Anonyme [1649], LETTRE D’VN GENTILHOMME ROMAIN A VN FRANÇOIS. Contenant les discours que tiennent les Politiques estrangers du gouuernement de la France; & comme ils connoissent que ses afflictions ne prouiennent que des trahisons de ses Ministres. Nouuellement & fidellement traduite d’Italien en François. , françaisRéférence RIM : M0_1879. Cote locale : E_1_60.
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LETTRE
D’VN
GENTILHOMME
ROMAIN
A VN FRANÇOIS.

Contenant les discours que tiennent les
Politiques estrangers du gouuernement
de la France ; & comme ils connoissent
que ses afflictions ne prouiennent
que des trahisons de ses Ministres.

Nouuellement & fidellement traduite d’Italien
en François.

M. DC. XLIX.

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LETTRE
D’VN GENTILHOMME ROMAIN
à vn François.

MONSIEVR, Puis que vous desirez
que ie vous escriue au vray ce qui se dit
icy des affaires de par de là, ie vous en rendray
conte auec ma liberté accoustumée, & aussi
exactement qu’il me sera possible, vous vous
estonnerez, peut-estre, que nous en soyons si bien auertis ;
mais outre que cette Cour a esté de tout temps le centre des
nouuelles de toutes les autres, & que nos curieux semblent
auoir quelque espece d’aymant pour attirer les plus secrets
memoires des lieux les plus esloignez. Vous pouuez croire
qu’à present, que les Interests des deux Couronnes donnent
le branle à ceux de tous les Princes de l’Europe, & qu’vn Sicilien
tient le timon de vostre Monarchie, cette curiosité est
redoublée par l’Interest, l’Enuie ou l’Affectiõ d’vn chacun. Il
y a desia quelque temps que les Politiques de ce Pays, qui
n’ont point d’autres occupations que de Philosopher sur les
diuerses occurrences du temps, disent confidẽment à leurs
amis, que la France est non seulement à l’ordinaire, mais encore
trahie par ceux qui la gouuernent, qu’ils prenent le
contre-pied du ministere precedent, pour reuenir aux maximes
de la derniere Regence, rendre les Espagnols Arbitres
de leurs Conseils. Et certes, si Marie de Medicis, qui
n’estoit attachée à Philippes III. que d’vne parenté assez esloignée,
creut ne pouuoir point auoir de meilleur appuy
que ce Prince, pour subsister auec le Marquis d’Ancre, en vn
pays où son Ministere estoit Estranger aussi bien que sa personne.
Il n’est pas de merueille, qu’Anne d’Austriche Sœur,
& presque heritiere presomptiue de Philippes IV. se veuille
maintenir par vn semblable moyen auec le Cardinal Mazarin,

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qui est non seulement Estranger, comme le Marquis
d’Ancre, mais encore originaire d’vn pays irreconciliablement
Ennemy des François, & Sujet du Roy d’Espagne.

 

La conduite qu’on remarque dans les affaires du Gouuernement,
persuade facilement cette verité ; Car il est certain
que les exactions estans plus excessiues, qu’elles n’ont iamais
esté en ce grand Royaume, sous pretexte d’entretenir
des Gens de Guerre, neantmoins ceux-cy ne reçoiuent pas
vne seule monstre, ce qui fait que toutes les Armées mesmes
les plus lestes, se dissipent en vn moment faute de paye, que
vos leuées seruent à grossir les Troupes des Ennemis, que
vos entre prises les plus importantes & les mieux digerées,
auortent contre toute apparence, comme des productions
mal conceuës, & que les plus beaux commencemens
sont constamment suiuis d’vn triste ou ridicule succez. Ces
desordres sont trop grands & trop pernicieux à vostre Estat
pour partir de l’esprit d’vn François, aussi ne doute-on pas
en ce pays, que le Mazarin n’en soit l’Autheur. Car comme
il entra au seruice du Cardinal Anthoine par vne trahison,
& qu’estant nommé du Pape. Legat en France, il quitta le
seruice de sa Saincteté, pour s’attacher à celuy du Cardinal
de Richelieu. Il y a grande apparence qu’il practique les
mesmes maximes d’Infidelité en faueur des Espagnols, aux
vaines promesses desquels il se laisse esblouir.

Au commencement ils l’ont flatté de l’esperance de faire
son frere Pape, pourueu qu’il ne les deseruist point en Italie,
& c’est la raison qui l’a obligé d’employer tant de millions,
pour achepter le Chapeau d’vne teste folle, s’imaginant
que s’il pouuoit encore l’orner d’vne Thiare, ce frere
le feroit Souuerain en Italie, & luy donneroit la Duché
d’Vrbain de Ferrare, ou quelque autre fief considerable de
l’Eglise.

