Anonyme [1649], QVESTION, SI LA VOIX DV PEVPLE EST LA VOIX DE DIEV ? , français, latinRéférence RIM : M0_2951. Cote locale : C_6_76.
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Si la voix du Peuple est la
voix de Dieu ?

CE Prouerbe passe dans la pluspart du monde
pour vne verité indubitable, & pour vn oracle
parti de la propre bouche de Dieu : Et ie ne
m’en estonne pas, pource que la pluspart du
mõde c’est le peuple ; & ce n’est pas merueille
qu’il tasche d’authoriser vne maxime qui est
si fort à son auantage. Mais ce n’est pas luy qui en doit estre
le Iuge. Il est trop interessé dans cette cause pour en pouuoir
cognoistre : & l’arrogance mesme qu’il a de se vanter d’entrer
dans les iugemens de Dieu, semble approcher plustost de la
temerité & du blaspheme, que de cette confiance modeste
que la verité a accoustumé de donner ; n’estant pas vray semblable
qu’il emprunte si hardiment le nom de Dieu, sans le
prendre le plus ordinairement en vain.

Si l’Escriture Ste met en quelque endroit de la conformité
entre la voix de Dieu & celle du peuple, ce n’est pas pour donner
du credit à la voix du peuple, à qui en vne infinité de lieux
elle ne donne pour partage que la folie & la vanité, mais pour
faire conceuoir à l’esprit humain la parole de Dieu plus venerable,
& plus terrible.

Non est enim
populus sapiens. Isai. 27.
Populũ, &c.
in quo nulla
est sapientia.
Isai. 33.

Leges populorum vanæ sunt. Hierem. 10.

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C’est là le veritable sens du passage de Daniel, qui a donné
lieu à ce prouerbe. Où ce Prophete racontant vne de ses visions
miraculeuses, apres auoir fait vne peinture surprenante
de l’homme diuin qui luy estoit apparu : apres auoir dit que sa
face estoit resplendissante comme vn esclair ; que son œil estoit vne
lampe estincellante ; ses bras & ses iambes, de l’airain enflammé ;
il finit en disant que sa voix ou son discours estoit la voix de la
multitude.

Et ecce vir
vnus vestitus
lineis, & renes
eius accincti
auro
obrizo, &
corpus eius
quasi chrysolitus,
& facies
eius velut
species fulguris,
& oculi
eius vt lãpas
ardens : brachia
eius, &
quæ deorsum
sunt vsque ad
pedes quasi
species æris
candentis, &
vox sermonũ
eius quasi vox
multitudinis.
Dan. cap. 10.

C’est vne façon de parler ordinaire aux Prophetes, lors
qu’ils veulent reprensenter cette voix terrible, qui tonne si fortement ;
cette voix, qui brise les cedres les plus éleuez ; cette voix du
Dieu des armées qui fait trembler la terre. Et la vision d’Ezechiel
tesmoigne bien clairement que c’est ainsi que celle de Daniél
doit estre entenduë : car apres en auoir fait vne description
quasi semblable, il dit qu’il entẽdoit le bruit des aisles qui estoiẽt
au dessous du firmament, comme le bruit d’vn grand amas d’eau,
comme le bruit du Tres-haut, comme le bruit de la multitude, comme le
bruit d’vne armée. C’est ce que veut dire le mesme Prophete,
lors que parlant de la gloire de Dieu, il luy attribuë vne voix
semblable à vn amas d’eau : & S. Iean dans son Apocalypse
lors qu’il dit qu’il a ouy vne voix du Ciel semblable à la voix de
beaucoup d’eau, & comme la voix d’vn grand tonnerre. Ce que S.
Hierosme en ses commentaires sur Ezechiel remarque estre la
mesme chose que la voix de la multitude : pource que dans
l’Apocalypse il est dit, que les eaux signifient les peuples, conformement
à la comparaison qu’en fait Isaye : Malheur à toy, dit-il,
multitude de peuple semblable à la mer, tes émotions ressemblent à celles
des flots, & tes cris seditieux au bruit d’vn torrent qui inonde vne
campagne. Ce qui est si naturellement semblable, que le a Poëte
mesme s’en sert de l’autre costé, comparant l’agitation de la
mer à l’émotion d’vn peuple.

Tonabit voce
sua mirabiliter.
Iob 37.
Vox Domini
confringentis
cedros, vox
Domini concutientis
desertum. Psal.
28. Altissimus
dedit vocem
suam.....
commota est,
& contremuit
terra. Psal 17.
& Psal. 45.
Et audiebam
sonũ alarum, quasi sonum aquarum multarum, quasi sonum sublimis Dei, quum ambularent quasi sonus
erat multitudinis, vt sonus castrorum. Ezech. cap. 1. v. 24. Et vox erat ei quasi aquarum multarum.
Ezech. 43. Et audiui vocem aq iarum multarum, & tanquam vocem tonitrui magni. Apocal.
14. Aquæ, quas vidisti,...... populi sunt, & gentes, & linguæ Apocal. 17. Væ
multitudini populorum multorum, vt multitudo maris sonantis, & tumultus turbarum sicut sonitus
aquarum multarum sonabunt populi, sicut sonitus aquarum multarum. Isaiæ 17. a Virgil. 1. Æneid.

Et certainement ce seroit faire vne iniure à la Sagesse Eternelle,
que de luy attribuer des sentimens qu’on ne veut pas

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mesme que la sagesse du monde suiue : & mettre Dieu du parti
des sots, & des meschans, dont constamment le nombre est le
plus grãd, & qui par cõsequẽt font ce qu’on appelle le peuple.

 

Stultorũ infinitus
est numerus.
[illisible]

Ainsi la voix sacrilege de ce peuple barbare qui vient de
soüiller ses mains dans le sang de la personne sacrée de son
Roy, deuroit estre la voix de Dieu : qui defend au contraire
de toucher à ses oingts, & qui ne peut considerer d’autre voix
dans ce parricide execrable, que celle de ce sang innocent qui
crie à luy de la terre.

Nolite tangere
Christos
meos. Psal[illisible] 104.

Cette reuolte generale des subjets contre les Souuerains qui
s’est veüe en nos iours non seulement en Angleterre, mais en
Espagne, en Pologne, en Moscouie, en Turquie, & dans nostre
pauure France aussi ; monstre bien que c’est le doigt du
Seigneur, & cette main pesante de Dieu, dont il est si souuent
parlé dans l’Escriture : mais gardons-nous bien de dire que ce
soit sa voix, si ce n’est cette voix de fleau & de cholere, dont vn
Prophete menace la ville de Niniue.

Digitus Dei
est hic Exod. 8.
Facta est manus
Domini,
aggrauata est
manus Domini
Ruth. 1.
Reg. [chiffre ill.]. & alibi.

Vox flagelli,
& vox impetus.
Nabu[illisible]
3.

Cela peut faire penser que les Princes ont gasté pour la pluspart
ce caractere de la Diuinité, qui rendoit leur front majestueux,
& terrible ; & que les peuples n’y voyant point la iustice
& la bonté de Dieu, ayent mécogneu en eux l’authorité &
la puissance, qui estoient, peut-estre, les seuls traicts qui leur
en estoient demeurez ; & qu’ainsi la desobeyssance des peuples
aux loix du Prince, soit quelquefois vne punition de la
desobeyssance du Prince aux loix de Dieu. Mais cela ne peut
pas faire que l’action des peuples ne soit criminelle : & c’est ce
qui fait la difference des crimes des Princes auec ceux des
particuliers ; que punir les crimes des particuliers, ce peut
estre, & c’est ordinairement vne action de iustice : mais punir
ceux des Princes, ce ne sçauroit iamais estre qu’vn crime.

C’est pourquoy ie trouue que cette indépendance, qui est la
plus belle prerogatiue des Roys, au lieu de leur donner plus de
liberté de mal faire, les doit rendre encore plus circonspects
en toutes leurs actions, que les particuliers qui ont des Magistrats
à qui rendre compte. Pource que comme il n’y a point de
Iuge sur la terre qui puisse condamner ce qu’ils font, il n’y en
a point aussi qui le puisse iustifier. Et ainsi s’ils contreuiennent
aux loix, ce qui est bien plus remarquable en eux que dans les

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personnes priuées, ils paroissent tousiours criminels aux yeux
des peuples, qui se cõstituent pour Iuges de leurs actions, cõme
ils voyent que personne n’en a la charge, & sont ordinairemẽt
Iuges injustes & passionnez, qui ne pronõcent rien qu’en
tumulte, & qui n’executent leurs Arrests que par des seditions.

 

Dieu permet souuent que ces scanda les publics arriuent pour
apprendre le deuoir aux Princes, & punir les subjects aussi bien
qu’eux : Mais malheur à ceux par qui ils arriuent. Si le Prince fait
mal de ne pas viure selon la loy de Dieu, & selon celle de son
Estat : le peuple d’vn autre costé fait mal d’en prendre connoissance,
& pis encore d’en entreprendre la punition. On voit
bien dans la Sagesse que, Iugement rigoureux sera fait de ceux qui
sont au dessus des antres : Mais ce iugement là n’appartient pas à
ceux qui sont au dessous d’eux, autrement ils changeroient de
condition. C’est pourquoy quand sainct Paul ordonne aux
Seigneurs de bien traiter leurs subjects, il ne les menace que
du tribunal de Dieu, les faisant souuenir qu’ils ont vn Seigneur
au Ciel qui a authorité sur eux de mesme qu’ils en ont sur leurs peuples.
La vengeance est à moy, dit le Seigneur, & c’est à moy à rendre à vn
chacun la recompense ou la punition qui luy est deüe. Ne vous en mettez
point en peine, ie la sçauray bien departir en temps & lieu. Et si toute
sorte de vengeance est à Dieu, que Dauid appelle le Dieu des
vengeances ou des chastimens ; il n’y a pas de doute que celuy
des actions des Roys luy est à plus forte raison particulieremẽt
attribué, comme au seul à qui ils doiuent rendre compte.

Væ homini,
per quem scãdalum
venit.
Matth. 18.

Iudicium durissimum his,
qui præsunt,
fiet. Sap. 6.

Dominiquod
iustũ est, &
æquum seruis
præstate, sciẽtes
quod &
vos Dominũ
habetis in cælo.
Coloss. 4.
Mea est vltio,
& ego retribuam
in tempore.
Deus.
32.

Deus vltionũ
Dominus.
Psal. 93.

S’il est permis de porter la proportion que sainct Paul met
entre Dieu & les Rois, vn peu plus loin qu’il ne l’a portée, on
peut mesme soustenir que la sujetion des peuples enuers les
Rois, doit estre en quelque façon aueugle, aussi bien que la
sousmission des hommes enuers Dieu. En effet si nous voulions
examiner ce qui nous est proposé de la part de nos Superieurs,
selon nostre sens particulier, qui seroit bien souuent selon
nostre passion, il arriueroit autant de desordre dans la police,
qu’il en arriueroit dans la Religion, si nous voulions examiner
les mysteres qui nous ont esté reuelez selon les fausses lumieres
de nostre raison ; & nous trouuerions des pretextes pour
n’obeïr iamais aussi facilement que de raisons pour ne rien
croire.

