Anonyme [1649], LETTRE DV VRAY SOLDAT FRANÇOIS AV CAVALIER GEORGES : EN SVITTE DE LA LETTRE A MR LE CARDINAL, BVRLESQVE. , français, latinRéférence RIM : M0_2207. Cote locale : C_4_41.
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LETTRE
DV
SOLDAT
FRANÇOIS
AV CAVALIER GEORGES :
EN SVITTE DE LA LETTRE
A MR LE CARDINAL,
BVRLESQVE.

 


SOIT qu’il s’en aille, ou qu’on le chasse,
Enfin il va quitter la place,
Et nous n’auons plus peur icy,
De ce Ministre Cramoizy.
Amy George, vaille que vaille,
Il faut que cét homme s’en aille !

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Encor qu’on dit qu’il ait esté
A Rüel, comme Deputé ;
Ce n’est pas vne consequence
Qu’il soit en plus grande asseurance :
Au contraire, ce coup hardy
Le doit enuoyer au Landy.
Nous pouuons respirer à l’aise,
Et, quoy que cela luy déplaise,
Il nous est permis de railler,
Et mesme en pieces le tailler :
I’entens auec la plume & l’ancre,
Non pas comme le Marquis d’Ancre,
Qui, pour ne s’estre retiré,
Fut par le Peuple déchiré.
Mon humeur n’est pas si crüelle ;
Qu’il soit fâcheux, qu’il soit Rebelle,
Qu’il ait volé tout, & tout pris,
Argent, Charge (& non pas Paris)
De cela point ne me tourmente,
Ie n’ay point l’ame assez sanglante
Pour le vouloir pousser à bout,
Ie ris, ie raille, & puis c’est tout :
Et, si i’auois quelqu’autre enuie,
I’attens tout de la Prophetie.
Selon que les choses iront,
Que les Rouges Rouges feront,
Selon la franchise ou le piége,
Que de S. Germain iusqu’au Liege,

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Le simple Rouge trouuera,
Nous sçaurons où l’on en sera.
Nostradamus, ce galand homme,
Quoy qu’il en soit, veut qu’on l’assomme,
Ou n’auoir dit que par hazard
Ce qu’il a dit de Iacques Stuart.
Quant à moy ie consens qu’il viue,
Pourueu qu’en trois iours il esquiue,
Et laisse viure les François,
Selon leurs façons & leurs lois.

 

 


S’il croit estre si necessaire,
Qu’on ne puisse vuider d’affaire,
Sans suiure son bon iugement,
Il se trompe, & bien lourdement.
Il n’estoit pas le seul au monde
Dont l’experience profonde
Pouuoit conduire cét Estat ;
Nous en auons, dans le Senat,
Qui sont d’vne autre experience,
Et de plus, gens de conscience,
Gens sages, non interessez,
Et qui, dans les six ans passez,
Malgré les efforts de l’Espagne
Auroient rétably la Campagne ;
Tout seroit calme, & les Amours
Feroient Ka Ka dans les Tambours.

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Ou (puisqu’auiourd’huy l’on s’auise
D’auoir des Ministres d’Eglise,
Des Abbez & des Cardinaux,
Qui couurent tout de leurs Chapeaux)
Sans aller chercher en Sicile,
Nous en auons en cette Ville :
Le grand Gondy, cét autre Paul,
Est bien pour le moins de ce vol :
Ie croy que ce second Apostre
Sans flatter, en vaut bien vn autre,
Et nostre ieune Potentat
Seroit plus fort dans son Estat,
S’il se seruoit de ce grand homme.
(Quitte pour enuoyer à Rome,
S’il faloit vn chapeau pourprin
Pour succeder au Mazarin)
Il en tireroit auantage ;
Comme il n’est pas encor en âge,
Il n’auroit point de deshonneur
Pour souffrir vn COADIVTEVR,
Mais vn Coadiuteur habile,
Qui tout seul en vaut plus de mile,
Qui ne l’auroit point enleué,
Mais qui l’auroit bien conserué,
Qui l’auroit gardé d’embuscades,
Et nous autres, de Baricades :
Car si, d’abort, on l’auoit crû,
Le mal ne seroit point accrû.

