Anonyme [1652], LETTRE DES BOVRGEOIS DE PARIS, ENVOYEE AV ROY. Sur les desordres que commettent les gens de guerre aux enuirons de cette Ville. , françaisRéférence RIM : M0_2070. Cote locale : B_19_59.
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LETTRE
DES
BOVRGEOIS DE PARIS,
ENVOYEE
AV ROY.

Sur les desordres que commettent
les gens de guerre aux enuirons
de cette Ville.

A PARIS,
Chez IEAN BRVNET, ruë Sainte Anne.

M. DC. LII.

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Lettre des Bourgeois de Paris
enuoyée au Roy.

SIRE,

Nous ne doutons pas que beaucoup de personnes
prés de Vostre Majesté ne luy ayent donné de mauuaises
impressions de nostre fidelité sur la prise de S. Denis, sous
la conduite de Monsieur le Prince ; mais quand elle aura
appris les sujets qui nous y ont porté, nous croyons
qu’elle aura assez de bonté pour ne rien diminuer de la
bonne opinion qu’elle a tousiours euë de la sincerité de
nostre zele, & comme estans si mal-heureux que de ne
pouuoir pas nous iustifier en la presence de Vostre Majesté,
puis qu’vn destin fatal nous fait souffrir son absence
depuis si long-temps, nous la supplions tres-humblement
de vouloir ietter les yeux sur ce triste tableau
que nous luy ennoyons, où sont dépeints les
sensibles regrets de sa bonne ville de Paris, de se
voir priuée du plus grand Prince de l’Europe, qui estoit
auparauant ses delices, sa iustification dans les troubles
que son absence y a excitée, & particulierement dans cette
derniere sortie de ses habitans reduits à l’extremité,
auec les tres-humbles prieres qu’ils font à vostre Majesté
pour son retour, & les moyens de le rendre glorieux &
pacifique.

Le Ciel vous a doüé d’vn esprit si penetrant, qu’il est

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impossible que V. M. n’aye sceu les ressentimens que ses
plus notables Bourgeois ont tesmoigné de son absence,
& les peines que le petit peuple a souffertes à cette occasion
par l’interruption du commerce : Il est vray que V.
M. fut conseillée d’esloigner Paris pour aller appaiser les
troubles qui s’excitoient dans la Guyenne, mais elle auroit
pû donner le calme à cette Prouince sans sortir d’icy,
puis que nous voyons qu’en pensant esteindre vn feu par
sa presence, elle en a allumé vn autre plus grand par son
absence, qui ne sera peut estre pas si facile à esteindre ;
& ceux qui ont donné à V. M. ce conseil, sans doute
estoient des gens qui auoient cette Ville pour suspecte, &
qui consideroient moins vostre interest que le leur, la suite
en est la preuue infaillible, puis que nous y auons veu
naistre de grands desordres qui s’augmentent encore
tous les iours.

 

Vostre Majesté se peut souuenir du profond repos
dont elle iouyssoit quand il luy pleust esloigner le Cardinal
Mazarin du Royaume, des actions de graces qu’elle
luy rendit pour ce sujet, & des protestations qu’elle luy
fit d’vne incorruptible fidelité, qui ne cessera iamais,
quelque chose qu’on luy en aye pû dire au contraire. Desja
le feu de la Guyenne commençoit de s’esteindre, tout
se preparoit fort bien pour vn calme vniuersel ; mais quelques
enuieux du repos public conseillerent à V. M. de faire
reuenir ce Ministre, contre sa propre Declaration, qui
fut le premier acte de foy que V. M. fit à sa Majorité. Il
fut aussi-tost le tison qui ralluma les feux de la diuision,
auec plus de violence qu’auparauant : il n’y a point de
Prouince en France qui n’ait souffert toutes les incommoditez
de la guerre depuis ce retour ; & si l’on n’auoit

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point caché à V. M. les vols, les pillages d’Eglise, les violemens
& les incendies, que les gens de guerre qu’il a amenez
auec luy ont commis, sans doute elle ne l’auroit pas
maintenu comme elle a fait. Nous auons à nostre tour
ressenty les rigueurs de cét orage, apres auoir pillé les
villages, maisons & chasteaux qui sont autour de cette
Ville, & commis les mesmes insolences qu’ils auoient fait
dans les autres Prouinces, ils ont esté si hardis que de venir
piller iusques dãs nos Faux-bourgs, ou pour preuue on
en a fait quelques-vns prisonniers ; c’est pourquoy n’estans
pas mesmes en asseurance dans nostre Ville, nous
auons esté contraints de prendre les armes : & en suite
sur le bruit qu’ils s’estoient saisis de S. Cloud, où V. M. ne
met iamais de garnison, nous nous serions saisis de saint
Denis, de crainte qu’ils n’en fissent de mesme, afin de tenir
les passages libres, & empescher les pillages qui leur
sont ordinaires. Vostre Majesté a écrit à Monsieur le
Mareschal de l’Hospital qu’elle s’estonnoit fort de nostre
procedé, veu qu’il n’y auoit à S. Denis que la garnison
ordinaire, & que c’estoit luy fermer vn passage qu’elle
destinoit pour reuenir dans sa bonne ville de Paris,
qu’elle en auroit mesme confié la garde aux habitans d’icelle.
Si les ordres que V. M. donne pour la conseruation
de ses peuples estoient executez ponctuellement, nous
n’aurions point sujet d’apprehender, nous sçauons la bonne
inclination de V. M. pour ses suiets, mais les insolences
des soldats, mesmes des Chefs, qu’on luy cache, nous
oblige à nous tenir sur nos gardes, sagement instruits sur
l’exemple de nos voisins ; ioint que quand il luy auroit
pleu reuenir icy, il n’y auroit eu aucun Bourgeois qui ne
fust sorty en armes pour faciliter & honorer son passage,

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auec toutes les acclamations de ioyes imaginables. Mais
nous sçauons bien que le C. M. destourne V. M. d’vn si
loüable dessein, & quelque bruit qu’il en ait fait courir,
& quelque enuie qu’il en ait tesmoignee au dehors, ce n’a
iamais esté son intention.

