Anonyme [1649 [?]], FACTVM Pour M. Bernard de Bautru Aduocat au Conseil Priué du Roy, intimé & appellant de la procedure extraordinaire, & sentence du 4. iour du present mois de Iuin, & demandeur. Contre le Substitut de Monsieur le Procureur general au Chastelet, appellant, intimé & defendeur. , français, latinRéférence RIM : M0_1366. Cote locale : C_5_2.
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FACTVM

Pour M. Bernard de Bautru Aduocat au Conseil Priué du Roy,
intimé & appellant de la procedure extraordinaire, & sentence
du 4. iour du present mois de Iuin, & demandeur.

Contre le Substitut de Monsieur le Procureur general au Chastelet, appellant,
intimé & defendeur.

L’Appel à Minima, qui a esté interjetté par le Substitut de
M. le Procureur general, est d’vne sentence renduë au
Chastelet de Paris, par laquelle il a esté ordonné, qu’il seroit
plus amplement Informé ; cependant que l’accusé seroit mis
hors des prisons à sa caution Iuratoire,

L’accusé est vn Aduocat du Conseil Priué du Roy, qui demeure
dans cette ville de Paris, qui a vne femme & six enfans. Et bien
que sa qualité & son employ, & l’estat de sa fortune, fussent des
ostages assez puissans pour le public, & pour ne pas craindre qu’il
se derobast à la Iustice, il fut neantmoins arresté prisonnier le premier
de ce mois sur les huict à neuf heures du soir, comme vn voleur
& vn scelerat, par vn Commissaire accompagné de quarante
ou cinquante Archers, sans information & sans decret, que l’ordre
verbal du Lieutenant Ciuil, qui est vne violence à la seureté
publique.

Mais bien que les mauuais traitemens faits à l’accusé par ceux
qui se saisirent de sa personne, meritassent qu’on luy donnast quelque
relasche dans sa prison ; neantmoins il n’y fut pas si tost entré,
que l’on trauaille à son procez. Quoy qu’il fust dix heures du soir,
l’on ne peut attendre le iour, c’estoit vne action, qui n’estoit bonne
que pour la nuict, & pour les tenebres. Tellement que dans moins
de deux ou trois heures l’on entend l’accusé, l’on fait la confrontation,
marque infaillible que les témoins estoient des personnes
bien familieres de l’appellant, & qu’ils estoient tousiours prests
d’opprimer l’innocence affligée, & de seruir d’instrumens à l’injustice.

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Le procez ayant esté mis en estat de iuger pendant la nuict, &
dans cette precipitation sans exemple, c’eust esté encore trop de
consolation à l’accusé, si dans son mal heur & dans sa persecution,
il eust peû iouyr de la veuë de ses amis, de celle de sa femme, & de
ses enfans. C’est vne grace qui ne se refuse qu’aux seuls criminels
de leze-Majesté, & encore dans la derniere rigueur de la loy, que
l’on souffre bien souuent estre violée dans ces rencontres. Mais il
fut aussi tost resserré par le Iuge dans vne forme de cachot : & de
peur qu’il ne se trouuast quelqu’vn qui eust assez d’humanité pour
mépriser les ombres de la nuict, & qui dans ces lieux obscurs, qui
sont les premiers supplices, voulust soulager sa misere & ses inquietudes,
le Lieutenant Ciuil emporta luy-mesme la clef du cachot,
qui est vne cruauté & vne rigueur qui ne s’exerce point par les geoliers
ordinaires, qui n’agissent pas par des mouuemens estrangers.

Les plaintes de ce procedé violent ayans esté portees à la Cour,
dés le lendemain M. le Procureur General manda le Commissaire
de Laistre qui auoit fait la capture. Mais comme il ne taschoit
qu’à couurir les seuices qu’il auoit luy-mesme exercés, en prenant
l’accusé prisonnier, il fist passer l’affaire pour la plus importante
de l’Estat.

Tellement que ce discours empescha que M. le Procureur General
ne donnast ses Conclusions pour obtenir vn Arrest de defenses
particulieres.