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Iuger des volontez du Prince, & examiner si ses commandemens
sont iustes, ce qui se doit tousiours supposer, s’ils ne sont
manifestement contraires à la loy de Dieu, ce n’est pas estre
son subject, c’est estre son Superieur, ou tout au moins son égal.
Et n’y obeïr que lors que ce qu’ils commandent est loüable en
soy, ce n’est pas faire vn acte d’obeïssance, mais d’vne autre
vertu : & ce n’est pas meriter de loüange en ce genre selon le
raisonnement de S. Pierre. Que les peuples ne s’excusent donc
pas de ne pas suiure les volontez de leurs Princes, sur ce qu’ils
s’imaginent que leurs Princes ne marchent pas tousiours dans
les voyes de Dieu. Ils se trompent pour l’ordinaire dans leurs
imaginations ; & quand l’enuie de crier les prend, ils crient indifferẽment
contre les bons & cõtre les mauuais Princes. Dieu
se sert souuẽt de leurs imaginations trõpeuses, & les empesche
de voir la verité. Quand son iour est venu, & qu’il est temps
qu’ils s’attirent la punition qu’il y auoit long temps qu’il preparoit
pour leur orgueil, & pour leur luxe. C’est ce que le Prophete
Isaïe semble vouloir dire quand il menace les Iuifs de
cette voix de retribution & de vengeance, qui viendra du Ciel
en mesme temps que celle de la sedition du peuple sortira de la
ville. Et quand il fait amasser les Rois & les armées dans les
montagnes, & qu’il leur crie, qu’ils ruinent tout, & qu’ils renuersent
Babylone. Cette voix de Dieu qui retentit de tous costez si
épouuantablement, doit arrester ces voix licentieuses du peuple
qui sortent de la ville, & non pas les aigrir : Pource que les
Rois ne font en cette occasion que prester leur colere à Dieu,
& executer 1’Arrest de sa Iustice, au lieu de desobeïr à sa loy,
cõme le peuple leur objecte. Ce n’est pas aussi le zele de la loy
de Dieu qui l’anime la plus part du temps ; c’est son interest
particulier. Ce n’est pas de ce que le Prince fait contre Dieu
qu’il se met en peine, c’est de ce que le Prince demande de luy.
Et qu’ainsi ne soit : Que le Prince aime autant de femmes, &
face aussi bonne chere qu’il luy plaira ; qu’il soit iureur, menteur,
médisant, & colere s’il veut, on ne verra personne s’en
émouuoir.

l. Epist. 2.

Excæca cor
populi huius,
& oculos
claude, ne videat. Isa 6.
Eligam illusiones
eorum.
Isa. 56.
Vox populi
de ciuitare,
(ou selõ d’autres
Interpretes)
vox tumultus
de ciuitate,
vox de
templo, vox
Domini reddentis
retributionem
inimicis
suis.
Isa. 56.
Vocaui fortos
in ira mea…
vox multitudinis
in montibus,
vox sonitus
regũ…
Dominus exerciruum
præcepit
miliriæ
belli…. vasa
furoris eius,
vt disperdat
omnẽ terrã..
Dies Domina
crudelis ad
ponendã terram
in solitudinẽ.
Isai. 13.

C’est en quoy le procedé des peuples paroist bien n’estre pas
fondé sur la iustice comme ils le publient ; Ils ne font point de
bruit quand le Roy desobeït aux loix de Dieu, qu’il est sans

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controuerse obligé de suiure : Mais ils se sousleuent quand il
contreuient en quelque façon aux loix de l’Estat, au dessus desquelles
la pluspart des hommes aduoüent que sa condition
l’esleue. S’il contreuient à quelque declaration faite en vn
temps où il estoit necessaire de la faire, ou s’il fait quelque chose
sans les formes prescrites par quelqu’vn de ses predecesseurs,
c’est vn tyran qui abuse de l’authorité Royale. Et on ne voit
pas que bien souuent ces declarations sont contraires à d’autres,
ou qu’elles ne sont pas bonnes dans le temps present, comme
elles estoient dans le passé. Que ceux mesmes qui murmurent
de l’infraction des Edicts, demandent la cassation d’autres
Edicts qui sont partis de la mesme source, c’est à dire de l’authorité
Royale, quoy que peut estre par des canaux differens :
Et que celuy qui regne n’est pas de pire condition que ceux
qui ont regné ; & a par consequent aussi bien qu’eux le droict
de faire des Ordonnances nouuelles, selon les occurrences
differentes, & d’interpreter les anciennes comme toutes celles
du Royaume, dont il est l’appuy & le soustien. Et non pas
les peuples, dont le zele indiscret ressemble à celuy de cet
Israëlite, qui s’imaginant que l’Arche d’Alliance alloit tomber,
s’auança sans y estre appellé, pour la soustenir, & fut frappé
du feu celeste pour auoir témoigné cette défiance de son Dieu,
& osé mettre la main au Sanctuaire.

 

Oza. Paralip.
2. cap. 3.

L’insolence des subjects contre leurs Souuerains n’est donc
point approuuée de Dieu : & par consequent lors que leur
voix s’éleue contre eux, ce ne sçauroit estre sa voix. Il a bien
dit : Ne vous fiez pas aux Princes, il n’y a point de salut auec eux :
mais il n’a iamais dit, Ne leur obeyssez pas ; au contraire, toute
l’Escriture ne presche rien tant que l’obeyssance, & la sousmission.
Le principal inseignemẽt que l’Apostre donne à Tite,
& ce qu’il luy recommande dauantage, c’est d’instruire les
peuples de Crete où il l’auoit laissé, d’estre sousmis en toutes choses
à leurs Seigneurs, de tascher de leur plaire en tout, & de ne les contredire
en rien, de ne les frauder point de leurs droicts, mais de leur garder
toute fidelité, afin qu’ils couronnent, & accomplissent la doctrine de
Dieu en tout. Obeyssez à vos Superieurs, dit-il aux Hebreux, &
soyez sousmis à eux : car ils doiuent rendre compte de vous. Aux Romains :
Que toute personne soit sousmise aux Puissances : car il n’y a

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point de Puissance qui ne vienne de Dieu ; & celles qui sont establies
dans le monde, sont or données de Dieu ; de façon que quiconque resiste
aux Puissances, resiste à l’ordre de Dieu. Et peu apres : Ne vous sousmettez
pas seulement par force, mais par vostre conscience, ce sont les
Ministres de Dieu. Rendez donc le tribut, & payez les imposts à ceux
à qui vous les deuez. Aux Colossiens : Obeyssez à vos Maistres charnels
en toutes choses, & non pas pour leur plaire, mais dans la simplicité
de cœur, & par la crainte de Dieu. Aux Ephesiens : Obeyssez auec
crainte & tremblement comme à Iesus Christ, non pas à l’œil, & pour
plaire aux hommes. Et à Timothée : Que tous ceux qui sont serfs
& sous le ioug, estiment leurs Seigneurs dignes de tout honneur, afin
que le nom de Dieu & sa doctrine ne soit point mesprisée.

 

Nolite considere
in principibus
in filiis
homioũ,
in quibus non
est salus.
Psal. 145.

Seruos dominis
suis subditos
esse in
omnibus placentes,
non
contradicentes,
non fraudantes,
sed in
omnibus bonam
fidem
ostendentes.
vt doctrinam
Saluatoris
nostri ornent
in omnibus.
Ad Tit 2.
Admone illos
Principibus,
& Potestatib.
subditos esse
dicto obedire.
Ad Tit 3.
Obedite Præpositis
vestris,
& subjacete
eis : ipsi enim
peruigilant,
quasi rasionẽ
reddituri.
Hebr. 13.

Omnis anima
Potestatibus
sublimioribus
subdita sit :
non est enim
potestas nisi à
Deo, quæ autẽ
sunt à Deo,
ordinare sunt.
Itaque qui resistir
potestati,
Dei ordinationi
resistit……
Subditi estote,
non propter
iram, sed
propter conscientiã……
Reddite ergo
debita omnibus :
cui tributum,
tributum ;
cui vectigal,
vectigal, Rom. 13. Obedite per omnia Dominis carnalibus, non ad oculum seruientes,
quasi hominibus placentes ; sed in simplicitare cordis, quasi timentes Deum. Coloss 3. Obedite
Dominis carnalibus cum timore & tremore, &c. Ephes 6. Quicumque sunt sub iugo serui, Dominos
omni honore dignos arbitrentur, ne nomen Domini & doctrina blasphemetur. 1. Timot. 6.
Subjecti igitur estote omni humanæ creaturæ propter Deum : siue Regi, quasi præcellenti ; siue ducibus,
&c. Deum timete, Regem honorificate. Serui subditi estote in omni timore Dominis, non
tantùm bonis, & modestis, sed etiam discolis. Hæc est enim gratia apud Deum, &c. Quæ est enim
gloria, si peccantes & collaphizati suffertis ? sed si benefacientes patienter sustinetis ? hæc est gratia
apud Deum. 1. Petri 2.

Ce qui monstre bien clairement que l’obeyssance des peuples
à leurs Souuerains n’est pas vne simple ordonnance, ou
coustume de police, mais que c’est vn commandement de
Dieu, dont il n’y a point de raison humaine qui puisse dispenser.
C’est pourquoy sainct Pierre qui auoit receu encores plus
particulierement de la bouche de Iesus Christ les instructions
qu’il deuoit departir à son Eglise, va encor plus auant ; & apres
auoir commandé, de craindre Dieu, & d’honorer le Roy, il commande
expressément d’obeyr à nos Princes, non seulement quand
ils sont bons & moderez, mais quand mesme ils ne seroient pas raisonnables ;
& dit en termes expres que cela est agreable à Dieu ; & que
si nous ne leur obeyssions qu’alors qu’ils sont bons, nous ne meriterions
aucune loüange ; car la plus grande c’est quand on souffre iniustement.

Tous ces oracles, & vne infinité de semblables dont l’Escriture
est remplie, sont autant de voix qui condamnent la desobeyssance
des peuples, bien loing de l’authoriser. Et cela paroist
bien expressément lors que Dieu establit vn Roy dessus
les Iuifs : car apres leur auoir fait considerer toutes les violences
que les Roys les plus cruels sont en puissance d’exercer sur
leurs subjets : apres qu’ils auront fait toutes ces cruautez, leur

-- 10 --

dit-il, n’allez pas crier contre eux, ie ne vous exauceray point. S’il est
donc vray, comme il me semble qu’il le paroist assez, que Dieu
n’approuue pas que les peuples éleuent leur voix contre leurs
Souuerains, quand mesme ils sont violens & cruels : à plus
forte raison n’approuue-t’il pas qu’ils prennent iamais les
armes contre eux.

 

Hoc erit ius
Regis : filios
vestrostollet,
&c. greges
quoque vestros
addecimabit,
& eritits serui,
............
& clamabitis
in die illa à[1 lettre ill.]acie
Regis vestri,
& nõ exaudiet
vos
Dominus.
1. Regum 8.
Rexenim erit
super nos, &
nos erimus
sicut omnes
gentes, & iudicabit
Rex
noster, &
egredietur
ante nos, &
bella geret
pro nobis.
l. Regum. 8.
a Politicor li.
3. cap 14.
Mus. 6.

