Anonyme [1652], OBSERVATIONS PIEVSES, SVR LA MORT DE LA MARESCHALE D’ANCRE. Faisant voir qu’elles sont les causes de la guerre: & les voyes qu’il faut tenir pour bien-tost arriuer à vne bonne & solide Paix. , françaisRéférence RIM : M0_2569. Cote locale : B_16_24.
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OBSERVATIONS
pieuses sur la mort de la
Mareschale d’Ancre,

Faisant voir quelles sont les causes de
la guerre : Et les voyes qu’il faut
tenir pour bien-tost arriuer
à vne bonne & solide
Paix.

LE PARLEMENT DE PARIS
est monté, par l’auantage de sa situation
à vn si haut degré de gloire,
qu’il surpasse infiniment en dignité
& en splendeur toutes les autres
compagnies du Royaume ; & bien
que son ressort soit limité, & que
l’authorité qu’il exerce doiue estre tousiours dependante
de celle de nostre commun Monarque qui en
est la source, le principe & le tout ; il en vse neantmoins
auec vn tel Empire, qu’il oblige les autres
Parlements par vne entreprise nouuelle & fatale à
l’Estat, à se conformer à ses Arrests : le Roy, à les
confirmer pàr des Declarations solemnelles, & vniuersellement
tous les peuples d’y obeyr, & d’en poursuiure
à main armée l’execution contre ceux qui veulent
y faire quelque resistance. Voila l’estat present

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de ce supresme corps, lequel ne sçauroit estre trop
puissant s’il estoit tousiours iuste ; mais comme il est
composé d’vne espece de Dieux qui sont mortels, &
par consequent pecheurs de leur propre nature : Il est
tres-difficile d’empescher que la corruption ne se glisse
par fois dans leur Sacré Conclaue, mesmes depuis
que la Porte dorée en a esté ouuerte par la venalité
des Offices ; & nous ne deuons pas nous estonner si
lors qu’il arriue que ces Souuerains Dispensateurs
de nos vies, de nostre honneur, & de nos fortunes,
se relaschent à commettre quelque grande iniustice,
dont l’execution est si prompte, si absoluë & si preiudiciable,
qu’elle ne peut estre humainement reparée,
Dieu la venge par des peines temporelles, dans
lesquelles les innocens se trouuent enuelopez de
mesme que les plus coulpables, cela se fait auec vn
ordre tousiours iuste, & que nous deuons croire estre
tel, bien qu’il nous soit inconnu, & si cette vengeance
nous donne quelques interuales de repos apparent :
N’esperons pas neantmoins de jouïr d’vne vraye
& solide Paix, iusqu’à ce que la Iustice de Dieu soit
satisfaicte, & sa misericorde fleschie par vne humble
reconnoissance de nos fautes, suiuie de nostre conuersion,
d’vne veritable penitence, & de la restitution
de l’honneur & des biens rauis par cette injustice.

 

Celle de laquelle nous entreprenons de parler, a
fait vne playe qui tousiours saigne depuis trente-cinq
ans, elle ne peut estre representée sans donner de
l’effroy à toutes les ames sensibles aux mouuemens
de la Raison, de la Pieté, & de la Iustice que Dieu
met en chacun de nous ; C’est la prodigieuse condemnation
& execution à mort de la personne de
deffuncte Eleonor Dory Galigai, vefue du Mareschal
d’Ancre, ordonnée par Arrest du 8. Iuillet 1617.

Son mary auoit esté tué le 24. Auril de la mesme

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année dans le Chasteau du Louure, en suitte du commandement
fait par le feu Roy Loüis le Iuste de tres-glorieuse
memoire, au sieur de Vitry Capitaine des
Gardes de l’arrester prisonnier, lequel sieur Vitry s’estant
mis en deuoir d’executer ce commandement, &
le Mareschal ayant voulu faire de la resistance auec
ceux de sa suitte ; il fut tiré quelques coups, d’aucuns
desquels il fut porté mort par terre, ainsi que sa Majeste
le declara dés lors par ses Lettres, sur ce sujet,
aux Gouuerneurs des Prouinces, de sorte que cette
action doit estre reuerée de tous vniuersellement
auec vn Religieux silence.

