Anonyme [1649], LOVANGE DE FEV MONSIEVR LE MARQVIS DE CLANLEV, TVÉ A CHARANTON, EN COMBATTANT POVR LE SERVICE DV ROY, ET DV PARLEMENT. Dulce, & decorum est pro patria mori. , français, latinRéférence RIM : M0_2325. Cote locale : C_3_99.
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LOVANGE DE FEV MONSIEVR
Le Marquis de Clanleu, tué à Charanton,
en combattant pour le seruice du Roy,
& du Parlement.

Dulce, & decorum est pro patriâ mori,

C’est vne verité qui n’auoit pas besoin de l’authorité
de l’Escriture Sainte, & que le sens
commun enseigne à tous les raisonnables,
qu’vn Amy ne sçauroit donner à l’autre de
plus fortes marques de son amitié, qu’en donnant
sa vie pour luy. La vie est le fondement de tous les
biens, & de tous les plaisirs ; c’est le sujet de tous nos trauaux,
la cause de tous nos delices, & de toutes nos esperances.
Ceux-là mesmes qui la prodiguent si franchement
dans les combats, ne cherchent la mort que pour y trouuer
vne vie encores plus longue que celle qu’ils abandonnent.
Dans le reste des bien-faits, la gratitude peut trouuer non
seulement la proportion, mais encores aller au delà, nous
pouuons rendre l’argent qu’on nous a presté, & mesme
auec vsure, nous pouuons donner des diamans pour des
rubis, & des chasteaux pour des cabanes ; mais nous ne pouuons
iamais nous acquitter par vne iuste compensation [3 lettres ill.]
uers ceux qui ont employé leur vie pour nous, puis que
n’estant plus en estat de receuoir la nostre, il nous seroit
impossible de leur rendre autant qu’il nous ont donné. Que
faut il donc faire pour estre reconnoissans enuers les personnes
qui sont mortes pour nos interests ? Ne faut-il pas
cherir tendrement leur memoire, & tout ce qui leur appartenoit,

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reuerer leurs cendres, iusques à imiter cette sage
Princesse, & fidelle femme, qui auala celles de son mary, &
leur fit vn tombeau de son estomach.

 

Ne faut-il pas en suite éterniser leur gloire par nos loüanges,
& ne leur pouuant plus rendre la vie qu’ils ont perduë
pour nous, ny donner vtilement la nostre, leur donner celle
de l’honneur qu’ils ont si ardamment desirée, & pour laquelle
ils sont morts aussi bien que pour nostre seruice. Les
premiers Orateurs, & les premiers poëtes n’employerent
les graces de leurs arts qu’en de pareilles rencontres, les
plus belles pieces de l’antiquité furent des oraisons, & des
cantiques funebres pour les heros qui auoient donné leur
sang à la Patrie, & le Paganisme ne faisoit point d’Apotheoses
que de ces grands Personnages.

I’auois attendu iusqu’icy qu’vne meilleure plume que la
mienne entreprit le Panegyrique de feu Monsieur de Clanleu,
i’écoutois tous les iours si nos Colporteurs qui sont retentir
les ruës de tant de pieces, ne crieroient point celle-là.
Mais enfin mon impatiance a deuancé peut estre le dessein
de ceux qui s’y preparoient, & n’a pû souffrir plus long-temps
que sa vertu demeurast sans cette sorte de recompense.

Encore que la Noblesse ne soit qu’vn bien de la fortune,
& que par consequent elle ne merite pas tant de gloire, que
les biens de l’esprit, ny mesme que ceux du corps, toutesfois
les Panegyristes ont accoustumé de commancer par elle
les eloges des hommes extraordinaires.

En effet la Noblesse rehausse infiniment l’éclat des perfections
acquises ou naturelles, & le Gentil-homme a le mesme
auantage sur le Roturier, qu’vne pierre precieuse enchancement
dans de l’or, sur celle qui n’est enchassée que dans
du plomb. Pour rendre donc à la memoire de nostre braue
Clanleu ce qui luy appartient, ie diray à ceux qui le peuuent
ignorer, que sa naissance n’estoit pas simplement noble,
mais qu’elle estoit illustre. Il estoit des plus hautes maisons
du Boulonois, dont mesme ses predecesseurs auoient eu le
gouuernement. Son pere auoit endu de si glorieux seruices