Faire la guerre, c’est vn priuilege de Souuerain, toutes les
loix l’establissent, & la coustume l’authorise ; c’est ce dont les
Iuifs mesme conuindrent quand ils demanderent vn Roy. Il
sera sur nous comme les Roys sont sur les autres peuples : Il fera la
guerre pour nous, & sera le General de nos armées. Et pour ioindre
à l’authorité de l’Escriture celle de la Philosophie, aAristote
dit que la plus grande prerogatiue des Roys, c’est d’auoir l’authorité
souueraine & perpetuelle des armes : ce qu’il confirme
par l’exemple d’Agamemnon, à qui il remarque que l’on contredisoit
hardiment dans le Conseil, mais qu’on obeïssoit fort
respectueusement à la campagne. Et parlant de plusieurs sortes
de Monarchies ; il remarque aussi que la Monarchie de
Sparte, qui estoit la moins absoluë de toutes, & la plus temperée
par les loix, auoit toutefois l’authorité absoluë de la
guerre ; ce qu’Herodote, qui estoit deuant luy, auoit desia remarqué,
quand il auoit dit, que les Rois de Sparte auoient vne
authorité si absoluë pour le fait de la guerre, qu’ils la pouuoient
faire contre qui il leur plaisoit, sans que le peuple ny
les Ephores s’y peussent opposer. S’il n’appartient donc qu’au
Souuerain de faire la guerre, & que le peuple n’en puisse pas
faire contre ses voisins sans son commandement expres ; il luy
appartient encor bien moins de la luy declarer à luy mesme. Il
ne sçauroit y auoir de cause legitime d’vne rebellion si enorme,
& la defense mesme de sa vie propre, qui est veritablement
de droict naturel contre qui que ce soit, n’est pas approuuée
de Dieu contre le Prince, non plus que contre le Magistrat.
Il y a des exemples manifestes de cette verité dans l’Histoire
des Iuifs, où l’on voit des milliers d’hommes égorgez, &
des Tribus entieres decimées, sans qu’ils osent leuer les armes
contre Moyse, qui estoit leur Conducteur, non pas par la
crainte de succomber dans leur resistance, mais par le respect
qu’ils auoient pour les commãdemens du Chef que Dieu leur

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auoit donné. Dauid, que le Prophete auoit desia fait Roy en
luy versant l’huile sacrée dessus la teste, & qui sçauoit que Saül
auoit encouru la disgrace de Dieu, se resolut de souffrir plutost
toutes les miseres imaginables, que de leuer les armes
contre luy. Il souffrit la faim auec patience, iusques-là qu’il
fut obligé chez le Prophete Achimelech, de manger des pains
de Proposition à faute d’autres, & contint tous ceux qui vindrent
se ioindre à luy dans le deuoir. Il ne fit pas comme les
mescontens de nostre siecle : car sçachant que Saül alloit ruiner
la ville de Ceilam où il estoit enfermé, il aima mieux en
sortir, que d’attirer l’indignation du Prince sur cette ville, &
se mit à fuir de desert en desert, & de nation en nation, de deuant
la face de Saül, iusqu’à ce qu’en fin on luy apporta la
nouuelle de sa mort ; surquoy déchirant ses vestemens, il fit
mourir celuy qui auoit eu l’impieré de seruir de ministre au
desespoir de ce Prince, luy disant ; Comment n’as-tu point
tremblé de mettre la main sur l’Oingt du Seigneur ?

 

1. Reg. 13

2. Reg[1 chiffre ill.].

Cette histoire est bien vne pierre de touche veritable, dont
l’on peut esprouuer la sousmission & la fidelité que les peuples
doiuent auoir pour leurs Princes, quand mesme ils en seroient
persecutez ; & monstre bien par l’approbation qu’elle a dans
l’Escriture que c’est l’exemple de cet homme, qui estoit selon
le cœur de Dieu, qu’il faut se proposer, & qu’il faut suiure.

La rebellion ne sçauroit non plus s’authoriser par le pretexte
du soulagement des peuples ; Il n’y en a iamais eu de si injuste
qui ne l’ait pris. Les deux Gracques, tous deux fort honnestes
gens, & fort habiles, commencerent, sans y penser, la ruine de
la Republique de Rome, par la loy qu’ils firent, pour faire
restituer aux pauures des terres qui leur auoient esté destinées
pour peu d’argent qu’ils deuoient donner à la ville, sur lesquelles
les riches auoient mis l’enchere, & en auoient ainsi depossedé
les pauures. Edict qui estoit raisonnable en soy, & approuué
de Lælius, de Scipion, & des plus sages de ce temps-là :
Mais cela leur acquit vne telle bien veillance parmy le peuple,
& vne si grande haine parmy les grands, que la ville commença
dés lors à se deschirer en deux partis ; iusqu’à ce qu’apres les
guerres ciuiles de Catilina, qui n’auoit pas des desseins si moderez
qu’eux, de Marius, de Sertorius, & des autres : En fin

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Cesar mit à bout ce que les autres auoient commencé, & changea
le gouuernement de la Republique, dont il se fit le Tyran.
Ils se plaignoient pourtant tous de la tyrannie des nobles &
des riches, qui est ordinairement le sujet des plaintes du peuple,
qui crie souuent contre son Roy legitime, comme contre
vn tyran ; ne voyant pas que ce sont deux qualitez incompatibles :
pource que quelque absoluë que soit la Monarchie,
pourueu qu’elle soit establie dans vn pays par le consentement
des peuples, & par vne longue suite de temps, ce ne sçauroit
estre tyrannie. C’est le raisonnement du Philosophe qui dit,
Qu’il y a vne sorte de Monarchie, comme celles qui sont parmy les
barbares, où le Roy a vne authorité approchante de celle de la tyrannie,
encore qu’elle soit legitime & dans l’ordre, & selon les loix du pays.
Et vn peu apres il remarque, que cette domination des barbares est
ordinairement hereditaire, & selon les loix : C’est à dire qu’elle n’est
pas pour cela tyrannique. Car les Tyrans, dit ailleurs Aristote,
sont ceux qui commandent sans le consentement des peuples, encore
qu’ils prennent leur origine du party du peuple contre les grands, &
que les Tyrans se facent des fauteurs des peuples qui acquierent du
credit parmy eux, en calomniant les grands contre lesquels ils promettent
de les defendre ; au lieu au lieu que le Roy se fait du parti des nobles, ou
pour ses grandes vertus, & ses belles actions ; ou pour celles de ses ancestres
dont il herite la Couronne.

 

[illisible] 5. Polit. cap. 10

Quare tu enarras iustitias meas ? & assumis nomen meum per [1 mot ill.] tuum ? Tu verò odisti disciplinam, &
projecisti sermones meos. Psal. 49. Eccles. 4.

Qui voudra faire l’application de ces histoires & de ces
passages à l’histoire de nostre temps, trouuera bien tost quels
ont esté les Gracques, & quels ont esté les Tyrans. Et le Roy
leur pourroit bien dire iustement ce que Dieu dit au pecheur :
Pourquoy faites vous tant de bruit de ma iustice ? & pourquoy auez-vous
tousiours mon nom dans vostre bouche, pendant que vous sortez
de vostre deuoir, & que vous mesprisez mes paroles ? L’obeyssance
auroit mieux valu que ce grand sacrifice que vous pensiez
faire de vous-mesme à vostre patrie. En effect voyons-nous
qu’elle en ayt profité ? Les émotions populaires (comme on a
dit il y a long temps) sont des remedes pires mille fois que les
maux qu’elles veulent guarir, & ne font que desoler les Estats

-- 13 --

qu’elles se vantent de vouloir remettre. Et toutes ces guerres
de Bien public se terminent ordinairement par vne paix de
Bien particulier. Les Princes les commencent lors qu’ils ont
quelque mécontentement, & les finissent dés le moment
qu’ils ont eu satisfaction, cependant que les peuples qu’ils ont
engagez dans leur malheur, y demeurent long temps apres
eux : de façon qu’on peut dire d’eux à l’égard des peuples, ce
que Solon en disoit à l’esgard de leurs Fauoris, qu’ils les traitent
comme des iettons, que l’on iette aussi tost que l’on a
trouué son compte, ou bien ce qu’en disoit Diogene, qu’ils se
seruoient de ceux qui leur faisoient la Cour, comme de bouteilles
qu’on éleue soigneusement au plus haut des planchers
tant qu’il y a quelque chose dedans, mais que l’on casse aussi
tost qu’elles sont vuides. Ainsi dans le regne de Charles VI.
le Duc de Bourgongne Philippe excitoit tantost des seditions
dans Paris, & tantost il ay doit au Roy à les punir. Et son fils
Iean qui suiuoit les mesmes maximes, eut bien de la peine à
ne pas succomber luy-mesme aussi bien que tous ses Conseillers
sous la fureur du peuple, à qui il auoit mis les armes à la
main, & qui ne pouuoit plus supporter sa tyrannie. Ainsi dans
la guerre du Bien public du temps de Louys XI. la paix ne
tourna qu’au profit des Ducs de Bourgongne, de Bretagne,
de Berry, & de Bourbon, pendant que les peuples, & beaucoup
de particuliers furent oubliez. Sur quoy Philippe de
Commines dit qu’il n’y eust iamais de si bonnes nopces qu’il
n’y en eust de mal disnez. La guerre de la Ligue ne finit qu’alors
que Monsieur de Mayenne vid qu’il ne pouuoit se faire
Roy de France ; & Monsieur de Mercœur qu’il ne se pouuoit
faire Duc de Bretagne. Et apres que Henry IV. eust changé
de Religion, il ne laissa pas d’y auoir encore des partis, pour
monstrer que ce n’auoit pas esté pour la Religion qu’ils auoiẽt
esté formez. Sous la regence de la feüe Reyne-Mere il sembloit
que les Princes se renuoyassent l’esteuf les vns aux autres,
afin qu’apres qu’vn auoit fait du bruit, & qu’il auoit esté
appaisé par quelque douceur, l’autre en fist aussi tost de mesme
pour en auoir autant. Cependant les peuples n’en sont
point encore desabusez ; & si quelqu’vn veut faire parmy eux
ce qu’il a ouy dire que faisoit le Balaffré, s’il leur dit vn mot à

-- 14 --

l’oreille, s’il leur oste son chapeau sans le cognoistre, ils s’imaginent
aussi tost qu’il n’a point d’autre interest que la diminution
des tailles & des imposts.