Depuis la mort du Prince d’Espagne, on luy promet bien
d’autres aduantages fondez sur le peu de santé du Roy Catholique,
& de l’Infante sa fille, lesquels venans à mourir,
la Reine de France, comme Aisnée de la Maison, doit recueillir
la succession de cette grande Monarchie, la renonciation

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qu’elle en a faite par son Contract de Mariage, ne deuant
auoir lieu que pendant qu’elle seroit mariée auec le feu
Roy. Et ne regardant point du tout les enfans qu’elle pourroit
auoir d’vn second Mariage, veu qu’il y a clause expresse,
par laquelle ses droits sont reseruez audit cas. Et cela
estant, que ne peut-on pas faire esperer au Cardinal Mazarin,
s’il se rend considerable aux Espagnols, comme il a fait
depuis quelque temps, par la conseruation du Royaume de
Naples qui estoit entierement perdu, & par la paix d’Allemagne,
qui fait perdre à la France tous ses Alliez & luy
laisse tous ses ennemis ? Et par les broüilleries & diuisions
domestiques qu’il entretient auec addresse, tant entre les
Princes, qu’entre le Conseil & le Parlement, afin de donner
moyen aux ennemis, de recouurer dans l’année prochaine
ou suiuante, tout ce qu’ils ont perdu en Flandre auec la
Catalogne. Et voila le vray sujet pour lequel on n’a pas voulu
faire la Paix d’Espagne à Munster, par ce que la trahison
eust esté trop visible, si en presence de vos Alliez on eust relasché
des propositions qui auoient esté desia accordées par
les Ennemis. Et il eust aussi esté trop des-auantageux pour
les Espagnols, de conclure la Paix à ses conditions. Mais
parce qu’il y auoit à craindre de traiter auec vn François
d’vne intrigue si miserable à l’Estat, il a fallu que le Secretaire
de Pigneranda aye fait deux voyages en vostre Cour,
pour communiquer en secret auec le Cardinal Mazarin
des moyens qu’ils doiuent obseruer pour paruenir au restablissement
des affaires d’Espagne, & à la ruine de la France.

 

Ce n’est pas que les Espagnols ayent dessein d’accomplir
ce qu’ils promettent au Cardinal, ny mesme ce qu’ils
font possible esperer à la Reine, mais ils en vsent enuers luy,
comme il fait enuers Monsieur le Prince, & l’Abbé de la
Riuiere, ausquels il promet tout ce qu’ils desirent, sans auoir
dessein de leur rien tenir.

Si vous doutez de la verité de ces auis, vous n’auez qu’à
considerer ce qui s’est passé cette année à Courtray, à Naples,
& à Cremone : Pour l’vn, on n’auroit eu garde de recompenser

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le Sieur Paluau d’vn Gouuernement, & luy
faire esperer vn Baston de Mareschal, pour vne action qui
meritoit, que Monsieur le Prince luy eust fait trancher la
teste ; (& ce dautant plus que le blasme en a réialy sur la personne
de son Altesse) s’il n’auoit suiuy les ordres de la Cour,
lors qu’il abandonna la place aux Enuemis.

 

Pour ce qui concerne Naples, on sçait de bonne part,
que l’Armement de vostre Armée Nauale fut long-temps
retardé. Que de dix mil hommes qui estoient dans la Prouince,
& qui n’ont seruy qu’à ruiner le Pays, le Prince Thomas,
quoy qu’il eust bon dessein pour vous suiuant l’ordre
de vostre conseil, que nous n’estimons autre que de
Mazarin, n’en feit embarquer que deux mil cinq cens,
qu’il perdit quinze iours à Thoulon, & vn mois a Piombino,
pendant lequel temps il enuoya son Aumosnier
au Comte d’Ognato pour luy faire sçauoir ses desseins, &
particulierement pour luy donner auis de la conspiration
infaillible, que les Napolitains auoient faite de s’emparer
du Tourion des Carmes, & le mettre entre les mains des
François. Que s’estant rendu maistre de l’Isle de Perfido,
qui commande le Golphe de Naples : Il laissa pour defendre
le Chasteau trois à quatre cens François, afin d’affoiblir dautant
son Armée. Quoy que les Habitans de cette Isle estans
affectionnez, il eust suffy d’y en mettre cinquante ou soixante.
Qu’ayant fait descente auec deux mil hommes seulement
au Port de Salerne, & ayant chasse quatre cens Espagnols
du poste de Vietry, il leua le Siege deuant cette
ville, sur le point que les Habitans tenoient conseil pour se
rendre, sans qu’il y eust aucune occasion qui l’obligeast à
faire cette retraite, que quatre-vingts ou cent Cheuaux
que Mazarin auoit dõne ordre de faire paroistre sur vne eminence,
pour faire accroire aux Troupes du Prince Thomas
qu’il arriuoit quatre mil hommes de Naples au secours de
cette place. Et pour mieux couurir sa trahison, ledit Prince
eut ordre de faire semblant d’auoir esté pressé de partir, &
d’y laisser trois canons, & quelque vingtaine de soldats,
bien qu’en ce temps tous les Habitans de Naples fussent en

