Anonyme [1652], RELATION VERITABLE DE CE QVI S’EST PASSÉ A PONTOISE En la Reception des six Corps des Marchands. Ensemble leurs Harangues, & ce qui leur a esté respondu par le Roy & la Reyne. , françaisRéférence RIM : M0_3218. Cote locale : B_15_45.
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RELATION VERITABLE
de ce qui s’est passé à Pontoise, en la reception
des Deputés, des six Corps des
Marchands.

Ensemble leurs Harangues, & ce qui leur a esté
respondu par le Roy & la Reyne.

LE Dimanche vingt-neufiesme Septembre,
arriuerent à Pontoise sur
les trois à quatre heures apres midy
les Deputez des six Corps des Marchands
Bourgeois de la Ville de Paris, au nombre
de soixante & dix, tant Drappiers, Epiciers,
Merciers, Pelletiers, Bonnetiers, qu’Orpheures,
tous conduits par le Sieur Patin Ancien & grand
Garde de la Drapperie lequel en cette qualité
portoit la parolle.

Lors de leur arriuée le Roy estoit dans la Cour
du Chateau acosté sur vne espece de Balustrade
accompagné du Sieur de Vitermont & autres

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Capitaines & Officiers du Regiment des Gardes
qui venoient d’arriuer de Dunquerque où ils
estoient en garnison lors de sa prise & rendoient
compte à sa Majesté de ce qui s’y estoit passé.

 

Le Roy voyant arriuer cette quantité de Carrosses
remplis de Bourgeois escortés d’enuiron
cent cinquante Caualliers, demanda ce que c’estoit,
à quoy fut respondu que c’estoient les Deputez
des Bourgeois de sa bonne Ville de Paris
qui le venoient supplier d’y retourner. Aussi tost
il partit du lieu où il estoit & alla dans vn Iardin du
Chasteau où apres auoir demeuré vne grosse demie
heure il en sortit & monta en sa Chambre.

La Reyne estoit pour lors à Vespres aux Carmelites
d’où estant reuenuë au Chasteau, en descendant
de son Carrosse d’vn visage riant, dit à
Monsieur le Comte d’Orval son Escuyer, Hé
bien Monsieur le Comte ! Messieurs de Paris sont
ils arriuez, & ainsi montant en son appartement
elle demanda où estoit le Roy, qui parut aussi
tost & retourna à la promenade dans le mesme
Iardin d’où il estoit sorty peu au parauant : sur les
six heures du soir le Roy tint Conseil où fut resolut
que le lendemain Lundy Audience seroit
donnée sur le midy à ces Messieurs les Deputez
qui en attendant se logerent où ils peurent.

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Le Lundy 30. sur les sept heures du matin, ces
Messieurs en Corps furent trouuer Monsieur
le Lieutenant Ciuil dans son logis au Conuent
des PP Cordeliers, & la le prierent de les vouloir
presenter à leurs Majestés surquoy apres s’estre
excusé sur ce que Monsieur le Preuost des Marchans
le Feure estoit à Pontoise & que c’estoit
son fait acause que cette Deputation n’estoit
composee que de Marchans, il ne laissa neantmoins
d’en accepter la charge, sur ce qui luy fust
representé, qu’il estoit leur Iuge naturel, & qu’ils
ne connoissoient Monsieur le Preuost des Marchãds
qu’en certaines choses, & que sa Iurisdiction
ne s’este ndoit pas sur tout comme celle de Lieutenant
Ciuil qui estoit le veritable Iuge de la Police.
Il n’estoit plus question que de la Ceremonie,
pour quoy faire quatre des Principaux furent
prier Monsieur de Saintot pour accompagner
Monsieur le Lieutenant Ciuil, ce qu’il fit & des
Cordeliers tous furent en Corps faire leurs visites.