 

C’est ce qui deschire depuis quelque temps nostre miserable
Patrie, & ce qui nous met en opprobre chez tous les estrangers,
& nous fait la fable & la risée de tous nos voisins. Cette
grande Ville, qui estoit la merueille du monde, est desolée, & n’a plus
que l’apparence de ce qu’elle a esté autrefois, Elle est delaissée comme vn
desert ; ce sont des femmes qui y gouuernent : car le peuple n’est point
sage. * Il se trouue des Prophetes qui prophetisent le mensonge, le peuple
ayme cela, & il y a des Prestres mesmes qui y applaudissent. Le cœur
de ce peuple est deuenu incredule, il interprete en mal tout ce que l’on
fait. Si l’on parle de faire la paix, apres laquelle il y a si long
temps qu’il souspire, & pour laquelle il s’est esmeu ; il croit
aussi tost que cela vient de la volonté que l’on a de le destruire,
& se veut mutiner à cause que l’on fait vne chose qu’il s’est auparauant
mutiné de ce qu’on ne faisoit point. Si le Prince tarde
quelque temps a le venir visiter, pource qu’il est occupé à
tenir loing de luy les anciens ennemis de l’Estat, dont sans ce
soin de Pere & de Monarque tout ensemble il pourroit à la fin
deuenir la proye : il murmure aussi tost, & aussi sottement que
les Israëlites, quand ils virent que Moyse demeuroit trop long
temps sur la montagne, où il ne faisoit que leur attirer des benedictions,
qu’ils dirent entre eux : Faisons-nous vn Dieu promptement,
car nous ne sçauons ce qu’est deuenu Moyse. Et qu’apres
l’auoir fait, ils s’escrierent publiquement par les places, Voila le Dieu
qui nous a sauuez de la captiuité.

Posuisti nos
opprobrium
vicinis nostris,
& subsannationẽ
&
derisum his
qui sunt in
circuitu nostro.
Psal. 43.
Ciuitas enim
munita desolata
erit, speciosa
relinquetur,
& dimittetur
quasi
desertum, &c.
Mulieres venientes,
&
docẽres eam ;
non est enim
populus sapiens. Isa. 27.

* Prophetæ
prophetabant
mendaciũ, &
Sacerdotes
applaudebant
manibus suis,
& populus
meus dilexit
talia. Hieremiæ
5.

Populo huic
sactum est cor
incredulũ, &
exasperans.
Ibidem.

Vidẽs autem
populus quòd
morã faceret
descendendi
de mõte Moïses,
congregatus
aduersus
Aaron dixit,
Surge, fac
nobis Deos :
Moysi enim
[1 mot ill.] quid
acciderit.

Dixerũtque :
Hi sunt Dij
tui, Israël,
qui te eduxerunt
de terra
Ægypti.
Exod. 32.

On y entend encore des voix seditieuses & calomnieuses
contre les personnes les plus sacrées. La pourpre de la Royauté,
non plus que celle de l’Eglise ne sont point à couuert de la
noirceur de la mesdisance. Les lauriers les plus verds & les plus
florissans se sentent de son vent pestilent, & sont attaquez de la
foudre qui se forme dans cette region corrompuë : Et ces augustes
Senateurs qui se sont acquis de puis peu le tiltre de Peres
de la Patrie, qu’ils auoient mise auparauant à deux doigts
de sa ruine, ne sont pas maintenant les maistres des furieux à
qui ils ont mis les armes à la main ; & souffrent en eux la diminution
du respect qu’ils ont fait perdre au Prince. Ils ont veu

-- 15 --

par experience qu’il est bien plus aisé d’exciter des seditions,
que de les appaiser ; & que ce n’est pas sur la faueur de la populace
qu’ils doiuent chercher à s’appuyer, mais sur la solidité
du Throsne, sur lequel toute leur authorité est fondée, & qui
ne sçauroit tomber sans les entraisner auec luy dans sa cheute ;
n’estant à proprement parler qu’vne participation de la grandeur
des Roys, & qu’vn rayon de leur gloire : semblables par
consequent à ces astres qui se mettans entre la terre & le Soleil,
ne sçauroient le faire eclipser qu’ils ne perdent en mesme
temps toute la lumiere qu’il leur auoit communiquée, &
qu’ainsi ils ne paroissent à la terre encore moins lumineux que
celuy qu’ils veulent obscurcir ; & dépendant, pour mieux dire,
encore plus des Roys que les astres ne dépendent du Soleil,
qui ne les a point faits, mais qui a esté fait aussi bien qu’eux, &
qui n’a pardessus eux que l’auantage d’estre le premier, & le
plus grand luminaire. Au lieu que les Parlemens ont esté faits
par les Roys, pour rendre en leur nom la iustice à leurs subjets :
& ainsi ils ne peuuent auoir aucune authorité d’eux-mesmes,
comme les astres qui peuuent auoir quelque lumiere qui leur
soit propre, & par consequent dépendent d’eux bien plustost
de la maniere donc les Roys dépendent de Dieu, sans le concours,
& la continuelle conseruation dépendent duquel tous ses ouurages
retomberoient dans le neant dont il les a tirez.

 

C’est là le sort de ceux qui s’attaquent à leurs Princes. Mais
non seulement leurs maledictions retombent sur eux, elles attirent
aussi la male diction de Dieu, qui est bien plus dangereuse
que la leur. Tu ne diras iamais mal de ton Prince, est-il enioint
expressément dans l’Exode, comme le rapporte S. Paul.
Vous ne verrez pas le peuple impudent, dit le Prophete Isaye, vous
ne pourrez pas souffrir le peuple qui est haut en paroles, & dans le vain
discours duquel on ne comprend rien, pource qu’il n’a aucune sagesse. Sa
bouche est pleine de malediction & d’amertume, & sa langue est chargée
d’vn venin plus subtil que celuy des aspics. Sa voix n’a donc garde
d’estre la voix de Dieu, puis qu’elle est accompagnée de
tant de choses qu’il a en horreur. Mais s’il n’approuue pas que
le peuple leue la voix ny les armes contre ses Souuerains, quãd
mesmes ils seroient injustes & violens ; qui est ce que prouuent
les passages & les exemples de l’Escriture que j’ay alleguez : il

-- 16 --

est certain qu’il approuue encore bien moins que le peuple ayt
cette insolence contre ceux dont la domination est douce &
moderée.

 

Principi populi
tui non
maledices.
Act. 23.

Populum impudẽtem
non
videbis, populũ
alti sermonis,
ita [illisible]
non possis intelligere
disertitudinem
linguæ eius,
in quo nulla
est sapientia,
Isaiæ 33.

Os maledictione
& amaritudin[illisible]
plenum est, &
venenũ aspidum
sub linguis
eorum.
Psal. 13.

Ie ne puis en cette occasion que ie ne condamne l’ingratitude
ou pour mieux dire, l’impieté de ma Nation contre la meilleure,
& la plus pieuse Reyne qui ayt iamais monté sur le
throsne, & que ie n’aye honte de voir que tous les peuples de
l’Europe ayent plus de iustice pour ses qualitez heroïques &
Royales, que celuy à qui elle la rend auec tant de soin. Elle
n’a point perdu dans les tempestes de la guerre ciuile, cette
prudence qu’elle auoit conseruée dans ses malheurs particuliers,
& a tesmoigné dans la minorité du Roy son fils, vne fermeté
aussi inébranlable contre les persecutions de la fortune,
qu’elle en auoit tesmoigné dans le regne du Roy son Espoux.
Et c’est cette fermeté mesme qui luy deuroit attirer l’admiration
de tout le monde, qui luy attire le blasme, & la haine de
quelques esprits factieux. Elle auoit eu raison à son aduenement
à la Regence, de se vouloir seruir des conseils d’vn homme
consommé dans vne infinité de negotiations, qui auoit
esté comme collegue dans le ministeriat auec le plus grand
homme que nous ayons iamais eu en France, qui se trouuoit
seul saisi de la clef de toutes les affaires tant du dedans que du
dehors du Royaume, dont le feu Roy luy auoit donné l’administration
quasi aussi souuerainement qu’à ce grand Ministre
qu’il auoit perdu ; & qu’en mourant il luy auoit ordonné de
prendre pour le chef du Conseil de sa Regence. En effet le
desordre & la confusion dont fut remply l’espace de temps
qui se passa entre la mort du feu Roy & le restablissement de
Monsieur le Cardinal Mazarin, monstre bien que ce fut vne
chose tout à fait necessaire pour entretenir le credit que nous
auions acquis chez les estrangers. Mais s’il y auoit eu raison de
le restablir dans cette premiere place, il y a eu encor bien plus
de raison de l’y maintenir. Son bannissement estoit la premiere
démarche des seditieux, mais ce n’estoit pas où ils vouloient
demeurer. Leurs libelles sentoient desja le leuain d’Angleterre
& de Hollande, & demandant des Conseillers zelez pour
le bien public, ils faisoient assez entendre qu’ils vouloient dire
des Conseillers zelez pour la Republique. Ma main tremble

-- 17 --

d’vne horreur legitime se voyant forcée de mettre sur le papier
des choses qu’il n’y auoit pas apparence qui peussent iamais
tomber dans l’esprit d’vn François. Et cependant on se mettoit
en ce danger, si l’on eust d’abord relasché aussi foiblement
qu’a fait ce pauure Prince, qui est maintenant la matiere de
la pitié de toute la terre. La seule chose dont il a eu regret en
mourant, c’est d’auoir abandonné le Vice-Roy d’Irlande à la
fureur du peuple, qui le luy demanda. C’est le seul crime que
ce Roy miserable ait commis, & dont il a esté puny trop rigoureusement :
Et en signant l’Arrest de la mort de son fauory, il ne
preuoyoit pas qu’il composoit luy-mesme l’Arrest de la sienne.

 

Pour nostre bonheur nostre grande Princesse a tesmoigné
plus de resolution, quoy que dans vn sexe où elle estoit plus
excusable d’en auoir moins. Les menaces qui intimiderent
Charles Stuart, n’ont point esbranlé le cœur d’Anne d’Austriche ;
& elle a mieux aimé s’exposer à toutes sortes de perils,
que ne pas garder à son fils sa Couronne aussi entiere que son
pere luy auoit laissée. Elle a eu tousiours deuant ses yeux & sa
memoire, & ses dernieres volontez : Et elle luy peut dire iustement
ce que Dauid disoit à Dieu : Toutes ces calamitez sont venuës
dessus nous, & cependant nous ne vous auons point oublié, & nous
ne pouuons pas auoir mal fait, puis que nous auons executé vostre testament :
C’est à dire, puis que malgré les cris & les murmures de
cette ville, dont vous auez tousiours veu à contre-cœur le luxe
& la dissolution, nous auons gardé aupres de nous cet homme,
de qui vous nous auez commandé en mourant de suiure les
conseils, & que dans ces momens où l’ame estant plus proche
de retourner au lieu de son origine, est aussi plus éclairée, vous
auez iugé necessaire à l’affermissement de l’Estat que vous me
laissiez, & à l’establissement des conquestes que vous auiez
faites.

Hæc omnia
venerunt super
nos, nec
obliti sumus
te, & iniquè
non fe imus
in testam[illisible]
tuo. Psal. 43.

Les anathemes sanglans que l’on a prononcez contre luy, ne
sont point des voix de Dieu, encore que ce soit des voix du
peuple ; c’est pourquoy elle ne les a point écoutez. Il est vray
que l’Escriture en fulmine, mais ce n’est pas contre ceux à qui
le peuple les applique : Et ie m’estonne comment des personnes
qu’il paroist l’auoir leüe, ont le front d’en alleguer vne infinité
de passages, pour prouuer que les Ministres d’Estat

-- 18 --

estrangers sons maudits de Dieu, cependant qu’ils ne peuuent
pas manquer de voir eux-mesmes en les citant, qu’ils ne sont
nullement propres à leur dessein malicieux.

