Anonyme [1649], NOVVELLE EXTRAORDINAIRE, TOVCHANT L’ESTAT PRESENT DES AFFAIRES DV ROY de la Grand’Bretagne. AVEC DEVX HARANGVES ELOQUENTES & Zelées, sur le dessein de venger le meurtre du Roy defunt, & asseurer le Roy d’apresent dans ses Estats. L’vne prononcée par le Cheualier Richard Blaque de la part de l’Assemblée des trois Estats du party Catholique d’Irlande: Et l’autre par Monseigneur le Marquis d’Ormond, Vice-Roy du mesme Royaume. , françaisRéférence RIM : M0_2548. Cote locale : C_6_37.
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NOVVELLE EXTRAORDINAIRE
Touchant l’estat present des affaires du
Roy de la Grand’Bretagne.

C’est vne maxime receuë dans la politique aussi
bien que dans la nature, que la corruption d’vne
chose est la generation de l’autre ; & que comme
la tempeste est le prognostic & presque la cause
de la bonace, de mesme les de sordres & la guerre produisent
d’ordinaire la paix & l’vnion, & le dernier pas qui conduit
au faiste de la fortune, est le pas glissant qui precipite les
ambitieux dans le neant & dans l’infamie.

L’authorité Royale n’est pas si-tost tombée en Angleterre
qu’elle se releue en Irlande, & le Roy n’est pas encore
monté sur l’eschaffaut pour y perdre la vie & la Couronne
par des mains sacrileges & barbares, que des cœurs
fideles & plus Chrestiens le font remonter sur le throsne,
vengent sa mort, & restablissent sa gloire.

Le Marquis d’Ormond Vice Roy d’Irlande partit de
France sur la fin de l’Esté passé, Et sans autres armes que sa
prudence & l’authorité d’vn Roy prisonnier, entreprend
d’appaiser vne guerre Ciuile de huict ans, & d’vnir dans
vne paix generale plusieurs partis diuisez d’interest & de
Religion, & qui auoient tous des armées sur pied.

Le party predominant estoit celuy des Catholiques, que
les interests particuliers auoient toutesfois diuisé ; l’autre
party estoit celuy des Protestans, autrement des Royalistes,
& le troisiesme des Parlementaires.

La premiere & principale vnion à la quelle ce sage & vaillant

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Vice-Roy a trauaillé auec heureux succez, a esté celle
des Protestans & des Catholiques, à la reserue d’vn petit
nombre, comme j’ay desia dit, commandé par le General
Owen Roë, que l’on croit pourtant auoir acquiescé à la
paix, depuis la nouuelle du parricide execrable de leur Roy,
qui est le principal motif de leur paix & de leur vnion.

 

Tellement que l’armée du Roy est à present de dix-huict
mille hommes de pied, & de quatre mille cheuaux effectifs.
L’on espere aussi que les forces Parlementaires commandées
par le Colonel Iones & le Colonel Monke, qui ne sont
que de cinq à six mille hommes dans les garnisons de Dublin,
de Tredah, de Belfast, de Knocfergus & de Colraine,
pour ne pas sembler approuuer le procedé de Fairfax, lequel
a aussi violenté le Parlement d’Angleterre, de qui ce
party là releuoit, ou se soubmettront à cette paix, ou bien
y seront forcez si ils n’aiment mieux perir. Veu principalement
que le Prince Robert, que sa valeur a fait assez cognoistre
en France dans la plus chaude de nos campagnes,
& qui se peut nommer à iuste tiltre le Mars de l’Angleterre,
est arriué en Irlande auec la flotte de sa Majesté Britannique,
apres auoir fait prise de plusieurs vaisseaux sur les ennemis,
en passant de Hollande en ce Royaume-là.

Et crainte que quelques Catholiques scrupuleux, ne
creussent que la Religion Catholique n’a pas rencontré
tous ses aduautages dans cette paix & vnion, qui a terminé
vne guerre de huict ans pour le moins, qu’ils ont soustenuë
auec beaucoup de valeur & de constance pour la défense
de la Religion Catholique. I’ay bien voulu inserer icy ces
deux Harangues, l’vne de Monseigneur le Marquis d’Ormond
Vice-Roy d’Irlande, & l’autre du Cheualier Richard
Blaque, faite au nom de l’Assemblée generale des
Catholiques, à Kilkenny en Irlande cette année 1649.

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HARANGVE DE MONSEIGNEVR
le Marquis d’Ormond Vice-roy d’Irlande,
dans l’assemblée des Catholiques de ce Royaume
là, sur la conclusion de leur paix, & leur
vnion pour venger la mort de leur défunt Roy,
& asseurer le nouueau dans ses Estats.

