Anonyme [1649], LETTRE ESCRITE AV CHEVALIER DE LA VALETTE. Soubs le Nom du Peuple de Paris. Auec la responce aux placards qu’il a semez par ladite Ville. , françaisRéférence RIM : M0_2212. Cote locale : A_5_11.
Sub2Sect précédent(e)

Sub2Sect suivant(e)

RESPONSE DV PEVPLE,
Au premier pernicieux Billet.
Portant, A qui ayme la Verité.

LE Parlement veut r’establir le Roy dans l’authorité que l’on luy a vsurpée,
& les Princes qui se sont vnis auec luy, n’ont point d’autres pretentions
que de sauuer ses biens & ses places du pillage d’vn Ministre qui les
volle impunément : défais toy donc (ie ne diray pas de ton opinion, car tu sçais
mieux que tu ne dis, mais de ton imposture, & ne dis point que mes Bourgeois
sacrifie leurs repos, leur vies, le fonds de leur bourse, se reduisent à la faim, prennent
les armes contre leur Roy, pour appuyer les iniustes pretentions des vns &
des autres ; ils n’ont pas, ny si peu d’esprit, ny si peu d’amour pour leur Prince,
que de se tourmenter pour se rendre criminels & malheureux toute leur vie, car
estant asseurez que le Roy demeurera victorieux ils seroient obligez de reparer
leur crime, & regaigner son affection par vne expiation entiere de leur reuolte,
à moins que de vouloir seruir eux & leur familles d’exemples à la posterité, par
vn chastiment memorable qu’ils subiroient de la rebellion qu’ils auroient commises,
c’est pour cela que nous nous vnissons, & au Parlement, & aux Princes
qui ne conspirent qu’à le rendre victorieux de quelques mauuais Ministres, sur
lesquels il y a apparence qu’ils emporteront le dessus) sçachant qu’outre l’affection
du Souuerain qui nous cherira auec tendresse, & ne songera qu’à nostre
soulagement & à nous rendre heureux, nous aurons encore l’amour & les recognoissances
de quatre cent peres, qui ne sont pas comme tu l’objecte, mais que
l’on vouloit rendre nos tyranneaux, les forçant à nous deschirer & à nous opprimer
de mille taxes, ainsi mon opiniastreté à soustenir auec plus de patience que
de iustice vne guerre ciuile ne sera pas infructueuse & inutile, puis qu’elle m’establira
dans l’amitié de mon Prince, & aura esté comme vn obstacle aux desseins
que peuuent auoir ses ennemis de mettre son Royaume en proye, & changer la
plus belle & la plus heureuse ville du monde en vn theatre d’horreur & de miseres.

Le Cardinal, dis-tu, est vn meschant homme, i’en demeure d’accord, mais
ie nie que ce soit esté pour n’auoir pas voulu consentir à la destruction de la
Royauté : nous voudrions bien que cette raison fust receuë, nous changerions
de notte, au lieu de le tenir comme vn meschant, nous le canoniserions comme
vn sainct : c’est poursuis-tu vn perturbateur du repos public, par ce qu’il n’a pas
tombé d’accord de contenter Nouion, Blancmesnil, Violle, Brouxelles & les autres,
ny les Princes dans la qualité de leur demande, ajouste moy auec ceux-là,
& ie seray de ton sentiment ; il trouble le Royaume, qui ne le sçait : mais ce n’est
pas comme tu nous veux faire croire, pour auoir incessamment trauaillé à la conseruer

-- 4 --

pendant la Regence en tranquillité au-dedans & au dehors, veu que nous
sçauons qu’il en a tousiours, ou conserué ou accreu les orages estrangeres & domestiques,
s’opposant mesme au traité de la Paix qui luy estoit facile, & qu’il
auoit entre ses mains ; enquoy l’on void bien en verité ce que tu auance par moquerie,
qu’il s’entend auec les Espagnols pour trahïr l’Estat & les en rendre Maistres,
& pour cela, il ne faut point qu’il soit trop habile homme & qu’il les duppe
finement, puis qu’il ne fait rien qu’à leur aduantage, accroissant leur Royaume,
& non pas le nostre (comme tu l’asseure impudemment) de quantité de villes
& de Prouinces entieres à nos despens.

 

Le Cardinal est vn cruel, vn violent, vn sanguinaire, ie ne te veux pas démentir,
nous l’auons esprouué, & si la Bastille est r’emplie depuis quinze jours
de plus d’Officiers & de seruiteurs du Roy qu’elle n’a esté de meschants & de criminels
dans les six années de la Regence, ce sont les faits de sa fureur & de sa rage,
laquelle, comme il est la source de tous ces desordres, il fait esclater jusques sur
les innocens, qui souhaiteroient de bon cœur qu’il eust esté à la place de cét italien
qui y respandit son sang pour auoir donné des aduis aux Espagnols.