 

REFVTATION
DV LIBELLE
INTITVLÉ,
L’Anatheme
du Ministre
d’Estat estrãger.

Si on vouloit introduire parmy nous toutes les loix contre
les estrangers qui estoient parmy les Iuifs, non seulement les
Italiens & les Allemans seroient bannis de nostre commerce,
mais les François seroient estrangers aux François mesmes,
aussi bien que les Iuifs ; dont vne tribu ne pouuoit s’allier auec
les autres, comme il paroist dans les endroits de la Genese, &
des Nombres, dont il est question. Sous cette loy, aussi dure
que le cœur des Iuifs à qui elle auoit esté dõnée, Dieu n’estoit
pas si liberal de ses benedictions, comme depuis qu’il a enuoyé
son propre Fils sur la terre. Il n’y en auoit pour lors qu’vn canton
qui fust consacré à Dieu : Et comme les Grecs appelloient
tous les autres peuples barbares, à cause qu’ils se croyoient seuls
sçauãs & polis, les Iuifs appelloiẽt tous les autres peuples maudits,
à cause qu’ils se croyoient seuls fideles. Au lieu que maintenant
toute la terre est à Dieu : & nous ne sommes plus qu’vn
mesme peuple en IESVS CHRIST, qui est nostre Roy, &
nostre Chef ; ce qui fait que le nom d’estranger ne se doit plus
dire parmy nous au sens de l’Escriture en beaucoup d’endroits,
où il veut dire infidele & payen. La pluspart des autres anathemes
de l’Escriture s’adressent aux Philistins, aux Cetheens,
Iebuseens, Amorreens, & aux antres anciens ennemis des
Iuifs qu’elle veut que le peuple de Dieu deteste. Et dans les
affaires presentes, quels doiuent estre reputez estrangers de
cette sorte ? ou ceux qui assidus aupres d’vn Prince, n’employẽt
toutes leurs pensées & tous leurs soins qu’à le rendre triomphant
des anciens ennemis de son Estat, & à luy faire gagner
sur eux des batailles, & des places ? Ou ceux qui font des ligues
auec eux, & qui appellent leurs armes dans le cœur de son
Royaume ?

Genes. 24.
Num. 26. &
Alibi.

Psal. 53.
Psal 1. 8.
Isai. 17.
Ezech 28. 30.
31. Hierem. 8.
[chiffre ill.]. 30. Ioel. 3.
Hierem.
Thien. &c.

L’Escriture defend aussi que l’on prenne vn estranger pour
Ministre. Mais cette equiuoque de Ministre d’Estat, auec Ministre
de la parole de Dieu, est si puerile, qu’elle ne merite pas
de response : & seroit plus excusable dans vn Rondeau, qu’en
vne piece si saincte comme l’autheur s’imagine qu’est la sienne.

Num. 3.
Num. 16.

Elle ne condamne donc point les estrangers dans la qualité

-- 19 --

simple d’estrangers ; au contraire en vne infinité d’endroits
elle les recommande auec la vefue & l’orphelin. Dans l’Exode
vne des loix qui sont données au peuple Iuif, est de ne point
contrister, ny affliger l’estranger : Ne luy faites point de mal ny de
peine : car vous auez esté estrangers en Egypte. Aymez les estrangers,
dit le Deuterome. Soyez, aussi équitables enuers l’estranger qu’enuers
vostre citoyen, porte le Leuitique. Ne calomniez point l’estranger,
dit Zacharie. Mais Ezechiel reprochant à la ville de Hierusalem
tous ses crimes, en dit des choses sur ce sujet, qui meritent
bien d’estre remarquées. Les Princes, dit-il, au milieu d’elle
sont comme des loups rauissans, ne se souciant point de respandre le sang
& de perdre les ames, & ne cherchant autre chose que le lucre. Le peuple
ne fait qu’inuenter calomnie sur calomnie, que prendre par force le
bien des particuliers, & persecuter l’estranger, qu’ils oppriment par
leurs médisances, & condamnent sans aucune forme de iustice. Ce procedé
n’a donc iamais esté approuué parmy les Iuifs : qui n’ont
pas esté seulement estrangers en Egypte, comme Dieu leur repete
souuent, mais qui y ont veu pour premier Ministre le chef
de leur nation, le Patriarche Ioseph ; que Pharaon, encor qu’il
fust estranger, ne laissa pas d’y establir auec vne telle authorité,
qu’il ne se remuoit rien en Egypte que par son ordre, & qu’il
n’y auoit que la Couronne à dire qu’il ne fust Roy. Et cependant
ce fut sous son administration que l’Egypte fut la plus
heureuse. Daniel fut éleué en Perse pardessus tous les Satrapes
du Royaume ; & apres auoir triomphé de la malice de tous
ses enuieux, il y demeura dans la mesme consideration dans
tout le regne de Darius, & dans tout celuy de Cyrus. Mardochée
y fut dans la mesme posture sous le regne d’Assuerus, ou
Artaxerxe, qui le fit son premier Ministre. Esdras & Nehemias
ne furent pas veritablement dans vne si haute faueur aupres
de Cyrus & d’Artaxerxe ; mais ils y furẽt neantmoins en si
grand credit, qu’ils en obtindrent la liberté de tout le peuple
Iuif, & de l’argent pour rebastir le Temple de Hierusalem. Et
encore qu’il ne soit pas si ordinaire que les peuples se sousmettent
au gouuernement d’vn estranger, pource que ceux du
pays y ont la meilleure part, & auec raison, ce n’est pas toutefois
vne chose si estrange dans les histoires que l’on s’imagine.

 

Aduenam nõ
contristabis,
neque affliges
cum : aduenæ
enim fuistis
in terra Ægypti.

Peregrino
molestus non
eris : quia &
ipsi peregrini
fuistis, &c.
Exod 22. 13.
Vos ergo amate
peregrinos :
quia & :
ipsi peregrini
fuistis, &c.
Deut. 10.
Æquum iudicium
sit inter
vos, siue peregrinus,
siue
ciuis. Leuit.
[chiffre ill.]4.

Pupillum, aduenã
& pauperem
nolite
calumniari.
Zachar. 7.
Principes eius
in medio illius
quasi lupi rapientes
prædã
ad effundẽdũ
sangninem, &
perdẽdas animas
& auarè
ad sectãda lucra........
Populi terræ
calumniabãtur
calũniam,
rapiebãt violenter,
& aduenam
opprimebãt
calumniâ
absque iudicio.
Ezech.
22.
Genes. 4[chiffre ill.].
Dan. 6.
Esther 6 & 9.
Esdra 1. & 2.

Tous les peuples de la terre n’ont-ils pas autrefois esté chercher

-- 20 --

dans le pays de Monsieur le Cardinal Mazarin des hommes
qui les sceussent commander ? Les Parthes & les Germains,
les plus orgueilleux peuples du monde, & les plus ialoux
de la gloire de leur nation, n’ont ils pas pris des Rois de la
main des Empereurs Romains, & de leurs Lieutenans ? Et ces
mesmes Romains, dans le plus haut point de leur grandeur,
n’ont-ils pas admis des estrangers, non seulement au droict de
bourgeoisie, comme la pluspart des estrangers vn peu remarquables ;
& dans les premieres places du Senat, comme Seneque,
& beaucoup d’autres, dont ma memoire ne me fournit
pas à present les noms, mais à l’Empire mesme : comme Trajan,
Adrian, & beaucoup d’autres qui les ont suiuis ? N’ont-ils
pas depuis appellé les Gots & les Vandales ? tantost les Lombars,
& tantost les Francs ? Les Allemans ne sont-ils pas encore
estrangers dans l’Empire Romain ? La maison d’Austriche
n’est-elle pas estrangere en Espagne ? & quasi toutes les maisons
qui regnent, n’ont-elles pas esté estrangeres dans les pays
où elles regnent ? sans parler des Royaumes electifs, où non
seulement les peuples traitent aussi également les estrangers,
que leurs compatriotes ; mais les preferent le plus souuent pour
éuiter la diuision de ceux du pays qui y peuuent pretendre.
C’est pourquoy l’autheur de ce libelle ne deuoit pas alleguer
l’exemple de la Pologne, où il n’y a pas si long temps que Henry
III. a esté esleu Roy, pour l’auoir oublié, & où mesme à
present la famille qui regne n’est pas Polonnoise, mais Suedoise :
Non plus que l’exemple de la Republique de Venise où
il n’y a pas long temps que cet Estranger qu’il maudit, a esté
receu auec éloge dans l’auguste corps de ce Senat si celebre
pour sa prudence & pour sa resolution. Faueur si signalée, que
le Cardinal de Richelieu eut vne tres-grande peine à l’obtenir,
& s’estima apres plus recommandable par cette qualité, que
par toutes celles qu’il auoit dans le Royaume. Mais sans aller
chercher dans les histoires tant anciennes que modernes le
grand nombre d’hommes illustres qui ont eu du credit dans les
pays où ils estoient estrangers, & particulieremẽt des Italiens :
comme des Farneses, des Gonzagues, des Collonnes, des Doria,
des Spinola, & des autres à qui les Roys d’Espagne ont
confié les plus hauts emplois de leur Monarchie. Sans parler

-- 21 --

de nos François mesmes, comme de Bertrand du Guesclin,
qui eut l’honneur de remettre vn Roy de Castille sur le Trosne,
des grands hommes tant d’Eglise que d’espée qui ont gouuerné
en Escosse pendant la Regence de Marie de Lorraine,
& pendant le regne de Marie Stuart sa fille : de Pontus de la
Garde, simple gentilhomme François, qui de petit cadet de
de là le Loire deuint Connestable de Suede, où son fils a encore
cette charge. La France seule, comme le pays du monde
que l’on loüe le plus pour son hospitalité, fournit assez d’exemples
de familles estrangeres qui y ont eu du credit, comme des
Connestables Stuart ou d’Aubigny maison Escossoise, de ceux
de Montmorency, originaires de Flandres, où les aisnez de
cette maison sont encor en grande consideration ; des Ducs de
Guise, qui ont gouuerné si absolument en France sous tant de
Rois, & à qui l’on reprochoit tousiours qu’ils estoient estrangers ;
des Ducs de Nemours, de Neuers, de Boüillon Lamark,
des Schombergs, des Bassompierres, qui auoient tant de credit
du temps de Henry IV. & de Loüis XIII. des familles de
Strozzy de Sienne, d’Ornano de l’Isle de Corse, des Fiesques
de la ville de Gennes, & des Gondis, qui doiuent leur establissement
en France au Mareschal & au Cardinal de Rets,
qui y ont esté fauoris du temps de nos peres, encores qu’ils fussent
Italiens aussi bien que celuy à qui on le reproche maintenant.
Et si on vouloit examiner la genealogie de la pluspart
des grandes familles de France, elles se trouueroient auoir
commencé quasi toutes par des estrangers. Mais si quelque
estranger doit passer pour François naturel, ce doit estre le
Cardinal Mazarin plustost qu’aucun autre. Si on ne songe
qu’au premier moment de sa vie, on trouuera veritablement
qu’il n’a pas esté François : mais si on compte tous les autres, on
trouuera qu’ils ont esté employez pour la France, & qu’ainsi il
est bien moins Italien que François ; & que par consequent sa
qualité d’estranger ne le doit point exclure du ministere. Ie
dis bien dauantage, que de deux hommes également habiles,
& également versez dans la cognoissance des affaires d’vn
Estat, il n’y a pas peu de lieu de douter lequel est le plus à desirer
à des peuples pour Ministre ; ou celuy qui seroit de leur païs,
ou vn estranger : pource qu’ils doiuent desirer celuy qu’il y a