MESSIEVRS,

Ie ne respondray rien aux tesmoignages de fidelité & de deuoir,
que ce Gentilhomme qui a esté l’Interprete de vos sentiments,
à representé auec tant d’eloquence : puisque sa Majesté
y a respondu par des reconnoissances solides, & des marques
d’affection qui passent mesme vostre attente : Car outre
que sa Majesté vous a mis à l’abry des craintes les plus esloignées
de la seuerité de certaines loix, elle vous a accordé, par
vn surcroist de bonté, des Priuileges & des libertez qui passeront
iusques à vostre posterité Par ces articles sa Majesté ne
vous a pas laissé seulement, mais vous a donné encore les
moyens d’acquerir tout ce que la fortune & l’honneur ont
d’auantageux, de façon que vous joüissez à present de tout
ce qui est capable de contenter des personnes raisonnables, &
si de plus il n’y a point de bornes prescrites à vos esperances ;
Mais plustost vous estes conuiez, ou (pour suiure la nouuelle
façon de parler, appliquée à vn plus ancien & meilleur sujet)

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il semble que vous, soyez appellez du Ciel, pour employer vos
armes & vostre courage dans la cause la plus juste, & la plus
illustre qui fust iamais : Car si vous examinez toutes les circonstances
qui rendent vne guerre legitime, vous trouuerez que
celle-cy les possede toutes, pour ne pas dire qu’elle les possede.
La Religion, non pas reduite dans ces definitions serrées,
par les differens moyens que nostre siecle a inuentez ;
mais la Religion Chrestienne est le fondement de vostre querelle,
laquelle certes est autant ou plus esbranlée par les impietez
& libertinages de ce temps, qu’elle ne fust iamais par
les plus barbares & les plus declarez ennemis du Christianisme.
Les Loix fondamentales & les Constitutions venerables
de vos Ancestres, sont foulées aux pieds d’vne troupe de
scelerats, qui ne sont notables que par leurs crimes & par leurs
impietez.

 

Les nouueaux
Sectaires en Angleterre croyẽt
que toutes leurs
actions leur
sont inspirées
du Ciel, & se
[1 lettre ill.]eiuent ordinairement
de cette façon de
parler.

La personne sacrée du Roy, l’ame de ces Loix & le chef de
ces Constitutions, souffre vne prison ignominieuse, & sa vie
est menacée par les mains sacrileges des plus infames de ses sujets ;
de façon que vostre querelle passe de l’honneur à l’interest,
puisque la source de ces bien-faits que vous venez de reconnoistre,
& de ceux que vous pouuez esperer de nostre
paix & de vos merites, courre danger de se tarir par le
parricide execrable du meilleur & du plus iuste de tous les
Roys.

Pour tout dire en vn mos, l’Enfer ne sçauroit rien adiouster
à l’enormité du crime, qu’ils projettent ouuertement. Et jugez
de là, si iamais la iuste vengeance eust vn champ plus vaste
& plus glorieux. Disposez-vous donc à y entrer, & receuez
ce peu d’aduis d’vne personne embarquée entierement auec
vous dans la mesme fortune.

Premierement, MESSIEVRS, je vous diray que dans cette
action cy (comme dans toutes les autres qui regardent la pieté)
il se faut armer de charité, mais d’vne charité capable d’effacer
toute la rancune, qu’on pourroit auoir contractée dans
vne longue guerre ciuile contre ceux qui s’offriront de con
tribuer à l’accomplissement d’vne resolution si saincte & si glorieuse :
& que l’embarquement de qui que ce soit, vous serue

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d’vn lien d’vnion, d’amour & de concorde, plus fort, que les
plus sensibles attachemens de la nature.

 

En second lieu, prenez vne ferme resolution de considerer
ceux, qui voudront faire naistre des jalousies & partialitez dans
vos esprits, sous quelque pretexte que ce soit, comme des ministres
de l’Enfer, employez à l’aduancement de cét enorme
projet qui sape la Religion & la Monarchie, & qui tend à nous
rendre esclaues de ceux qui le sont de leur ambition & de leur
auarice.

Bannissons au plustost & le plus loin de nous que faire se
pourra, ces distinctions de nations & de partir, qui sont les
champs où le puissant ennemy de la paix seme la zizanie & la
discorde.

En dernier lieu, despoüillons nous de cette ambition anticipée
& ridicule, de cét interest propre, qui nous conduiroit
plustost à la ruïne generale dont on nous menace, que non
pas à la possession de quelques aduantages souhaitez hors de
saison.