Neantmoins le Lieutenant Ciuil iugeant bien que cette procedure
extraordinaire auoit desia excité de grands murmures, que le
Parlement voudroit sans doute connoistre de l’affaire, & qu’on luy
pourroit lier les mains, il resolut de iuger l’accuse le Vendredy. Et
ce qu’il y a de remarquable, c’est qu’on y vit des Iuges qui ont
abandonné il y a long-temps l’exercice & la fonction de leurs
charges, pour s’engager dans des affaires qui les en ont rendus indignes
tant de fois, & qui les deuroient empescher d’entrer iamais
dans le Temple de la Iustice, & pourtant leur presence n’empescha
pas que l’innocence de l’accusé ne preualut, & ne fust reconnuë par
la Sentence, qui a ordonné qu’il seroit plus amplement informé,
cependant que l’accusé seroit mis hors des prisons à sa Caution juratoire.

Mais bien qu’il soit sans exemple, que les Substituds de M. le
Procureur General puissent appeller d’vne Sentence interlocutoire

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qui ne va qu’à l’instruction, & à descouurir plus facilement la verité,
le Substitud au Chastelet ne pouuant pas cacher l’opiniastreté
& la chaleur qu’il a fait paroistre dans ce rencontre, en a toutefois
interietté appel ; & ce qu’il y a de plus extraordinaire & qui
marque visiblement sa passion, c’est qu’il a qualifié son appel à
Minima,, quoy qu’il n’y eust point de peine afflictiue, & que les
Iuges n’ayent rien prononce diffinitiuement.

 

L’accusé soustient donc, sauf correction de la Cour, qu’il ne faut
que la simple deduction de la procedure, pour monstrer qu’il n’y a
rien eu que de violent & de precipité dans l’action de l’appellant,
& dans sa conduite, que toute l’instruction a esté vne cabale, qui
se ruine d’elle-mesme, & par les circonstances du procez.

Premierement dans la forme de l’emprisonnement, la Cour est
tres-humblement suppliee de considerer les mauuais traitemens
faits à la personne de l’accusé, qui est vn Aduocat du Conseil de
probité, qui pouuoit estre arresté auec moins de scandale & de ceremonie.

Mais la violence n’a pas seulement paru dans l’execution, elle se
rencontre encore dans l’ordre du Iuge. Et c’est icy que les loix se
doiuent éleuer elles-mesmes pour demander iustice, la seureté publique
est violee, Vindicatæ patres, vindicatæ fratres, vindicatæ mariti,
fortior disciplnæ publicæ seueritas surgat. Tous les soins qu’a pris la
Cour dans ces derniers temps pour rappeller les anciennes loix, &
empescher l’oppression publique sont auiourd’huy entierement
inutils ; car elle obseruera comme vne chose d’exemple, & de consequence
perilleuse, que l’accusé fut pris seulement de l’ordonnance
verbale du Lieutenant Ciuil. La Cour rappellera, s’il luy
plaist, en cet endroit combien de combats & d’attaques il falut
soustenir l’annee derniere dans les Conferences faites à S. Germain,
pour estouffer le mauuais vsage que l’on auoit introduit dans
le Royaume. Elle ne voulut seulement iamais accorder que l’on
peust se sa sir de personnes sans les formes ordinaires de la Iustice,
sans information & sans decret : cette Police qui a mesmes esté inseree
dans la Declaration du mois d’Octobre, a esté iugee si importante
au lien de la societé ciuile, qu’elle s’appelle auiourd’huy
l’article & le poinct de la seureté publique, & neantmoins ce que la
Cour n’a pas voulu accorder dans les plus grands crimes, le Lieutenant
Ciuil a creu le pouuoir faire en cette occasion de son

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authorité absoluë ; car en vertu d’vne simple ordonnance verbale,
on a enleué l’accusé, on l’a resserré dans vn cachot, on luy a fait
son procez.

 

Ce fait n’est pas imaginaire & supposé : La Cour est tres-humblement
supplice de voir l’extraict de l’escroüe, par lequel le Commissaire
de Laistre qui a esté l’instrument de cette violence, declare
formellement que ce n’a esté qu’en vertu de l’Ordonnance verbale
du Lieutenant Ciuil que l’emprisonnement a esté fait.

Et bien que l’appellant pretende qu’il y auoit vn Decret du 27.
May dernier, ce n’a pourtant pas esté en vertu de ce pretendu Decret
que l’accusé a esté emprisonné : Car la Cour obseruera, s’il luy
plaist, que le Decret que l’on fait voir auiourd’huy est du 27. May,
& l’Ordonnance verbale dont il est fait mention dans l’escrou, est
du 29. du mesme mois. Tellement qu’il paroist par cette circonstance,
que l’information & le decret que l’on rapporte à present
sont des pieces visiblement supposees qui ont esté faites apres
coup, & lors que l’on tenoit l’accusé dans les fers & dans la prison.

