Anonyme [1649], MAZARIN EN SOVPÇON DE SA VIE ET DE SES MOEVRS. , françaisRéférence RIM : M0_2433. Cote locale : C_6_10.
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MAZARIN
EN SOVPÇON
DE SA VIE
ET
DE SES MOEVRS.

A PARIS,
Chez Pierre Anguerant, sur le Pont-neuf, proche
la Samaritaine.

M. DC. XLXIX.

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MAZARIN EN SOVPÇON
de sa Vie & de ses Mœurs.

LE Soupçon n’est pas tousiours vn effet des esprits
foibles, c’est quelquefois vn acheminement à
la prudence, & si l’homme estoit quelquefois moins
genereux il auroit bien souuent plus de bon-heur.
On se flate d’vn esprit de franchise, & sans considerer
que l’on agit auec des fourbes, souuent on est trompé.
Les François suiuent les mouuemens de leur ame, &
se conduisent auec les nations les plus dissimulées selon
le sentiment que leur donnẽt leur naissance & leur
generosité. C’est de cette grandeur de courage
qu’il est arriué qu’ils ont esté seduits, & leur prudence
fondée sur le soupçon est preste à les retirer
du malheur où leur generosité les auoit engagez.

Le Cardinal Mazarin estoit venu en France par
des voyes frauduleuses, y auoit seiourné par l’authorité
d’vn puissant fauori, & s’y estoit rendu en
quelque sorte considerable par la bonté du meilleur
de tous les Roys. Ces deux grands hommes moururent
au malheur de la France, & ce Ministre prit la
place de son predecesseur auprés de la Reine Regente.
Chacun pouuoit souffrir ce chois, puis qu’il auoit raison
d’esperer que l’Estat changeroit tout de face, &

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que cette souueraine authorité qui n’est iamais veuë
d’vn bon œil que dans la main des Rois seroit toute
entiere dedans celle de la Reine. L’Illustre sang dont
elle est formée, son alliance Royale, & cette miraculeuse
fecondité n’estoient pas les seuls motifs pour appuyer
ce raisonnement, son malheur passe, ce tiltre
auguste de Reine mesprise, ces menaces qui luy auoiẽt
fait peur pouuoient bien la porter à ne se pas fier aux
Ministres, puis qu’ils pourroient abuser aussi insolemment
de leur pouuoir pour exercer leurs crimes que le
precedent auoit fait pour la persecuter. Neantmoins
contre toutes ces raisons qu’elle sçauoit, & dont elle
auoit eu l’experience elle abaissa sa veuë sur Mazarin,
& de cet œil dont vn regard peut seruir de recompense
aux gens de bien, & d’éguillon à ceux qui le veulent
estre, fit jalir des rayons de lumiere sur ce malheureux
que la nuict devroit tousiours auoir caché aux yeux
des hommes, & principalement à ceux des François.
Dés ce temps qu’il se vit par la bonté de la Reine esleué
à ce haut degré de puissance, & que l’on pouuoit compter
en luy vn Roy & vn sujet, & que sans estre ny l’vn
ny l’autre il estoit tous les deux ensemble, il prit resolution
d’essayer ses forces, & pour tracer vne noble
route à ses crimes il la commença par la conduite &
l’emprisonnement de Monsieur de Beaufort au Chasteau
de Vincenes. Il n’y eut personne qui ne detestast
l’autheur de cette cruelle prison, & tous les gens de biẽ
fremirent de voir qu’vn fauori tout nouuellement formé
eust pû tâcher d’opprobre vne maison que le Cardinal