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rumeur, criant Viue France, & que le Viceroy eust besoin de
tous ses gens pour retenir ce peuple, dont la sedition estoit
plus à craindre, que les Bandits de Brusse auoient a mesme
temps arresté les eauës du Sebet, en sorte que les moulins de
Naples furent trois iours sans moudre, sans parler du Comte
de Conuersano, & des autres Grands Seigneurs & Bandits
qui estoient en chemin pour se ioindre au Prince Thomas,
& qui eussent fait vn gros de vingt mil hommes. Mais
comme ce n’estoit pas l’intentiõ de Mazarin, il enuoya ordre
à ce Prince de se tenir sur son bord, sans rien faire a la veuë
de Naples, & attendre les rafraichissemens, & l’argent caché
sous des fruicts, que Dom Iean d’Austriche enuoyoit
à Mazarin, lequel au lieu de se seruir des auantages que la
Fortune mettoit en la main de ce Prince pour la liberté de
ces Peuples, & la gloire de la France, en vsoit de la sorte.

 

En suite de ce grand exploict de trahison, il y eut ordre
de faire retirer ce que ce Prince auoit laissé de soldats dans
l’Isle de Porsido, au grand regret des Habitans qui pleuroient
à chaudes larmes de la retraite des François, apres
laquelle ils n’ont pas laissé de se defendre contre les Espagnols-non
plus que les Napolitains, de remuer de temps
en temps, ce qui marque qu’il n’a tenu, & ne tient encore
qu’à la conduite de vos Ministres, que ce Royaume ne
soit derechef à la France, & non pas à vos Princes & Generaux
d’Armée, lesquels s’ils ne font rien qui vaille, ce n’est
qu’à cause qu’on les empesche de suiure leurs sentimens.

Quant au troisiesme poinct touchant Cremone, on n’y a
enuoyé du secours, que lors qu’on a pensé qu’il y seroit inutile
comme il est arriué. Le Prince Thomas ayant ordre
de ne pas donner pour ce siege vn soldat de son Armée à son
retour triomphant de Naples, quoy que le Duc de Modene
& & le Cardinal Grimaldi luy en eussent fait instance :
on a mesme depuis peu refusé de laisser rafraichir huict
iours vostre Aarmée Nauale dans la Catalogne, afin que le
Mareschal de Schombert ne prist pas occasion de se seruir de
ses forces, pour executer le dessein qu’il auoit sur la Tour des
Alfax qui commande l’embouchure de l’Ebre.

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Voila vne partie de ce qu’on sçait en cette Cour touchant
les affaires de la vostre, & si vostre curiosité se trouue satisfaite
d’auoir appris les infidelitez qui se practiquent contre
le seruice de vostre Roy ; ie tacheray de vous enuoyer les
moyens dont les Politiques de ce Pays affectiõnez à la France,
disent qu’il faudroit se seruir pour arrester le cours de
ces desordres, & profiter des faueurs, dont Dieu protege
l’innocence de vostre Monarque, mal-gré les mauuaises intentions
de celuy par qui les Princes laissent gouuerner son
Estat, ce qui est honteux pour eux, & qui mesmes pourroit
tourner à leur ruine : car si le Cardinal venoit à executer le
dessein qu’on tient, qu’il a de sortir le Roy de Paris, & le
mener sur la Frontiere du Royaume, afin de le liurer plus facilement
aux Ennemis ; il seroit à craindre que cét esprit vniuersel
de sedition, qui commence d’agiter tous les Peuples
de la terre contre leurs Souuerains ne se glissast en France,
& quelque affection que vostre Nation ait tousiours euë
pour l’Estat Monarchique, elle ne chargeast de Gouuernement,
afin d’éuiter de tomber dauantage sous la domination
des Femmes pendant la Minorité des Rois, ou sous celle
des Ministres & des Fauoris pendant leur Maiorité.

FIN.

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Anonyme [1649], LETTRE D’VN GENTILHOMME ROMAIN A VN FRANÇOIS. Contenant les discours que tiennent les Politiques estrangers du gouuernement de la France; & comme ils connoissent que ses afflictions ne prouiennent que des trahisons de ses Ministres. Nouuellement & fidellement traduite d’Italien en François. , françaisRéférence RIM : M0_1879. Cote locale : E_1_60.