Anonyme [1652], PARIS EN DVEIL, REFLECHISSANT SVR SON Estat present, les perils ausquels elle a esté exposée, & les pertes qu’elle a faites la semaine derniere, & les dangers qui la menassent encor à l’aduenir. Foris interficit gladius & domi mors similis est. , français, latinRéférence RIM : M0_2693. Cote locale : B_14_6.
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PARIS
EN DVEIL, REFLECHISSANT SVR SON
Estat present, les perils ausquels elle a
esté exposée, & les pertes qu’elle a faites la
semaine derniere, & les dangers qui la
menassent encor à l’aduenir.

Foris interficit gladius & domi mors similis est.

M. DC. LII.

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PARIS EN DVEIL, REFLECHISSANT
sur son Estat present, les
perils ausquels elle a esté exposée,
& les pertes qu’elle a faites la semaine
derniere, & les dangers qui
la menassent à l’aduenir.

Foris interficit gladius & domi mors
similis est.

QVI vid iamais rien de plus funeste que
mon sort ? & qui ne plaindroit ma misere
au deplorable estat où ie suis ne semble-t’il
pas que tout conspire à ma perte, &
n’ay-ie pas suiet de dire comme leremie, parlant
en la personne de Ierusalem, foris interficit
gladius & domi mors similis est.

Mardy, toutes les eminences que ie regarde
du costé du Soleil Leuant me parurent couuertes
de bataillons & d’escadrons ennemis, qui me regardoient
comme la proye qu’ils esperoient

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bien-tost deuorer, apres auoir defait vne armée
plus foible qui defendoit mes murailles au
dehors, & sur laquelle ils se promettoient vne
entiere victoire, par le moyen des Capitaines
commandans aux portes de ce costé là, qu’ils
auoient pratiqués par le passé.

 

Et Ieudy ie veis dans mon sein mesme l’appareil
d’vne funeste sedition, qui s aluma soudain
autour de ma maison de ville pour l’embraser
auec la plus part de ceux qui s’y estoient assemblez
pour deliberer, touchant le remede qu’on
pouuoit trouuer à mes malheurs.

Mardy, l’armée des Princes qui se sont declarez
mes Protecteurs, quelque temps enfermes
entre les troupes ennemies qui fondoient sur elles
de toutes parts, & les Compagnies qui pour
lors estans de garde à mes portes, refusoient à
leur bagage l’entrée de ma ville.

Et Ieudy, les Chefs esleus de tous les Corps
& de tous les quartiers de la ville pour se trouuer
à l’assemblée qui se deuoit faire pour le bien
public, furent reduits à la derniere extremité
dans cet Hostel, enuironné d’vne multitude
infinie de peuple ardant à leur ruine, comme
si la gloire & le salut du païs eust dependu de
cette defaite.

Mardy, toutes les ruës d’vn de mes fauxbourgs,
& tous les champs qui en sont proches,

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estoient couuerts de corps morts des Soldats &
des Chefs de l’vn & de l’autre party.

 

Ieudy, mon Hostel de Ville & la place de
Gréve qui seruoit de champ de bataille aux assiegeans,
me fait voir vn pareil spectacle, où
beaucoup d’innocens souffrirent de mesme, pour
vn petit nombre de coupables, qui refusoient
de s’vnir, pour veiller conjointement auec les
autres à ma protection.

Mardy, le tranchant des espées & les balles
de mousquet au dehors.

Ieudy, toutes sortes d’armes au dedans.

Mardy, des trouppes en ordre.

Ieudy, des furieux en desordre.

Mardy, le Dieu des armes en couroux.

Ieudy, la plus cruelle des furies la torche ardante
à la main, & dans l’vne & l’autre orage,
les bras des miens tendans à la destruction des
miens m’ont fait vne guerre morte le, & iettans
dans mon esprit les pointes des plus viues terreurs,
m’ont obligée de m’escrier plusieurs fois
Circumdederunt me dolores mortis & pericula inferni inuenerunt
me.

