Anonyme [1649], MANIFESTE OV RAISONNEMENT SVR LES AFFAIRES DE CATALOGNE, CONTRE LES INTRIGVES du Cardinal Mazarin. Traduit d’Espagnol en François. , françaisRéférence RIM : M0_2398. Cote locale : A_6_6.
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MANIFESTE OV RAISONNEMENT
sur les affaires de Catalogne,
contre les intrigues du
Cardinal Mazarin.

Traduit d’Espagnol en François.

PVIS que la Principauté de Catalogne
est vne des Prouinces, qui auec
plus de fidelité, dépend de la Monarchie
Françoise, pour la conseruation
de laquelle, ladite Monarchie à tant
d’vtilitez & conuenances, comme il est aisé de iuger.
Il est raisonnable qu’au temps que toutes les
autres Prouinces de France, concurrent à faire parestre,
pour le seruice de sa Maiesté & bien public
la maniere fatale du gouuernement qu’en icelle
a tenu le Cardinal Mazarin, que la Catalogne
tienne aussi sa partie, qui ne sera pas de peu de
poids, pour manifester le fondement & la Polytique
que ledit Cardinal a obserué en son Ministere.
Pour ce sujet, aussi-tost que ie vis sortir en
public la verité sur ce grand Theatre de la France,
ie me resolus (inspiré d’vn mouuement superieur)

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de me transporter secrettement en Catalogne,
où i’ay reconnu manifestement que le dessein du
Cardinal a esté, non pas de conseruer en aucune
façon cette principauté, la considerant si vtile &
necessaire à l’exaltation & seureté de cette Monarchie./
Mais comme il ne pouuoit entreprendre manifestement
vn tel dessein, sans qu’il descouurit
la mauuaise affection qu’il auoit pour la Couronne
de France, il tascha d’introduire vne espece
de gouuernement en icelle Principauté, qui en
l’exterieur auroit des apparences d’vne grande Iustice,
& seroit conuenable pour sa conseruation :
mais qui en l’interieur seroit remply de cõfusion,
obligeant auec icelle & les effets que produiroit,
les Catalans desesperez, de retourner d’eux mesmes
à l’insupportable & tyranique joug de Castille,
affin que de cette maniere il peust obtenir sa
fin desirée, & ne peust en aucun temps estre repris
de la France.

 

Mais encore qu’il ait procedé auec tant d’artifice
en ce gouuernement, il n’a pû faire en sorte
que les Catalans ne luy ayent fait paroistre peu
d’amitié & de confiance, le voyant negligent à la
conseruation d’vne principauté si importante, &
que ceux qui penetrent d’auantage dans les matieres
d’Estat, n’ayent à bon droit douté de son intention,
que maintenant ils voyent puissament
deschifrée dans le gouuernement qu’il a tenu és
autres Prouinces de France.

La Catalogne a tant de fondement pour se

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plaindre, & faire vne anathomie des intentions
que le Cardinal a eu pour elle, que plusieurs cahiers
seroient necessaires pour les exprimer, toutefois
l’on en mettra quelques-vns des plus considerables,
qui sont ceux qui suiuent.

 

Premier Fondement.

Lors que le Cardinal donna commencement
à son Ministere, se trouuant Vice-Roy & Capitaine
General de Catalogne, le Seigneur Mareschal
de la Mothe, & Intendant General, le sieur Bercher,
voyant qu’il ne pouuoit asseurer sur eux la
direction de son dessein, resolut les tirer tous deux
hors de la Principauté, pour le regard de la Bercher,
il prit pour pretexte le rencontre qu’il eust
auec le sieur Mareschal de la Mothe, estant certain
que ce motif ne le pouuoit obliger, puis qu’il
auoit pris resolution d’en tirer aussi led. Mareschal,
de sorte que son intẽtion fut, d’enuoyer en sa place
le sieur de Marca, afin qu’estant comme il est creature
du Chancelier de France, il eust en Catalogne
vn executeur sans replique de tous ces ordres,
puis qu’il est constant, que le Chancelier n’en a eu
aucune en tous ceux que luy a donné le Cardinal.