 

Mais il y a dequoy s’escrier contre l’injustice de ce
mesme Arrest, lequel declare ce Mareschal de mesme
que sa vefue, attaint & conuaincu de crime de leze
Majesté, Diuine & humaine, condemne sa memoire
à perpetuité, confisque ses biens, declare l’enfant né
de leur mariage innoble, & incapable de tenir Estats,
Offices & dignitez en ce Royaume : Ordonne que la
Maison en laquelle il demeuroit pres le Louvre seroit
razée & demolie.

Tout le monde sçait bien que le Mareschal d’Ancre
auoit esté chargé de la haine publique contre luy excitée,
par les Princes & Seigneurs mescontens du
gouuernement, lesquels s’estoient absentez de la
Cour, & auoient leué diuerses fois les armes pendant
la minorité & le bas âge du feu Roy, l’inhumanité
prodigieuse qui fu exercée sur son corps mort par la
populace de Paris, en est vne preuue fort funeste.

Mais quelque decry qui ait esté fait contre sa conduitte,
l’on n’a iamais mis en auant, que luy ny sa
femme fussent criminels de leze Majesté, Diuine &
humaine : Et quoy qu’il ait esté fort aisé de fabriquer
apres sa mort telles procedures qu’on a voulu, auec
vn Procureur ordonné son Curateur, par la Cour, il
ne se trouuera neantmoins pas qu’il y ait aucune conuiction

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du crime de sortilege, magie, ou autre qui
puisse estre pris pour crime de leze Majesté Diuine
& humaine, il est neantmoins certain que les peines
ordonnées par cét Arrest ne peuuent estre appliquées
que pour la punition ou reparation de tels
crimes.

 

Il est aussi remarquable qu’au mesme temps que cét
Arrest fust sorty du Tribunal des hommes, & comme
on le prononçoit à cette Dame innocente, Dieu par
sa bonté infinie fortifia son cœur d’vne grace tout à
fait surnaturelle, il fit luire sur son visage des rayons
qui attiroient les yeux & l’admiration de tous les
spectateurs, il fit aussi sortir de sa bouche des paroles si
iustificatiues de son innocence, qu’elle confondoit les
Doyen & sous Doyen du Parlement ses Commissaires,
& les autres Ministres de Iustice : Mais pour
marque indubitable de sa predestination bien heureuse,
il luy inspira des sentimens si Chrestiens, des
mouuemens de Foy, Esperance, & Charité, si vifs &
si animés, auec des paroles tellement remplies de
l’esprit de Dieu, que les quatre Docteurs de Sorbone,
choisis pour l’assister en cette derniere extremité en
estoient tous épris d’admiration.

L’on croyoit qu’il seroit impossible de la sortir de
la Conciergerie du Palais, pour la conduire au lieu
de son supplice, sans qu’elle fust au mesme temps enleuée
par le peuple, & son corps deschiré & traitté
auec les mesmes inhumanitez qui auoient esté exercées
sur celuy de son mary : Mais il arriua au contraire,
que dés l’instant qu’elle fust exposée aux yeux du
peuple, il se trouua rauy en admiration par l’éclat de
cette nouuelle grace que Dieu auoit mis sur son visage :
Tout le monde luy donnoit des benedictions, &
il n’y eust point de coeur si endurcy dont la sensibilité
ne fust manifestée par le debordement des larmes qui
sortoient des yeux d’vn chacun : Elle fut conduite en

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cét estat en la Place de S. Iean en Greve, & monta
sur l’echaffaut, preparé pour son supplice, auec plus
de grace & de gayeté, qu’elle n’en auoit iamais fait
paroistre aux actions de la plus grande rejouyssance,
dans la Place que sa qualité & la faueur luy auoient
autresfois donné sur les marches du Throsne de la
Royauté ; elle presenta son col au gleue ; elle eust la
teste tranchée, son corps & teste furent bruslez & reduits
en cendres suiuant l’Arrest.

