Anonyme [1649], RAISONNEMENTS PARTICVLIERS DE MAZARIN. , françaisRéférence RIM : M0_2972. Cote locale : C_9_3.
Section précédent(e)

RAISONNEMENTS
PARTICVLIERS
DE
MAZARIN.

M. DC. XLIX.

-- 2 --

-- 3 --

RAISONNEMENTS
PARTICVLIERS
DE
MAZARIN.

Tout le monde iuge de mes actions comme
il leur vient en pensee, & ie sçay qu’il
y en a fort peu qui me loüent, mais ie remets cela
à la faute de leur passion, qui les emportant dans
l’excez, ne leur permet pas de penser de moy quelque
bien. Ie sçay que personne ne peut estre iuge
en sa propre cause, car les hommes pour l’ordinaire
se flattent si bien, qu’ils se donnent tousiours
l’auantage, bien que toutesfois ils ayent veritablemẽt
le tort. Comment pourray ie donc faire, pour
sçauoir, non ce que l’on peut dire de moy, mais ce
qui en est sans fraude & sans aucune feintise. Il faut
que ie gagne tant sur mes passions, que ne leur
laissant pour vn peu de temps aucun pouuoir dessus
moy, ie les interdise de me commander, & que
suiuant les maximes de la raison toute seule, ie

-- 4 --

fasse vn poids & vne mesme si iustes, que ie mette
toute ma vie en balance, & que ie rappelle toute
ma fortune pour y asseoir vn iugement asseuré. Ie
ne puis nier que ie ne sois esleué par dessus ce que
i’ay pû iamais esperer, & s’il est vray que les astres
ayent quelque pouuoir sur le succez de vos vies,
combien suis ie redeuable à celuy dessous lequel ie
suis né, ou bien afin de parler plus chrestiennement,
combien ay ie d’obligation au grand Dieu
viuant, qui me tirant du neant m’a posé sur vn des
plus hauts degrez d’vn Estat le plus florissant de
l’Europe, & le premier de la Chrestienté. Mais ô
prodige ! il ne faut point aller en Egypte pour
trouuer des monstres, il s’en rencontre assez dans
la France qui dõnent bien de la peine à faire iuger
quelle est leur nature, car s’ils ne font point paroistre
de la deformité dans leurs corps, il est vray
qu’ils ont vn esprit si bizare & si mal en ordre,
qu’ils iugent meschamment de tout, & comme
vn baston le plus droit semble tortu dedans l’eau,
les actions des autres arriuant dans leurs fantises,
bien qu’elles soient nettes & sans aucune malice,
sont à leur iugement des meschancetez & des crimes.
Pour commencer donc mes raisonnemens,
i’aduoüe que mon extraction est fort basse au prix
de ce que ie suis maintenant, mais qui pourra blasmer
legitimement vn homme s’il est de bas lieu ?
Nous ne naissons pas à nos fantaisies, c’est à la volonté

-- 5 --

du Ciel & de la nature de nous donner
des parens, & bien souuent encore apres que
nous sommes nés ne suiuons nous pas leurs fortunes
ny leurs inclinations naturelles. Il se rencontre
fort peu d’enfans semblables aux peres,
dont ie puis seruir de tesmoin, car si mon pere a
eu en soy quelque chose de reprehensible, quelque
excuse que ie me puisse apporter, il est vray
que i’ay beaucoup de deffauts qui sont incomparablement
plus grands que les siens. Mais pour
reuenir à ma race & à ma naissance, n’a ton pas
veu plusieurs fois, que des Empereurs & des
Roys ont esté tirez des conditions les plus viles
& les plus abiectes. Vn des premiers Dictateurs
de Rome fut enleué de sa charruë pour entreprendre
l’Estat, & les affaires estant acheuées il y
retourna comme auparauant. Auguste estoit
soupçonné d’estre de bas lieu ; Elius Pertinax
n’auoit esté qu’vn Marchand de bois, le Iardinier
d’Alexandre fut Roy d’vne Prouince d’Asie,
& mille autres exemples que ie pourrois rapporter.
Tout ce de quoy l’on pourroit donc me
blasmer à ce suiet là, c’est que ie n’ay pas veritablement
assez de vertu pour recompenser ce
deffaut, mais à qui s’en prendre, puis qu’il semble
que c’estoit le deuoir de la nature mesme de
me fournir les auantages necessaires pour la condition

-- 6 --

qu’elle m’apprestoit, c’est dequoy ie la
blasmerois volontiers, mais comme elle est toute
sage & toute puissante, ie me dois sousmettre
à ses volontez, & croire que si i’ay quelque
chose de defectueux, comme veritablement ie
possede vne infinité de vices, c’est de ma mauuaise
volonté que cela procede, car le Ciel ne
manque iamais de nous seconder, quand nous
voulons embrasser le bien, & l’on n’a iamais veu
personne estre contraint à faire du mal. Voilà
donc le premier point où ie suis coupable.