Pour le regard du Mareschal, l’on sçait desia
les pretextes qu’il prit pour le tirer hors de Catalogne,
& ce qui est de plus grande consideration
c’est que pour couurir d’auantage son intention,

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& iustifier vne action si iniuste, il enuoya vn Commissaire
François en Catalogne, pour receuoir les
informations contre ledit Mareschal, auec des ordres
fort pressans, & determinatifs pour les tesmoins
François, qui auoient à déposer contre ledit
Mareschal & autres Seigneurs ses dépendans,
sçachant que ces tesmoins estoient ses ennemis capitaux ;
pour confondre dauantage & semer la zizanie
entre les Catalans ; le sieur de Marca en execution
des ordres qu’il auoit, tascha que quelques
Catalans assistassent à la verification des points
desdites informations (comme ils firent) sans autre
intention que de faire le seruice du Roy en vne
matiere que le premier Ministre d’Estat de la France,
& ledit sieur de Marca, publioient en Catalogne,
que ce verifié estoit d’vne tres-grande consideration
pour le bien de l’Estat : mais l’intention
que le Cardinal & le sieur de Marca eurent en cette
affaire pour y interresser les Catalans, fut de
donner commencement à vne diuision & partialité
entre ceux-cy & quelques Catalans, intimes
amis dudit Mareschal, engageant les vns auec le
pretexte du seruice du Roy & protegeant les autres
pour rendre ou faire la diuision plus forte, c’est aussi
mesme vne consideration notable, que pour le
retour de Catalogne du Commissaire François,
auec les informations non si parfaites ny accomplis
comme le desiroit le Cardinal, il resta disgratié
de la Cour.

 

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Second Fondement.

Les Ambassadeurs de Catalogne ayant l’an 1644,
des instructions pour representer à sa Maiesté que
la perte de Lerida & autre succez diuers, naissoient
du peu d’assistance qu’on donnoit aux troupes dudit
sieur Mareschal de la Mothe, le Cardinal se
ressentit tant de cela, que par le moyen du sieur
de Marca, il obtint que l’on reuoquast ladite
clause aux Ambassadeurs, afin qu’en quelque
temps que ce fut, ne parut point la plainte de Catalogne,
que c’estoit faute d’assistance, & ce fust
alors que pour donner plus de chaleur aux soins
qu’il publioit auoir des affaires de Catalogne, il
fit imprimer vne liste des troupes & millions qu’il
disoit auoir enuoyé à ladite Principauté, où les
troupes furent beaucoup plus que celles qu’exprime
la liste, ou l’argent beaucoup moins, puis
que par faute de payemens, les mesmes vniuersitez
de Catalogne substanterent quelque temps
les troupes, pour remedier aux desordres qu’elles
faisoient.

Troisiesme Fondement.

Le sieur Mareschal de la Mothe, estant desia
sorty de Catalogne, le Cardinal fit nommer pour
Vice-Roy, le Comte d’Harcourt, & pour demantir
le peu de credit d’assistance qu’il auoit gagné au
temps precedent, & ainsi dissimuler d’auantage

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son dessein, il donna suffisante assistance audit
Comte d’Harcourt, de maniere que se ioignant
auec la valeur dudit Comte, il pust en vne campagne,
gagner Roze, recouurer Cameraze, & le difficile
passage de la Seigre, gagner vne bataille, secourir
Flix, anneantir du tout l’armée ennemie, &
recouurer Balaguier, & auroit fait beaucoup dauantage
si le pain d’amonition ne luy eut manqué.
Toutefois le progrez du sieur d’Harcourt s’aduançant
au delà, de ce que ledit Cardinal n’eust desiré,
& voyant qu’auec iceux la mécreance de l’assistance
estoit arrestée, on luy donna si peu de credit apres
la campagne suiuante que par manquemens d’icelle
on profita mal sept mois du siege de Lerida. Et
encore peut-estre, les affaires eussent passé bien
auant, si l’intelligence secrete du Marquis de la
Trousse auec l’ennemy, ne luy eussent affranchy le
passage pour le secours, ny ne se peut croire que ledit
Marquis l’eut fait sans vn ordre superieur, ioint
que ne l’ayant, il eut esté chastié, & non pas protegé
puissament de la Cour, où il retourna lors qu’il
deuoit s’enfuir.