La seconde nullité dans la forme est la precipitation visible dans
l’instruction du procez, il a esté obserué dans le fait, que l’interrogatoire,
la confrontation, & tout le reste, à esté fait dans trois
heures. Que l’accusé ayant esté pris sur les huict à neuf heures du
soir, l’on auoit passé vne partie de la nuict pour acheuer vn si bel ouurage,
& pour le mettre dans l’estat que l’on le souhaittoit : cette
verité se iustifie encores par la datte de l’interrogatoire & de la
confrontation, tellement qu’il ne s’est rien veu de plus violent que
cette procedure, ny de plus contraire à nos mœurs & à nostre
vsage.

Au fonds, l’accusé ne pretend pas qu’il y puisse auoir aucune
charge contre luy, quelque soin qu’on ait apporté pour la faire
triompher de son innocence.

On luy a confronté deux témoins, le premier est vn nommé Pierre
Vaudran, qui est vn Facteur du Messager, lequel pretend qu’ayant
esté porter quelques lettres au logis de l’accusé, il luy demanda s’il
n’y auoit pas moyen de faire imprimer vn Discours fait contre la Deputation
du Parlement à Monsieur le Prince de Condé : que pour cela il luy
auoit mené quelques iours apres vn nommé Desdin, lequel n’auoit
pas emporté la piece, mais qu’il luy promit seulement de la venir
prendre au premier iour : que n’estant pas venu luy-mesme, Pierre

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Vaudran se chargea de ce manuscrit pour le donner à imprimer,
ce qu’il auroit fait quelques iours apres, & le nomme Boucher
l’auroit imprimé de son ordre & par les soins.

 

L’accuse soustient qu’il ne saut pas beaucoup de raisonnement
pour destourner cette supposition ; c’est vn homme qui aduouë
son crime, & qui se descharge sur vn autre, il porte son reproche
auec luy : il demeure d’accord que c’est luy qui a mené le premier
Imprimeur dans la maison de l’accusé : que ce premier Imprimeur
ayant manqué & n’estant pas venu, que l’accusé n’en a point recherché
d’autres, mais qu’il s’en est luy-mesme charge, & qu’il a
pris les soins de faire imprimer le Discours au premier de sa connoissance.

Et bien que la pluspart des choses contenuës dans cette deposition
ne soient pas veritables, qu’elles soient fausses & supposees,
que l’accuse n’ait iamais parlé au nommé Vaudran de faire imprimer
la piece dont est question, le tesmoignage qu’il rend contre
luy mesme peut-il seruir à la conuiction de l’accuse ? vn homme
qui s’offre & se defere luy mesme en Iustice qui se dit coulpable
& criminel, ne peut pas estre condamné, s’il n’y a encores
d’autres preuues qui confirment sa confession ; & neantmoins l’on
veut que dans vne accusation destituee mesme de toute apparence
& de presomption, ce nommé Vaudran puisse conuaincre l’accusé
des crimes qu’il aduouë luy mesme, l’on veut qu’il trouue l’impunité
dans sa personne, non pas à cause qu’il s’accuse, mais parce
qu’il en accuse vn autre.

Mais ce qui fait paroistre que ce tesmoin a esté prattiqué pour
perdre vn homme d’honneur, c’est qu’encores qu’on eut pris grand
soin de l’instruire pour sa deposition, il n’a pourtant pas laisse de
varier dans sa confrontation : car il n’y a que la verité qui soit toûiours
semblable à elle mesme, le mensonge est toûiours deguisé :
dans sa deposition il dit que l’accuse luy auoit encores mis entre
les mains vne piece intitulee, La Requeste des Prouinces desolees :&
dans sa confrontation il dit au contraire, qu’il l’a euë des mains
de son Clerc, sans qu’il l’ait sceu, & hors sa presence. Cette variation
est tres importante, & fait voir que ce nommé Vaudrin est vn
homme qui cherche par tout des pieces secrettes & inconnuës
pour en faire commerce, ou plutost pour surprendre ceux qui s’en
trouuent quelquefois chargez par la curiosité naturelle & la conioncture
des affaires.