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au grand Henry IV. qu’il fut fait Mareschal de Camp de
ses armées. Le fils n’auoit pas degeneré. Ses belles qualitez
luy donnerent part aux bonnes graces de son A. R. au
seruice de laquelle il s’estoit tellement attaché, qu’il auoit
tousiours suiuy sa fortune dans les affaires les plus épineuses,
& dans les conionctures les plus difficiles. Ce fut à sa consideration
qu’il prit employ à Mastric contre les Hollandois,
où il commanda vn regiment de Caualerie, & vn d’Infanterie.
Il accompagna à son retour en France son maistre
qu’il auoit suiui à sa sortie, mais l’empire que l’Abbé de la
Riuiere s’estoit acquis sur l’esprit de S. A. R. luy fut insupportable,
comme les gens de bien ne s’accordent iamais
auec les perfides, il se retira d’auprés de ce cher Maistre, &
sa vaillance ne pouuant deuenir oysiue, il prit vn regiment
d’infanterie, qu’il commanda pour le seruice du Roy, tant
au siege de la Mote, qu’en Flandres, & en Italie, où il donna
tousiours des preuues de sa conduite, & de son courage.
Comme il auoit tousiours marché sur les pas de son pere, il
paruint aussi aux mesmes honneurs, & fut fait Mareschal
de Camp des armées du Roy, il merita en suite d’estre choisi
pour Gouuerneur de Mardic, place dont tout le monde
sçait l’importance : mais la malice, & la trahison du Cardinal
Mazarin furent cause qu’il y fit plustost voir les effets de
son malheur, que de sa vertu. Car ce Ministre si mal intentionné
pour le bien de la France, laissa manquer cette place
de tout ce qui estoit necessaire pour la garder. De sorte
que Monsieur de Clanleu ayant obtenu congé pour venir
representer à la Cour l’extremité ou elle estoit reduite, elle
fut aisément liurée aux ennemis par l’intelligence d’vn
Caporal nommé la Pierre, qui auoit esté la qua y dudit Cardinal,
& qui rendit par cette trahison vn fidele seruice à son
maistre, qui n’en recompense que ceux de cette nature.
Comme la fortune en veut ordinairement aux Braues, parce
qu’ils ne veulent pas releuer de son empire, ny deuoir
leur gloire qu’à leur propre merite : cette malicieuse Deesse
ioüa encore vn mauuais tour au malheureux, & braue
Clanleu : car ayant esté fait encore gouuerueur de Dixmude,

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il perdit aussi cette place, en suite de quoy il fut fait prisonnier
dans la Citadelle d’Amiens par le mesme Mazarin
qui apprehendoit qu’il ne se iustifiast, & ne reiettast sur son
mauuais ministere la perte de Dixmude. Enfin cet illustre
persecuté trompa la fortune, lors qu’ayant connu la iustice
de nostre party, il vint offrir à l’Auguste Senat de Paris ses
biens & sa vie qu’il a si glorieusement sacrifiée pour le public.
Il auoit perdu les places où il auoit commandé, mais
il se resolut de garder Charanton, ou du moins de ne pas suruiure
à sa perte. Pour fortifier vn village de si mauuaise garde,
il apporta tous les soins imaginables, mais comme si
l’hyuer se fut entendu auec son mauuais destin, les gelées
furent si rudes & si longues, qu’il ne peut auancer ses trauaux
comme il s’estoit proposé, il fut donc attaqué comme
tout le monde sçait, par les troupes les plus considerables
des ennemis, qui estoient en bataille pour empescher vn secours
qu’il auoit raison d’attendre, & dont il n’eut pas eu
besoin, si les autres postes eussent esté aussi bien deffendus
que le sien. C’est là veritablement qu’il fit voir qu’il auoit
accoustumé de perdre les places ou il commandoit, mais
qu’il ne les perdoit pas par sa faute. Iamais homme ne se defendit
mieux, & ne tua plus d’ennemis en si peu de temps ;
celuy-là mesme qui vouloit tenter son courage, & qui luy
offroit quartier, sentit la pesanteur de ses derniers coups, &
mourut en luy offrant vne vie qu’il estimoit honteuse. Si le
Christianisme me permet de dire qu’il y a de nobles desespoirs,
celuy de Monsieur de Clanleu est digne d’vn eternel
souuenir, il pouuoit viure, mais il ne pouuoit pas garder
Charanton, il estoit sage aussi bien que courageux, il sçauoit
le iugement qu’eut fait le peuple, s’il eut suruescu à la perte
d’vne place attaquée par S. A. R. à qui il auoit esté, & quoy
que ses playes qui estoient aussi grandes que son corps le
peussent assez iustifiier, il se rendit luy mesme vn iugement
plus seuere que les autres. Il estoit François, il voulut mourir
en France, & pour la France contre vn Sicilien, des Allemands,
des Polonois, il estoit homme de bien, il voulut
mourir contre des voleurs, & des impies. Enfin il mourut

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le braue Clanleu, mais il en cousta bon aux ennemis, nous
pouuons dire qu’il nous seruit mieux en perdant cette place,
que d’autres n’eussent fait en la conseruant, & l’affaire s’est
passée de telle sorte, que nous auons suiet de souhaitter à
nos ennemis de pareilles prises que celle du village de Charanton.

 

O braue Clanleu, genereux François, fidele seruiteur
d’vn Roy, qui n’est pas encore en estat de discerner le fidele
d’auec le traistre, mais qui le sera vn iour, s’il plaist à Dieu ;
bon citoyen, amateur du bien public, quels eloges te puis-
ie donner qui soient proportionnez à ton merite ? Nous sçauons
belle ame, que iouyssant des honneurs du ciel, tu méprises
ceux de la terre, aussi n’est-ce pas tant pour ta satisfaction,
que pour la nostre que nous celebrons tes loüanges,
tu n’as que faire de rien en l’estat ou tu es, mais nous serions
indignes de l’amour que tu nous a porté, si nous n’en
gardions cherement le souuenir, & si nous épargnions l’ancre
pour la gloire d’vn homme, qui a prodigué son sang
pour nostre repos.

FIN.

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