 

A quoy l’on adiouste que persistant encore au
siege de Lerida, aprés auoir leué celuy d’Orbitello
en Italie, ayant fait instance au Cardinal, qu’il enuoyast
en Catalogne l’armée naualle, auec laquelle
il asseuroit la prise de Lerida & se pouuoit asseurer
de la place de Tarragone, pour estre alors fort
dégarnie, il ne voulut donner lieu à de semblables

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progrez enuoyant vne autre fois ladite armée en
Italie, & parce qu’apres le siege leué de Lerida, la
ville de Barcelonne, par le moyen de son Ambassadeur
Pinianel representa à sa Maiesté (entre autres
choses) que si les troupes d’Italie s’enuoyoient en
Catalogne, en peu de temps toutes les places de l’ẽnemy
se regagneroient, l’obligeant à vne bonne
paix : Le Cardinal connoissant par cecy que les Catalãs
auoient pris garde à la faute de l’armée naualle
pour la prise de Lerida & de Taragone, & pour
s’excuser d’icelle, fit que sa Maiesté escriuit à la ville
de Barselonne qu’ayant offert l’armée naualle
au Comte d’Harcourt, au temps qu’il auoit mis le
siege à Lerida ne le voulut accepter : estant le vent
fort contraire à cela, & ne se peut croire qu’vn
General si Magnanime refusast vn offre qui l’asseuroit
en sa plus grande gloire.

 

Quatriesme Fondement.

Encore que la fidelité de Catalogne à la France
ce soit monstrée tousiours tres constante, l’artifice
des Ennemis n’a pas laissé de peruertir quelque
particulier ; à quoy preuoyant le Comte d’Harcourt,
tant par la descouuerte & chastiment d’vne
conspiration, & aussi auec le bannissement des
soupçonnez, & poursuiuant ce que les autres Vice-Rois
auoient fait comme prudens & ialoux du
bien de leur Roy, soit auec d’autres moyens de
Iustice & Politique, il enracina si profondement

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l’authorité Royale en Catalogne, qu’il ne
resta en icelle aucune mauuaise affection, ou du
moins elle n’osoit paroistre. Mais d’autant plus
que le Comte de Harcourt témoigna de zele pour
la conseruation de cét Estat, le Cardinal fit paroistre
d’autant plus sa particuliere auersion, puis
que la cause de la disgrace dudit Comte, fut pour
auoir descouuert & puny la trahison & conspiration,
ce qu’apres l’experience confirme : Car à peine
le Comte de Harcourt fut-il sorty de Catalogne,
que les mauuaises intentions du Cardinal
Mazarin commencerent à renaistre, iusques à remettre
sur pied tous les mauuais desseins de Castille,
& les faire agir auec plus de licence & plus
d’effronterie. La preuue de cette verité est encore
plus grande, se resouuenant des diligences extraordinaires
que fit le sieur de Marca pour deliurer
vn des conspirateur nommé Ferrer, (lequel
sans auoir egard à tout cela : tout le Conseil Royal
le condamna à estre estranglé,) iusques à deposer
iudiciairement en sa faueur aux procedé de sa
conspiration ; Chose incroyable à vn Ministre tant
eminent, & qui sans doute ne l’auroit fait s’il n’eust
eu certitude ou asseurance, qu’vne action semblable
deuoit estre bien renduë du premier Ministre
d’Estat, comme au contraire mal receuë : les iustes
diligence du Comte de Harcourt. De plus ; vne
Lettre Royale donne lieu à la connoissance de ce
qui est dit, que le Cardinal fit escrire au Comte de
Harcourt, (de laquelle si l’on fait recherche sans

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doute l’on la trouuera dans ses papiers) luy ordonnant
expressement, qu’il fit surseoir l’information
qui se faisoit à l’instance d’vn mal affectionné à la
Couronne de France, luy disant qu il ne fit aucune
supposition de quelque tesmoin que ce fut qui
deposassent contre telle personne, ny mesme encore
qu’il trouuast des Lettres de sa lettre & main
de secrette intelligence auec les Ennemis, puis
qu’il plaisoit à sa Maiesté & que c’estoient des faussetez,
pour perdre vne personne si affectionnée à
la France en Catalogne.

 

Finalement le rapport cy-dessus a des indices
fort grãds en la personne de l’Abbé de Galligane,
puisque auparauant qu’il eust esté descouuert par
le Comte de Harcourt pour chef de la conspiration,
le Cardinal le combloit de graces & de faueurs ;
& apres qu’il fust apprehendé & mis dans le
Chasteau de Salse, & sauué d’iceluy auec intelligence
des François qui gardoient la Place, il ne fit
ressentiment aucun de semblable action.