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La 3. raison, qui est infaillible, & qui fait voir que ce nommé
Vaudran est vn homme qui est nourry dans l’impunité, & qui dans
cette asseurance ne craint pas d’entreprendre tout, c’est qu’estant
luy mesme coupable de l’impression de la piece, comme il demeure
d’accord dans tout le procez, l’on n’a pas seulement decretté contre
luy, l’on ne l’a pas arresté prisonnier, bien que cela fust fort facile
lors qu’il a este confronté à l’accusé : de sorte que cette consideration
fait bien voir que c’est vn homme qu’on ne veut pas perdre,
parce que c’est vn tesmoin Bannal, & qui peut seruir en beaucoup
d’autres rencontres.

Le deuxiesme & dernier tesmoin est vn nommé Dedin Imprimeur
de cette ville de Paris, qui ne dit rien autre chose sinon qu’il
fut auec le nommé Vaudran dans la maison de l’accusé, qui luy
voulut donner sa piece à imprimer ; mais qu’il ne la prit pas, ayant
remis au Dimanche suiuant, ce qu’il n’auoit pourtant pas fait.

Ce tesmoin ne dit pas qu’on luy eust donne la piece, mais qu’on
luy a voulu donner, si bien que sa de position est inutile, & ne prouue
rien : d’ailleurs c’est vn tesmoin à gage de la mesme : fabrique du
premier, & qui est de sa connoissance.

Et de faict, toute cette entreprise auoit esté curieusement concertee
auec les deux tesmoins : Car il est aisé de iustifier, que quatre
ou cinq iours auparauant que faire arrester l’accusé, le Lieutenant
Ciuil auroit fait conduire ce nommé Vaudran, qui est le premier
tesmoin, dans vne maison particuliere, où il passa toute la
nuict, & que la sous-esperance d’impunité & de recompense, comme
l’apparence y est toute entiere, l’accusation fut arrestee, & que
tout fut preparé.

Ce n’est pas d’auiourd’huy que l’on tend ces pieges & ces embusches,
il n’y a personne qui ne sçache dans Paris que l’on distribuë
de l’argent à plusieurs particuliers afin de faire des recherches exactes,
de multiplier les crimes & les accusations : & comme cela se
respand parmy le petit peuple, que ces deniers se donnent à des
mal heureux & miserables qui sont tousiours prests à tout entreprendre,
& qui sous esperance de recompense, peuuent mesme
surprendre ceux qui les employent à vn si funeste dessein ; la Cour
voit les maux & les desordres que cette nouueauté peut produire
dans le public, & si l’innocence peut trouuer vne retraitte asseurée.

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Tacite ne trouue point de plus grand deffaut dans la conduitte &
dans le gouuernement de son temps, qu’en ce qu’on inuitoit les
delateurs par des recompenses. La corruption, dit-il, fut si grande
en ce temps là dans l’Empire Romain, qu’elle passa iusques aux Senateurs,
qui sous esperance de se mettre en credit, & de faire leur
fortune, se rendoient mesme dénonciateurs contre toutes sortes de
personnes, ils ne se metroient pas en peine de distinguer les innocens
des coupables, pourueu que leur action fust agreable.

Ceste sorte de recherche a tousiours esté condamnee par les
loix du Royaume. Nous auons assez de nos vices, sans emprunter
ceux des estrangers : c’est vne forme d’inquisition qui ne conuient
point à nos mœurs ny à nostre liberté Françoise. Il n’y a personne
qu’on ne puisse enueloper par ce moyen dans ces crimes supposez.
L’on peut mesme dire que ce qui a esté fait dans ce rencontre en la
personne de l’accusé a fait paroistre vne consternation generalle
dans les esprits, tout le monde a pris l’espouuente dés qu’on a veu
qu’vn homme d’honneur, vn Bourgeois qualifié auoit esté enleué
comme vn criminel d’Estat sur la déposition de deux hommes de
neant, & qui portent leur reproche. Car il n’y a personne dans Paris
qui ait pû encore se persuader que l’accusé, qui a sa famille, son employ
& sa fortune sar laquelle il doit veiller incessamment, se soit
amusé à faire vn libelle contre monsieur le Prince, qu’il ait si peu
consideré son rang & sa naissance : ce ne sont point les soings & les
occupations d’vn homme de la qualité de l’accusé, & encore
moins de le frire imprimer.