Ils commencerent par celle de Monsieur le
Sut-Intendant des Finances qui les receut fort
bien, & apres auoir ouy le sieur Patin il respondit,
que toute la disposition de la Cour estoit de
donner à la Compagnie ce qu’elle desiroit, que

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de sa part il contribueroit à tout ce qu’il pourroit
pour faire voir à Messieurs de Paris l’affection
qu’il auoit pour le retour de sa Majesté dans sa
bonne Ville ; apres leur auoir dit que veritablement
il y auoit quelque chose à redire au procedé
des Bourgeois, sur ce que le Roy estant à S.
Germain en Laye les Preuost des Marchands, Escheuins,
& Bourgeois de la ville de Paris auoient
pris des Passeports de son Altesse Royale pour
venir trouuer le Roy à S. Germain, & que cela
l’auoit d’autant plus estonné que la Metropolitaine
du Royaume, ceste grande Ville, & ce
monde s’estoit soubmis à demander des Passeports
à d’autres qu’à leur Souuerain. A cela luy
fut respondu, que ce n’auoit point esté par marque
de soubmission, mais seulement pour éuiter
les frequentes incursions des gens de guerre, qui
violant la foy publique roddoient par tout sans
aucun respect ny consideration : En suitte de
quoy il asseura la Compagnie, & de son affection,
& de son seruice.

 

De là, on fut chez Monsieur le Chancelier logé
aux Vrsulines, lequel n’estant pas encores en
estat d’estre veu, On fut chez Monsieur le Garde
des Sceaux, qui auec tendresse receut la Compagnie ;
& dit que la Cour ne respiroit que Paris,

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qu’il approuuoit fort le zele des Deputez, mais
que ce n’estoit pas encore tout fait, que la personne
du Roy ne pouuoit pas estre en seureté
dans vne ville, tandis qu’il y auroit des ennemis
de son Estat, que Paris n’estoit remply
que de gens de guerre, allans & venans, que de
sa part il estoit obligé de representer les inconueniens
qui en pourroient arriuer, qu’il sçauoit fort
bien, & par experience, que tous les bons Bourgeois
n’auoient iamais manqué & d’affection, &
de fidelité enuers le Roy, que s’il y auoit eu du
desordre parmy eux, que ce ne pouuoit estre
que la Canaille qui l’eust causé, & non les gens de
bien, qu’il feroit ce qu’il pourroit pour que le
Roy retournast en bref à Paris, que toute la disposition
y estoit ainsi, qu’il l’auoit desia dit, mais
que parauant il falloit pouruoir à la seureté de la
personne du Roy ; A quoy fut respondu, que
toute la seureté y estoit, & que lors de l’approche
de sa Majesté on sortiroit de Paris soixante
mil hommes pour luy aller au deuant ; & qu il
n’y auoit que sa presence qui pourroit apporter
le calme & la tranquillite dans la Ville ; & dissiper
les menées de certains factieux qui estoient
aux gages de ceux qui taschoient de fomenter le
desordre : Ce qu ayant ouy il remercia la Compagnie,

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l’asseura de sa protection & de son seruice,
& dit que le Roy donneroit audience sur le
midy.

 

De là on retourna chez Monsieur le Chancelier,
qui d’vne grace toute extraordinaire receut
la Compagnie, approuuant son affection auant
que l’on luy eust dit aucune chose : Et comme il
vit que l’on se preparoit à la harangue, s’estant
vn peu retire pour donner moyen à la pluspart
de la Compagnie d’entrer, le lieu estant vn peu
serre, il entendir mot pour mot ce que le sieur
Patin luy dit, à quoy il respondit ponctuellement,
asseura la Compagnie de l affection du Roy enuers
ses sujers, & particulierement enuers les Parisiens,
que iamais le Roy quoy que jeune n’auoit
tesmoigné pendant ces troubles aucun ressentiment
contre Paris, que souuentes fois il luy auoit
ouy dire qu’il l’aymoit, qu’il ny auoit du tout
rien à craindre, mais tout â esperer de sa clemence
& de sa bonté, qu’il esperoit que sa Majesté
croissant en age, croistroit aussi en affection &
en bonne volonté, & que quant à la Reyne,
il falloit tout esperer d’elle, que la sincerité
de ses actions feroit paroistre le contraire de ce
que l’on auoit creû : qu’il auoit pris la liberté de
luy representer plusieurs fois & en particulier,