Cinquiesme Fondement.

Le Prince de Condé succeda au Comte de Harcourt
en son Office de Viceroy de Catalogne,
voulant dementir auec la denomination d’vn
grand & si fameux Prince, le peu d’assistance qu’il
donna à ses armes. Ce Prince essaya & tenta (encore
qu’auec peu de forces) le second Siege de
Lerida ; & bien que la cause qui le contraignit de

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le leuer, fut de ce que quantité de ces soldats
estoient passez du costé des Ennemis, par faute
d’estre payez ; toutefois la cause plus principale
fut d’auoir receu aduis du sieur de Marca, contenant
que les Ennemis par des secrettes intelligences
qu’ils auoient en Barcelonne, souhaittoient
de faire vne entreprise sur icelle, & que son
Altesse ayant si peu de trouppes, s’il perseueroit au
siege de Lerida ; encore qu’il prist la place, c’estoit
hazarder Barcelone, & toute la Catalogne ; &
cõme il est certain qu’en telle occasion il ny auoit
en Barcelone aucun ombrage d’intelligence ; Aussi
est-il aisé à voir, que le sieur de Marca, prist
ce pretexte pour empescher la prise de Lerida ; ce
qu’il n’eust osé faire sans vn ordre superieur.

 

Sixiesme Fondement.

Le Cardinal de Saincte Cecile, succeda en Catalogne
au Prince de Condé. Tout le monde sçai
la peine qu’il eut à accepter cét employ, & les instances
extremes qu’il fit pour en sortir, & iusques
à ce qu’il en obtint la permission. La fin qu’eust le
Cardinal en cette action & denomination de Viceroy,
fut de relascher dauantage les raines au
mauuais gouuernement de Catalogne, prouoquant
les Catalans à vn desespoir, puisque experimentant
mil desordres & manquemens, ils se
trouuoient dans l’impossibilité, non seulement
d’obtenir remede, mais mesme d’auoir recours à la

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Cour, se voyant gouuernez par le frere d’vn Traistre,
& qu’ainsi leurs plaintes ne seroient pas bien
receuës ny considerées. Ils en auroient peu donner
plusieurs : mais les principales, que toute la distribution
des graces & faueurs des Charges &
Offices qui ne sont venales en ce pays, ce faisoient
au poix de l’or ; & que d’autre part les seruiteurs
mesme du Viceroy, disoient à haute voix, que la
Catalogne retourneroit bien-tost à la Castille. De
plus, que dira-on sur ce fondement du Connestable
du Roy Catholique, ce qu’à peine peut on
croire : mais la verité est, qu’ayant le passeport de
nostre Roy, pour aller librement par toutes les
costes de France & de Catalogne, & s’entretenir
& seiourner aux ports qu’il desiroit : arriuant en
Catalogne, il se des-embarqua en Palamos, & fit
tout ce qu’il peust pour peruertir ceux du pays, &
arriuant apres aux port de Barcelone, essaya d’entrer,
pour faire les mesmes inductions ainsi qu’il
eut bien pû faire, puis qu’il auoit desia la permissiõ
du Cardinal de Saincte Cecile, si les Conseillers
de la Ville, & tout le peuple ne se fussent opposé à
luy par leur accoustumee fidelité, encore qu’auec
vn ressentiment particulier & notable ressentiment
du Viceroy.

 

Septiesme Fondement.

Le Cardinal de Saincte Cecile estant sorty de
Catalogne, y entra pour Viceroy le Mareschal de

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Chomberg, lequel fut aussi peu assisté de troupes
& de deniers, comme les autres ses predecesseurs ;
ce qui fut cause que lassé d’vne seule campagne, il
demanda aussi tost permission pour s’en retourner
en France, afin de ne perdre la gloire qu’il
auoit acquise en la prise de Tortose ; plus par sa valeur
& bonheur particulier, & assistance des Catalans,
que par les forces qu’il auoit. A quoy l’on
adiouste qu’estant fort aisé en cette Campagne là
de prendre Taragone comme il l’auoit disposé, &
presque asseuré, ledit Mareschal de Schomberg,
demanda pour cela l’armée nauale, qui luy fut refusée,
afin que l’on ne fit vn succez de si grande
importance en cette Principauté, & la conseruation
de Tortose n’estant de moindre importance.
Et à cette fin, Monsieur de Marchin Gouuerneur
de ladite Place, ayant fait instance precise à la
Cour, sur la necessité que cette Place auoit d’estre
fortifiée, & des deniers necessaire pour cet effet ;
cela s’est tousiours passé en parole seulement,
afin que l’Ennemy pû auec plus grande facilité la
reprendre.