 

On publie en France que ie suis né dans vne
Prouince dont elle a receu beaucoup de dommage,
& mesme on dit en prouerbe, que l’Italie
est le cimetiere des François, & cela se dit pour
vne infinité de raisons, mais principalement à
cause des vespres Siciliennes, qui furent à la verité
si sanglantes, qu’on n’en perdra iamais la memoire.
Mais à quoy me mespriser pour cela, les
pays ne font rien sur l’esprit d’vn homme, on a
veu de grands personnages estre sortis de pays
steriles, tesmoin Vlysse qui estoit d’Itaque, Romulus
fut nourry parmy les bergers dans les
boys, bref le pays ne fait rien aux mœurs, & le
Ciel qui nous regarde par tout peut verser de
belles qualitez en nos ames aussi bien en vn lieu
qu’en l’autre, Dieu ne denie ses graces à pas vn

-- 7 --

des hommes en quelque endroit qu’il soit né
Il est vray que ie ne sçaurois nier que i’ay de
l’ambition par dessus la teste, mais sçauoir de qui
ie l’emprunte, ie ne le sçay pas, neantmoins c’est
le propre des Italiens d’estre ambitieux, tesmoin
la response que fit vn Ambassadeur de France à
vn Pape qui luy demandoit ce qu’il luy sembloit
de l’air de Rome & de l’humeur de ses habitans.
Ie remarque, luy respondit il, que Rome a tousiours
affecté l’Empire sur toutes les nations de
la terre, & qu’aussi-tost qu’elle n’a plus eu le pouuoir
absolu sur les corps, elle a recherché de se le
donner sur les ames. Cette response est impie,
mais elle a pourtant quelque verité, pour le
moins monstre telle allez euidemment que les
astres necessitent à la verité, mais qu’ils preparent
l’esprit au bien ou au mal, & qu’il n’y a que
nostre mauuais ou nostre bon naturel qui nous
les fait suiure.

 

On me reproche que ie possede des thresors
outre mesure, & que i’ay si bien fait que le peuple
est gueux & miserable, mais qu’est-ce que
les richesses du monde sinon vn chemin à la vertu,
ou bien vn penchant pour glisser au vice. Aton
iamais veu rien de plus riche que Salomon,
mais ses cõmoditez luy seruirent à le perdre sur
le declin de sa vie. Pourrois ie estre plus sage que

-- 8 --

ce Roy, à qui Dieu auoit pris plaisir à mettre tant
d’excellentes qualitez qu’vne grande Reyne qui
vint visiter son palais auoüa qu’elle n’auoit iamais
rien veu de si miraculeux dans le monde
que la personne de ce Prince, & que l’œconomie
qu’on obseruoit dedans sa maison, Peut on blasmer
les grands de posseder les thresors, qui leur
appartiennent par droit de nature ? tant parce
que leur despense n’est iamais limitée, que d’autant
qu’vn peuple ne doit auoir iustement que
ce qui luy est necessaire pour le viure & le vestement,
n’estans pas obligés de paroistre comme
les grands qui ont pouuoir dessus eux. Les peules
ne sont que les instrumens des Roys & des
Princes, pour faire venir à eux toutes choses, &
dans le Iapon les suiets ne sont que comme les
fermiers du Royaume, dont ils rendent compte
à leur Prince qui ne leur laisse que ce qui leur est
necessaire. Ie sçay bien que ce n’est pas la coustume
en France, mais puisque l’occasion se presente
pourquoy ne me sera-il pas loisible de pescher
par tout à tort & à trauers, & d’appauurir
aussi bien les grands que le peuple, puis qu’vn
bien amassé vaut mieux que celuy qui est en la
bource de plusieurs. La conscience est inutile en
cela, puis que tout bien est commun, & qu’il n’y
a que l’industrie & la commodité de l’amasser &
de l’acquerir.

 

-- 9 --

Ie suis grandement blasmé, & ie pense bien
qu’on a raison en cela, de ce que i’ay donné suiet
cet hyuer passé de faire la guerre, ce qui ne se pratique
point d’ordinaire, puisque c’est la coustume
de donner relasche aux armées dãs vn temps
si rigoureux & si difficile, mais il y a bien à tire,
car les Parisiens qui n’auoient pas accoustumé
ce trauail se sont trouuez bien empeschez à le
supporter, ie leur ay monstré qu’ils ne se deuoiẽt
attaquer à mon Eminence, & que ie suis capable
de leur faire apprẽdre plusieurs choses qu’ils
ne sçauoient pas encore, & ie leur puis dire comme
vn meschant Empereur des Romains, aussi
ne vaufie pas mieux que luy, QV’ILS ME
HAYSSENT POVRVEV QV’ILS ME
CRAIGNENT.