Ainsi le temps de mes perils & de mes malheurs
n’est distingué que par de petits interualles,
où la faim ne me donne pas moins d’alarmes
que ces deux autres fleaux dont elle est
en quelque façon la cause & l’effet. Mais n’ay-je

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pas mauuaise grace de commencer si tard de me
plaindre pour des maux que ie sens depuis tant
d’années, & compatissant aux douleurs des miẽs,
n’ay-je pas suiet de dire à celuy qui soutient le
Tyran qui me fait souffrir toutes ces pertes.

 

 


Non rude vulgus lachrymisque nouum,
Lugere Iuges boc continuis
Cogimus annis ex quo tetigit
Phrygius grajas bospes amyclas.

 

Ce qui ne peut s’entendre que de l’arriuée de
Mazarin en France.

Sans mentir ce n’est pas aujourd’huy que ie
dois regler ma douleur sur celle des Citez les plus
infortunées, & qu’ayant veu des degats & des
meurtres autour de mes murailles, & des seditions
mortelles au dedans, i’ay peu me plaindre
en ces termes, foris interficit gladius, &c. le passe
déja pour vieille pleureuse, & toute l’Europe qui
me portoit enuie auparauant comme au sejour
des felicitez & des parfaites delices, ne iette les
yeux sur moy maintenant que pour connoistre
de quel œil ie voy fondre sur moy tant de disgraces,
& pour voir la catastrophe de mes malheurs.
Mais quoy, si mes enfans sont armez contre
mes enfans estant mere commune, ne dois-je
pas plaindre esgallement leur infortune, & sans
prendre part à la gloire, ne suis je pas obligée
d’en prendre tousiours au malheur : Que puis-ie,

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sinon detester la cause & le pretexte qui les
anime les vns contre les autres, d’vne fureur dont
les animaux ne sont point capables, si ce n’est
enuers ceux qui sont d’vne espece differente de
la leur. Detestable Mazarin, maudit Estranger,
faut il que pour la satisfaction d’vne personne
que tu des-honores, & que tu met en danger de
se perdre auec toy, tu coustes tant de sang, de
vies & de biens à la France ? & se peut il qu’enfermé
de tous costez des villes & des forteresses
de ceux qui te haïssent mortellement, tu subsistes
si long temps en vne terre estrangere à la
ruine de tout l’Estat ? ne t’estonne point de voir
que ie m’emporte si hautement contre toy, puis
que i’ay tant d’interrest dans les maux que tu
causes & que dans vne seule semaine, tu mas
fait voir des spectacles d’horreur si differents &
si tragiques. Ne t’estonne point aussi de voir
que si ie t’impute la cause des guerres intestines
qui m’agittent, puis que sans te voir ie
te sens dans les pratiques & l’action de ceux
qu’on nomme vulgairement de ton nom, parce
qu’ils sont tes fauteurs : mais les voyant aujourd’huy
presque tous sortis de mes murs, puis ie
esperer quelque tréve à mes infortunes, ou me
croire en estat d’en esprouuer moins que par le
passé ? Il est vray que sçachant l’Vnion qui s’est
formée au sein de ma ville contre toy, ie me croirois

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sur le point d’estre du tout soulagée, si ie ne
craignois pour beaucoup de bons François que
des interrests particuliers attachent par bien-seance
au party que tu rends l’objet de la haine
vniuerselle : mais parce que ie les ayme autant
que ie suis obligée de le haïr, ma peine redouble
par la crainte que i’ay pour eux. Non, non, ma
douleur sans doute ne doit point diminuer de sa
force, puisque mon mal heur à le bien considerer,
est encore aussi grand qu’il fut iamais.

 

Si ie iette les yeux autour de mes murailles,
i’y vois encor des deux costez deux camps qui se
regardent auec de grandes forces, qui pillent
tous les biens qui se rencontrent dans les maisons
& dans la campagne : & ie n’attends que
l’heure où l’vn des deux partis estant grossi des
forces qui s’y viennent ioindre, rende le change
à l’autre, de l’entreprise qu’il fist Mardy de l’attaquer
à son aduantage, & ne me rende, ainsi comme
desia ie la suis, la mere des orphelins & des
vefues : & si ie m’arreste à considerer ce qui se
passe dans mon propre sejour, i’y voy tout remply
de murmures, d’horreur & de düeil, strata
passim corpora plenæ funeribus viœ collucentes vndique
faces ; Enfin toutes ces marques de mes pertes
dernieres sont les objets les plus frequents que
i’enuisage auec autant de douleur que d’estonnement° ?