Et s’il arriue que vous souffriez quelque incommodité des
leuées de deniers qu’on pourra faire. Considerez combien il y
auroit de honte de laisser perir vne bonne cause, manque d’vn
support si peu considerable, & combien de folie de nous conseruer
comme des victimes grasses & dorées, pour estre immolez
à l’auarice & à l’insolence de nos ennemis.

Si nous entrons dans la lice auec ces bonnes dispositions,
il ne faut point douter que Dieu ne couronne nos efforts de
bons succés & de victoire, ou n’adoucisse nos souffrances de
patience & d’honneur. N’y aura-t’il pas de la gloire (si Dieu
l’a ainsi determiné) de nous enseuelir dans les ruïnes d’vne
ancienne Monarchie ? & qui manquera de patience pour souffrir
auec des Princes opprimez ? mais que nos prieres soient
aussi feruentes que nos desseins, pour obtenir de Dieu qu’il les
deliure de la plus effroyable rebellion qui fust iamais, & qui
est montée au faiste de la fortune & de l’insolence.

Enfin, MESSIEVRS, il faudroit que ie vous remerciasse
des reconnoissances aduantageuses que vous m’auez faites, du
peu que i’ay contribué à cét heureux accommodement, mais

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ie vous confesse que mon esprit estoit tout à fait attaché à ces
matieres importantes & publiques. Il suffira que ie vous die,
que ie fais grand cas de vostre estime & de vos affections, &
que pour m’en rendre digne, il n’y a point de danger que ie
ne courre, ny de trauaux que ie n’estime legers, si ie puis vous
tesmoigner le zele que i’ay pour cette cause, & m’acquitter
d’vne partie de ce que ie dois au bien & à la gloire de ce
Royaume.

 

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HARANGVE DES TROIS ESTATS
du party Catholique du Royaume d’Irlande,
addressée à Monseigneur le Marquis d’Ormond,
Vice-Roy de ce Royaume-là.

MONSEIGNEVR,

Le Clergé, la Noblesse & le tiers Estat du party Catholique
d’Irlande, maintenant assemblez dans cette ville de
Kilkenny, m’ont commandé de vous representer que le
zele qu’ils ont naturellement graué dans le cœur pour le
seruice de sa Majesté, n’eust iamais plus d’ardeur ny plus
d’impatience qu’à present ; Et qu’en toute occasion ils donneront,
comme ils ont tousiours fait, des marques du deuoir
& de la fidelité que des subjets doiuent à leur Souuerain.

En second lieu, MONSEIGNEVR, ils m’ont commandé
de vous asseurer de leurs tres-humbles affections, & de
vous tesmoigner qu’ils seront à iamais sensibles de cette importante
obligation, par laquelle vous auez rejoint & vny,
non sans d’illustres efforts, toutes les parties de ce Royaume,
dont nos troubles auoient fait vne sanglante dissection.

Les Capitulations, accommodements & surceances, qui
se sont faites cy-deuant, n’ont seruy qu’à recouurir d’vne
peau trompeuse ces playes larges & profondes, qui ont
affligé, & qui saignent encore dans tout le Corps de
cét Estat.

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Ces foibles acheminemens ne reçoiuent ny vie, ny perfection,
& auortoient comme vn embrion, peu de temps
apres qu’on les auoit conçeus : c’estoit des feux de paille
qui auoient plus de fumée que de chaleur, & plus de lueur
que de durée.

Mais la Paix que Dieu nous vient d’accorder par sa saincte
Grace, & à qui la bonté du Roy, & vos soins, MONSEIGNEVR,
ont serui de causes secondes si glorieuses &
si authentiques, sera vne paix stable & solide, qui ne trompera
ny nos joyes, ny nos esperances.

Ce sera vne paix qui sondera iusques au vif ces playes
mortelles, qui en fera sortir tout le venin, & en effacera
mesme les cicatrices. Elle comblera sans doute le plus sensible
& le plus feruent de nos desirs, en couronnant les efforts
que nous sommes resolus de tenter, pour en obtenir
l’accomplissement ; Ie veux dire qu’elle seruira d’eschelon
à sa Majesté pour remonter sur le Throsne, & contribuera
à le restablir dans ses droits & ses iustes prerogatiues.