Mocque toy tant qu’il te plaira, il est certain que nous nous accordons auec
toy dans ces sentimens, & n’en differons que dans les suites, tes propositions sont
aussi veritables, que les raisons que tu en donne sont ironique. Le Cardinal est
vn méchant homme, vn perturbateur du repos public, la peste & le destructeur
du Royaume, vn ambitieux, vn interessé, vn perfide, vn traistre, vn cruel & vn
sanguinaire, vn cresus & vn voleur des deniers publics, demeure en là, ne nous en
dis point les raisons que tu en donne par ironie, car elles sont mensongeres, &
la verité est trop saincte pour l’allier auec vne chose si prophane ; les nostres qui
sont & veritables & certaines sont plus dignes de sa Noblesse : Certes, ie m’estonne
quand tu as l’audace de me vouloir persuader qu’apres auoir englouty tout
l’argent de France, il n’a pas dequoy viure, sçachant neantmoins qu’il n’est pas si
liberal que d’auoir donné à personne les millions d’or qu’il a dérobez à ce Royaume ;
si sa maison est à son sentiment sur le poinct tous les iours de renuerser ;
nous le croyons bien, & nous le pretendons ainsi : mais ce sera plustost par l’authorité
vengeresse de mon Prince, que par la necessité & le deffaut de ce qu’il a
de trop, & qui s’est par redondance dégorgé jusques dans l’Italie & à la banque
de Venise, ce n’est pas vne cruauté à luy de ne point mettre au iour ses thresors
en cette occasion, ou il y va du tout pour luy, & ou il ne luy seruoit de rien de les
auoir sauuez s’il se perdoit luy mesme : mais c’est prudence, car tenant sa perte
inéuitable aussi bien que necessaire ; ce Iuge interieur prononçant contre luy vn
Arrest plus rigoureux que celuy de nostre Parlement Auguste ; sa conscience le
condẽnant auec Iustice, il veut du tout du moins sauuer son pillage de son débris,
& pour ne point perdre tant de choses tout à la fois, il veut faire suruiure à sa
perte ces sommes immenses qui en ont esté les instruments & les appas, il veut
sauuer ce qui l’a perdu, & pratiquant le precepte de la charité la plus heroïque,
faire du bien à ce qui luy a fait tant de mal.

Enfin, c’est luy, & non pas nous, (comme tu nous accuse) qui a tout mis en
desordre & confusion, & si nous auons pris les armes, c’est pour nostre Roy,
nous ne sommes ny perturbateurs ny méchans, ny gens qui se remuent pour autre

-- 5 --

interest que pour le bien public. Ie suis vn peuple doux & debonnaire qui ne
cherche & ne demande que le repos & la bonnace, c’est pour elle que ie me sacrifie,
& non pas pour des interests particuliers & de nulle consideration : Et quoy
que tu médise de mes Princes si bien brodez & passementez, de mes soldats que
i’ay armez, de mes Senateurs que i’ay interressez dans ma cause, quelque calõnie
que tu impose, & aux vns & aux autres, tout cela ne seruira qu’à me fortifier dans
mes iuste entreprises, & allumer mon courage pour soustenir la Couronne penchante
de mon Souuerain : Si ie n’ay point assez de troupes, quoy que i’en aye &
plus que tu ne dis, & plus que tu ne sçais, & plus infiniment qu’il ne m’en faut,
pour resister aux violences de celles du party aduerse, que tu aurois plustost compté
que les miennes si tu y voulois employer le temps au lieu de le consumer par
vne entreprise indigne de ta naissance, à me porter à la sedition & à la discorde ;
I’ay Dieu pour moy en la Iustice de ma cause ; lequel sans taxes, sans soldats, sans
forces, sans munitions, sans poudre, sans feu, sans fer, sans armes, mais seulement
par vn seul souffle, & non pas par le secours d’vn seul Ange, comme autrefois
dans l’armée de Sennacherib peut dissiper mes Ennemis, Si Dieu est pour nous,
qui est ce qui sera contre nous, C’est ce qui nous anime d’auantage : car si nous pensions
que nostre resistance fust iniuste, cette consideration plustost que la crainte
de respandre du sang, d’épuiser nos bourses, de perdre nos biens & la liberté, de
nous voir pour tousiours miserables : ce motif plustost que tes reproches & tes
calomnies nous osteroient les armes des mains ; mais ayant des sentimens tout
contraires & tres certains nous les retenons, & si l’on ne void point sortir nos
troupes comme tu nous le reproche ; c’est que nos armes sont douces, c’est que
nous espargnons le sang de ceux qui combattent pour nous, c’est que nostre deuoir
est de resister & non pas d’attaquer, de repousser le choc & non pas de le
donner ; c’est que nostre guerre n’est pas cruelle, c’est que nous ne voulons point
de mal à nos ennemis, & partant ce nous est vne gloire que nostre soldatesque
que tu reduits à deux mille méchãs phantassins & à huict cens cheuaux, ne monstre
point le nez hors la ville, qu’elle n’y rentre aussi-tost ; ce reproche nous est
glorieux, & c’est vn tesmoignage infaillible de nos desseins, & de cette douceur
qui nous est naturelle selon l’adueu mesme de tous les peuples.

