Anonyme [1649], LOVANGE DE LA GENEROSITÉ DES PARISIENS, PENDANT LE SIEGE DE LEVR VILLE. , françaisRéférence RIM : M0_2326. Cote locale : C_3_100.
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LOVANGE
DE LA
GENEROSITÉ
DES
PARISIENS,
PENDANT LE SIEGE
DE LEVR VILLE.

A PARIS,
Chez CLAVDE HVOT, ruë S. Iacques,
proche les Iacobins, au pied de Biche.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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LOVANCE DE LA GENEROSITÉ
des Parisiens, pendant le Siege
de leur Ville.

Qvoy que les Philosophes tombent
d’accord que la vertu ne cherche
point de recompense hors d’elle-mesme,
& qu’elle tire toute sa satisfaction
de ses ouurages : elle n’est pas neantmoins
si seuere qu’elle reiette les
loüanges qu’elle a meritées, & comme elle est iuste,
elle est bien aise de receuoir ce qui luy appartient. Dieu
mesme qui ne peut auoir besoin de rien, parce qu’il
est essentiellement sa propre beatitude, ne souffre pas
seulement nos hymnes, & nos cantiques, mais encore
nous a tres-expressement obligez à cette sorte de
reconnoissance. Comme il est la source de la gloire,
il ne trouue point mauuais que l’on en face reiaillir
vn peu sur ses creatures, lors qu’il les a choisies pour
les iustrumens de ses merueilleuses operations. De
meilleures plumes que la mienne ont rendu à l’auguste
Senat, & à Messieurs les Generaux les eloges
qui leur estoient deubs, i’ay leu auec plaisir les belles
choses qu’elles en ont écrit, & ie me suis persuadé
qu’il n’appartenoit qu’à elles de faire le Panegyrique
des Superieurs, & que la mienne se deuoit reseruer

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pour la louange du peuple. Certes lors qu’vn homme
a fait des actions heroïques, il ne faut pas seulement
loüer cette haute region de l’ame, qui est le siege
du raisonnement, & de la conduite, les parties du
corps ou resident la force & la diligence ont part à
cette gloire, & ce seroit en vain que la teste formeroit
des projets illustres, si les bras, & les iambes luy refusoient
leur execution.

 

La prouidence de Dieu paroist visiblement dans
l’œconomie de toute la nature, elle s’estend iusqu’aux
choses les plus basses, & les plus indifferentes ; mais
certes il faut aduoüer qu’elle éclatte si auantageusement
dans le Siege de Paris, qu’elle se fait voir aux
yeux les plus malades, & croire aux ames les plus opiniastres.
Quand les Perturbateurs de la tranquillité
publique leuerent le masque, & qu’ils firent éclorre
le detestable dessein d’affamer les Parisiens, se seroient-ils
iamais persuadez qu’ils deussent resister à
vn blocus de deux mois, & depuis le sixiesme Ianuier
faire bonne chere au delà de la my-caresme, où l’on
conte le 15. Mars.

Ils sçauoient l’assiette de Paris, & sa façon de subsister,
dont ils se promettoient vne conqueste plus
facile que d’vn meschant Bourg : En effet la multitude
infinie de ses habitans loin d’épouuanter le petit
nombre des ennemis, les asseuroit, & les mauuais politiques
s’imaginoient desia de les voir la corde au col
leur aller demander vn morceau de pain, ils iugeoient
nostre foiblesse par nostre force, ils disoient qu’à la
verité nous auions quantité de bras, mais que nous

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auions beaucoup plus de dents. Ils occuperẽt auec vne
diligence incroyable tous nos dehors, auant que nous
eussions ny caualier, ny fantassin sur pié, parce qu’ils
auoient les leurs tous prests depuis le retour de Flandres ;
& quand ils n’eussent tenu que S. Denis & Gonesse,
ils croyoient en auoir assez pour nous faire ieusner ;
mais apres s’estre saisis de Melun & de Corbeil,
qui sont deux mammelles de Paris, enfin ayant bousché
tous les passages, tant de la terre que des riuieres,
ayant fulminé par des Declarations, & par des Arrests
du Conseil contre les Parisiens, comme contre des reuoltez,
apres les auoir menacez du mesme traitement
qu’ils auoient fait aux Laboureurs : c’est à dire de brulemens,
meurtres, violemens, sacrileges, & autres
cruautez que l’histoire ne leur pardonnera iamais,
ayant outre cela dans Paris vne armée bien plus dangereuse
que celle des Allemands, & des Polonois,
puis qu’ils y ont tout autant d’espions, & de fauteurs,
qu’il y a de lasches, & d’vzuriers, auec tous ces auantages
n’auoient-ils pas raison d’esperer vn bon succez
d’vne si mauuaise entreprise, & les Parisiens ne sont-ils
pas dignes d’vne loüange eternelle de s’y estre vigoureusement
opposez, & de n’auoir iamais relasché
de leur resolution parmy tant de suiets de desespoir ?