 

Huictiéme Fondemens.

L’on descouure dauantage l’artifice du Cardinal,
considerant qu’il fit les nominations de Vice-Roy,
des personnes plus qualifiez de la Cour, comme
sont le Prince de Condé, le Comte de Harcourt,
& le Mareschal de Schomberg ; & que mesme

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il voulut nommer pour Vice-Roy son propre
frere le Cardinal de Saincte Cecile, afin de pouuoir
en tout temps alleguer vne particuliere affection
pour la conseruation de Catalogne, à laquelle
il auoit enuoyé des Vice-Roys si celebres, &
iusques à son frere. Toutesfois en cecy, qui semble
vne faueur, se renferme la plus grande malice
qui se peut imaginer, puis que donnant si peu d’assistance
à des Vice-Roys si fameux, ce fut de les
obliger seulement, comme ils firent, de sortir en
bref de Catalogne. Tous ces changemens de Vice
Roys seruant de moquerie & de risée aux Ennemis
de la France, y en ayant eu en huit ans le
nombre de six differends, à sçauoir, Brezé, la Mothe,
Harcourt, Condé, Saincte Cecile, & Schomberg.
Il eut deux fins pour ce changement : l’vne,
pour faire perdre aux Catalans leur credit en France,
comme estant leur gouuernement insupportable
& difficile : l’autre, estoit d’hazarder cet Estat,
veu que le chemin ou la voye plus certaine pour
cela est le changement de tant de Vice-Roys ;
chargeãt tantost la Principauté auec de plus grandes
garnisons, tantost deprimant auec ledit changement
l’Authorité Royale, & tantost rendant impossible
le rencontre du bon gouuernement ; puis
qu’a peine commençoit vn Vice-Roy d’estre instruit
ou habitué aux affaires de Catalogne, qu’aussi
tost l’on y en enuoyoit vn autre, afin que par ce
moyen le tout ne fust que confusion, plainte, &
desordre.

 

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Neusiéme Fondement.

L’on representa au Cardinal, que l’vne des principales
causes qui troubloit le gouuernement de
Catalogne, estoit qu’il y auoit vn Intendant de
Politique, & les raisons estoient les suiuantes :
que c’est contre les Constitutions de Catalogne,
d’establir en icelle aucun Intendant Politique, le
Viceroy y estant independant, & en la Iustice & en
la Politique ; & que par cette conformité iamais le
Roy Catholique n’y en eust, soit en paix ou en guerre,
que le nom seul d’Intendant, seruoit pour semer
des diuisions & former des partialitez, comme
il est facile à voir.

Or il est tres-mal à propos, que la France elle-mesme
fomente lesdites diuisions en vn pays nouueau,
pour lequel le Roy Catholique fait tous
ses efforts possibles pour les y semer. Considerant
de plus l’humeur irreconciliable des Catalans,
vne fois diuisée ; & qu’ainsi les raisons d’Estat
de Catalogne ne demandent pas des Intendans,
comme font les autres Prouinces de France ;
où ceux du pays sont de plus facile reconciliation,
& où les ennemis de la Couronne ne peuuent aisément
fomenter les diuisions, soit pour estre les
peuples plus eloignez, soit pour estre anciens en
la domination Françoise.

