Anonyme [1649], LETTRE A MADAMOISELLE DE V. ESTANT A LA CAMPAGNE. En suite de la Guerre des Tabourets. , françaisRéférence RIM : M0_1811. Cote locale : C_4_47.
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LETTRE
A MADAMOISELLE
DE V.
ESTANT A LA CAMPAGNE

En suite de la Guerre des Tabourets.

 


Apres vous auoir dit en prose
En peu de mots beaucoup de chose,
En rimes, il me faut aussi
Vous dire ce qu’on fait icy,
Et sans vser de preambules,
Qui bien souuent sont ridicules,
Vous raconter naïfuement
Ce qui trouble tout à present.

 

 


Les Cus causent de grands desordres,
Et veulent changer tous les ordres
Et mettent en grand desarroy
Le Prince, & la mere du Roy :
Les beaux yeux de toutes nos belles
Ne sont plus autheurs de querelles,
Ce sont ces Cus audacieux

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Les vns des autres enuieux,
Ils font faire des assemblées,
Les familles en sont troublées ;
Et pour les Cus sales ou nets
On reuoque tous les Breuets
Accordez depuis la Regence,
En dépit de son Eminence :
Dedans le Palais les Placets
Font du bruit moins que Tabourets,
Ne font bruit parmy la Noblesse,
Qui s’oppose & qui s’interesse
Pour empescher que quelques Cus
De sang Royal non descendu,
Ne puissent auoir leur seance
Auprés de la Reyne de France.

 

 


A la belle de Montbazon,
Fille de tres-bonne Maison,
L on a fait leuer le derriere,
Dont il fasche sort à sa mere,
Qui ne pensoit qu à ieune Cu,
D Hercules de Rohan venu :
Malgré les gloses de l Histoire
L’on peut refuser cette gloire
D’estre placé au mesme rang
Où l’on voit Cus d’illustre sang :
Mais, quoy qu’elle s’opiniastre
Et se fasse tenir à quatre,

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Pour remettre sur Tabouret
Ce Cu poly & rondelet :
Elle ne peut la belle Dame,
Ses yeux quoy que remplis de flame
N’ont iamais pû rendre vaincu
Condé qui s’oppose à ce Cu.
Ce n’est pas qu’il soit si farouche
Qu’vn beau Cu par fois ne le touche ;
Mais c’est qu’en cette occasion,
Il veut suiure sa passion
Et mettre d’autres Cus en sur-selle,
Qui n’ẽ sõt pas moins dignes qu’elle.

 

 


Beaufort cét illustre Frondeur,
Des Rentiers le grand Protecteur,
Offre son bras & son seruice,
Est tout prest d’entrer dans la lice,
Pour remettre ce noble Cu
Au rang ou iadis on la vu :
Il s’en met si fort en colere
Pour l’amour de la bonne Mere,
Que qui le voit en cét estat,
Dit qu’vn Cu va broüiller l’Estat,
Qu’il faudra faire barricades
Et recommencer les frondades,
Si par traittez ou par amis,
Ce Cu, sur siege n’est mis.

 

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Chacun prent part en cette affaire,
Ie ne sçay pas par quel mystere ;
Mais nostre grand Coadiuteur
A pour ce Cu beaucoup d’ardeur :
Il brigue & menace de sorte,
Qu’on tient que la Mere le porte,
Reconnoissant bien sa bonté
A remettre vn Cu démonté.

 

 


Maints autres braues à outrange
Embrassent aussi sa deffence,
Et l’on croit que toute la Cour
Se declareroit par amour,
Si l’interest de nostre Reyne
N’estoit aussi fort que la chaisne
De ce Cu, qui depuis vingt ans
A fait plus de vingt mille Amans.

 

 


D’autres Cus de haute importance
Sont aussi fort en doleance
De l’illustre maison de Foix,
Dame de Bleix, est aux abois,
Voyant que Iules par foiblesse,
A souffert que sa noble fesse
Se vit veufue du Tabouret,
Par luy concedé sur Albret.

 

 


De Luxembourg, Maison antique,
Et qui sans vanité se pique

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D’auoir donne dans la saison
Empereurs de tres-haut renom,
Reçois vne change pareille,
Donc tout le monde s’esmerueille.