 

Quand les Deputez de Son Altesse Royale, ceux du
Parlement & de cette Ville, vous ont fait & reïtere tant
de fois les tres-humbles Remonstrances de vos peuples
pour l’esloignement de ce Ministre estranger, cause des
desordres de vostre Estat, & de la ruine entiere de vos
sujets : ses partisans vous ont fait entendre que c’estoit
heurter vostre authorité Royale, & c’est ce qui n’a iamais
pû venir dans nostre pensée, ny dans celle de Son Altesse
Royale, qu’il faudroit accuser du mesme crime.
Pendant que nous auons pû souffrir ses tyrannies, nostre
douleur n’a paru que par des plaintes & des souspirs ;
mais quand elles sont venuës à l’extremité, & que nous
auons veu nos maisons de la campagne & les Eglises pillées
& bruslées, iusques aux portes de Paris, & les paysans
qui pouuoient échapper la fureur du soldat, se venir
refugier dans nostre Ville, l’vn pleurant son enfant assassiné,
l’autre son pere, la mere pleurant sa fille violée
deuant ses yeux, & la fille se lainentant de la mort de sa
mere, massacrée en sa presence : nous auons esté obligez
pour nostre propre conseruation, de prendre les armes
pour repousser de semblables iniures, & quand nous aurions
mesme deffait telles sortes de gens, Vostre Majesté
pour cela ne nous pourroit pas taxer d’aucune rebellion,
puis que son bon naturel luy fait auoir en horreur de
semblables crimes. Si le C. M. a esté assez heureux pour
gagner vostre amitié par les complaisances de son esprit,

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ou par quelques petites iouialitez Italiennes, qui diuertissent
V. M. voila pourtant les mal-heurs qu’il cause dans
vostre Estat ; & la conioncture de vos affaires est venuë à
tel point, que vous ne sçauriez cõseruer vn fauory sans la
perte de vostre peuple ; l’vn vous est plus agreable que necessaire,
& l’autre vous est absolument necessaire, car vous
ne sçauriez estre Roy sans peuple, mais vous pouuez estre
le plus grand Roi du mõde sans ce fauory. D’ailleurs pour
faire voir à V. M. que ce n’est point vne animosité temeraire
que nous ayons contre luy, qu’il luy plaise l’éloigner de
sa personne seulement pour quelque temps, & nous faire
l’honneur de reuenir dans cette ville pour s’y faire instruire
des choses que nous alleguons contre luy, & si V. M.
les trouue veritables, sa bonté l’obligera à nous faire Iustice,
en l’esloignant absolument, & si elles se trouuent
fausses, nous nous soumettons à toutes les peines qu’il
plaira à V. M. de nous faire souffrir, & à son restablissement
mesme La France vous en coniure par ses Prouinces
desolees ; par vn million de sujets qui languissent de
faim ; par vne quantité de petits orphelins, qui ont suruescu
à leurs peres & meres, par tant de saintes ames que la
guerre a destournées du seruice Diuin, & contraintes
d’abandonner leurs Monasteres ; par ces innocentes victimes
que la fureu de cét Estranger a fait immoler dans
nos Faux-bourgs, entre lesquels il y a iusques à des enfans
de sept an ; par nos Hospitaux que la confusion des estroprez
& malades de la campagne à fait former ; à quantité
d’autres qui languissent aux portes : par l’Eglise mesme,
dont vous estes le Fils vnique qui vous demãd vengeance
des sacrileges qui se sont commis dans ces Temples.
Que la posterité ne vous reproche pas vn iour d’auoir taché

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les premiers iours de vostre Majorité du sang de vos
sujets : ne souffrez pas qu’vn Ministre interessé fasse naistre
le siecle de fer, sous le meilleur Roy du monde. Mais
si nous auons ressenti dans le commencement de vostre
regne les premieres années de celuy d’Auguste, faites
nous gouster ses dernieres, qui furent si douces au peuple
Romain. Considerez, SIRE, que les Rois sont responsables
à Dieu du sang de leurs sujets, & que mesme
l’ignorance de leurs affaires ne les excusera pas deuant le
throsne de la Iustice Diuine. Souuenez-vous que Dauid
ayma mieux choisir la peste que la guerre, tant il estoit
amateur de la paix, & tant il haïssoit les desordres que la
guerre iette dans vn Estat, & de plus, parce qu’il consideroit
que les Rois se peuuent mettre à l’abry des miseres
de la guerre, & qu’il n’y a que les peuples qui souffrent,
mais ils ne sçauroient s’exempter du fleau de la peste.
Enfin, SIRE, nous vous coniurons par vous mesme, puis
que vous y auez le plus d’interest, d’esloigner cét Estranger
& donner la paix à vos peuples, afin de vous conseruer
le plus puissant Estat de l’Europe, sur le panchant de
sa ruine. Ce sont les tres-humbles prieres que presentent
à Vostre Majesté, auec toutes sortes de respects,

 

Ses tres-humbles, tres-affectionnez,
& tres-fideles sujets,
LES BOVRGEOIS DE PARIS.

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