorem, &
vous pensez que vous en serez quittes auiourd’huy,
pour dire qu’il faut que le Roy soit maistre
sans condition dans son Royaume.
Pourquoy n’auez vous tousiours tenu ce discours ?
ou pourquoy le tenez vous mal à propos à present,
quand le pretexte qui vous alarma ne cesse
point ? Les peuples ne sont point satisfaits, & vous
voulez qu’on pose les armes, dont vn suiet particulier
vous les fist prendre, & cette confession tacite

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de vos intentions, vous cõdamne de n’auoir
iamais eu dessein de procurer le bien public. Dont
si le Mazarin n’eust voulu leuer aucune taxe sur
vostre Corps, la voix de la plainte publique ne
vous eust iamais alarmés. Mais derechef trouuer
bon que Mazarin demeure en France, si sa Mejesté
persiste à le desirer, n’est ce pas donner contre
vous vn Arrest de condamnation, pour tout
ce que vous auez fait par le passé ? dont toutes vos
deliberations & vos équippées de quarante-neuf
& de cinquante, furent des crimes ; & par consequent
il est iuste de vous punir : & puisque vous
vous cõfessez coupables, vous l’estes enuers tous
les deux partis. Enuers sa Majesté, pour auoir iniustemẽt
fait sousleuer les peuples cõtre son authorité,
& enuers les peuples, pour les auoir portez à
la rebellion contre le Roy. Prenez garde à cette
raison, parce qu’elle conclud infailliblement contre
vous ; & si l’vn ou l’autre des partis vous maltraitte
desormais, ne vous en plaignez pas à l’autre,
parce qu’il auroit suiet de vous vouloir autant
de mal, & de vous le faire à son rang. Faites iustice
de ces outrages à toute la France, vous qui la deuez
à tout le monde, ou parez ce coup s’il est possible,
puis qu’il est mortel à vostre honneur.

 

Il est vray, Messieurs, que ie blasmerois beaucoup

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moins vostre procedé, si ce changement
vous pouuoir produire l’aduantage que vous desirez
pour estre plus en seureté : mais sçachant
qu’il ne fait qu’a tirer sur Paris de nouuelles armées
pour en saccager les enuirons, & causer de frequentes
seditions dans toute la ville, irriter les
Princes, desesperer tous les peuples, Ie m’estonne
que vous ne dissimulez mieux vos ressentimens
& que vous ne considerez que c’est vn effet de
prudence, quand on a fait quelque faute d’en cacher
le repentir, pour n’estre conuaincu par son
propre tesmoignage qu’on la commise. Mais
quoy ? fust-ce violer quelque deuoir, que de choquer
Mazarin ce concussionnaire public, & ce
perturbateur du repos de toute la France ? & s’il
demeure parmy vous, que deuiendront tous vos
Arrests ? Croyez vous dont qu’il se soit iustifié par
les meurtres, les sacrileges & les incendies dont
il est la cause ? La multiplication de crimes, de larcins
& de trahisons, le fait trouuer innocent,
parce que son audace est heureuse : Comme on
dit que les petits brigands sont punis, & les grands
honorez de superbes titres : & ceux qui pillants le
peuple crioient autrefois comme Neron, Hoc agamus
ne quisquam quia habeat, ie veux dire les Partizans
sont innocents auiourd’huy, parce que loin

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de vous imposer aucune taxe, ils mettent leurs
biens à vostre discretion. Ainsi le Mazarin & les
Partizants deuiennent innocens ou coupables,
selon qu’on vous flate, ou qu’on choque vos interests ;
& cette consideration est le seul motif qui
vous fait agir.

 

S’il est ainsi François, où sommes nous ? &
que pouuons esperer à l’aduenir ? si tels sont les
pilottes de nostre nauire, quel orage pour foible
qu’il soit n’aura point le pouuoir de l’agiter ? &
que ne doiuent faire les autres planettes du Ciel
de la France en l’absence de ses deux grands luminaires,
si ce corps qu’on en peut nõmer le Firmament,
a si peu de constance & de fermeté. Malheureux
peuples en effet, mal heureuse ville de
Paris, de dependre de puissances si mal intentionnées,
& si mal vnies : Mais plus malheureux Parlement
d’estre decheu par sa foiblesse du haut rang
destime & d’honneur où l’opinion de sa constance
l’auoit estably dans les esprits de tous les peuples.
Le cœur me saigne, Messieurs, de me voir
forcé de vous parler en ces termes, & dans ce desordre,
& cette confusion de pensées : Ie ne puis
qu’accuser le mauuis sort de la France, blasmer
tant soit peu vostre conduite, & me preparer à
voir fondre encor sur nous de plus grands malheurs.

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Quoniamin ea tempora nati sumus quibus animum
firmare oporteat constantibus exemplis.

 

STANCES
Sur l’inconstance de la Fortune.

 


O Dieu ! c’est à ce coup que la fureur celeste,
D’vne attainte à la fois surprenante & funeste,
Veut exiger de nous vn malheureurx tribut ;
Et ie voy desormais auec quelle licence,
Vne estrange Fortune extréme en sa puissance,
Va submerger la France au port de son salut.

 

 


Ie croyois autrefois, la voyant au riuage,
Que cette Deité d’insolence & d’outrage
Tendroit tousiours ses mains au bien de ses projets :
Mais sans auoir égard aux plus Grands de la Terre,
Et les Dieux de la Paix, & les Dieux de la Guerre,
Sont mis iniustement au rang de ses sujets.

 

 


Mais quoy que Mazarin appuyé de ses graces,
Vueille en homme impudent & superbe en menaces,
S’opposer quelquefois aux rigueurs de son sort,
Il verra malgré luy dans vne guerre ouuerte,
Qu’il n’est rien icy bas qui ne vise à sa perte,
Ou bien qui ne conspire à luy donner la mort.

 

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Nous sommes tous soûmis aux loix de la Fortune,
Et les champs de Cerez & les flots de Neptune
Rougissent tous les iours de ses sanglants effects ;
Les Roys, les Empereurs, & les plus grands Monarques
Ne sont pas mieux traitez de la rigueur des Parques
Que ceux que la misere accable de ses faix.

 

 


Mazarins aueuglez qui semblez par vos gestes
Esleuer vostre Empire au dessus des Celestes,
Ainsi vostre Empire au de semblez par vos gestes
Vos pompes, vos grandeurs, & vostre renommée,
De mesme que du verre, ou qu’vn peu de fumée,
Par la suitte du temps ne subsisteront pas.

 

 


Exercez contre nous, par vn sort déplorable,
Ce que Mars & Bellone ont de plus effroyable,
Remplissez l’Vniuers de carnage & de bruit,
Lancez de toutes parts vostre esclatante foudre,
Mettez tout l’air enfeu, mettez la terre en poudre,
Que lairrez vous au Roy qu’vn Empire destruit.

 

 


Ainsi que vos grandeurs vos vies ont leur terme,
L’Estat le mieux conduit & l’esprit le plus ferme
Ne scauroient s’affranchir des traits de leur destin ;
C’est pourquoy nos François au plus fort de l’orage,
Monstrant tout ce que peut vn excés de courage,
Vous peuuent immoler en vn mesme matin.

 

FIN.

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