Enfin la Cour remarquera pour dernieres considerations qu’il
est de Notorieté publique que la piece auoit paru entre les mains
de mil personnes vn mois auparauant qu’elle fust imprimet. Le
Lieutenant Ciuil luy-mesme sçait bien qu’elle a esté leuë en plusieurs
compagnies & en des lieux publics, comme elle n’estoit
encore qu’escrite à la main. Tellement qu’il y a peut estre plus de
trente personnes qui l’ont donnee a imprimer, les Imprimeurs mesme
qui recherchoient toutes ces pieces auec tant de soin n’ont-ils
pas peu estant commune comme elle estoit l’imprimer de leurs propres
mouuemens comme ils ont fait tant d’autres pieces : Ainsi
quelle apparence de vouloir rendrer sponsable l’accusé de tous les
desordres du temps, & exposer si vie, ses biens & son honneur, celle
de sa femme & de ses enfans, à deux oyseaux de proye, à deux

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bestes de sang & de carnage, à deux tesmoins corrompus, qui s’accusent
eux mesmes, pour auoir droit d’accuser les autres, qui ont
esté preparez par de mauuais artifices, & condamnez par nos
mœurs : l’accusé espere donc que la Cour en fera vn exemple prononçant
des à present son absolution.

 

Monsieur CRESPIN, Rapporteur.

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CAVSES ET MOYENS D’APPEL
proposez par le Procureur du Roy au Chastelet.

Contre Bernard Bautru Aduocat, accusé.

IL y a trois choses à examiner. La premiere, si l’accusé
est suffisamment conuaincu du crime qui luy est impose.
La seconde, la qualite de l’accusation & du crime. La
troisiesme, quelle est la peine de droict & de l’Ordonnance.

Pour ce qui regarde la conuiction, elle est toute entiere,
tant par la deposition des témoins, que par les reconnoissances
de l’accuse mesme. Les témoins qui n’ont point esté reprochez,
ont deposé & soustenu à la confrontation, que l’accuse
leur auoit fait voir le libelle intitulé, Discours sur la deputation du
Parlement à M. le Prince de Conde ; qu’il l’auoit voulu faire imprimer par
le nommé Dédain l’vn d’eux. De sorte que par la deposition des
temoins il est conuaincu du dessein forme de faire imprimer ledit
Libelle. Mais qui plus est, luy mesme est demeuré d’accord à la
confrontation d’auoir mandé ledit Dédain en sa maison, & de luy
auoir proposé l’impression du Libelle en la presence du nomme
Vaudran autre témoin, & de luy en auoir fait lecture ; apres quoy
il est clair comme le iour, qu’il auoit absolument resolu de faire
imprimer ledit Libelle. Or il est conuaincu d’auoir executé cette
resolution : Premierement, par la deposition dudit Vaudran témoin
non reproché à la confrontation, qui luy a soustenu que
par son ordre il auoit porté ledit Libelle au nommé Boucher Imprimeur.
Et la deposition de ce témoin, bien qu’elle ne soit qu’vne
demie preuue, est neantmoins renduë plaine & entiere par
deux circonstances importantes. La premiere, est la fuite dudit.
Boucher depuis la recherche commencee contre les Autheurs
dudit Libelle. La seconde, est la variation de l’accuse, qui ayant
denié par son interrogatoire d’auoir eu copie dudit Libelle, & de

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l’auoir voulu faire imprimer, neantmoins il est demeuré d’accord
de l’vn & de l’autre à la confrontation, pressé qu’il estoit du témoignage
dudit Vaudran & de sa propre conscience. Si bien que
la denegation portee par son interrogatoire ayant esté faussement
faite, il est à presumer que celle qu’il fait d’auoir enuoyé ce Libelle
par ledit Vaudran audit Boucher pour l’imprimer n’est pas
moins fausse, & cette presomption estant confirmee par l’euenement,
qui fait voir qu’en effect ledit Libelle a este imprime, l’on
est aux termes de cette forte coniecture de droict, voluit, potuit,
factum est, ergo ab illo. De sorte qu’il y a lieu de croire que ç’a este par
l’ordre dudit accuse, qui confesse en auoir eu le dessein, à qui vn
témoin sans reproche le soustient, & qui ne s’en defend que par
vne denegation temeraire & hors d’apparence. Ainsi la deposition
dudit Vaudran demeurant confirmée par telles circonstances
& presomptions, elle estoit vne preuue entiere, suffisante &
concluante. Et la foy de la deposition dudit Vaudran ne peut
estre destruite, par ce que l’accusé a objecté estant interrogé,
que ledit Vaudran estoit son accusateur, d’autant qu’il n’y a
point d’autre accusateur contre luy que le Procureur du Roy au
Chastelet, qui est l’accusateur public, & ledit Vaudran n’a autre
qualité au procez que de tesmoin ; Que si ce reproche estoit considerable,
il n’y auroit point de tesmoins qui ne fussent reprochables
quand il n’y a point d’autre partie au procez que la partie publique.