Elle remettra ce Royaume dans son premier lustre, & luy
rendra l’abondance & la tranquillité : Elle enseuelira dans
vne confiãce par faite & reciproque & dans les resioüissances
vniuerselles toute sorte de soupçons, de craintes & de jalousies,
& fera que les membres de cette auguste Assemblée
(à qui les siecles futurs donneront le titre glorieux d’assemblée
pacifique) s’en retourneront chacun dans leurs Prouinces,
la branche d’oliue à la main, & dans la bouche les
paroles, qu’on addressa à nostre Sauueur à son entrée dans
la ville de Naïm, lors que par vn regard de sa compassion
Diuine, il eust redonné la Vie au Fils vnique d’vne mere, qui
accompagnoit ses obseques de larmes & de gemissements ;
ce sont des termes de reconnoissance & de rauissement,
lesquels se peuuent assez proprement adapter à l’estat present
de ce Royaume : Ecce Propheta magnus surrexit in nobis,
& quia Deus visitauit plebem suam.

Nous ne sçaurons assez benir le Ciel, MONSEIGNEVR, de ce qu’il vous a preserué, & conduit, pour ainsi dire,
de la main, à trauers vn Occean de dangers & de troubles,

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pour vous faire seruir d’instrument heureux & essentiel
à procurer, moyenner, & couronner enfin ce grand
ouurage, qui fera de ce Royaume vn crayon de la Ierusalem
Celeste, en vnissant de sorte toutes ses parties, qu’il
ne formera qu’vne grande Cité d’vnion & de gloire.

 

Ie n’ay point de termes capables d’exprimer la ioye & la
reconnoissance de ces venerables Prelats, de cette Illustre
Noblesse, & de ces iudicieux & zelés Parrains du peuple,
qui representent tous ensemble le corps des Catholiques
de ce Royaume. Vous le pouuez lire sur leurs visages,
MONSEIGNEVR, & dans l’ardeur impatiente qu’ils ont
de cueillir les fruits de cette Paix, qu’ils ont semée dans
leur sang, & arrousée de leurs larmes, & apres laquelle ils
ont tant souspiré.

Ces fruits seroient encores dans leur verd, si vostre prudence
ne les eust cultiués, & si l’ardeur de vostre courage,
& du zele que vous auez pour nostre bien, n’en eust aduancé
la maturité. Mais parce que sa Majesté est le premier mobile
de ces puissances, & la source de nostre bon-heur, elle
rencontrera dans tous les cœurs de ce Royaume vne obeïssance
actiue & cordiale : Et ce qui nous encourage, MONSEIGNEVR,
à en donner des preuues à vos ordres & à
vos commandemens, c’est que vostre fidelité enuers le Roy,
qui a esté mise à tant d’espreuues, & a tousiours paru inesbranslable.
Le grand interest que vous auez au bien de ce
Royaume, & les belles parties dont Dieu & vostre naissance
vous ont doüé, nous donnent des asseurances toutes visibles,
que vostre gouuernement produira des effets conformes
aux fondemens de nos esperances, & proportionnez
à nos desirs.

I’espere, MONSEIGNEVR, que vostre bonté suppléera
à mon impuissance, qui n’a pas des couleurs assez viues
pour representer la joye & la reconnoissance de cette Illustre
Assemblée, vous en ferez s’il vous plaist vne conjecture
fauorable, & iugerez des effets, par la grandeur de leur
cause, & par la dignité de leur sujet.

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Il vous plaira aussi, MONSEIGNEVR, de mettre la derniere
main à ce chef d’œuure, & de placer le nom de l’autheur
en quelque endroit de son ouurage, pour en dresser
vn mouuement eternel de vostre gloire & de nostre bien-heureuse
Paix.

Il presente à
Monseigneur le
Vice-Roy le
traité de paix, &
le prie de le signer.

Toute l’Assemblée m’a commandé de le signer en son
nom, & i’ay esté contraint de souffrir cét honneur, dont ie
me confesse indigne, là chose ayant esté ainsi arrestée d’vn
consentement commun & solennel : comme aussi de vous
le presenter au nom de tous, MONSEIGNEVR, auec toute
sorte de respects & de deferences.

SubSect précédent(e)


Anonyme [1649], NOVVELLE EXTRAORDINAIRE, TOVCHANT L’ESTAT PRESENT DES AFFAIRES DV ROY de la Grand’Bretagne. AVEC DEVX HARANGVES ELOQUENTES & Zelées, sur le dessein de venger le meurtre du Roy defunt, & asseurer le Roy d’apresent dans ses Estats. L’vne prononcée par le Cheualier Richard Blaque de la part de l’Assemblée des trois Estats du party Catholique d’Irlande: Et l’autre par Monseigneur le Marquis d’Ormond, Vice-Roy du mesme Royaume. , françaisRéférence RIM : M0_2548. Cote locale : C_6_37.