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ô ma Nauire qui sera desormais ton pilote
& ton guide en vn temps si dangereux, où
tant de vẽts contraires agitent la mere de la Frãce,
où ie te vis singler auec vn vent si fauorable : mais
qui ne te croiroit au point de faire vn funeste naufrage
parmy tant d’escüeils qui t’enuironnent ? ne
vois tu pas les foudres & les esclairs te menasser
de toutes parts, & quelque haut esleué que tu
sois, n’as tu pas desia veu la fumée de ces feux t’offusquer,
& par vn nouueau prodige qui choque
l’ordre de la nature, n’as tu pas veu ces foudres
monter de la terre en l’air pour te confondre, &
l’eau contre sa coustume, fournir l’aliment à ces
feux dont elle est naturellement ennemie, en leur
fournissant du bois pour t’embraser. Mais helas à
qui puis-je auoir recours dans de si dangereuses
extremitez ? à mon peuple ? Mais il est encore tout
escumant de fureur, & plein de ressentiment contre
vne partie de ses Chefs, à ses Chefs : mais les
partialitez regnent entr’eux plus que iamais, à
mon Parlement ? mais il a feint de me secourir
pour me perdre, & beaucoup moins consideré
ses interests que les miens, bien qu’ils ayent seruy
de pretexte à son remüement. A la Reyne,
mais elle voudroit voir le dernier des miens au
cercüeil, parce qui sentant l’effect de ses rigueurs,
ils ont dépoüillé le respect qu’ils auoient
pour sa Maiesté. A mon Roy, mais n’est il pas

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esclaue du Mazarin, ce cruel persecuteur de mes
sujets. Aux Saints tutelaire de ma Ville, mais n’a-ton
pas vainement, pour remedier aux maux qui
me pressent, porté leurs saintes Reliques en procession
par les ruës, & descendu la Chasse de
Sainte Geneuiefue, qu’on n’auoit iamais descenduë
sans miracle auparauant. Aux Celestes
intelligences, mais celles qui meuuent les Globes
Celestes font voir dans les aspects des Astres,
plusieurs dispositions qui semblent tendre à ma
ruine. A Dieu mesme, mais il est tout à fait irrité
contre mon peuple, & n’a t’on pas remarqué
que la veuë de son Sacré Corps, opposé dans la
place de Gréve, à la fureur des mutins, ne les
empeschoit pas de tirer cõtre mõ Hostel de ville, si
tost que le Prestre qui le portoit en toute veneration,
estoit passé, & que les feux allumés en
quatre endrois, contre les portes de cet Hotel,
n’en furent pas moins ardants. I’aurois peut-estre
reclamé la memoire & le genie de ce grand
Henry, sous le Regne duquel ie passay de si douces
années, affin qu’il prist le soin de conseruer
ce bel ouurage, dont il fut l’auteur, & qui porte
encore ces Augustes marques, si ie n’auois veu
son effigie inuiolable posée sur la grand’porte,
par vn presage funeste à ses successeurs, ou calsineé
par le feu, ou defigurée par le fer.

 

Quel Astre ennemy de mon bon-heur, influant

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tant de disgraces sur ma Ville, suspend ainsi les
effets des Puissances qui m’etoient le plus fauorables,
& d’où vient que le Soleil en me cachant
só visage, eut plus de noirceur pour moy seule, dãs
sa derniere éclipse, que pour tout le reste de l’Europe.
N’est ce pas pour monstrer que plus de
malheurs me regardent, & que ie les ay merités
par les crimes de qu’elques vns des miens, qui se
sont plus dans l’oppression des Inocens.