 

Mais, ho ! merueille de Dieu, apres que tout fust
fait & le feu entierement esteint, il arriua vn homme
lequel estant entré dans cette Place, s’arresta au lieu
du supplice, & releua vn os resté entier du corps de
ceste bonne creature, & sans se diuertir l’aporta auec
veneration iusqu’à la porte du Conuent des Carmes
Deschaussez, qui est en vne des extremitez du Fauxbourg
S. Germain, où estant arriué enuiron sur les
dix heures de la nuict : La porte luy ayant esté ouuerte,
il dit au Pere Portier qu’il auoit esté inspiré de
Dieu d’aller receüillir à la Place de Greve cét ossement,
resté du corps de la saincte Personne, qui y
auoit esté ce iour-la bruslé, lequel ossement suiuant
cette mesme inspiration il deposa entre les mains de
ce Pere, le chargeant de le remettre és mains de son
Superieur, & luy recommander de la part de Dieu
de le faire enterrer en leur Eglise, au lieu qu’ils iugeroient
estre le plus propre : mais cét homme ne tesmoigna
point vouloir parler au Pere Superieur, ny
declarer son nom, ny se faire connoistre par aucune
autre circonstance, sinon qu’il dit n’auoir point assisté
au supplice, n’en auoir ouy parler à personne, & que
c’estoit là, la seule affaire qu’il auoit à Paris, ce qui
fit croire à ce Pere que c’estoit vn esprit du Paradis,
reuestu de forme humaine.

Neantmoins ces bons Religieux tindrent cette
action fort secrette, ils n’en parlerent que par occasion

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à quelques vns de leurs particuliers amis, la
prudence humaine vouloit cela & leur faisoit craindre
la puissance lors encor naissante du sieur de Luynes,
qui dés l’instant de la mort du Mareschal s’empara
de tous ses biens au moyen du don qui luy en
fut fait par sa Maiesté, il prit aussi en main le timon
de l’Estat auec vne authorité absoluë & independante,
sa Maiesté se reposant entierement sur luy.

 

C’est aussi ce qui fit la condemnation, tant de la
memoire du defunt Mareschal que de la personne de
sa femine, & la confiscation de tous leurs biens dont
le sieur de Luynes estoit desia en pleine possession, &
sa nouuelle faueur estoit tellement considerée, que les
Iuges se laisserent persuader à faire ce qu’il desira à la
seule sollicitation qui fut faite de sa part par le Collonel
d’Ornano enuoyé à cét effet de Fontaine-bleau,
où la Cour estoit lors.

Le succés de la sollicitation de ce Colonel fut bientost
apres recompensé de la charge de Gouuerneur
de Monsieur Frere vnique du Roy, & de celle de
Mareschal de France ; le sieur de Vitry fut aussi recompensé
de la charge de Mareschal de France, dés le
iour qu’il fit son execution, & bien tost apres de celle
de Gouuerneur de la Bastille & Conciergerie de la
personne de feu Monsieur le Prince de Condé qui y
estoit lors retenu prisonnier ; Et parce qu’il ne pouuoit
pas continuellement vacquer à cette garde, il la
confioit aux sieurs du Hallier, & Persan ses frere &
Beufrere par luy aussi employez à cette funeste capture.

Mais bien que le sieur de Luynes eust par le moyen
de cette condemnation, l’entier effet de son desir. Il
ne fut neantmoins pas satisfait du Parlement, à cause
que dans le nombre des Iuges plusieurs furent d’auis
de sauuer la vie à cette pauure innocente & la renuoyer
en son pays, de sorte que voulant aussi faire

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perir le sieur Barbin qui auoit eu lentiere & absolue
direction des Finances sous l’authorité du deffunct
Mareschal, il fit attribuer par commission du Roy
l’instruction & iugement de son procés au grand Conseil,
Mais cette illustre Compagnie apres vne tres
exacte discution de l’affaire rendit son Arrest par lequel
Barbin fut condamné a quelque amende pecuniere
seulement dequoy le sieur de Luynes n’estant
pas content, il luy fit passer dans la Bastille la meilleure
partie du reste de ses iours.