Qu’en vn pays où encore que la fidelité soit constante,
neantmoins les mauuaises affections en

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aucuns ne manque iamais ; & l’Intendant y sert
seulement pour les embrasser & proteger sous le
tiltre de mal contens, lesquels se voyans en estat
d’estre chastiez par les Vice-Roys, selon leurs merites,
ont recours à l’asyle de l’Intendant, qui les
defend, pour en cette maniere contre-balancer
sous pretexte des suites & des consequences de son
authorité auec celle des Vice-Roys, ainsi que l’on
l’a experimenté à la descouuerte de la conspiration
cy-dessus mentionnée, & en laquelle tous les
bannis sont retournez en la Principauté ; & ce par
la negociation de l’Intendant, lequel comme il
subsiste tousiours, & que les Vice-Roys se changent,
le tout luy a esté assez facile ou aisé : Et la mesme
chose s’est experimentée en plusieurs autres
occasions. Toutes lesquelles choses ne seruent que
pour donner plus de licence aux susdites mauuaises
affections, en faueur des ennemis ; & par ce
moyen les bons sujets & vassaux de la France sont
mescontens de voir les ennemis impatronisez de
la Monarchie : & les mesmes estans mal affectionnez
& mescontens (comme ils le sont en effect de
la conseruation de la Catalogne en France) il s’ensuit
que cette Principauté est vn Estat dans lequel
il n’y a que des mescontens : de sorte que si l’on ne
donne remede à ce mal, tel & semblable Estat ne
peut long temps subsister.

 

Les raisons susdites non seulement n’obligerent
pas le Cardinal à y mettre le remede necessaire,

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qui estoit de demettre l’Intendant, mais au contraire
luy donna vne authorité plus absoluë qu’au
Vice-Roy mesme, veu que cette recommendation
en la Cour estoit de plus grande efficace
que celle des Vice-Roys : Mais ne faut pas s’en
estonner, puis qu’il a esté le principal directeur de
tous les desseins du Cardinal : mais entre tous, le
plus pernicieux fut que le sieur de Marca ne
se voulut pas contenter seulement de proteger les
mauuaises affections des ennemis de la France,
mais encore persecuter les plus fideles vassaux du
Roy, tant pour estre applaudis & caressez des Vice
Roys, comme aussi par ce moyen de mettre au
desespoir tous les bons Catalans.

 

On doit noter en ce lieu, que le Comte de Harcourt
ayant connoissance que l’Abbé Faget, neueu
du sieur de Marca, commettoit des fraudes &
tromperies en l’administration qu’il auoit du Duché
de Cardone : & ce au preiudice du patrimoine
Royal, luy osta ladite administration, pour y en
nommer vn autre, lequel aussi-tost augmenta les
reuenus du Duché de douze mil escus tous les ans.
neantmoins ledit sieur de Marca eut tant de
pouuoir, qu’il fit rendre & remettre la mesme administration
à son neueu, & ce par ordre de la
Cour : En quoy l’on void l’estime que le Cardinal
faisoit de sa personne, pour tres fidele directeur
de ses intentions.

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Dixiesme Fondement.

Qui doutera donc que l’vnion entre les François
& Catalans, venant à manquer, qu’il sera impossible
de conseruer la Catalogne en France ; or
le Cardinal a essayé à cette fin, d’introduire des
meffiances entre les vns & les autres, puis que par
plusieurs & diuerses fois, il a fait publier en France,
que les Catalans conspiroient pour retourner
sous le ioug de la Castille ; & publier d’autre part
en Catalogne, que les François vouloient abandonner
les Catalans.

Onziesme Fondement.

Les Consistoires de Catalogne, sur ces doutes,
& pour la seureté de leurs costes Maritimes,
continuellement & par plusieurs fois, ont supplié
sa Maiesté, qu’il luy pleust enuoyer vn nombre de
Galeres ; pour hyuerner en plusieurs ports de Catalogne :
Mais le Cardinal l’a tousiours empesché,
estimant dauantage que lesdites Galeres hyuernassent
sans profit dans les ports de la France, que
de preseruer la Catalogne contre les inuasions
des pirates & ennemis, lesquels tant ceux de Saragoce,
Alfaquiers, & Maliorgues, ont fait diuerses
prises de vaisseaux & barques de Catalans, &
François ; ce qui se pouuoit aisément empescher
de nostre part si nous eussions esté assistez de quelques
Galeres.

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Douziesme Fondement.