 

 


Voila la consolation
Qu’ont eu dans leur affliction
Des Cus, dignes du benefice
Qu’on leur accordoit par Iustice.
Cus, pour qui ce n’est pas assez
D’estre sur des placets placez.
Cus, que toute la terre prosne :
Cus, dignes d’estre sur vn Throsne :
Cus, que chacun honore fort :
Cus, qui sont de tres-bon suport :
Cus, qui valent bien des visages,
Respectez entre tous les sages :
Cus, qui rendroiẽt des Cus heureux :
Cus releuez, Cus vigoureux :
Cus, qui dessous chemise fine
Meritent fourure d’hermine :
Cus, gratieux & obligeant,
A bien faire tres-diligent :
Cus, à faire mille caresses,
Qui ne font iamais de bassesses :
Cus, de qui l’on fait vn grand cas,
Qui font à plusieurs dire helas,

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Qui sont enflez de bonne gloire :
Qui doiuent briller dans l’histoire :
Cus, glorieux, Cus en bon point,
Vrais cus à ne le rendre point,
Qui peuuent auoir l’aduantage
D’estre dits bons Cus de mesnage :
Cus, enfin qui sur tous les cus
Doiuent emporter le dessus.

 

 


Mais c’est sur des cus trop s’estẽdre
Ils pourroient enfin me surprendre :
Ces Cus, sont des cus dangereux,
Qui blessent quand on parle d’eux,
Il n’est nul qui ne les redoute,
Encore qu’ils ne voyent goutte.
Laissons donc là ces cus hardis
Qui font tout bransler dans Paris.
Aussi bien toute leur furie
Se tournera en raillerie,
Et desia beaucoup de ses cus
Sont d’accord à force d’escus.

 

 


Si i’osois dire, mais ie n’ose,
En vers ce que i’ay leu en prose,
Vous verriez l’Eglise à son tour
Aussi broüillée que la Cour.
Mais pourquoy ne vous le pas dire,
Ou à tout le moins vous l’escrire,

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Pourroit on condamner ma main,
Si du grand Pontife Romain
Elle vous mande sans scrupule
Les Ordonnances & la Bulle :
Bulle qui a fait de grands Saints
Reuerez entre les humains,
Le mesme bord qu’on fait aux belles
En leur ostant leurs escabelles.

 

 


Helas ! qu’a fait sainct Mathurin,
Qu’a fait le grand sainct Augustin,
Pour estre comme pauure hain
Remis au nombre du vulgaire :
Qu’ont fait les pauures Theatins ;
Pour estre comme des Mutins
Reiettez eux & leur sequelle,
Ainsi qu’vne seche nouuelle.
Sainct Hierosme le sainct vanté
Par tous les saincts qui ont esté,
Qui faisoit aux sçauants la nique,
Est-il deuenu Heretique,
Pour estre auec ses adherans
Mis hors de credit & de rangs.
Sainct Barnabé, ce sainct illustre,
Qui s’est mis en vn tres haut lustre,
Par le mespris de tous les biens,
Pourquoy cassé luy & les siens.

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Lon ne peut dire pour quel crime
Sadite Saincteté supprime
Ses six Ordres deuotieux,
Remplis de bons Religieux.
Mais surquoy ne veut elle mordre,
De sainct François, l’excellent Ordre
Se voit reduit à la moitié,
Ce qui fait dire par pitié,
D’où vient S Pere que tu panches
A retrancher les bonnes branches
De cét Arbre si glorieux,
Qui de saincts a peuplé les Cieux,
Dis-nous par quel misere estrange
Des Disciples du grand Archange,
Tu laisse les bons Capucins
Et supprime les Tiercelins :
Mais pardon, le zele m’emporte,
Ie peche parlant de la sorte,
Et si i’en dis encore vn mot,
Ie passeray pour Huguenot.

 

 


Aux Disciples de sainct Ignace,
Ainsi que ceux de la besace,
Il fait de nouueaux reglements
D’assister aux Enterrements,
Aux Processions ; chanter Messe
Et les Vespres, dont leur adresse

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S’est exempté pour des cas
Que tout le monde ne sçait pas.
De plus sa Saincteté ordonne,
Et l’on tient la chose fort bonne,
Que tous les sexes differens
Dont on voit remplis les Conuents,
Pourront vne fois en leur vie,
Au moins s’il leur en prent enuie,
Changer à leur deuotion
Et d’Ordre & de Religion :
En suite de cette licence,
Il fait vne expresse defence
De receuoir dans les conuents,
Nouices de plus de six ans.
Voilà ce que porte la Bulle,
Dont chaque Moine en sa cellule
Ne peut retenir son caquet
Non plus que trousser son paquet.

 

 


Sans quitter nostre mesme stille,
Voyons ce qu’on dit par la ville :
L’on dit & l’on ne dit pas mal,
Qu’auant qu’il soit le Carnaual,
La France changera de face,
Mazarin quittera la place
Qu’il occupe depuis long-temps
Malgré nous & à nos despens,

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Il perdra dont il se desespere
Et le grand & le petit frere,
Il est à present sans appuy,
Son Protecteur n’est plus pour luy,
Le bras qui repousse la Fronde
L’auroit desia mis hors du monde
Si nos Iustes, si nos Louis,
Qui se sont tous éuanouis,
R’entroient dans leur terre natalle
En luy faisant trousser sa male.