 

Mais ne nous egarons pas considerons sans aucune
preuention desprit les accidens qui ont suiuy la
condamnation de la Mareschale d’Ancre, pour connoistre
s’il y a lieu de croire quelle peut estre la cause
de la guerre & des calamitez que nous souffrons depuis
si long temps ! Ce qui est rapporté cy dessus de
la transslation & enterrement d’vn de ses os ne doit
pas estre pris pour vne chose indifferente non plus
que ce qui est dit de ses belles dispositions à la mort.

Mais que dirons nous de l’incendie du Palais, siege
ordinaire du Parlement, où elle auoit esté iugée, le
feu y prit le septiesme de Mars ensuiuant cette condemnation
sur les deux heures apres minuict auec vne
telle vehemence, qu’il brusla presque entierement
cet admirable ediffice. Et ce qui augmente l’estonnement
c’est que lon n’a point encor sçeu decouurir
d’où peut estre procedé vn tel malheur ; les vns disent
qu’il prit origine d’vn feu lent & couué dedans quelque
cheminée ioignante au mur de la grande sale,
ou bien dans quelque Boutique de Marchand ; d’autres
conjecturent qu’il y auoit esté mis par artiffice de
poudre & fusées pour faire sauuer certains prisonniers
de la Conciergerie durant la confusion & le
trouble qu’apporteroit l’embrasement, mais plusieurs
ont creu auec beaucoup de vray-semblance, que cestoit
vn feu purement surnaturel & tombé du Ciel

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equel a voulu par vn accident si estrange & inoüy
manifester l’injustice de ceste condamnation extraordinaire.

 

La grande comette qui apparut sur la Ville de Paris
le 28. Nouembre en suiuant, & qui a esté prise par
tous les Astroloques pour le signe fatal de toutes les
guerres & desolations qui despuis ce temps la ont
affligé & affligent la France & les autres Estats voysins,
peut estre aussi prise pour vn signe de la colere
de Dieu allumée par ceste iniustice.

Mais en voycy encor vn indice bien sensible,
c’est qu’au mesme temps que le procés fust iugé la
diuision commença à se former entre la France &
l’Espagne ; car le Roy voyant que l’Espagnol s’estoit
fort auancé dans le Piedmond prés à mettre le
siege deuant la Ville d’Ast, à deux iournées de Thurin,
& qu’il tenoit desja Verseil, l’vne des plus belles
piecces que le Duc possede de ce costé là : Sa Majesté
y enuoya nombre de Trouppes sous la conduitte du
Comte d’Auuergne pour forcer le Roy d’Espagne &
le Gouuerneur de Millan de rendre à ce Duc ce qui
luy auoit esté pris.

En ce mesme temps le bruit courut en France que
le corps de ceux de la Religion pretenduë reformée
vouloit prendre les armes pour authoriser la reuolte
de Bearn : Ce bruit ne fut pas en vain, car on est venu
aux effets par les guerres qui se sont ensuiuies.

Voila de puissantes coniectures, lesquelles estant
bien considerées, peuuent nous donner vne raisonnable
persuasion que Dieu se tient offencé de cette
iniuste condamnation, & ce qui en peut fortifier encor
la croyance, c’est qu’en ce temps là commença
aussi la diuision de la Maison Royale, qui est encor
auiourd’huy le plus grand de tous nos maux, & l’vnique
obstacle à la conclusion de la Paix.

