Anonyme [1650 [?]], LETTRE D’AVIS A MONSEIGNEVR LE DVC DE BEAVFORT. , françaisRéférence RIM : M0_1838. Cote locale : E_1_28.
Section précédent(e)

LETTRE
D’AVIS A
MONSEIGNEVR
LE DVC DE
BEAVFORT.

-- 2 --

-- 3 --

LETTRE D’AVIS A MONSEIGNEVR
le Duc de Beaufort.

MONSEIGNEVR,

On a intercepté le duplicata de vostre dépeche à
Monsieur le Cardinal Bichi, dattée du mois d’Aoust,
dans laquelle on a remarqué trois choses, dont il importe
que vous ayez connoissance, ensemble des raisonnemens
& des discours qu’on en a faits, pour vous
en seruir ainsi que vous jugerez à propos. En premier
lieu, vous priés mondit sieur le Cardinal de dire à Messieurs
du Parlement de Provence que vous leur avez
obtenu par vos soins le délogement des troupes, & le
rappel de leur Gouverneur. Vous l’avertissez en suite,
Que c’est à eux de vous garder la parole qu’il vous ont
donnée, De se rendre les Maistres des Villes d’Aix,
d’Arles & de Marseille. Et en dernier lieu, Vous le
conjurez de faire en sorte qu’en mesme temps que
Monsieur le Comte d’Alais sera party de la Province
on se saisisse des passages, on fortifie les lieux & les avenuës
pour empescher qu’il n’y puisse r’entrer. Cette
Lettre, MONSEIGNEVR, a causé beaucoup de trouble
en l’esprit de vos serviteurs qui l’ont leuë. Ils vous
ont consideré jusques icy comme l’vn des plus genereux
Princes de ce temps, & ont creu que vous estiez
incapable d’agir que par les principes de la vertu. Et
toutesfois ils ont veu dans le premier poinct vne entreprise
manifeste sur les droits d’autruy ; ils vous ont

-- 4 --

regardé, dans le second comme l’Autheur d’vne cabale,
par la ligue des Villes que vous avez projettée, &
dans le troisiesme, vous avez paru comme le conseil
d’vne revolte, ayant voulu armer vne Province contre
le service du Roy. Ils ont apprehendé que Monsieur
le Cardinal Mazarin estant saisi de cette Lettre
ne s’en serve vn jour comme d’vne piece decisive pour
vous faire vostre procez, ou pour vous faire perdre
l’Admirauté ; & craignent avec quelque raison, que
l’esperance de perdre vn Prince qui ne vous en a point
donné de sujet, ne soit la cause de vostre perte. Et certainement,
MONSEIGNEVR, s’il est vray que le pretexte
qu’on a pris de rappeller Monsieur le Comte
d’Alais ne soit autre que de pacifier la Province, on ne
void point de moy en d’excuser le conseil que vous leur
donnez de se liguer & s’vnir, de s’armer & se fortifier
apres qu’il en sera party. Vous faites voir par là que ce
n’est pas le desir de la paix qui donne lieu à ce rappel,
puis que vous formez le dessein d’vne guerre sur son
éloignement, & que vous voulez armer les peuples
dans le temps qu’il n’y sera plus. Il est aussi fort veritable
que ce n’est pas sa presence qui cause la division
dans la Province ; & ceux qui estoient en peine d’en
chercher des preuves, en trouvent vne dans v. Lettre,
& disent qu’on ne peut plus douter que cette division
n’ait des racines dans la Cour, & que les mouvemens
que ce Parlement excite ne soient suggerez, & tout
le monde juge maintenant que si on y a veu revolter
les Villes, & mutiner les peuples, c’est parce que l’on
l’a voulu Ils disent, MONSEIGNEVR, que si vous n’avez