 

 


Le peuple dont l’entendement
Est aussi leger que le vent,
Dit pour certain qu’à la Cheurette
Depuis quelque temps fait retraitte
De Venise l’Ambassadeur,
Qui fait vne grande rumeur,
Il accuse son Eminence
D’empescher que toute la France
Iouïsse selon ses souhaits
Des aduantages de la Paix :
Pour destourner cette Ambassade,
Il a deux fois fait pourmenade
Audit lieu, d’ou il voudroit bien
Qu’il s’en allast sans dire rien,
Lors qu’il y fut auec escorte,
Petites gens de toutes sorte,

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Croyants qu’vne seconde fois
Il faisoit comme il fil aux Roys,
Crioyent desia arreste, arreste,
Quand pour appaiser la tempeste
L’on ietta louis de cinq sous
Qui les firent retirer tous.

 

 


Ce grand conseruateur de Place
Qui railloit de si bonne grace.
Le braue Monsieur de Paleau
Et dedans, ou pres du tombeau,
On nous a voulu faire croire
Qu’vn Prelat digne de memoire
Par les bons & fameux repas
Na peu s’exempter du trespas.
Mais Madame de Lomenie
Qui prent interests à sa vie,
Asseure que Monsieur de Rheins
Est encor au rang des humains.

 

 


Depuis peu dedans cette ville
Est de retour cét homme habille,
Que Particely l’on nommoit
Du temps que le feu Roy viuoit ;
Mais qui de peur de penderie
Habandonna sa Seigneurie
Et d’Emery se surnomma,
Nom que iamais François n’ayma.

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De vous dire pourquoy s’est faire,
C’est dequoy il me faudra taire ;
Mais ie sçay bien que si c’estoit
Pour en faire ce qu’il faudroit,
Bien soit sur le chant de la fronde,
L’on chanteroit par tout le monde,
Cy gist de son long estendu
Particely qui fut pendu.

 

Chanson
qui court.

 


C’est trop dire de bagatelles,
Ie finis icy les nouuelles
Et i’y finirois ce discours
Sans vous parler de mes amours,
Si ie pouuois finir sans honte,
De ne vous en rendre pas conte,
Sçachez donc, mais n’en doutez pas,
Et mes ennuis & mes esbats.

 

 


Depuis que ie vous ay perduë,
C’est à dire perdu de veuë,
Car si d’autre façon estoit,
Perdu aussi l’on me verroit,
Mon ame est si triste & dolente,
Que rien du tout ne la contente,
Elle tasche pour adoucir
La rigueur de son déplaisir,
De Rimailler & faire Prose
Mais quoy la Rime est vne chose

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Qu’Amour aime parfaictement,
Et dont il instruict vn Amant
Ainsi frustré de mon attente,
Ce remede le mal augmente,
Et reçois composant Rondeaux,
Tous les iours quelques traits nouueaux,
C’est tourner contre moy mes armes
Que de representer vos charmes,
C’est composer vn doux poison
Qui flatte & trouble ma raison,
En formant vostre belle image
Mon cœur de plus en plus s’engage,
Il fait luy mesme ses liens,
Et se vend de ses propres biens.
Par fois dans ma melancolie,
Ma femme la plus accomplie
Qui fut iamais dessous les Cieux,
Se vient presenter à mes yeux,
Et par son aymable presence
Me fait oublier vostre absence,
Ie la voy auec tant d’appas,
Que d’aise ie ne me sens pas.
Mais aussi lors la ialousie
S’emparant de ma fantaisie,
Me dit qu’auec tant de beauté
Elle a peu de fidelité,

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Ce soupçon fait naistre la rage,
Et si ie croyois mon courage,
D’vn pas prompt & d’vn cœur hardy
I’yrois me vanger a....
Auecque le fer & la flame
I’yrois faire perir ma femme,
Plustost que de souffrir l’affront
De porter cornes sur mon front.

 

 


Reuenu de cette saillie,
Ou plustost de cette folie,
I’offre mille vers, mille vœux
A ses yeux, à ses blonds cheueux,
A sa iouë blanche & vermeille,
A sa bouche la nompareille,
Pourueu qu’ils me donnent la mort,
Ou qu’ils excusent mon transport.

 

 


Voilà, trop aymable Siluie,
Comme ie passe icy ma vie,
Voila comme mes passions
Se repaissent de visions,
Attendant que vostre retraitte
Rende ma ioye plus parfaitte.

 

FIN.

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