La Reyne Mere fust exilée, & euuoyée à Blois où
elle estoit tenuë comme prisonniere : mais elle trouua

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moyen d’en sortir par le secours du feu Duc d’Espernon :
Et cette sortie fut suiuie d’vne guerre qui se
termina par vn traicté fait à Angoulesme : Peu de
temps apres vne autre guerre fut aussi entreprise à son
occasion, laquelle prist fin par le traicté du Pont de
Cée. Mais cette grande Princesse fut encor du depuis
releguée & tenuë comme prisonniere par le Mareschal
d’Etrée dans Compiegne, d’où ayant trouué
moyen de sortir, elle a esté reduite à aller chercher la
seureté de sa personne, & sa subsistance en diuers païs ;
& est enfin morte à Cologne dans vne Hostelerie
destituée de toutes sortes de moyens, & commodités
temporelles, bien qu’elle fust Mere de trois Rois
les plus puissans de la terre, & d’vn Prince Souuerain
qui ne cede rien aux autres Roys.

 

N’est ce pas vn grand prodige, il doit d’autant plus
augmenter nostre estonnement, si nous considerons
tous les inutiles efforts que Monseigneur le Duc
d’Orleans a fait durant plusieurs années & à diuerses
reprises pour combatre le mauuais destin de la Reyne
sa mere. Nous y verrons aussi les grandes extremités
ausquelles il s’est trouué reduit luy-mesme par cette
entreprise, bien qu’elle fust selon l’apparence, assistée
de toutes sortes de droicts.

Nous ne pouuons aussi considerer tous les moyens
qui ont esté employez enuers Dieu & enuers les
hommes pour obtenir la Paix, les prieres publiques
& particulieres, les ieusnes & les processions, auec
la descente & Translation des sainctes Reliques de
nos Patrons & Patronnes faites aussi à cette fin, sans
reconnoistre que Dieu demande encor de nous quelque
chose, à quoy nous n’auons pas pensé, iusqu’à
cét heure ; ce n’est pas la reuision du procez, elle seroit
superfluë & hors de saison, l’iniquité de l’Arrest
est euidente : Il n’est point besoin d’employer les formalitez
ordinaires pour le destruire ; Mais il est fort

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probable que la Iustice de Dieu veut estre satisfaire
par vne celebre Declaration de l’innocence de cette
Dame iniustement condamnée, laquelle sera publiée
& registrée dans toutes les Cours de Parlement, Seneschaussées,
Bailliages, & autres Iurisdictions
Royales, auec des solemnitez extraordinaires, par
lesquelles la memoire de cette Dame soit non seulement
reparée, mais aussi renduë honorable à la posterité :
Apres quoy Monseigneur l’Archeuesque &
Monsieur l’Abbé de sainct Germain des Prez, auiseront,
s’il leur plaist auec leur Conseil, s’il y a lieu de
deterrer & visiter, auec les ceremonies au cas requises,
l’ossement qui a resté de l’incendie de son corps,
& d’ordonner des deuotions pour obtenir de Dieu la
cessation des maux qui nous sont causez par cetre
mal-heureuse condamnation ; le tout à la diligence
& aux frais de celuy qui en possede les biens iniustement
confisquez : Et attendu que l’enfant à qui ils
appartenoient de droict est mort dans l’extreme misere
en laquelle il fut precipité par la cruauté de cet
Arrest, & qu’il n’a laissé aucuns parens en France qui
puissent les pretendre & reclamer ; le detempteur de
ces mesmes biens sera exhorté d’employer la valeur
de ce qui luy en restera au soulagement de tant de miserables
personnes qui ont esté ruïnez & reduits à
mandicité par le desordre de la guerre : C’est vn Seigneur
de grand merite ; Il fait profession d’vne pieté
extraordinaire ; la verité de cette Histoire luy estant
connuë, il sera sans doute bien aise de sacrifier ainsi à
Dieu cette partie de ses biens, laquelle estant retenuë
plus long-temps auec iniustice, pourroit enfin comme
vn mauuais leuein corrompre & consommer toute
la masse.