-- 5 --

agy par l’ordre de la Reine, il est impossible qu’elle
n’entre dans vne juste défiãce, & qu’elle ne treuve tres-mauvais
qu’en méme tẽps que vous avez perdu l’affectiõ
du peuple de Paris, vous ayez pratiqué celle d’vne
Province eloignée & jalouse, & que vous ayés entrepris
de vous rendre redoutable à l’Estat en vnissant les
forces de la Mer que vostre charge vous donne, à celles
d’vne nation belliqueuse entreprenante & hardie. Ils
témoignẽt beaucoup de douleur de ce que vous vous
estes mis en ce danger pour satisfaire à la passion de
quelques vns de ce Parlement, qui n’ont de foy qu’autãt
que leur interest leur en donne, & qui ne sçauroiẽt
tenir que ce que le President Galiffet vous a promis.
Ce petit homme pour estre issu de mesme Nation que
le Roy Dauid, a creu d’auoir la mesme vertu, & qu’avec
vn coup de fronde il pouuoit abattre vn Geant.
On dit que sa seule vanité l’a porté dans ce temeraire
desir de perdre Monsieur le Comte d’Alais, qu’il a mis
toutes pieces en œuvre pour parvenir à ce dessein,
qu’il n’y a point de calõnie & d’impostures qu’il n’ait
auancé, & qu’il n’a pas craint de passer pour le plus iniuste
& le plus ingrat de tous les hõmes, pourveu qu’il
pût auoir cette gloire d’avoir détruy vn Gouverneur
de Province, on dit que cette vaine passion l’ayãt aveuglé,
luy a osté la connoissance du peril où il vous alloit
exposer. Et comme il arriue à ceux qui ont l’imagination
troublée, qu’il a creu que toutes ses pensées
estoient des raisons, & ses songes des veritez, il a creu
qu’il pouvoit liguer les Villes auec la mesme facilité
qu’il en concevoit l’vnion, & il a asseuré qu’en mesme

-- 6 --

temps que l’ordre du rapel de Monsieur le Comte
d’Alais paroistroit dans la Province tout se revolteroit
contre luy, & qu’estant abandonné des siens, il seroit
à la discretion du Parlement. Mais l’évenement a fait
voir combien il s’est mespris. La ville d Arles depuis
cét ordre s’est fortifiée dans la neutralité, & des trois
partis qu’il y a, celuy du Parlement est le plus foible.
On demeure d’acord que Marseille n’est dans ce party
que par la tyranie du Lieutenant Valbelle, que les
personnes de condition, & les deux tiers du peuple
ont en horreur sa domination, que si Monsieur le
Comte d’Alais eust voulu vser de son pouvoir, & s’il
n’eust craint de donner de l’ombrage à la Cour, il
l’eust reduite dans son devoir aussi-tost qu’elle se fust
revoltée, & qu’elle n’attend qu’vne occasion pour y
revenir. Toute la Noblesse a tesmoigné vne telle indignation
de la façon dont on a vsé pour obtenir cét
ordre, qu’elle est toute preste de prẽdre les armes pour
éviter les oppressions du Parlemẽt. La plus part des Ecclesiastiques
se sont ioints à cét interest, & ont deputé
vers le Roy, & non seulement les villes qui estoient
de ce party, & qui ont seruy le Roy sous les ordres de
Monsieur le Comte d’Alais, sont resoluës de perir
avant que de souffrir cette iniustice d’estre privées de
son appuy : mais encore quelques vnes des indifferentes
se declarent pour cette cause : & par l’affluence des
personnes de condition qui ont accouru à Toulon depuis
que ces ordres y sont arriuez, on peut iuger de la
foiblesse du Parlement, & que Dieu se declare pour la
verité & pour l’innocence de ce Gouverneur iniustement

-- 7 --

persecuté. Voila, MONSEIGNEVR comme
l’on raisonne en ce païs, & ceux qui ont vne veritable
affection pour vostre gloire voudroient bien
que vous n’eussiez pas pris party contre vn Prince
qu’on ne sçaura iamais detruire sans iniustice, & que
vous n’eussiez pas presté l’oreille à ses calomniateurs.
N’esperez pas que vous puissiez iamais faire fondement
sur leur affection ; en ce mesme temps qu’ils vous
offrent de faire liguer les Villes, & de fortifier les places
pour vous y receuoir avec seureté, ils presentent
le Gouvernement à Monsieur le Cardinal, lors mesmes
qu’ils ont besoin de sa protection, ils publient
qu’ils ne la recherchent que parce qu’il est en faveur,
& que s’il venoit en disgrace ils seroient les premiers
à le persecuter : Esloignez vous, MONSEIGNEVR,
des personnes qui ont si peu de foy & d’honneur, &
qui estans estroittement vnies avec vous ne feroient
point de scrupule de vous perdre pour se sauver, puis
qu’elles font profession de faire seruir leur parole à
leur interest, & ne connoissent d’amis que ceux qui
leur sont vtiles. Si vous faites proffit de mes aduertissement
vous y trouverez de l’aduantage : & vous
connoistrez asseurement que ie suis,

 

MONSEIGNEVR,

Vostre tres-humble & tres obeissant
seruiteur

d’Avignon ce 21. Septemb. 1650.

-- 8 --

Section précédent(e)


Anonyme [1650 [?]], LETTRE D’AVIS A MONSEIGNEVR LE DVC DE BEAVFORT. , françaisRéférence RIM : M0_1838. Cote locale : E_1_28.