Anonyme [1649 [?]], FACTVM Pour M. Bernard de Bautru Aduocat au Conseil Priué du Roy, intimé & appellant de la procedure extraordinaire, & sentence du 4. iour du present mois de Iuin, & demandeur. Contre le Substitut de Monsieur le Procureur general au Chastelet, appellant, intimé & defendeur. , français, latinRéférence RIM : M0_1366. Cote locale : C_5_2.
SubSect précédent(e)

CAVSES ET MOYENS D’APPEL
proposez par le Procureur du Roy au Chastelet.

Contre Bernard Bautru Aduocat, accusé.

IL y a trois choses à examiner. La premiere, si l’accusé
est suffisamment conuaincu du crime qui luy est impose.
La seconde, la qualite de l’accusation & du crime. La
troisiesme, quelle est la peine de droict & de l’Ordonnance.

Pour ce qui regarde la conuiction, elle est toute entiere,
tant par la deposition des témoins, que par les reconnoissances
de l’accuse mesme. Les témoins qui n’ont point esté reprochez,
ont deposé & soustenu à la confrontation, que l’accuse
leur auoit fait voir le libelle intitulé, Discours sur la deputation du
Parlement à M. le Prince de Conde ; qu’il l’auoit voulu faire imprimer par
le nommé Dédain l’vn d’eux. De sorte que par la deposition des
temoins il est conuaincu du dessein forme de faire imprimer ledit
Libelle. Mais qui plus est, luy mesme est demeuré d’accord à la
confrontation d’auoir mandé ledit Dédain en sa maison, & de luy
auoir proposé l’impression du Libelle en la presence du nomme
Vaudran autre témoin, & de luy en auoir fait lecture ; apres quoy
il est clair comme le iour, qu’il auoit absolument resolu de faire
imprimer ledit Libelle. Or il est conuaincu d’auoir executé cette
resolution : Premierement, par la deposition dudit Vaudran témoin
non reproché à la confrontation, qui luy a soustenu que
par son ordre il auoit porté ledit Libelle au nommé Boucher Imprimeur.
Et la deposition de ce témoin, bien qu’elle ne soit qu’vne
demie preuue, est neantmoins renduë plaine & entiere par
deux circonstances importantes. La premiere, est la fuite dudit.
Boucher depuis la recherche commencee contre les Autheurs
dudit Libelle. La seconde, est la variation de l’accuse, qui ayant
denié par son interrogatoire d’auoir eu copie dudit Libelle, & de

-- 10 --

l’auoir voulu faire imprimer, neantmoins il est demeuré d’accord
de l’vn & de l’autre à la confrontation, pressé qu’il estoit du témoignage
dudit Vaudran & de sa propre conscience. Si bien que
la denegation portee par son interrogatoire ayant esté faussement
faite, il est à presumer que celle qu’il fait d’auoir enuoyé ce Libelle
par ledit Vaudran audit Boucher pour l’imprimer n’est pas
moins fausse, & cette presomption estant confirmee par l’euenement,
qui fait voir qu’en effect ledit Libelle a este imprime, l’on
est aux termes de cette forte coniecture de droict, voluit, potuit,
factum est, ergo ab illo. De sorte qu’il y a lieu de croire que ç’a este par
l’ordre dudit accuse, qui confesse en auoir eu le dessein, à qui vn
témoin sans reproche le soustient, & qui ne s’en defend que par
vne denegation temeraire & hors d’apparence. Ainsi la deposition
dudit Vaudran demeurant confirmée par telles circonstances
& presomptions, elle estoit vne preuue entiere, suffisante &
concluante. Et la foy de la deposition dudit Vaudran ne peut
estre destruite, par ce que l’accusé a objecté estant interrogé,
que ledit Vaudran estoit son accusateur, d’autant qu’il n’y a
point d’autre accusateur contre luy que le Procureur du Roy au
Chastelet, qui est l’accusateur public, & ledit Vaudran n’a autre
qualité au procez que de tesmoin ; Que si ce reproche estoit considerable,
il n’y auroit point de tesmoins qui ne fussent reprochables
quand il n’y a point d’autre partie au procez que la partie publique.