 

Et comme nous sommes tous pecheurs & criminels
deuant Dieu, & que chacun de nous peut auoir
allumé sa colere & attiré les maux dont tant de personnes

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sont affligees, il faut qu’outre les deuotions
qui se font en general chaque particulier se mette en
deuoir de satisfaire à la Iustice diuine, & que se considerant
comme seul coupable & l’vnique cause de
toutes les miseres publiques, il tasche par des dignes
fruits de Penitence de meriter nostre commun soulagement,
& sur tout par la restitution de l’honneur &
du bien d’autruy, estant tres-asseuré que tous Arrests
ne sont pas iustes, & qu’ils ne seront pas tous receus
comme des tiltres valables pour authoriser nos pocessions
deuant le tribunal de celuy qui iugera les
iustices des hommes.

 

Enfin, Messieurs du Parlement sont si genereux &
siequitables, ils sont tellement amateurs du salut de
leur patrie, & si bons Peres du peuple, qu’ils voudront
bien en cette occasion imiter le bon Roy Dauid,
ce grand Maistre de la Fronde, lequel voyant
que pour vn seul de ses pechez, l’Ange du Seigneur
auoit desia fait mourir de peste septante mil de ses
plus vigoureux sujets, & qu’il estendoit sa main pour
renuerser & destruire tout Ierusalem, s’escria, disant,
Ego sum qui peccaui ego inique egi : isti qui oues sunt,
quid, fecerunt vsrtatur obsecro, manus tua contra me,
& contra domum patris mei : Ces paroles fleschirent
nostre Seigneur à commiseration, & luy firent dire
à son Ange, sufficit nunc continuè manum tuam ; (C’EST
ASSEZ RETIENS TA MAIN.) Apres quoy
Dauid ayant par l’ordre du Prophete Gad edifié vn
Autel à nostre Seigneur, & offert ses Sacrifices & holocaustes
Pacifiques, Propitiatus est Dominus terræ,
& cobibita est plaga ab Israël.

Messieurs du Parlement, voila vn grand exemple,
faites en vostre profit & le nostre sans aucune remise ;
Il est croyable qu’il ne reste plus parmy vous aucun
de ceux qui ont iugé cette Dame innocente : mais
vous remplissez leurs places, vous estes leurs successeurs,

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& en quelque façon tenus de leurs faits &
actions de cette qualité ; il est question de satisfaire à
la Iustice de Dieu, en vous humiliant deuant luy,
vous vous preparez vn chemin à la gloire, & vous
declarans criminels en cette maniere, vous deuenez
iustes, & arrestez le cours des vengeances que Dieu
exerce sur vous & sur nous, pour l’iniquité de vos
Peres.

 

Mais considerez, s’il vous plaist, que comme ils
ont fourny la matiere & la premiere cause de la guerre ;
vous en auez aussi donné & administré le pretexte
à ceux qui l’ont entreprise : Lesquels, bien que poussez
de leur interest & de leur ambition, declarent
neantmoins & protestent publiquement qu’ils n’ont
pris les armes, qu’ils n’ont fait alliance auec les ennemis
de l’Estat, n’y fait venir l’Armée Espagnole, &
les autres troupes Estrangeres qui ruinent tout le
Royaume, qu’afin seulement d’en chasser le Cardinal
& Ministre d’Estat, que vous auez proscript par vos
Arrests, & la vie duquel vous auez mise à prix, pour
en faire la recompense des plus execrables assassins.

Non contens d’auoir offensé le Roy par cette criminelle
entreprise, sur son authorité vous auez voulu
luy faire encore cette iniure de profaner son tres-Auguste
Nom, en l’employant dans vos iniustes
Arrests, vous y faites vn continuel recit de la Declaration
du sixiesme Septembre dernier, comme si c’estoit
vn acte libre, emané de sa volonté & de sa Royale
Iustice : Mais, ô l’infame chicane, & la grossiere
illusion, tout le monde ne sçait-il pas que cette piece
est vostre propre ouurage, & que vous l’auez faite &
forgée, telle quelle est apres plusieurs assemblées &
deliberations prises entre vous sur ce sujet. Vous l’auez
enfin exigée de leurs Majestez auec violence,
comme le prix de leur rançon, apres les auoir tenuës
renfermées, & comme prisonniers dans Paris durant

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vn long-temps, c’estoit le passeport sans lequel elles
ne pouuoient pas auoir la liberté de prendre l’air de
la campagne apres la publication de la Majorité du
Roy.