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de Richelieu auec toute sa superbe & sa puissance
n’auoit ose choquer. Que ce commencement fut de
mauuais augure à la France, & si l’on eust consideré
à l’heure que sa premiere violence se portoit contre la
maison des Princes, n’eussions-nous pas eu raison de
conclure que pour continuer dedans ses crimes & les
agrandir il eust fallu qu’il nous rauist la sacrée personne
de nostre Roy ? Que ces procedez sont estonnans,
& que le bonheur est insigne qui accompagne des crimes
où il y a tant de hardiesse & si peu d’apparence
à la reussité. Les plus sçauans politiques imitent la nature
qui se conduit auec succession, & du petit au grand
dans ses ouurages. Les peintres crayonnent vn tableau
auparauant que d’y appliquer les couleurs, & les plus
fameux en crimes font des fautes auparauant que des
pechez. L’esprit s’acoustume à vn moindre mal pour
en faire en suite vn execrable. L’ame seule de Mazarin
seconde en crimes contre l’ordre qui se trouue dedans
toute la nature contre la science des Politiques sans se
mettre en peine de se faire connoistre par les exils,
par l’oppression & par la ruine des particuliers ; de
de prime abord il s’attaque à la maison de nos Princes,
& auide du sang de nos Roys nous enleue ce Roy
que Dieu auoit donné à nos vœux. C’estoit là le crime
qui deuoit couronner tous les autres, & n’en ayant
trouué aucun de plus horrible il a songé à celuy-là. Et
aussi iugez quelles ont esté les menées pour en venir à
bout. Il a despoüille l’Estat d’autant de richesses qu’il
a pú, il a abatu le cœur des soldats ne leur fournissant
ny viures ny argent, il a reduit le peuple à vne pauureté

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extreme, il a retranché les gages des Officiers,
il a esloigné des Charges les gens de bien il y a auancé
des coquins & des gens faits à sa poste. Les meilleurs
seruiteurs du Roy ont esté chassez d’aupres de
luy par le moyen de ce Ministre insolent, & la permission
de viute a esté la recompense de leurs longs seruices,
& le remboursement des deniers dont ils auoient
payé leurs charges. Apres auoir perdu tant d’innocens
que luy restoit-il à faire ? Tout ce grand nombre d’hõmes
compris en ceux que ie vous ay nommez estoient
quelque chose au dessous de sa fureur & de sa puissance,
s’ils ne luy pouuoiẽt plus resister puis qu’il les auoit
perdus, sa malice luy propose la ruine du Parlement, sa
rage s’y attache, comme vn demon il en cherche les
moyens, & non moins obstiné dedans son crime qu’vn
damné, il ne se reposera pas qu’il n’en aye veu la perte.
Il fait plusieurs Declarations qu’il fait porter au Parlement
pour y estre verifiées, elles sont trouuées invtiles.
Voila la guerre declarée. Il poste, il enrage de
se voir contredit, il employe le nom du Roy, fait agir la
Reine, menace ceux qui contreuiendront à ses volontez
de la violence des gens de guerre, & mesmes de la
honte d’vn dernier supplice. Quelle effronterie à vn
homme venu de la lie du peuple, dont le nom n’eust iamais
esté cogneu s’il n’eust esté fourbe, dont le bien
auoit esté abandonné, & qui n’auoit autant de richesses
que ce que son pere luy auoit pú sauuer d’vne banqueroute
qu’il fut obligé de faire ? Quelle effronterie, dis-ie,
à vn homme de cette sorte de vouloir faire ployer
sous ses volontez cet illustre Corps ? Qu’il se garde,