-- 22 --

apparence qu’il les gouuernera plus doucement, & il n’y a
point de doute que selon toutes les apparences vn estranger
doit en vser de cette sorte. Pource qu’vn homme qui est appellé
au gouuernement d’vn Royaume, dont il ne fait point
partie, doit s’imaginer que tous ceux du pays sont autant d’enuieux
qui croyent qu’il occupe vne place qui leur est deüe, &
ainsi il doit s’efforcer bien dauantage de faire voir qu’il en est
plus digne qu’eux. Secondement, n’ayant aucun appuy de son
chef, il doit bien auoir plus de soin de se faire des amis, qu’vn
du pays, à qui la naissance, & ses alliances en donnent. En
troisiesme lieu, il doit auoir beaucoup plus de crainte qu’on
ne soit mécontent de luy, & qu’on ne se sousleue contre luy,
la qualité d’estranger pouuant seruir de pretexte au murmure,
& n’estant pas propre pour concilier l’amour, si elle n’est secondée
de beaucoup d’autres. Outre cela, il est encore bien
plus indifferent enuers tout le monde, & bien moins passionné
pour quelques-vns ; & ainsi il luy est plus aisé d’estre iuste,
& de ne se porter qu’à recompenser le merite. Comme aussi il
est pour l’ordinaire moins interessé, pource qu’encore qu’il
fasse venir quelques-vns de ses parens de son pays (ce qui seroit
inhumain, & de peu de naturel de ne pas faire) tousiours
n’en a-t’il pas vne si grande suite comme les autres, ausquels il
en naist à tous moments de nouueaux de toutes conditions, &
capables de toutes charges. C’est pourquoy Catherine de Medecis,
apres la mort du grand Duc de Guise François, ietta les
yeux sur Christophle Duc de Witemberg, estimé de ce temps
là pour sa prudence singuliere, l’enuoya prier de venir l’assister
de son conseil dans l’embarras où estoient les affaires de la
France pour lors, & luy en offrit l’intendance generale pendant
la minorité du Roy son fils ; preferant ce Prince estranger
à tant d’hommes illustres, dont la France estoit remplie pour
lors. Ce n’est pas aussi à cause que Monsieur le Cardinal Mazarin
est estranger, qu’on luy en veut ; c’est parce qu’il est Ministre.
La faueur n’a iamais esté sans estre enuiée ; & vn mesme
homme peut rarement acquerir l’amour du Prince, & l’amour
des peuples. De tout temps on a attribué tout le mal que faisoient
les Princes, aux Fauoris qui les approchent. Tacite remarque
que c’estoit la coustume du peuple de Rome. Et Diodore

-- 23 --

Sicilien dit la mesme chose de celuy d’Egypte. Le plus
sainct & le plus parfait de tous les hommes ne sçauroit estre
dans cette place, qu’il ne passe aussi tost pour vn meschant, &
qu’il ne fasse crier tous ceux qu’il ne peut satisfaire. Moyse qui
auoit esté choisi de Dieu pour operer ses merueilles, & qui
auoit sauué les Iuifs de la captiuité d’Egypte ; luy qui auoit
fait descendre la manne du Ciel pour les nourrir, & fait sortir
de l’eau des rochers pour leur donner à boire, ne laissa pas d’essuyer
la haine qui s’attache tousiours à ceux qui ont de l’authorité.
Son frere mesme Aaron fut ialoux du credit qu’il
auoit. Dieu ne nous a-t’il pas parlé aussi bien qu’à luy, disoit-il ?
Pourquoy donc s’éleue-t’il au dessus de nous ? Pourquoy vous attribuez-vous
vn si grand pouuoir sur le peuple de Dieu ? crioient hautement
Coré & Abiron. Qu’il vous vous suffise que nous sommes tous fideles au
Seigneur oussi bien que vous. Ils ne manquerent pas de prendre
pretexte sur ce qu’il les faisoit mourir de faim ; Aussi bien que
les Parisiens ont dit ces iours passez : mais ce n’estoit qu’à cause
qu’ils ne pouuoient souffrir le ioug auquel Dieu les auoit sousmis,
& qu’ils vouloient auoir la liberté de faire & de dire toutes
choses.

 

REEVTATION
DV LIBELLE
INTITVLÉ,
Raisõs d’Estat
contre le Ministre
estrãger.

Thu[illisible] li. 34.
anno 1563.

Annal lib. 4.
Lib. 2. cap. 3.

Num per solum
Moysen
locutus est Dominu ?
Nõne
& nobis similiter
est locutus ?
Num. 12.
Sufficiat vobis,
quia omnis
multitu[1 lettre ill.]io
sanctorũ est,
& in ipsis est
Dominus : cur
eleuamini super
populum
Domini ?
Num 16.

Les plus grands crimes que le peuple luy impose sont, qu’il
a intelligence auec les Espagnols, qu’il n’y a point d’argent
dans le Royaume, & que la paix n’est point faite.

Pour ce qui est du premier, qui est veritablement dans la
bouche de quelques vns, mais dont la plus grande partie de ses
ennemis se mocque, la haine que les Espagnols ont pour luy le
iustifie assez, & l’enuie qu’ils ont qu’il soit esloigné de la Cour,
monstre bien qu’il n’y auance pas beaucoup leurs affaires. Et
pour quelle raison feroit-il vne si grande trahison ? Toutes les
choses de ce monde se font par interest, & particulierement
celles qui sont contre le deuoir. On ne s’aduise gueres de faire
vn crime pour rien. Et quel interest a-t’il que les Espagnols
reprennent les places que nous auons en Flandres ? & qu’ils appaisent
les troubles de Naples & de Sicile ? Puis qu’il est de ce
pays-là ne pouuoit-il pas trouuer dans la reuolution generale
de son pays, quelque conjoncture fauorable pour l’ambition
la plus haute dont il auroit esté capable ? N’estoit-ce pas son
faict que les deux Royaumes secoüassent tout à fait le ioug

-- 24 --

d’Espagne, & se remissent sous la domination de France, qui
l’y auroit pû establir ou Vice-Roy ou Vicaire qui est vne qualité
assez commune en Italie ? Moyennant quoy il auroit pû
donner des Principautez à ses parens, s’il est vray qu’il ne cherche
que cela, & disposer entierement de ces deux grands
Estats, à cause de leur esloignement, & de sa faueur.

 

I. OBIECT [illisible].
Que le Card.
Mazarin a
intelligence
auec l’Espagne.

Il est donc ridicule d’alleguer ces reuoltes non seulement
de Naples & de Sicile, mais du Milanois, qui auoient esté
mesnagées depuis si long temps auec tant de soin & d’adresse,
& qui n’ont manqué de reüssir, que par vne pure permission
de Dieu, qui nous a donné, comme à la mer, des bornes que
nous n’auons sceu passer. Comme il est injuste pareillement de
compter quelques autres petits malheurs qui nous sont arriuez
depuis que ses ordres ne sont pas si ponctuellement suiuis,
& que l’obeïssance s’est vn peu relasché ; & de ne pas compter
le nombre des batailles & des places gagnées pendant son administration.
Et ie ne sçay pas comment ces grands Politiques
recognoissant qu’il a intelligence auec les Espagnols, se veulent
si hautement declarer ses ennemis, pendant qu’ils s’allient
tout ouuertement auec eux : Estant, ce me semble, selon les
regles de la bonne foy, d’auoir mesmes amis & mesmes ennemis
que ceux auec qui on s’allie ; & selon les regles de la prudence,
de ne pas descouurir à l’amy de son ennemy le dessein
qu’on a de le perdre.

La seconde chose qu’on luy objecte, c’est qu’il n’y a point
d’argent en France. Il est certain qu’il y en doit auoir beaucoup
moins que du temps du Cardinal de Richelieu, sans qu’il
soit besoin que Monsieur le Cardinal Mazarin en ait enuoyé
des flottes en Italie, & des charettes à Sedan. La premiere année
de la Regence est, à ce que quelques vns ont dit, vn abysme
de Comptans où les Financiers ne voyent goutte. Et ce n’est
pas merueille si la Reyne, qui ne s’estoit point encore veüe en
estat de faire du bien à personne, se laissa d’abord aller à ce
plaisir genereux & vrayemẽt Royal, de satisfaire à son humeur
liberale, & de recompenser les seruices de ceux qui luy auoient
esté fideles. Ce n’a pas esté là l’argent le plus mal employé ; &
c’est peut-estre ce qui luy a attiré tous les bonheurs qu’elle a
eus en suite. Car cet abysme où il s’est perdu, ç’a este la France

-- 25 --

mesme ; & ainsi il n’y a eu que le Roy qui s’y est appauury,
pendant que la France s’y est enrichie.

 

II. OBIECT.
Qu’il n’y a
point d’argent
en France.

Il faut donc considerer que depuis la mort du feu Roy nous
n’auons fait autre chose que conquerir, & nous estendre bien
loin dans les pays estrangers, dans l’Italie, dans l’Espagne, &
dans la Flandre. Nous n’auons quasi point eu de guerre sur
nos frontieres, mais dans le cœur du pays ennemy : Et ainsi
tout l’argent qui y est allé, n’en est point reuenu, mais s’est
distribué parmy les estrangers. Il en a fallu vne quantité
espouuantable en Catalogne particulierement, où les François
ne peuuent rien prendre sans payer ; & en Italie aussi, où il
a sans doute plus cousté en Soldats & en Pensionnaires, que du
temps du Cardinal de Richelieu : à cause que nous auons porté
la guerre dans son sein, & par l’acquisition de deux places
importantes que nous y auons prises, & d’vne armée nauale
qui y a tousiours tenu la mer, nous auons mis toute l’Italie en
bransle, & auons esté pres d’y faire vn party aussi fort que celuy
d’Espagne. Chose que le Cardinal de Richelieu n’auoit
iamais cruë possible, & qui y a imprimé vne aussi grande terreur
du nom François, que du temps de Charles VIII. & de
Loüis XII. au lieu qu’au parauant à peine entendoit-on parler
de nous, comme dit vn Historien des peuples de delà l’Elbe,
dont c’estoit tout ce qu’on pouuoit faire à Rome que de sçauoir
le nom. Il a fallu outre cela pour les grands efforts qu’on
a fait faire à nos Alliez, redoubler les subsides, & leur donner
souuent des extraordinaires, ce qui n’estoit pas si necessaire
que du temps du feu Roy. C’est pourquoy il ne se faut pas
estonner que dans tous ces frais excessifs que la Reyne a esté
obligée de faire à son aduenemẽt à la Regẽce, où elle a trouué
le Roy son fils endebté, & tout son domaine aliené ; elle n’ayt
pas amassé de thresors : Puis que la feüe Reyne-Mere qui en
auoit trouué que Henry IV. luy auoit laissez, & qui n’auoit
point de guerre sur les bras, ne laissa pas de les dissiper, pour
contenter les Princes, qui n’est qu’vne sorte de despense entre
mille dont nostre Regente est chargée, encore qu’elle monte
beaucoup plus haut à present qu’elle ne faisoit en ce tẽps-là.