 

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Que si dans quelqu’autre Prouince,
On veut chercher à nostre Prince
Vn Ministre pour le besoin,
Il ne faut point aller si loin :
Gaillon nous garde vn Politique,
Qui sçait l’vsage & la pratique
De tout ce qui se fit iamais,
Ou dans la Guerre, ou dans la Paix.
Il sçait les mœurs & les affaires,
Et les Coûtumes étrangeres ;
Il sçait ce qu’il faut faire icy,
Et ce qu’on fait ailleurs aussi :
Il n’ignore rien dans l’Histoire,
Tout est present à sa memoire ;
Il sçait Aristote & Platon,
Il sçait par cœur son Xenophon,
Bodin, Philippes de Comines,
Mieux que Vespres & que Matines :
Et, comme il a grand souuenir,
Il peut iuger de l’auenir,
Et preuoir par cette science
Ce qui peut affermir la France,
Et ce qui la peut émouuoir ;
C’est de ces gens qu’il faut auoir.
Aussi bien, feu George d’Amboise,
De là haut, nous cherchera noise,
Si Harlay, son meilleur amy,
N’est son successeur qu’à demy.

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Il faut que la Reyne Regente
Luy face retourner la Mante,
Et luy donne le même éclat
Qu’vt ce grand Ministre d’Estat !
Lors nos Armes seroient heureuses,
Elles seroient victorieuses,
Et l’on connêtroit par ce chois,
L’esprit du Ministre FRANÇOIS.

 

 


Enfin nous ne manquons point
d’hommes,
Et, parmy tous tant que nous sommes,
Le moindre de nos Citadins
Vaut plus de quatre Mazarins.
Ce choix fut vne Raillerie ;
Ie ne sçay quelle enchanterie,
Ou quel sort, pour le dire mieux,
A trompé si long-temps nos yeux.
Hé quoy ! souffrir sept ans en France,
Vn fat qu’on traitte d’Eminence,
Qui se donne tout le pouuoir,
A qui chacun rend le deuoir,
Qui souffre hardiment à sa veuë,
Des Cordons bleus la teste nuë,
Et dont les moindres Estafiers
En trois mois se font Financiers ;
Qui pille toutes nos Prouinces,
Qui se fait obeїr des Princes,

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Et deuant qui nos Souuerains
N’ont que des tiltres bas & vains !
N’est-ce pas vous prendre pour Bestes
Peuples timides que vous estes ?
Hé ! comment l’auez-vous souffert
Sans le perdre, puis qu’il vous pert.
Si, par la puissance diuine,
Nous n’eussions couppé la racine
Au mal qui nous alloit gaigner,
Cét insolent alloit regner,
Et nostre sage & bonne Reyne,
Auroit enfin vû la gangrenne
Pourrir & ronger tout à plat,
Les Restes du Corps de l’Estat.
Desia tout estoit en desordre,
Par tout il trouuoit de quoy mordre,
Et S. Cloud, Meudon, & Lagny
Ne sont pas mieux que Lezigny,
C’estoit peu que par sa puissance,
Il eût rauy nostre finance,
Falloit, pour le gorger de biens,
Donner encor curée aux siens,
Et les enfler par les Ruїnes,
Et des Guizards & des Luїnes,
Afin qu’à ce mal sans pareil
On ne peût mettre d’appareil.
Mais il n’est point de maladie
Où le bon Dieu ne remedie ;

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Au defaut du secours humain
Il nous preste toûjours la main,
Aimant mieux qu’vn seul homme
tombe,
Que tout vn Royaume succombe,
N’estant porté que des desseins
D’vn Atlas qui n’a plus de Reins.
Aussi le Ciel nous en déliure,
Et permet le passage au Viure :
Desormais tous nos Habitans
Verront reuenir le bon temps ;
Ils vont reparer les domages,
On a débouché les passages,
Et nous auons (pour la saison)
Farines ou blés à foison.
Malgré leur iniuste Cabale,
Nous voyons de tout à la Hale,
Auec Brochets ou Brochetons,
Qui viennent de diuers Cantons,
Ou de la pesche de nos Riues,
Nous auons encor force Vi-ues,
Rayes & Solles & Carlets,
Et du Merlan pour nos Valets.
Encores dans trois iours i’espere
Que nous ferons meilleure chere,
Car, dans ce temps là, Dieu mercy,
Nous aurons des Huitres aussi,