 

Sa Majesté a par plusieurs actes autantiques, & auec
vne constance vrayement Royale reuoqué cette Declaration,
elle maintient auec iustice son Ministre,
contre l’enuie & la haine de ses mauuais Subjets ; Elle
s’en sert auec grande raison en ses conseils, dans lesquels
il a esté estably par le feu Roy son pere, apres
vne longue experience de sa fidelité & de ses autres
qualitez qui le font vn accomply Ministre d’Estat.

Et parce que vous ne pouuez pas maintenant entreprendre
sur la liberté de sa Majesté, vous estes assez
hardis pour declarer qu’elle en est priuée : Et sous cette
fiction, laquelle pour estre puerille, inépte & fade,
n’est pas moins punissable, vous entreprenez de l’interdire
en l’exercice de son authorité pour la transferer
à vne pretenduë qualité de Lieutenant General
faite & formée à vostre mode par vn horrible & damnable
attentat.

Vostre Corps est composé en partie des premiers
& plus illustres Magistrats de tout le monde, le Roy
les connoist, & les gens de bien les honorent selon
leur merite ; mais leur nombre n’est pas le plus grand,
celuy des factieux, c’est à dire le vostre. Messieurs
les Frondeurs les surpasse de beaucoup, & depuis
qu’en suitte de vostre fatale vnion auec les autres
Compagnies de Paris, vous vous estes ingerez dans la
connoissance des affaires de l’Estat, vous auez toûjours
preualu & fait les Arrests qui ont produit la
guerre & toutes les calamitez qui nous acablent.

Mais sçachez Messieurs, Nosseigneurs & nos Maistres,
que vous n’estes point Legislateurs, vous estes
seulement auec tous les autres Corps de Iustice, les
depositaires des Loix, & n’auez autre pouuoir pour

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les faire obseruer, que celuy qu’il plaist à sa Majesté
de vous commettre, vous n’en auez aucun par vous
mesme, & ne pouuez en aucun cas prendre connoissance
du gouuernement de l’Estat.

 

C’est pourquoy vous deuez au plustost & sans attendre
l’entiere subuersion du Royaume, reuoquer
tous les Arrests que vous donnez par entreprise sur
l’authorité Royale, ou du moins en sursoir l’execution,
iusques à la prochaine assemblée des Estats generaux,
par l’aduis desquels sa Majesté pouruoira, s’il
luy plaist, à la reformation de l’Estat, & fera les Reglemens
qu’elle iugera estre necessaires à la conseruation
de son authorité, & au commun bien de ses
Subjects.

Ces expediens sont equitables, ils sont faciles, honorables
& Chrestiens, si sans vser de vostre ordinaire
chicane, vous les mettez en pratique, vous faire
incontinent tomber les armes des mains de ceux qui
disent ne les auoir prises que pour fauoriser l’execution
de vos Arrests. L’Armée Espagnole & les autres
Trouppes estrangeres retourneront de leur propre
mouuement & sans contrainte dans les lieux d’où elles
sont veuuës. Dieu sera seruy, le Roy obey, & aymé
de tous ses Subjets, le Maison Royale sera dans
vne parfaite vnion, la Iustice reprendra son libre
exercice, auec sa legitime authorité, le Commerce
sera restably, l’Agriculture & toutes les autres choses
seront remises dans leur train ordinaire & bien
reglé. Voila enfin le grand chemin Royal par lequel
vous pouuez & deuez nous bien-tost mettre en possession
d’vn bonne & solide Paix.

FIN.

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