 

Quant au second poinct qui regarde la qualité de l’accusation
& du crime, ledit Bautru est accuse & conuaincu, comme il a esté
monstre, d’auoir fait imprimer le Libelle intitule, Discours, &c.
Ce Libelle est seditieux & diffamatoire, iniurieux à la personne
de Monsieur le Prince, à plusieurs de Messieurs du Parlement & à
toute la Compagnie mesme. Et qui pis est, contraire au bien & à
la tranquillité de l’Estat. Ce Libelle taxe le Parlement d’auoir commis
des laschetez, & d’auoir fait vne iniure tres-sensible a Monsieur le Duc
d’Orleans. Il accuse les Deputez de la Compagnie de corruption dans la
negociation de la Paix, & quelques autres particuliers de la Compagnie.
Il taxe Monsieur le Prince de Condé d’impi[1 lettre ill.]te & de sacrilege,
il le fait autheur de cruautez horribles, de la desolation des Villes & des Villages,
du violement des femmes & des filles, de la prophanation des Eglises, &

-- 11 --

generalement de tous les maux & de tous les desordres imaginables. Il le veut
malicieusement faire passer pour vn Prince qui aspire à l’independance,
qui porte auec impatience la qualité de sujet. Et pour comble
d’outrages il dit, que c’est vn fleau que Dieu prepare pour affliger le Royaume,
& vn monstre ne pour la ruine & la desolation de son pays, excitant les
peuples à vne haine & vne auersion vniuerselle contre sa personne
par des calomnies tout à fait criminelles. Il accuse les Generaux
de trahison. Enfin, il attaque & decrie la conduite de tout le
monde, menace de gouuernement violent, de restablissement de Tyrannie,
de persecution & d’oppression publique. Ainsi ce Libelle n’est pas seulement
vne diffamation generale contre toutes sortes de personnes,
& particulierement contre vn premier Prince du sang, mais encor
visiblement vn instrument de sedition, que l’Autheur semble vouloir
exciter, tant contre la personne de Monsieur le Prince, que
contre tous les autres, qu’il condamne de lascheté, de corruption & de
trahison, & qu’il veut faire passer dans l’esprit du peuple pour des
persecuteurs & des tyrans. De sorte que cet ouurage n’a este entrepris
que pour empescher la reconciliation entre les sujets du Roy, &
le restablissement de la tranquillité publique dans l’Estat : & l’accuse
ayant fait exposer cette piece en public, ne peut estre reputé
autre que perturbateur du repos public.

 

Il reste à examiner quelle est la peine ordonnée pour vn crime
de cette qualité : De droict elle est capitale en la loy vnique au
Code de famosis Libellis : Ce qui est confirmé par Edict du Roy
Charles IX. donné à Mante le 10. Septembre 1563. verifié au
Parlement le 29. Nouembre ensuiuant, & renouuellé par l’Ordonnance
de Moulins article 77. & par l’Edict de pacification du Roy
Henry III. de l’an 1577. article 14. par lesquels Edicts & Ordonnances
defenses tres-expresses sont faites à toutes sortes de personnes
de mettre en lumiere, imprimer, ny faire imprimer aucun
liure escrit, placard ou libelle diffamatoire, à peine de confiscation
de corps & de biens : ce que la Cour a aussi ordonné par
ses Arrests : & ce qui est d’autant plus important de renouueller
en cette occasion, qu’auiourd’huy la licence des esprits se porte
aux derniers excez qui se peuuent commettre en ce genre de crime,
vt nimium multis personis grassantibus exemplo sit opus. l. Aut facta,
in fine. ff. de Pœnis.

-- 12 --

Il est à obseruer qu’il y a au procez vn manuscrit d’vn autre libelle
pernicieux intitulé, Requeste des Prouinces & des Ville, desolees
de France à Nosseigneurs du Parlement de Paris, laquelle piece est recogneuë
par ledit Bautru auoir esté escrite par son clerc. Ce qui
n’a pas esté aprofondy, mais il y a apparence que le clerc ne l’a
pas fait sans la participation du maistre, & l’accusé ayant fait imprimer
l’vn on pourroit aussi presumer qu’il a fait imprimer l’autre,
semel malus in codem genere mali, semper præsumitur malus.

FIN.

SubSect précédent(e)


Anonyme [1649 [?]], FACTVM Pour M. Bernard de Bautru Aduocat au Conseil Priué du Roy, intimé & appellant de la procedure extraordinaire, & sentence du 4. iour du present mois de Iuin, & demandeur. Contre le Substitut de Monsieur le Procureur general au Chastelet, appellant, intimé & defendeur. , français, latinRéférence RIM : M0_1366. Cote locale : C_5_2.