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Huitres, ce Ragoult delectable
Qu’on a point seruy sur la table,
Depuis que Iules Mazarin
Les gobe toutes en chemin.
Mais nous en auons la vengeance,
Puis qu’il va quitter la Regence,
Et que la Reyne (à ce qu’on dit)
Luy donne congé par écrit.
Que Dieu maintienne cette Reyne,
Qui va deuenir Souueraine,
Et qui ne veut plus partager
Son pouuoir auec l’Etranger ;
Ayant maintenant connessance,
Que qui partage sa puissance,
En est reduit à la moitié,
Et puis aprés c’est grand pitié :
Le Roy n’est plus qu’vn corps sans
ame,
La Reyne est comme vne autre
Dame,
Aussi-tost que l’Authorité,
Qui fait toute la Royauté,
Sous le titre de Ministere,
Passe en vne main estrangere,
Et sur tout quand vn Fauory,
Orgueilleux de se voir chery,
Sans demander l’ordre du Prince,
Fait l’vn Gouuerneur de Prouince,

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L’autre Secretaire d’Estat,
L’vn Officier, l’autre Prelat,
Bref agit selon son caprice,
Bien souuent contre la Iustice,
Et rauit a son Souuerain
Le Sceptre qu’il a dans la main.
Apprenez que la seule marque,
Qui peut rendre vn Prince Monarque,
Est le pouuoir de faire Bien,
Sans cela, le Prince n’est rien.
Car si la marque souueraine
N’estoit qu’à faire de la peine,
Qu’à causer ou mort ou tourment,
Tous seroient Roys également :
Car en tous Estats, en tout Aage,
Le moindre homme peut faire outrage,
Et peut ainsi (par cette Loy)
Disputer la grandeur au Roy.
Donc le pouuoit de la Couronne
Ne git pas à blesser personne.
Mais bien à faire des faueurs,
Ce qui n’est dû qu’aux grands Seigneurs ;
Et nous voyons auec merueilles,
Ce bel ordre au Roy des Abeilles,

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A qui Nature, ce dit-on,
Ne donne iamais d’aiguillon :
Pour cela, dans les Monarchies,
Sur vn beau principe établies,
Les Iuges, ou les Parlements,
Disposent seuls des châtiments :
Le Roy leur laisse la Iustice,
Et prend le soin du Benefice ;
Il leur permet de condamner,
Et ne s’occupe qu’à donner,
Ne voulant monstrer sa puissance,
Qu’en ordonnant la Recompence,
Et qu’en faisant, sans interêt,
Honneurs ou Biens à qui luy plaît.

 

 


Et cependant tous nos Ministres,
Par des subtilitez sinistres,
Vsurpent ce qui fait les Roys,
Eleuant bien souuent, sans chois,
L’Estranger & le Parazite,
Au point qui n’est dû qu’au merite,
Et qu’aux naturels du païs.

 

 


C’est ce qui fait qu’ils sont haїs,
Que les plus heureux ne vont guere
Iusqu’au bout de leur Ministere,
Et que sans estre regrettez,
Souuent dans des lits empruntez,
Ils perdent ce reste de vie
Qu’ils ont sauué de la furie,

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Ou bien peut-estre du gibet.

 

 


O ! Arrest de six cent dix-sept !
Pourquoy ne t’a-t’on pas fait mettre
Dedans Paris en grosse lettre !
Pourquoy ne t’a-t’on pas graué
En tous lieux, public & priué !
Le pauure & miserable Iule,
Qui seroit reduit à la mule,
Ne seroit pas si haut monté,
Mais il seroit en seureté.
Il auroit leu cette sentence
Qui l’exclut des Charges de France,
Et, n’estant point de peur transi,
Il seroit mieux, & nous aussi.