 

C’est vne maxime dans la Morale, & dans le Christianisme,
qui est la morale du Ciel, que la gloire des
belles actions se mesure par leur propre difficulté, tellement
que plus les Parisiens ont surmonté d’obstacles,
plus aussi leur en reuient-il d’honneur. Il semble
que pour les en combler tout ce qu’il y a defascheux,

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& de rebutant, se soit voulu rencontrer dans l’occasion
presente. Car outre les considerations que nous
venons de dire, la dépense qu’il faloit faire pour la
leuée des gens de guerre, estoit plus capable de faire
peur que les accidens mesmes de la guerre, & plus capable
de refroidir que les glaces, & que les neiges de
la saison. Tout le monde sçait en quel estat les sangsuës
ont reduit la France, ils vouloient acheuer de luy
tirer encore ce peu de sang qui luy restoit dans les veines,
les Parisiens ont donné le leur pour les en empescher.
Quoy que les malades esperent leur guerison
de la saignée, il s’en trouue pourtant beaucoup qui
apprehendent le coup de la lancette, qui tremblent,
qui retirent le bras, & qui donnent d’autres témoignages
de leur contrainte. Les Parisiens n’en ont pas
fait de mesme, iamais contribution ne se fit auec plus
d’allegresse, ny auec plus de promptitude. Ce n’est
pas le tout que de donner, mais il faut donner vistement,
& de bonne grace. C’est dans cette rencontre
qu’a bien paru la difference qu’il y a de la maletoste à
vne taxe equitable ; car cõme elles s’imposent pour vne
fin directement opposée, elles se leuent aussi d’vne façon
bien differente, celle-là s’exige pour souler l’auarice
de quelques particuliers, & celle-cy se demande
pour le soulagement du public, celle-là est tousiours
accompagnée de tristesse, & de rigueur, & celle-cy
de franchise, & de gayeté.

 

Si les Parisiens en eussent esté quittes pour de l’argent,
on pourroit dire qu’ils ne sont pas fort à plaindre,
& qu’on ne sçauroit puiser que dans cette grande

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source de Paris, dont les Prouinces ne sont que les
ruisseaux ; mais outre cette liberalité qui est le fondement
de toutes nos affaires, ils ont pris les armes, non
pas à la façon des premieres Barricades, où il semble
qu’ils ne songeoient qu’à leur propre conseruation ;
mais auec des peines, & auec des soins qui regardent
le bien de toute la France. S’ils n’auoient eu dans la
pensée que leur repos particulier, ils le pouuoient
auoir à bon conte, nos ennemis ne leur eussent pas fait
mauuaise composition. Quoy qu’on n’ait point attaqué
Paris de viue force, l’on n’a pas laissé de l’attaquer
par toute sorte de stratagemes, la lettre qui fut
escrite aux Maires & aux Escheuins, les libelles qui
ont esté semez tant par le Cheualier de la Valette, que
par beaucoup d’autres, estoient autant de canons pour
faire bresche à leur constance. Mais tant s’en faut
qu’ils ayent presté l’oreille à ces enchanteurs, qu’au
contraire ils les ont pris, & les ont menez aux Magistrats
pour en faire la iustice qu’ils leur demandoient.
Ils se sont volontairement assuiettis à la peine, & à la
vigilance de la garde, & de la patroüille. Des personnes
qui viuoient dans l’abondãce & dans le repos, qui
n’auoient gousté il y a si long-temps d’autre trauail
que celuy du commerce, qui se chauffoient à leur aise
deuant leur foyer, qui se couchoient mollement entre
deux draps, apres auoir fait bonne chere auec leur
famille, se retrancher tout à coup non seulement pour
les plaisirs, & pour les superfluitez, mais encores pour
les necessitez de la bouche, passer les iours & les nuits
dans vn corps de garde en sentinelle, & parmy les autres

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fatigues de la guerre, dans vn hyuer autant extra-ordinaire
en rigueur, qu’en sa durée, ce sont veritablement
des metamorphoses bien estranges C’est vne
espece de miracle, que d’auoir ainsi passé d’vne extremité
à l’autre, sans auoir passé par le milieu.

 

Si la promptitude des Parisiens à prendre les armes, & à
mettre la main à la bourse, tant pour la leuée que pour la
subsistance de la milice, est recommandable, leur perseuerance
est tout à fait digne d’admiration. Ce n’est pas nouueauté
que de voir le peuple esmeu, il est remüant de son
naturel, le Bourgeois prend aisément le mousquet, & la hallebarde,
& n’épargne rien dans ses premieres impetuositez,
mais de persister constamment plus de deux mois, resister à
toutes les iniures de l’air, aux menaces des ennemis, & principalement
aux horreurs epouuantables de la famine : c’est
en verité ce que l’on n’auoit iamais veu à Paris, & l’on doit
plutost appeller cela vn ouurage de la raison, que l’effet d’vne
boutade. L’ardeur & le zele de ces braues Citoyens ne
paroist que trop dans les sorties qu’ils ont faites, & dans celles
qu’ils demandoient incessamment de faire. Messieurs
les Generaux me seront garands de cette verité, puis qu’ils
ont eu tant de peïne à les retenir, ce sont aussi toutes les
plaintes qu’ils en ont receües, de les auoir trop aimez, &
d’auoir esté si auares du sang des Parisiens, eux qui ont esté
si prodigues du leur.

Apres cette merueilleuse constance se trouuera il quelque
personne si ennemie de la vertu, qui refuse aux Bourgeois
de Paris tous les Eloges qui se doiuent à vn peuple liberal,
vigilant, & laborieux, qui a preferé les interests de
l’Estat aux siens particuliers, & qui a si glorieusement & si
heureusement pris les armes pour retirer son Prince d’entre
les mains des rauisseurs, pour reformer tous les desordres
du Royaume, & pour vne paix generale, que le bon Dieu
nous donnera s’il luy plaist, apres nous auoir donné la particuliere.

FIN.

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