 

Quant au second poinct qui regarde la qualité de l’accusation
& du crime, ledit Bautru est accuse & conuaincu, comme il a esté
monstre, d’auoir fait imprimer le Libelle intitule, Discours, &c.
Ce Libelle est seditieux & diffamatoire, iniurieux à la personne
de Monsieur le Prince, à plusieurs de Messieurs du Parlement & à
toute la Compagnie mesme. Et qui pis est, contraire au bien & à
la tranquillité de l’Estat. Ce Libelle taxe le Parlement d’auoir commis
des laschetez, & d’auoir fait vne iniure tres-sensible a Monsieur le Duc
d’Orleans. Il accuse les Deputez de la Compagnie de corruption dans la
negociation de la Paix, & quelques autres particuliers de la Compagnie.
Il taxe Monsieur le Prince de Condé d’impi[1 lettre ill.]te & de sacrilege,
il le fait autheur de cruautez horribles, de la desolation des Villes & des Villages,
du violement des femmes & des filles, de la prophanation des Eglises, &

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generalement de tous les maux & de tous les desordres imaginables. Il le veut
malicieusement faire passer pour vn Prince qui aspire à l’independance,
qui porte auec impatience la qualité de sujet. Et pour comble
d’outrages il dit, que c’est vn fleau que Dieu prepare pour affliger le Royaume,
& vn monstre ne pour la ruine & la desolation de son pays, excitant les
peuples à vne haine & vne auersion vniuerselle contre sa personne
par des calomnies tout à fait criminelles. Il accuse les Generaux
de trahison. Enfin, il attaque & decrie la conduite de tout le
monde, menace de gouuernement violent, de restablissement de Tyrannie,
de persecution & d’oppression publique. Ainsi ce Libelle n’est pas seulement
vne diffamation generale contre toutes sortes de personnes,
& particulierement contre vn premier Prince du sang, mais encor
visiblement vn instrument de sedition, que l’Autheur semble vouloir
exciter, tant contre la personne de Monsieur le Prince, que
contre tous les autres, qu’il condamne de lascheté, de corruption & de
trahison, & qu’il veut faire passer dans l’esprit du peuple pour des
persecuteurs & des tyrans. De sorte que cet ouurage n’a este entrepris
que pour empescher la reconciliation entre les sujets du Roy, &
le restablissement de la tranquillité publique dans l’Estat : & l’accuse
ayant fait exposer cette piece en public, ne peut estre reputé
autre que perturbateur du repos public.

 

Il reste à examiner quelle est la peine ordonnée pour vn crime
de cette qualité : De droict elle est capitale en la loy vnique au
Code de famosis Libellis : Ce qui est confirmé par Edict du Roy
Charles IX. donné à Mante le 10. Septembre 1563. verifié au
Parlement le 29. Nouembre ensuiuant, & renouuellé par l’Ordonnance
de Moulins article 77. & par l’Edict de pacification du Roy
Henry III. de l’an 1577. article 14. par lesquels Edicts & Ordonnances
defenses tres-expresses sont faites à toutes sortes de personnes
de mettre en lumiere, imprimer, ny faire imprimer aucun
liure escrit, placard ou libelle diffamatoire, à peine de confiscation
de corps & de biens : ce que la Cour a aussi ordonné par
ses Arrests : & ce qui est d’autant plus important de renouueller
en cette occasion, qu’auiourd’huy la licence des esprits se porte
aux derniers excez qui se peuuent commettre en ce genre de crime,
vt nimium multis personis grassantibus exemplo sit opus. l. Aut facta,
in fine. ff. de Pœnis.

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Il est à obseruer qu’il y a au procez vn manuscrit d’vn autre libelle
pernicieux intitulé, Requeste des Prouinces & des Ville, desolees
de France à Nosseigneurs du Parlement de Paris, laquelle piece est recogneuë
par ledit Bautru auoir esté escrite par son clerc. Ce qui
n’a pas esté aprofondy, mais il y a apparence que le clerc ne l’a
pas fait sans la participation du maistre, & l’accusé ayant fait imprimer
l’vn on pourroit aussi presumer qu’il a fait imprimer l’autre,
semel malus in codem genere mali, semper præsumitur malus.

FIN.

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