C’est l’action la plus fascheuse, à ce que l’on
dit, que i’aye fait iusqu’à maintenant d’auoir enleué
le Roy, ce seroit vne grande imprudence si
quelqu’vn alloit à la guerre sans se fournir d’armes,
vn bouclier est bon pour se parer des coups
parmy les allarmes, sans la personne du Roy
mon affaire n’eut pas esté comme il faut, il est
ma seule targue & ma deffense la plus asseurée
que ie pouuois iamais auoir pendant cet orage,
la Reyne & tout le reste des Princes ne valloient
rien pour me parer en comparaison, car quoy

-- 10 --

que le peuple ait fait, il a tousiours tesmoigné
d’auoir de l’affection pour ce petit Prince, aussi
a t’on remarqué de tout temps qu’il n’y a iamais
eu de peuple sur toute la terre, qui ait aimé son
Roy dauantage, & qui l’ait respecté comme le
François, car bien qu’il ait tousiours affecté d’estre
libre, il a toutesfois aimé mieux souffrir, que
de murmurer en quelque façon que ce soit, &
ie iuge bien en moy mesme que ce n’a esté que
pour mon suiet que les reuoltes se sont esleues.
Mais baste, il faut laisser passer cet orage, celuy
qui perdra n’aura pas asseurement l’auantage.

 

Ma pourpre esblouyt les yeux de beaucoup,
mais ce n’est pas pour son esclat ny pour sa splendeur,
c’est la haine qu’ils ont conceuë cõtre moy
qui les fait ainsi murmurer On void bien que ce
n’est pas mon ambition d’arriuer à la Papauté,
ny moins d’estre Patriarche de France, comme
on disoit que le Cardinal de Richelieu esperoit
de l’estre à quoy donc me seruiroit de faire la
sainte nitouche, puisque i’aime trop le monde,
& que i’aurois de la peine à le quitter desormais
estant trop adonné à mes voluptez & à mes richesses.
C’est vn grand honneur d’estre Cardinal,
mais c’est bien vn plus grand plaisir d’estre
esleué dessus vn Estat, de tout gouuerner dedans
vn Royaume, d’auoir presque tous les

-- 11 --

Grands en main, d’estre necessairement dans la
bonne chere, sans estre obligé à tant de ceremonies
comme on en fait dans l’Eglise. Et ie
pense que cela ne sçauroit me rendre coupable
non plus que le reste, si l’on veut iuger de mes
actions suiuant les maximes du monde, qui sont
tousiours les plus douces cependant que nous
viuons sur la terre.

 

Voicy le point le plus rigoureux & où l’on
semble me choquer le plus. On se scandalise de
ce que ie veux marier mes niepces. He ! qui s’en
peut estonner, puis que c’est vn amour naturel
qui me conduit à cela. Celuy qui ne fait que pour
soy n’est pas digne de viure sur terre, elles me
touchent de si prez qu’il est impossible que ie
ne les ressente à toute heure, & que ie ne recherche
leur bien comme le mien propre Est-ce
d’auiourd’huy que des femmes sont arriuées à
vne pareille grandeur ? n’a-ton pas veu dans nostre
pays de Sicile qu’vne simple nourrice est
paruenuë à vn si haut degré de puissance, qu’elle
commandoit à la Reyne qui l’auoit auancée
elle mesme, & qu’elle ne s’espargna pas de pousser
les siens dans les hautes charges. L’on me
pourra dire que sa fin & celle de ses parẽs fut tragique
Mais à quoy bon de craindre si fort le reuers,
ne sommes nous pas au monde pour attendre

-- 12 --

la fin de la vie, sans pourtant sçauoir les
moyens qui nous la pourront faire perdre. Ce
n’est pas à dire que tous ceux qui vont à la guerre
soient asseurez d’y mourir. Aussi n’est-ce pas
vne reigle inuiolable que tous les fauoris des
Princes, ayent vne fin miserable. A t’on veu personne
auoir mieux la faueur en main que le deffaut
Cardinal, & toutesfois à ton iamais veu
qu’vne mort fust plus glorieuse, ny plus desirable ?
Il à cessé de viure entre les mains de son
Roy, ayant tousiours esté dans ses bonnes graces,
il a disposé de ses biens comme s’ils n’auoient
pas esté pillez sur le peuple, & sur les clochers de
l’Eglise, Il se faut donc mocquer de toutes les apprehensions
de la conscience, & si l’on veut se
maintenir ferme dans l’authorité, ne point tant
craindre les iugemens de Dieu qui sont quelque
fois long temps à venir, & dont on se peut parer
mesme dans la derniere action de la vie en disant
vn bon PECCAVI.

 

FIN.

Section précédent(e)


Anonyme [1649], RAISONNEMENTS PARTICVLIERS DE MAZARIN. , françaisRéférence RIM : M0_2972. Cote locale : C_9_3.