 

C’est ce qui me persuade auiourd’huy, que
comme Troye, & les autres plus belles Villes du
monde, ont esté ruinées au point de leur plus
grande perfection, peut-estre mon heure fatale
aproche, & que ie dois satisfaire par ma cheute
ou mon changement, ceux a qui ie feis quelque
outrage au temps de mes prosperitez. Qu’on ne
m’appelle donc plus Paris, puis que ce nom qui
porte aux oreilles ie ne sçay quoy d’aggreable &
de delicieux, à peu de rapport auec ma fortune
presente : mais Lutesse, c’est à dire l’Esclaue &
labjecte, comme la boüe qu’on foule aux pieds,
& qu’on ne me regarde plus desormais pour flater
ses yeux de l’aspect de ce que i’ay d’illustre &
de beau dans la superficie : mais qu’on s’arreste
à considerer ce que i’ay de miserable & de defectueux
dans le centre, où l’on ne verra que des
playes & des vlceres.

Toutefois quelque espoir me reste parmy de si

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grands malheurs, mes Princes ne m’abandonneront
point à la rigueur du sort qui me persecute.
Le passé me respond de l’aduenir, & i’ose croire
que si dans mes viues apprehentions, & mes
plus grands perils, i’ay senti les effects de leur
secours inuincible qui m’a contre toute esperance
sauué de l’abysme où i’estois sur le point de
tõber ils me feront le mesme bien desormais, &
que i’auray suiet de dire en leur rendant
graces de ces faueurs que i’estois perduë si ie
n’eusse esté perduë, & qu’il me falloit souffrir ces
maux pour arriuer à la felicité qu’ils me font esperer
sous vn Regne beaucoup plus doux &
mieux ordonné mille fois. Ne sçay ie pas qu’on
n’arriue au doux sejour des Isles Fortunées que
par vn long traict de mers : Qu’on achette la ioüissance
de la douce clarté du iour par la souffrance
des tenebres qui nous disposent à le trouuer
plus agreable qu’vn corps chargé d’humeurs putrides
& cotrompuës, ne peut estre guery que
par plusieurs facheux medicamens, plusieures
saignées & plusieurs efforts que fait la nature en
des crises violentes & de grands accez de fiévre,
pour chasser ce venin des veines du malade, &
que mesme si le grain de froment semé dans la
terre n’y souffre vne entiere corruption, il ne produit
iamais de tige fecondes ny d’espics qui remplissent
la maison du laboureur. Qu’ainsi dans

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les changemens qui se font pour nostre bonheur,
le Ciel prend plaisir de nous vendre tousiours
les biens qu’il nous fait au prix de quelques
peines qu’il nous en couste de sorte que ie
puis esperer auec raison, qu’apres que la guerre
comme vne fatale peste aura consommé tout ce
qu’il y auoit de corrompu dans mes murs & aux
enuirons, ie verray ma santé naistre de ma maladie,
& n’esprouueray pas encore la funeste reuolution
que ie crains, puisque i’ay de si bons protecteurs
pour l’empescher. Que si mon Soleil m’abandonne
en la personne de mon Roy, ces astres
fauorables suffiront pour m’esclairer, & ne iettent
ils point déja des rayons auec tant d’éclat
que tous les yeux en sont esbloüis ? Sur tout ie les
prie de rendre leur influance fauorable au peuple,
& de croire que suiuant l’opinion de ces Anciens,
qui croyoient que les Astres tiroient leur
nourriture des fumées des Cieux & de la terre.

 

Les Princes tirent leur puissance de la bienveillance
& de la faueur des peuples ausquels ils
sont obligez de rendre par cette loy des bienfaits
pour de bonnes volontez & des effets pour
des desirs. Ainsi voyant cette parfaite vnion des
cœurs de tous mes suiets qui sont à present troublez
d’inquietudes & de craintes, ie verseray plus
de larmes deioye que ie n’en verse à present de

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douleur, & si mon Roy se tient esloigné de moy
ie plaindray moins le mal-heur de son absence,
ayant chez moy plusieurs Princes dignes
de l’estre & dont la valeur trouue à peine des éloges
dignes d’elle dans les plus belles expressions
de nostre langue & le genie des plus beaux esprits.

 

FIN.

Fautes suruenues en l’impression.

Page 4. ligne 14. lisez fut quelque temps. ligne 15.
& 16. lisez sur elle de toutes parts

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