III. OBIECT.
Que la Paix
n’est point
faite.

Ie ne mets point icy en question, s’il n’est pas plus auantageux
à vn Estat florissant, & plein d’hommes naturellement

-- 26 --

portez à la guerre, d’en entretenir vne estrãgere, par le moyen
de laquelle il se descharge de mille mauuaises humeurs dont
il est impossible qu’il n’abonde, & employe contre autruy des
forces, qu’autrement il tourneroit contre soy-mesme ; Pourquoy
les grands Politiques soustiennent tous, qu’vn grand
Prince doit estre tousiours armé : Que de languir dans l’oisiueté,
& dans le luxe, qui causent des desordres plus grands,
& des despenses plus déreglées que celles qu’on veut éuiter
par la paix, & où il n’y a point de matiere à la vertu heroïque.
Ie suppose que la paix dans vne Regence mesme est plus auantageuse
à la France, qu’vne guerre éloignée, dont elle n’auoit
rien apperceu iusques icy que par les Gazettes, & par les Tedeums,
& dont elle ne ressentoit aucune incommodité, que
celle de donner de l’argent pour la faire : pendant que les païs
où elle la portoit, n’auoient pas seulement cette incommodité
bien plus pesante encore qu’elle, mais auoient aussi pardessus
celle de nourrir nos armées, aussi bien que les leurs.
Dont elle doit auoir esprouué la difference dans le peu de
temps de guerre ciuile où elle a esté embarrassée, qui l’a plus
desolée mille fois, que dix ans de celle dont elle se plaignoit.

 

Mais à qui a-t’il tenu que la paix ne s’est point faite ? Toute
la terre n’a-t’elle pas veu que dés le commencement de l’Assemblée
de Munster les Espagnols n’ont rien fait que tirer les
choses en longueur ? Et la declaration qu’ils font à present de
ne point vouloir entendre à la paix, que tout ce qui y a esté fait,
ne soit declaré nul, n’est-ce pas vne marque certaine qu’ils
n’ont iamais eu enuie d’y rien faire ? ou du moins qu’ils n’ont
iamais eu dessein de tenir ce qu’ils y auroient fait quelque solennellement
que ce fust ? Ie ne sçay comment Messieurs le
Nonce du Pape, & l’Ambassadeur de Venise peuuent porter
de telles paroles sans quelque confusion ; puis que cela ne
peut tourner qu’au mespris du S. Siege, & de l’Auguste Republique,
qui ont moyenné l’ajustement de tous les articles,
dont l’on y est conuenu, & qui en sont par consequent les garands :
& ie ne voy pas quelle asseurance on peut auoir que ce
qu’on traitteroit à cette heure auec eux seroit obserué : puis
qu’ils n’auroient pas apres cela plus de raisons de ne s’en pas
releuer, qu’ils en ont à present.

-- 27 --

Tous les obstacles qui se sont trouuez dans la paix, ont esté
vn effect continu de ce dessein, que Sauedra Plenipotentiaire
d’Espagne ne peût mesme celer en partant de l’assemblée,
quand il dit qu’il estoit bien aise de ne se pas trouuer à la signature
d’vne paix si desauantageuse pour son maistre, & qu’il n’y
auoit pas d’apparence qui peust durer. Ils y estoient venus plustost
pour nous des-vnir d’auec nos alliez, que pour s’vnir auec
nous : & nous auons eu plus de peine à nous defendre de tous
les artifices qu’ils employoient pour cela, que des raisons
qu’ils apportoient pour soustenir leur cause. Ils ont fait la
cour aux Suedois, & ont mesme composé * des liures, pour
monstrer l’ancienne alliance des Goths & des Espagnols. Et
ils ont tasché par toutes sortes de deferences indignes de flatter
les Hollandois, accordant d’abord la main & le tiltre
d’Excellence aux Deputez de ceux qu’ils traittoient auparauant
de rebelles : pource qu’ils voyoient que nous faisions
quelque difficulté de leur donner ces auantages, n’y en ayant
point encore eu d’exemple. La Reyne de Suede auec vne generosité
digne de la fille du grand Gustaue, na point biaisé
dans l’obseruation de l’ancienne alliance de sa Couronne auec
la nostre ; Et le grand Chancelier Oxcenstern a tousiours bien
reconnu le veritable interest de sa patrie, malgré toutes les
ruses malicieuses dont les Espagnols se sont seruis pour nous
broüiller auec luy, & qu’vn esprit moins esclairé que le sien
auroit eu bien de la peine à descouurir. La Lãdtgraue de Hesse,
l’heroïne de nostre siecle : quelques aduersitez dont elle ait
esté esprouuée, & quelques aduantages qu’on luy ait offerts,
n’a point balancé non plus. Et ce n’est pas merueille que les
finesses ayent mieux reüssi parmy des esprits plus grossiers,
plus susceptibles d’interest, & moins capables de la belle
gloire.

[illisible]

Le faste d’Espagne ne s’est point abbaissé inutilement. Elle
a crû ne pouuoir trop donner à la Hollande pour la payer d’vne
infidelite de cette consequence : Et la Hollande n’a pû se
defendre d’accepter vne paix particuliere à des conditions
qu’elle craignoit de ne pas obtenir, si elle la faisoit coniointement
auec nous. Dés qu’elle a eu trouué son compte, elle
nous a abandonnez là ; & ne s’est meslée de la mediation que

-- 28 --

pour nous broüiller dauãtage auec les Espagnols, croyant que
son veritable interest estoit que nous ne nous approchassions
pas tant d’elle, cõme nous faisions chaque campagne, & qu’il
demeurast toujours entredeux vne puissance assez grãde pour
empescher que l’on ne vinst à elle, & pas assez forte toutefois
pour la destruire ; ce qui ne se pouuoit faire, suiuant sa politique,
que par vne paix prompte : Et que cette paix estant faite,
il luy estoit auantageux aussi que les deux Couronnes ne s’accordassent
iamais, & s’affoiblissent au contraire de plus en plus
l’vne par l’autre ; afin qu’elle restast seule paisible au milieu de
l’embrasement de toute l’Europe, & qu’ainsi elle asseurast son
Estat encore tout nouueau, & s’estendist plus aisément dans
tout le monde par le commerce, dont le trafiq d’Espagne
n’estoit pas vn petit accroissement, ce qui ne se pouuoit faire
que par vne paix separée.

 

Apres que les Espagnols eurent acheué ce grand œuure,
auquel ils trauailloient depuis si longtemps, quelle apparence
y auoit-il qu’ils voulussent la paix auec nous, qu’ils voyoient
auoir moins d’vne armée puissante sur la mer, & d’vne puissante
sur la terre ? Tout le monde sçait que leur Plenipotentiaire
quitta l’Assemblée aussi tost, sans laisser aucun pouuoir
de la traiter à Mõsieur le Brun, qui eut bien de la peine en fin à
en obtenir vn tel quel, & qui receut de grandes reprimẽdes de
Bruxelles pour auoir voulu entrer en matiere. De façon que
l’on vit bien qu’il n’y estoit demeuré que pour empescher la
conclusion de la paix d’Allemagne, qu’ils ne trouuent pas si
peu honorable, ny si peu auantageuse à la France, qu’ils ne taschent
par toutes sortes de voyes d’en empescher l’execution :
Et où ils n’ont garde de nous faire l’objection que nous nous
faisons nous-mesmes de la Religion, recognoissant bien que
ce sont eux qui l’ont laschemẽt abandonnée dans le Traité de
Hollande, permettant à la fureur de l’heresie de grands pays
tous entiers, qui n’en auoient iamais esté infectez : au lieu que
dans celuy d’Allemagne nous en auons sauué plusieurs grãds
Eueschez qu’elle s’estoit desia appropriez. Il semble que ce
n’estoit pas tesmoigner vne trop grande auersion pour la paix,
mais que c’estoit plutost faire la moitié du chemin que de s’accorder
ainsi auec la maison d’Austriche, & que la cholere où

-- 29 --

la Cour de Madrid a esté sur ce sujet contre la Cour de Vienne,
est bien vne marque qu’elle ne veut aucune sorte d’accommodement
auec nous.

 

Cela s’est passe à la veüe de toute l’Europe, qui en a esté
estonnée Et les Espagnols ont bien de la peine à se lauer de ce
reproche qu’ils voyent que tout le monde leur impute. Et au
lieu d’estre vnis aussi bien qu’eux sur vne chose où il y va de
l’honneur de nostre Nation, il se trouue parmy nous des gens
assez lasches, & assez insensez pour abandonner eux-mesmes
vne cause si iuste, & pour inuenter contre nous des calomnies,
dont nos ennemis mesmes n’ont pas la malice de s’aduiser, &
qui n’ont rien de vray-semblable qui les puisse faire croire. S’il
estoit vray qu’vn de nos Ambassadeurs eust eu tout seul le secret
de la negociation, & que sur le point que les deux autres
estoient pres de signer, il eust tiré de sa poche des ordres de la
Cour, qu’il auoit tout preparez pour cet effet, cela auroit esté
si public, qu’il n’auroit pû estre ignoré de personne. Et cependant
ceux auec qui on veut que cela se soit passé, n’en ont iamais
rien sceu. I’ay eu la curiosité de les entretenir tous trois
en particulier sur ce sujet, & ie dois tesmoigner qu’ils ont tous
également desaduoüé cette supposition, & qu’au contraire ils
m’ont protesté qu’ils n’auoient point receu de despesches
qu’en commun, & qu’ils n’en auoient point receu où il n’y eust
ordre expres de haster la conclusion de cette paix, si desirée de
tout le monde. En effet les autheurs de cette calomnie n’ont
pas pris garde, qu’en voulant seulement noircir vn homme,
que l’enuie auoit espargné iusques icy, ils deshonoroient en
mesme temps ceux qu’ils pretendoient exempter de blasme :
Car y a-il quelque apparence qu’vn grand Prince, &
qu’vn grand Ministre eussent souffert qu’on leur eust fait cette
indignité de leur cacher quelque chose de leur employ ? Et
quand mesme celuy qu’ils nomment confident de Monsieur le
Cardinal Mazarin auroit esté capable de le seruir dans vn ministere
si honteux que celuy où l’on suppose qu’on l’a voulu
employer ; ce que ie ne sçaurois croire d’vn homme qui a dans
toute sa vie passée tesmoigné trop d’amour pour l’honneur,
pour vouloir tacher son nom du reproche eternel d’auoir empesché
le repos de sa patrie ? Le zele qu’ils auoient tous deux

-- 30 --

pour la paix, ne fust-il pas venu à bout de sa resistance ? s’ils
eussent veu quelque conjoncture fauorable pour acheuer vn
ouurage dont il leur deuoit reuenir tant de gloire, & dont pas
vn d’eux ne pouuoit trouuer de profit de reculer l’accomplissement.