 

Ne me parle point ie te prie des sommes immenses que l’on donne à mes Generaux
& à mes Chefs, ne controlle non plus en cela mes actions que ie fais ceux
du Roy, auec lequel tu est bien si temeraire que de me faire entrer en comparaison ;
il donne à ces officiers de guerre ce qu’il luy plaist ; qu’il leur donne tant qu’il
voudra, cela est digne d’vne magnificence Royale ; personne, excepté toy, ne
censurera iamais cette liberalité ; la mienne est raisonnable, & nous ne sommes
ny immoderez ny mauuais économes, ny mauuais ménagers des deniers publics,
de faire toucher des quatre cent mil escus à des Generaux pour la solde de l’armée
que nous n’auons pas encore produite, crainte de t’estonner, de donner cinquante
mille francs en pure gratification, nous sçauons bien que cela te fait mal
au cœur & que tu aymerois mieux les auoir dans ta bourse, mais sçache que l’on
ne sçauroit assez recognoistre en de semblables rencontres l’affection des personnes
de cette condition & de cette naissance enuers leur Souuerain, qui en aura
beaucoup pour nous, quand il sçaura de quelle façon nous auons vuidé nos

-- 6 --

bourses & nous sommes espuisez pour son seruice ; ces Princes ne sont point interessez,
le refus qu’ils ont fait de ce que l’on leur a presenté pour leur faire
prendre party contre leur Souuerain, dissipe facilement tous les nuages dont tu
pretends nous obscurcir ; le Havre, l’Admirauté, l’Espée de Connestable estoient
des charmes assez puissants pour les attirer, s’ils eussent plus consideré leur interest
que celuy du Souuerain : mais ils ont bien fait voir qu’ils demandoient autre
chose au Cardinal pour mettre ordre au bien public, pour calmer leurs iustes
esmotions, & pour les obliger à le canoniser.

 

Aduoüe apres tout cela, que ie suis clair-voyant, & aprens que ie te veux
satisfaire, ie te veux accorder ce que tu me demande, ie ne veux plus laisser si
longtemps abuser de ma bonté, ie veux vanger mon Roy desobey, mal traité, offensé,
attaqué ; ie me veux vanger moy-mesme des maux que ie souffre, & de
ceux de l’aduenir, quand ie n’aurois autre chose à craindre que de perdre pour
tousiours la presence de mon Roy, ce qui me seroit infaillible, si ie ne m’opposois
à la rebellion des vsurpateurs de son authorité, ne dois je pas considerer
qu’elle seroit pour moy la grandeur de cette perte, & que cette presence est ce
qui m’enrichit, ce qui me donne la splendeur & l’opulence pardessus les autres
peuples ; ou irois je chercher le payement de tant d’argent que la Cour me doit ;
n’apperçois-ie pas que si elle faisoit son sejour en quelque autre ville, tous mes
artisans seroient reduits à la faim, & qu’il se dépenseroit à Paris moins de douze
millions de liures par an, ne voids tu pas que ie prends tes sentimens, & comme
ie veux executer ce que tu m’inspire ; sorts donc de ta prison si tu peux, & si tes
chaisnes t’ont rendu plus honneste homme, te faisant desister de l’office d’espion,
demande vn passeport & va t’en dire à S. Germain que ton entreprise a reüssi,
mais tu n’as garde, car ce n’est pas de la façon que tu le voudrois bien, tu voudrois
que ce fust en prenant les armes contre ceux-la mesme qui ont authorisé le dessein
que i’ay eu de les prendre contre les ennemis de mon Prince & les perturbateurs
de ma l’arme, asseure toy que ie ne le feray pas, ce seroit le moyen d’attires
sur moy les vengeances du Ciel, l’inimitié de mon Roy, & la haine de tous les
bons François ; l’obligeray donc le Parlement à demeurer à Paris pour obliger
mon Roy à y retourner, & auec luy le bon-heur, l’abondance, le commerce, la
tranquillité, la seureté & la paix que i’entend de celuy qui seule me la peur donner,
& qui en est le Dieu qui la distribuë à tous les peuples.

Sub2Sect précédent(e)

Sub2Sect suivant(e)


Anonyme [1649], LETTRE ESCRITE AV CHEVALIER DE LA VALETTE. Soubs le Nom du Peuple de Paris. Auec la responce aux placards qu’il a semez par ladite Ville. , françaisRéférence RIM : M0_2212. Cote locale : A_5_11.