Le Conseil Royal de Catalogne, ayant sequestré
toutes les rentes qui sont en grand nombre &
considerables, de diuerses Commanderies de la
Religion de Sainct Iean, tant parce que les possesseurs
sont habitans & demeurans és terres du
Roy Catholique, & ennemis de nostre Couronne,
comme aussi afin que les deniers & reuenus ne
se transportassent hors de Catalogne, es pays &
terres de nos ennemis, mais le Cardinal fit reuocquer
par vn Edict Royal, l’Arrest rapporté cy-dessus,
& si bien iustifié par le Conseil Royal de Catalogne,
sans l’obliger au conttaire par des repliques
dudit Conseil Royal, ny auec la Iustice, ny
auec la deuë raison d’Estat.

Treiziesme Fondement.

Lesdits consistoires de Catalogne suppliérent
sa Maiesté qu’il luy plust faire déposer en la table
de la ville de Barcelonne les conuoys d’or & d’argent
qui entroient dans la Principauté pour la solde
& payement des gens de guerre, puis que cela
auoit accoustumé d’estre fait au temps du Roy Catholique,
& qu’en le faisant l’on ne pouuoit trouuer
aucun preiudice pour sa Maiesté, & qu’en cela
la ville de Barcelonne y auoit plusieurs conuenances,
lesquelles redondoient au seruice de sa Couronne
& au bien public : mais sur cecy le Cardinal

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ne voulut iamais rien octroyer, soit que ce fut pour
empescher lesdites conuenances, ou bien afin
qu’on ne pust verifier en Catalogne, le nombre
des deniers qui entroient en icelle, peut estre aussi
afin que quelques Partisans pour des interests particuliers,
profitassent plustost que la ville de Barcelonne,
& mesme que pour le bien public.

 

Quatorziesme Fondement.

Les mesmes Consistoires de Catalogne & le
Conseil Royal, comme tousiours ialoux du seruice
de sa Maiesté & conseruation de la Principauté,
iamais n’ont approuué dans la Catalogne l’assistance
du Sous-Collecteur Apostolique, & ce pour
trois raisons, La premiere, pour estre iceluy mediatement
Ministre du Pape, & immediatement d’Espagne,
ayant esté enuoyé pour la Catalogne par
le Nonce d’Espagne, & cecy deuroit suffire, quand
bien manqueroit les soubçons importans de sa
correspondance en toute matiere & en tous Estats
au grand preiudice de la France, & partant ne deuroit
estre receu en Catalogne, eu esgard qu’il y va
du credit du Roy d’y auoir en Catalogne vn Ministre
dépendant d’Espagne ; La seconde raison fondée
sur l’experience est, que tandis que residera en
Catalogne vn Collecteur Apostolique, iamais le
Pape ne deliurera les Bulles des dignitez & Benefices

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de Catalogne, qui sont de presentation Royalle,
à sçauoir tous les Eueschez, Abbayes & autres
dignitez fort considerables. La troisiesme raison
est, que ledit Collecteur estant comme la sangsuë
des rentes Ecclesiastiques & vacquantes, il en enuoye
tout le reuenu en Italie, & par ce moyen tire
les doublons, pistoles & argent de Catalogne, iusques
à achepter tout l’argent en œuure & façonné,
qu’il peut auoir, & à charges manifestes de les enuoyer
à Rome, & la Catalogne en cecy, est sœur
de la France ; or comme ces mesmes raisons representées
au Cardinal, ont fait en son esprit des effects
contraires, paroistra aussi son intention contraire :
de sorte qu’il a tousiours conserué en Catalogne
le susdit Sous-Collecteur, sans se soucier des aduis
que l’Ambassadeur de France residant à Rome,
a donné au Consistoire de Catalogne conforme à
son sentiment.

 

Quinziesme Fondement.

A quoy peut-on attribuer qu’on a tiré de Catalogne
en toutes les campagnes, les vieilles troupes
& enuoyer de nouuelles, eu esgard, l’esloignement
de cét Estat, & que ce changement donnoit occasion
à de plus grands frais, sans la consideration
que plusieurs soldats mouroient sur le chemin, si
ce n’est afin de donner occasion aux nouuelles

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troupes, non encores instituées & habituez aux
loix & stilles du pays, par leur changement, de commettre
plusieurs desordres & querelles entr’eux &
ceux du pays.

 

Seiziesme Fondement.