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que depuis vingt ans qu’il auoit l’honneur d’estre
dans la charge de Chancelier, il n’auoit iamais
connu dans les Parisiens que fidelité &
amour pour le seruice du Roy ; Et que la dessus la
Reyne luy auoit fait l’honneur de luy dire qu’elle
le sçauoit bien, & qu’elle se porteroit aussi rousiours
pour eux ; Que ce qu’il disoit-il le disoit
auec sincerité ; Et qu’il ne parloit que du plus profond
de son cœur, que le Roy, la Reyne & toute
la Cour estoient tous disposés au retour de Paris,
& que pour luy il y apporteroit ce qu’il pourroit.
Mais qu’ayant l’honneur d’estre du Conseil du
Roy, il n’osoit s’engager à luy faire entre prendre
ce voyage, estant tres perilleux de le faire aller
dans vne Ville dont il n’estoit pas asseuré, non
plus que ceux qui venoient de parler, que bien
que les Bourgeois le souhaittassent auec passion
ainsi qu’ils le témoignoient, il n’etoit pas à propos
que ny luy ny ceux du Conseil l’y fissent aller,
que c’estoit à la Compagnie à le demander à la
personne mesme du Roy, & à luy deduire les raisons
qui le pourroient esmouuoir à entrer à Paris,
soit pour a seureté de sa personne, soit aussi pour
y receuoir les veux & les obeïssances de tous ses fidels
sujets, que cela estant pourueu qu’il y eust
en apres sa moindre apparence, le Roy ne manqueroit

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pas de s’approcher de la Ville, qu’il l’y
porteroit autant qu’il pourroit, & que l’on se
pouuoit en tout asseurer de sa personne, puisque
estant Parisien, il y estoit doublement obligé,
apres quoy, il remercia la Compagnie de l’honneur
qu’elle luy auoit fait de cette visite, & la
conduisist iusques à la porte de sa Chambre, ou
ayant salué & les vns & les autres : Il les asseura
tant en general qu’en particulier de son affection
& de son seruice, & qu’ils auroient Audience sur
le midy.

 

Du logis de Monsieur le Chancelier, on fust
chez Monsieur du Plessis Guenegault, & de la
au logis de Monsieur le Tellier, où se trouua
Monsieur Seruien, ausquels apres pareilles Harangues
que deuant ils asseurerent la Compagnie
de leurs seruices & bonnes volontez, que le Roy
& la Reyne estoient tout à fait disposez au retour
de Paris, qu’en ce qui despendroit d’eux, ils feroient
leur possible, iusqu’à se rendre supplians
enuers le Roy, pour la satisfaction de Messieurs
les Bourgeois de Paris, qu’outre que c’estoit leur
patrie, ils estoient encore obligez par affection,
& pour beaucoup d’autres considerations à souhaitter
le Roy dans Paris, & la tranquilité dans
le Royaume, ce qu’ayant dit on les asseura que le

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Roy approchant de Paris ; On feroit vne haye de
cent mil hommes depuis Paris, iusques à S. Denis,
lesquels ne respiroient que la sacrée personne
du Roy, & sa presence : Sur quoy ils asseurerent,
que ce seroit en bref : mais qu’il falloit voir le
Roy, & qu’ils auroient Audience sur le midy.

 

L’heure venuë, les Marchand, s’assemblerent
dans le Iardin des Peres Cordeliers, & de la furent
en Corps & en Ordre au Chasteau, reuestus
de leurs Robbes de Garde, & la furent introduits
par le Sieur Saintot Maistre des Ceremonies, qui
les conduisist dans la Galerie Neufve où ils furent
bien vne demy heure, attendant que le Roy fust
reuenu de la Messe, apres quoy estant de retour
ils furent conduits dans vne Salle ou estoit Sa
Majesté accompagnée de la Reyne sa Mere, de
Monsieur le Duc d’Anjou, de Monsieur de Vandosme,
& autres Grands Seigneurs du Royaume,
de Monsieur le Chanceliers, de Monsieur le Garde
des Sceaux, de Monsieur le Sur-Intendant
des Finances, de Messieurs les Secretaires d’Estat,
& autres Officiers de la Couronne, là ces Deputez
prosternez à deux genoux aux pieds de Sa
Majesté, le Sieur Patin fist sa Harengue, supplia
tres-humblement le Roy d’honnorer Paris de sa
presence, & d’y apporter la Paix, & la tranquilité

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tant desirée de ses fidels sujets, que c’estoit-là le
seul motif de leur legation, d’asseurer Sa Majesté
de la fidelité & de l’obeïssance des Bourgeois.