 

Il n’est que trop vray que c’est à nous qu’il tient que la paix
n’est point faite ; mais ce n’est pas dans le sens que le prennent
ceux qui l’escriuent. Ce sont les desordres de Paris plustost
que les ordres de la Cour qui l’ont empeschée : & plus nous
nous tourmentons de ce qu’elle n’est point faite, plus nous
nous mettons hors d’estat de la pouuoir faire. Il y a dix ans
que les Espagnols attendent ce qui est arriué en nos iours. Et
les croyons-nous si despourueus de iugement pour y vouloir
entendre, tant qu’ils verront qu’ils ont autant de partisans
dans Paris que le Roy mesme, & cependant qu’on leur mande
de tous costez que la paix ne sçauroit durer au dedans, & que
l’on n’a pas moyen de faire la guerre au dehors.

Cela vient, dit-on, de ce que le Roy n’est point à Paris. Et
pourquoy Paris ne se met-il en estat de le receuoir ? Est-ce au
Roy à faire les aduances auec le peuple, ou au peuple à se rendre
digne de la veüe de son Roy ? Et y a-t’il quelqu’vn de ceux
mesme qui crient le plus, qui voulust luy conseiller de reuenir
dans sa ville capitale, pendant qu’on y crie aussi hautement
des libelles tendans à exciter sedition, qu’on y crioit autrefois
les relations de nos victoires, & qu’on y tient des discours, &
qu’on y fait des choses aussi prejudiciables à son authorité,
que lors qu’il a esté obligé d’en sortir ? Nous crions vengeance
contre les abominations que commettent les Allemans : Et
nous auons bien l’impudence d’en accuser ceux qui leur enuoyent
tous les iours tout l’argent qu’ils peuuent pour les faire
esloigner ; cependant qu’il part tous les iours des courriers
de Paris pour les empescher d’aller dans le pays ennemy, &
pour les exciter de mettre tout à feu & à sang. C’est ce que
veulent dire ces trouppes insolentes lors qu’elles se vantent
d’estre auoüées de ce qu’elles font ; & cela est assez public
parmy elles, sans qu’il soit besoin de l’expliquer dauantage.
Nous murmurons de ce que cette armée n’est point payée,
non plus que les autres : Et à qui tient-il que le Roy ne reçoiue

-- 31 --

dequoy ? Nous nous vantions de trouuer des moyens
de faire faire la guerre au Roy dix ans sans charger le peuple, si
on nous vouloit croire : Et cependant nous auons osté au Roy
le moyen de la faire, & nous n’auons point deschargé le peuple.
De la recherche des Partisans il deuoit venir vn fonds inépuisable ;
& cependant cette Chambre de Iustice qui a fait
tant de bruit, n’a rien rapporté, & n’a fait qu’oster le credit au
Roy, & ruiner vne infinité de particuliers qui luy auoient
presté de l’argent. Personne ne paye dans les Prouinces : Et ce
n’est pas que la France ne soit encore assez riche, mais c’est que
ceux qui ont quelque chose, le cachent. Voila l’effet de cette
belle leuée de bouclier, qui nous deuoit tous mettre dans
l’opulence. Nous voyons bien que les despenses de l’Estat
ne diminuent point, & nous demandons diminution de toutes
les charges qui sont establies pour sa subsistance. Nous voyõs
tous les iours que les familles des particuliers ne se peuuent
pas entretenir à present pour cent fois autant que ce qu’elles
despensoient du temps de nos Peres. Et nous voulons que
l’Estat subsiste, & se maintienne pour aussi peu qu’en ce temps-là.
Et nous nous escrions sur l’augmentation de ce que donnent
toutes les Prouinces de France, comme si c’estoit vne
augmentation du reuenu du Roy, qui auoit autrefois son domaine
particulier, qui a esté engagé pour les frais de la guerre,
au lieu que c’est proprement vne augmentation du reuenu de
l’Estat : Et qu’ainsi ceux qui empeschent qu’il n’y ait dequoy
le maintenir, ne s’attaquent pas seulement à l’authorité de nos
Roys, qu’ils content maintenant pour peu de chose, mais sappent
les fondemens mesmes de l’Estat, pour la grandeur duquel
ils se disent si passionnez.

 

Que voulons-nous donc faire entretenant le desordre par
tout ? quelles sont nos pretentions ? où est le profit que nous en
croyons tirer ? Et que pensons-nous faire de souhaitter auec
tant d’empressement l’esloignement d’vn Ministre qui a seruy
si fidelement le feu Roy, & qui a comblé l’enfance de son fils
de tant de triomphes ? Croyons-nous en cela estre plus sages
que cette grande Princesse, qui conuerse plus souuent auec
Dieu qu’auec les hommes ? Pensons-nous auoir plus d’affection
pour le bien du Royaume, que ces deux grands Princes ;

-- 32 --

qui ont tant d’interest à sa conseruation ? Et nous imaginons-nous
estre plus habiles que tant d’illustres personnages qui
ont vieilly dans les plus hautes charges de l’Estat, & dans les
negociations les plus importantes ? Toutes leurs voix, qui
doiuent estre escoutées auec respect, ne s’accordent point
auec les nostres : qui est vne marque indubitable que celle de
Dieu ne s’y accorde pas non plus. C’est au Roy à se seruir de
qui il veut dans soy Royaume, comme à vn pere de famille
dans sa maison ; & encore bien plus absolument. Et il est obligé
en conscience de ne pas laisser vsurper aux peuples le droict
de luy oster les Ministres choisis de sa main, & de luy en donner
d’autres à leur fantaisie.

 

Que sçauons-nous aussi bien ce que nous demandons ? Est-ce
nostre auantage de changer si souuent de Ministres, qu’il faut
qu’ils se remplissent tousiours sur nouueaux frais, & qui ne
tardent gueres à estre aussi haïs que ceux dont ils occupent la
place ? Si nous voulons vn Ministre qui nous gouuerne auec
douceur : La plus part du monde tient que le plus grand defaut
du nostre c’est d’en auoir trop, & que s’il eust poussé tous
ses ennemis aussi loin que le Cardinal de Richelieu a fait les
siens, il ne seroit peut-estre pas à la peine où à present il se
trouue : mais quand son administration n’auroit pas esté douce
y moderée, comme elle a esté iusques icy, nous deurions
tousiours nous asseurer qu’à l’auenir elle ne pourroit pas manquer
de l’estre : Estant croyable que l’image de cette grande
ville irritée luy viendra quelquesfois deuant les veux aussi
bien que celle de la misere generale de la France, dont en cette
occasion il a entendu les cris qu’on l’auoit empesché peut-estre
iusques-là d’entendre. Si nous voulons vn Ministre constant,
on l’a veu dans les tempestes qui se sont éleuées contre
luy auec vn visage aussi serain, & aussi paisible qu’il en auoit eu
dans la plus grande bonasse des affaires ; & s’émouuoir aussi
peu des calomnies dont on l’attaquoit, qu’on l’auoit auparauant
veu se ressentir des loüanges qu’on luy auoit données,
qu’on l’a tousiours accusé de rejetter vn peu trop austerement.
Si nous en voulons vn qui ne soit point interessé : Toute la
France s’estonne du peu de bien qu’il possede en son particulier,
du peu qu’il fait pour les siens, & de la liberalité auec laquelle

-- 33 --

il se despoüille de ses benefices en faueur de ceux qui
ont besoin de recompense. Car il n’y a pas trop d’apparence
qu’il ayt de grands thresors en Italie, où il y a si long temps
que nous auons vne guerre, où il alloit de son honneur aussi
bien que de celuy de la France, qu’il est à presumer que tout
ce qu’on y a enuoyé, y a esté consommé ; & qu’il a fallu mesme
trouuer du credit par delà ce que l’on y a enuoyé. Et il n’est
pas raisonnable de compter ce qu’il auoit deuant que d’estre
premier Ministre chez nous : ce qui n’estoit pas si peu de chose,
qu’il ne fust capable de luy faire entretenir vne despense plus
honorable que celle des Cardinaux les plus accommodez.
Comme il n’est pas iuste non plus de murmurer s’il a quelques
bienfaits du Roy, ne pouuant faire moins que de viure
de l’Autel qu’il sert auec tant de peine ; & s’il fait des alliances
auec des Princes qui le souhaitent, & qui y trouuent leur
compte. Les mariages estans des manieres d’auancer ses parens,
qui ne sont nullement à la foule du peuple, & n’estant
point honteux à quelque Grand que ce soit, d’espouser des
filles qui sont des meilleures maisons de Rome, & qui ne
cedent qu’à ces quatre premieres qui sont du temps de la Republique.

 

Si apres tout cela ennuyé de seruir vne terre qui n’a que de
l’ingratitude pour les grands seruices qu’il luy rend, il vouloit
se retirer dans celle où il tient vn rang assez considerable.
Pourrions-nous mettre à sa place quelqu’vn qui sceust establir
au dehors les affaires de la France dans le credit où il les
a mises, & entretenir au dedans vne si grande correspondance
dans la maison Royale, comme celle qui y est à present ? Ne
sçait-on pas bien à quelles intrigues ces changemens-là donnent
matiere ? Et est-on asseuré que toutes les cabales conuinssent
en vn autre aussi bien qu’en celuy-cy ? Et qu’vn nouueau
venu eust l’authorité de les balancer dans les occasions,
& l’adresse de le faire auec succez ? cõme il a fait en vn temps,
où toute la prudence humaine auroit iuré qu’il n’en viendroit
iamais à bout ? Et ne pourroit-on pas raisonnablement apprehender
qu’il n’arriuast en France, apres qu’elle auroit perdu
le Cardinal Mazarin, ce qui arriua dans l’Empire Romain
apres qu’il eust perdu Crassus* ? Pompée ne pouuoit rien

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souffrir d’égal à soy, dit Lucain, & Cesar ne pouuoit rien endurer
au dessus de soy. Crassus ménagea long temps leurs
esprits, & fit entre ces deux grands hõmes ce que fait l’Isthme
de Corinthe entre les deux mers d’Ionie & d’Egée : mais dés
qu’ils n’eurent plus cette digue deuant eux, on les vid se déborder
l’vn contre l’autre auec tant d’impetuosité, que toute
la terre en fut desolée.

 

* Tẽporis angusti
mansit
concordia discors,
Paxque fuit
nou spõte ducum :
nam sola
futuri
Crassus erat
medius belli
mora, qualiter
vndas
Qui secat, &
geminũ gracilis
mare separat
Isthmos,
Nec patiur cõferre
fretum : [1 mot ill.]
terra recedat,
Ionium Ægeo
frangat mare,
&c. Luc. li. 1.
Pharsal.

Voila cette longue suite de biens que doit apporter l’éloignement
de ce grand Ministre, & ce nombre infiny de maux
dont il est l’autheur. D’où il aisé de voir, Que la voix du peuple
qui crie contre luy, n’est point la voix de Dieu, pource que
ce n’est point la voix de la verité, dont il est le principe : mais
plustost de ces voix que le Prophete appelle des voix d’iniquité,
& de tromperie.

Verba oris
eius iniquitas,
& dolus.
Psal. 34.

FIN.

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Anonyme [1649], QVESTION, SI LA VOIX DV PEVPLE EST LA VOIX DE DIEV ? , français, latinRéférence RIM : M0_2951. Cote locale : C_6_76.