Bref on peut connoistre facilement les pernicieuses
intentions du Cardinal Mazarin, la reponse
qui fut donnée par son ordre, au nom de la Reyne
Regente, par le Chancelier de France, aux Seigneurs
enuoyez par le Parlement de Paris le 6. Iuillet
1648. excusant par icelle, la pauureté de l’Espagne,
en disant que la guerre de Catalogne coutoit
au Roy plusieurs millions, & que les Catalans ne
contribuoient aucunes choses aux troupes, ny mesme
aux vstanciles necessaires. Mais qu’il soit notoire
à tout le monde que la fidelité & amour auec
laquelle les Catalans seruent la France, se ressent
extremement de telles impostures, parce que la verité
est, que sans doute cette Prouince n’estant fertille
comme celles de France, & de plus consommée
& destruite des guerres intestines depuis
douze ans, les frais & degats qu’elle supporte continuellement
pour se conseruer à la France, sont
ceux qui suiuent premierement par les pacts & accords
faits entre le Roy & la Principauté, non seulement
ceux du païs fournissent aux soldats les

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vstanciles, mais encore leur donnent gratuitement
leur logement, le feu, l’huile, le vinaigre, la
chandelle, la paille ou le foin pour les cheuaux :
mais l’orge ou l’auoine valant communement en
ce pays-là, la mesure à raison de soixante sols, la
donne aux soldats pour vingt sols, & par ce moyen
les communautez & les particuliers s’apauurissent,
de plus & outre ce qui est dit, les paysans contribuent
bien souuent beaucoup au delà de l’entretien
des soldats : car apres les auoir logé long-temps
dans vne bourgade, les chefs offrent de déloger
d’icelle, à condition que l’on ne leur fasse payer,
ce qu’ils ont receu pour leur nourriture, sur quoy
les paysans afin de redimer à plusieurs & diuers
desordres qu’ils experimentent és logemens, se
tiennent pour contens & satisfaits de ce que l’on
leur doit, sans receuoir autre deniers que le délogement,
pour lequel les chefs se font donner & signer
vne quittance de ce qu’ils n’ont pas payé, &
plusieurs fois mesme apres cela, ils y demeurent encore,
ou bien il y rentre d’autres soldats, & tout ce
desordre prouient pour le manquement d’argent,
lequel n’est enuoyé en Catalogne auec telle quantité
cõme l’on veut faire à croire. En outre la Principauté
de Catalogne entretient continuellement
en campagne plus de deux mil hommes de pied &
cinq cens cheuaux, sans qu’il en couste rien au Roy,
& en ce, la ville de Barcelonne, employe tous les

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ans, septante & deux mille escus, la mesine Cité
de Barcelonne fait à toutes les campagnes des leuées
extraordinaires à ses despens, tantost de mil
hommes, tantost de cinq cens, & le mesme font
à proportion les autres villes & bourgades de Catalogne,
& ce, sans compter d’autres frais excessifs
qu’elle fait pour se fortifier dauantage contre
l’ennemy.

 

Il n’y a aussi presque aucune campagne que la
ville de Barcelonne & quelqu’autres communautez
& particuliers ne prestent (par faute d’argent)
aux Vice-Roys de grandes sommes, pour la subsistance
des troupes, & afin de ne faire memoire
du passé, suffit de dire ce que Barcelonne en vne
seule campagne, presta à Monsieur le Mareschal
de Schomberg, nonante mil escus Catalans.
Comment donc peut-on souffrir que pour faire
opposition à des preuues si notoires & pour excuser
la pauureté de l’Espargne, que le Cardinal fit
publier qu’il a enuoyé plusieurs millions en Catalogne,
estant à noter qu’vn million de France en
vaut deux en Catalogne, eu esgard que la monnoye
de Frãce double en Catalogne, & voudroit
neantmoins accuser les Catalans, qui auec tant
de fidelité vont se consommant incessamment,
afin de se conseruer sous l’obeïssance de la Monarchie
Françoise : Concluant donc, & auec verité
ce discours, l’on en tire nettement & sincerement,

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que pour faire le procez au Cardinal,
touchant les manquemens de son Ministere, les
preuues plus puissantes & expresses, sont celles
qui resultent du gouuernement qu’il a eu en Catalogne.

 

Laus Deo.

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Anonyme [1649], MANIFESTE OV RAISONNEMENT SVR LES AFFAIRES DE CATALOGNE, CONTRE LES INTRIGVES du Cardinal Mazarin. Traduit d’Espagnol en François. , françaisRéférence RIM : M0_2398. Cote locale : A_6_6.