 

Il n’eust pas finy, que le Sieur le Brun vn des
Gardes des Marchands, Merciers fist sa Harangue
& au Roy & à Reyne, & dans la suitte de
son discours entrecouppé de sanglots, beignant
en pleurs, eust la force par l’affection, & par le
zele qu’il témoignoit au seruice du Roy, de tirer
des larmes de Sa Majesté, & de la plus part de
l’assemblée, protestant qu’il ne souhaittoit de
viure que pour se sacrifier au seruice, & à l’obeïssance
qui estoit deuë à Sa Majesté, & qu’il desiroit
auoir cent mil vies pour les luy pouuoir offrir &
les sacrifier à ses pieds, que son cœur parloit, pour
cent mil hommes qui auoient la mesme affection
que luy, coniurant la Reyne de porter le Roy à
la Paix, de faire qu’elle fust donnee, & de la donner
elle mesme. Ce discours ainsi naturellement
animé, & sans aucun artifice de Methorique tira
du Roy quelques parolles de bien veillance, & la
Reyne qui dit auoir les sentimens du Roy, asseura
la Compagnie de toute affection, que le Roy
leur tesmoigneroit tousiours, & leur en donneroit
en peu de temps des preuues qu’ils en auroient
toute satisfaction, qu’il estoit asseuré de

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leur fidelité, & tres rauy de les voir, que ce n’estoit
pas luy qui estoit cause de tant de desordres,
& qu’il estoit aussi bien qu’elle, tres-fasché de ce
qu’ils auoient tant souffert, & de ce qu’ils souffroient
tant encore : A quoy fut respondu qu’il
n’y auoit que la seule absence du Roy qui faisoit
souffrir Paris, & que sa seule presence estoit capable
d’en guerir tous les maux, que cinquante
mille, voire cent mille hommes, ne respiroient
autre chose, & que si sa majesté laissoit eschapper
ceste occasion, on ne pourroit pas sçauoir ce
que ces gens là pourroient deuenir, que sa Majesté
estoit derechef tres-humblement suppliée
de mettre ordre à ces desordres ; d’honorer Paris
de sa presence, & d’y apporter la paix.

 

Là, le sieur Perichon aussi l’vn des Gardes des
Marchands Merciers, & l’vn des Maistres de
l’Hostel-Dieu de Paris prit la parole, representa
au Roy la misere publique que le depeuplement
de la campagne, & la ruine des Fermiers & des
Laboureurs, auec le peu que l’on auoit receu au
bureau de la recepte generalle de l’Hostel Dieu
estoit cause que l’on ne pouuoit plus entretenir
aucuns pauures, bien loin d’en substanter trois
mille que l’on estoit prest de renuoyer, & de
mettre sur le carreau, n’y ayant en l’Hostel-Dieu

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aucun moyen pour eux, qu’il pleust à sa
Majesté, & à la Reyne, de pouruoir à vne telle
necessité, que leurs Fermiers se preualans de la
guerre, ne se mettoient en nulle façon en peine
de payer, que la presence du Roy dans Paris y
apportant la paix, estoit le vray moyen de faire
subsister le pauure & l’indigent, qu’il ne tenoit
qu’à sa sacrée personne, que la charité la plus
haute des Vertus ne fut exercée ; qu’il estoit tres-humblement
supplié de mettre la main à l’œuure,
& que par ce moyen en le faisant, & donnant
à son peuple ce qu’il luy demandoit auec
tant d’instance & de Iustice, il surpasseroit en
grandeur & en vertu tous les Roys ses predecesseurs.

 

Le Roy pressé de douleur & de tendresse,
ayant peine à luy respondre, dit seulement qu’il
les remercioit. Et la Reyne en continuant dit
qu’il ne falloit point douter de la bonne volonté
du Roy, & qu’il estoit asseuré de la fidelité &
affection de ses fidels Subjets & des bons Parisiens,
fit leuer la Compagnie qui auoit tousiours
parlé à genoux & la face contre terre, & apres
auoir dit qu’en peu on feroit en sorte de les satisfaire,
& que l’on en rechercheroit incessamment
les moyens. Le sieur de Saintot eut ordre de les

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faire retirer & sortirent par vn autre porte apres
s’estre deux à deux prosternes aux pieds du Roy,
ils s’en retournerent au Conuent des Cordeliers
où ils furent conduits par Monsieur le Comte de
Nogent, qui les asseura de la bonne volonté de
la Reyne, & que tout iroit à leur contentement.

 

I’espere Dieu aidant donner à ma Patrie la satisfaction
qu’elle pourra desirer des veritables
Relations de ce qui se passera en Cour pendant
que i’y feray seiour, esperant continuer celle cy-dessus
auec autant de verité que d’affection pour
mes Compatriottes.

FIN.

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