 

 


Si quelqu’vn marche sur sa trace,
Et vient pour occuper sa place,
Soit Etranger, ou bien François,
Qu’il y pense plus d’vne fois !
Car ie connois la populace,
C’est vne dangereuse race,
Elle ne veut plus voir Paris
A la mercy des Fauoris :
Et, tant s’en faut qu’elle y consente,
Tel qui n’a que cent francs de
rente,

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En donnera iusques au quart,
Pour n’estre plus à tel hazard.
Mesmement, chez nostre voisine,
Vne seruante de cuisine
Offre déja son demy-sein ;
Elle sçait le nom de Varin,
Et se prepare auec joye,
De le porter à la Monnoye,
N’en deût-on faire que dix francs ;
Protestant, les mains sur ses flancs,
Qu’elle mettra iusqu’à la maille,
Pour éloigner cette canaille,
Et pour ne plus reuoir iamais
Tous ces Ennemis de la Paix.
Bref, dans Paris il n’est personne
Qui ne contribuë, & ne donne,
L’vn de l’argent, l’autre des coups,
Pour les écarter loin de nous.

 

 


Aussi, n’est-ce pas mocquerie !
Nous endurons la tyrannie :
Vn inconnu nous fait la loy,
Ie sçaurois volontiers pourquoy ?
N’est-ce pas assez d’vn Monarque ?
Et, s’il faut quelqu’homme de marque
Pour ayder nostre ieune Atlas,
Soit de la teste, soit du bras,

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Tous nos Princes sont bons & sages,
Par leurs Conseils & leurs Courages
Ils peuuent soûtenir l’Estat
Bien mieux que ne fit cét ingrat,
Qui va bien-tost leuer le siége,
Sous pretexte d’aller en Liége,
Ou traiter dans le Pays-Bas ;
Encore ne le sçait-on pas.
Ses intrigues sont sans pareilles ;
Mais il fera plus que merueilles
S’il entre iamais dans Paris,
Encores qu’il l’ait entrepris,
Et que, mesme à la Conference,
Il ait, contre toute apparence,
Signé le troisiéme au Traité,
Quoy qu’autrement fust arresté.
A cela ie n’ay rien à dire,
Si ce n’est qu’il faut craindre pire,
Et que, si l’on biffoit l’Arrest,
(Ce qui ne sera, si Dieu plaist)
Paris seroit sans garentie,
Nonobstant la Sainte Amnistie :
A moins que de son mouuement,
Par conseil, ou bien autrement,
Ce Forfante enfin ne s’en aille,
Il faut craindre la Reprezaille.

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Beaucoup seroient sanglez tout net,
Sans que ny Robbe, ny Bonet,
Ny le Bureau, ny l’Ecarlatte,
Se pussent sauuer de sa patte ;
Et lors nos Bados de Paris,
Sans estre assiegez, seroient pris.

 

 


Mais ce n’est qu’vne Réuerie,
Ie dis cecy par Raillerie,
Et quoy qu’on puisse craindre tout,
Son plus grand effort est au bout.
Il faut qu’il s’en aille, & i’espere,
Que par conduite, ou par colere,
L’aisné d’Armand dans peu de temps
Luy donnera la clef des champs.
I’entens pourueu qu’il nous échappe,
Car vne fois si l’on l’attrappe,
Si dans les Champs il est trouué,
Il peut bien dire son Salue,
Et son In manus tout en suitte,
Autrement il n’en est pas quitte,
Comme chante le Triolet,
Si vous sçauez bien le Couplet,
Fait sur l’homme à la grosse panse,
Qui n’a plus la Sur-Intendance.
(Par parentheze) il est fort bien,
Le Drolle n’a soucy de rien.
Pendant qu’icy chacun se congne,
Il fait bonne chere en Bourgogne ;

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Encor ne fait-il pas tant mal,
Et fit mieux que le Cardinal,
On croit pourtant que l’vn vaut l’autre :
Adieu, ie suis

 

SERVITEVR VOSTRE.

LONGIN TOVPIN.

FIN.

 


A Paris, dans le Champ de Mars,
Ce matin quinziéme de Mars,
L’an que Condé, quoy qu’vn colere.
Ne batit point son petit Frere.

 

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IAMBICVM.

 


Fvgiat-ne ab Vrbe, dubius, an maneat miser ;
Laqueis, volutâ mente, diuersis, stupet.
Effugere tentat ; sed viam Excubiæ negant :
Manere ; Patrum, at, Ille, Diphtheram timet.

 

 


Ecquid moraris, anxius ? tempus teris !
Finire laqueos, vnus, hos, laqueus, potest.

 

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