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qu’il se garde, cet insolent Ministre, & sans se mesconnoistre
dedans ce prodigieux estat de fortune, qu’il auouë auoit
esté né seulement pour seruir de valet à ceux à qui il veut
donner la loy. Ces mesmes qu’auiourd’huy il veut chasser
de leurs maisons, qu’il veut despoüiller d’honneur, & dont
les testes sont desia proscrites luy eussent donné son congé
dez l’heure s’il n’eust fait son deuoir, & si cette fortune, cette
fortune aueugle, ne se fust mesprise dedans la distributiõ
de ses faueurs. Mais quoy, ce n’est pas d’auiourd’huy que le
vice opprime la vertu, & les Bachanales qui se faisoient à
Rome où les valets commandoient aux Maistres, se peuuẽt
exercer en France par vn homme qui y a serui luy mesme
si long-temps. S’il estoit seulement esleué & qu’il n’enuahist
point l’authorité Royale, si la Reine auoit le seul dessein de
voir où sa puissance se peut estendre en esteuant vn homme
de la terre iusqu’au ciel, s’il eust procuré le bien de la France
& sa conseruation, on l’auroit pú souffrir, mais toute sa grãdeur
n’est que pour l’abaisser, sa puissance pour l’opprimer
son faste pour la rendre mesprisable à tous les Royaume
du monde. Que la France a esté heureuse dedans vn si grãd
malheur d’auoir eu quelques vns qui soustint ses interests.
C’estoit fait d’elle, il n’enfalloit plus parler. Ce cruel ennemy
qui la persecute estoit dedans le dessein de la liurer
aux estrangers. Il l’a bien fait voir, puis qu’il a eu tant & de
si secrettes communications auec eux, & que les ennemis
mesmes par leurs lettres nous ont asseurez de son intelligence.
La prise de Courtray, celle de Dixmunde, & les
vains efforts contre Lerida sont des marques toutes euidentes
de sa perfidie. Qui donc peut à present douter de
ses trahisons si nous en auons des preuues si certaines, &

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ceux en faueur desquels il nous vouloit perdre n’ont pas voulu
vser des artifices de ce traistre à nostre desaduantage. Les ennemis
nous sont plus fidelles que luy & neantmoins l’on brigue, l’on se
diuise pour soustenir ce perfide. Que ces richesses luy ont biẽ serui
pour se desrober au bras de la iustice, & que le genie fut desesperé
qui le porta à la ruine du Parlement. Il se consideroit desia comme
vn homme accusé de son crime, il croyoit entendre l’arrest qui
se deuoit prononcer contre luy, & à la façon d’vn furieux criminel,
il pense ne pouuoir euiter le supplice qu’en massacrant
tous ses luges. C’est la crainte de la punition qui luy fait faire
tous ses efforts, ou bien à la façon d’vne nature mourante il ramasse
toutes ses forces pour laisser quelque memoire de luy apres
sa mort. Ouy, il ramasse toutes ses forces, qui sont tous ses crimes,
il en commet vn nouueau qui contient tous ceux qu’il a
faits & tous ceux qu’il peut faire. C’est peu à sa fureur d’auoir
emprisonné les Princes, d’auoir opprimé le peuple, d’auoir attenté
contre le Parlement, il s’attaque à tout nostre bien. Pardõne
cruel à ce noble rejeton du grand Henry, tu t’ataques au fils d’vn
Roy qui t’a chargé de bienfaits, s’il n’a iamais pû te souffrir aupres
de luy, c’est qu’estant enfant il ne peut estre obsedé de tes charmes.

 

La France devroit toute armer contre ce Rigicide, & il n’est pas
iuste de voir triompher vn hõme estranger criminel au milieu de
son pays. Que disent les Estrangers qui entendent parler de ces
desordres, & que peut on dire qu’il ne se falloit point fier à vn Sicilien.
Ces hõmes sont accoustumez d’ataquer les Dieux ils amassent
les monts sur les monts pour escalader & tascher à se rendre
Maistre du ciel. Les protecteurs du trosne, les deffenseurs de la verité
les soustiens de la iustice sçaurõt bien resister aux cruels efforts
de ce geant, ils luy sçauront bien faire quitter la place dont il vouloit
s’emparer, ils le renuoiront a son neant, les Dieux pour punir
tard en punissent plus seueremẽt. Pouuoit-on se fier à ce qui vient
de Sicile, & ce Capelan ne vouloit-il point continuer les Vespres
en France, que les Siciliens auoient commencé en Sicile, & apres
y auoir tué tous les François ne venoit il pas chez nous pour attenter
sur la personne du Roy. Cet Antechrist (puis qu’il offense
l’oinct des Roys) apres ces perfidies connuës, ces crimes de leze
majesté diuine & humaine perpetrez, ne doit-il pas iustement apprehender
le coup de quelque Ange de Dieu ?

FIN.

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