Anonyme [1649], LES TERREVRS DE MAZARIN, ET LE SECOVRS CHIMERIQVE & imaginaire qui luy vient d’Italie, conduit par le redoutable Capitaine & General Scaramouche. , françaisRéférence RIM : M0_3762. Cote locale : C_10_28.
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LES TERREVRS DE MAZARIN,
& le Secours Chimerique & imaginaire qui luy vient
d’Italie, conduit par le redoutable Capitaine & General
Scaramouche.

TOVTES les pratiques & les finesses des infames si pposts
& espions de Mazarin, n’ayans peu semer la discorde dans Paris :
le Parlement, les Generaux, & le Peuple demeurans
tousiours dans vne vnion parfaite, iusques à ce que ce Tyran
Estranger soit chassé du Royaume, ou puny de ses crimes.

Les nouuelles certaines qu’on a receu que toutes les Prouinces & tous
les Parlemens de France, suiuent l’exemple de celuy de Paris, & se sont
vnis parfaitement pour exterminer ce monstre, né pour la ruine du genre
humain.

Les leuées de plusieurs armées considerables ; en Normandie par le Duc
de Longueuille ; en Poictou, au Mans & en Bretagne par les Ducs de la
Trimoüille & de Rerz, & en plusieurs autres endroits par diuers Seigneurs.

La marche & l’approche des plus considerables forces de l’Archiduc
Leopold qui vient au secours du Parlement ; Et l’instance pleine de zele &
de generosité que son Altesse Imperiale fait, pour obliger la Reyne Regente
à donner la Paix generale à la Chrestienté.

La misere où la Cour est reduite à Sainct Germain, & l’impossibilité
manifeste où elle se trouue de pouuoir tirer de l’argent du peuple, & les
murmures & plaintes vniuerselles que les François font contre l’insatiable
auidité & l’ingrate cruauté du Mazarin qui apres s’estre gorgé de leur plus
pure substance, employe à present le fer, le feu, le poison & la famine pour
acheuer de les perdre entierement.

La Declaration Genereuse & tres-iuste que le Prince de Conty & les autres
Generaux de l’armée du Roy leuée pour la legitime deffence des
bons François, ont faite le 20. de ce mois de Mars, de quitter les armes
dés aussi-tost que le Mazarin sera exclus du Ministere, & la verification &
enregistrement d’icelle dans le Parlement.

Et en suite la Declaration que l’Archiduc Leopold a faite, de n’estre
point entré dans la France en qualité d’ennemy, mais seulement pour demander
au Roy & à la Reine Regente qu’il leur plaise de donner la Paix
generale à la Chrestienté.

Toutes ces nouuelles, dis-ie, estans arriuées tout à coup à S. Germain ;

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la consternation y parut tres-grande sur les visages de ceux qui tiennent le
party de ce maudit Estranger, & l’espouuante qui saisit ce miserable fut si
extresme qu’il faillit à mourir de frayeur ; son ame bourellée & tremblante
fut agitée de mille pensées de desespoir, l’image de ses crimes, luy
faisant apprehender la vengeance du Ciel, luy donnoit tout à la fois mille
funestes tentations, & le poussoit à s’enfonser vn stilet dans le sein, où à
se seruir de ses confitures ou conserues empoisonnées, que son ambition
demesurée luy a fait employer pour oster du monde plusieurs personnes
de grande consideration qu’il croyoit estre ses ennemis, & desquelles il
se seruira peut-estre à estouffer la vie de ceux qui luy auront fait plus de
bien.

 

Les consolations que les sieurs de Seneterre, de Iars, de Bautru & plusieurs
autres de ses meilleurs amys luy donnoient ; ny l’asseurance que la
Reine & les Princes du sang luy enuoyerent faire de la continuation de
leur protection, ne peurent iamais remettre son esprit esperdu, & les
discours & responses extauagantes qu’il fit, donnerent assez a connoistre
que la peur de se voir accablé par tant d’ennemis luy auoit fait perdre le iugement,
& qu’il estoit semblable à vn nouueau & foible Matelot, qui estat
monté sur la pointe d’vn mast de Nauire, son esprit & sa teste se troublent,
& il treibuche aussi tost, que les vents ou les vagues le font Chanceler.

Ainsi Mazarin se voyant prest de tomber du lieu trop eminent ou la
fortune aueugle l’a esleué, son esprit qui n’a iamais eu aucune fermeté se
trouua incontinent troublé par les premieres difficultez qui s’opposerent à
son eleuation. Il fit mille discours impertinens qui tesmoignerent assez la
foiblesse & la lascheté de son cœur, & il parut aussi interdit & abattu dans
ce commencement d’aduersité, comme il auoit esté insolent & orgueilleux
dans la prosperité.

Il fut impossible de le rasseurer, & trois ours se passerent sans qu’il voulut
manger ny dormir, quelque soin qu’on y apportast : Enfin comme ses
seruiteurs & ceux qui ont leurs interests attachez à sa conseruation, virent
que les forces de sou corps diminuoient à mesure que celles de l’Esprit se
peruertissoient, & que mesme il couroit fortune de la vie, si l’on le laissoit
plus longtemps dans cette humeur hipocondre, furent d’aduis d’y appeller
les plus habiles Medecins du Roy, qui trouuerent bon de luy donner
vn petit breuage d’Opium pour le faire dormir, esperans que le sommeil
calmeroit ceste émotion & remettroit cét esprit destraqué dans son assiette
ordinaire ; cela fut trouué tres à propos ; mais le succez ne respondit
pas à leurs intentions ny à leurs desirs ; car ce pauure mal-heureux ayant
esté contraint de dormir plustost par la force du remede, que par aucune
quietude d’esprit, s’éueilla au bout de sept ou huit heures plus fou qu’il
n’estoit auparauant ; Mais sa folie fut d’autant plus extraordinaire qu’elle
ne parut pas à l’abord ; car s’estant leué auec vne grande tranquilité sans
tenir aucuns discours ny faire aucune contenance de crainte, il commanda
auec vn visage ioyeux à vn de ses Secretaires de faire entrer dans sa chambre
les Sieurs de Seneterre, de Iars & de Bautru, que i’ay nommez cy-dessus,

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disant qu’il auoit à leur communiquer vne bonne nouuelle d’Italie
qui luy auoit esté apportée ceste nuict passée, laquelle luy donnoit esperance
de voir sa Grandeur & son pouuoir mieux establis que iamais : Le
Secretaire obeït promptement & courut appeller ces trois fidelles confidens
qui furent beaucoup resioüis d’apprendre que ce digne Ministre
estoit guery de ceste fiéure continuë ou plustost de ceste lasche poltronnerie
qui l’auoit saisi le iour auparauant ; comme donc ils entrerent dans sa
chambre, il les receut auec vne contenance bien differente de celle ou ils
l’auoient laissé : Il les fit tous asseoir à l’entour de luy comme s’il eut voulu
tenir conseil auec eux ; Et commença son discours d’vne sorte, qu’ils ne
tarderent pas longtemps de connoistre que sa folie estoit plustost augmentée
que diminuée, & que le remede qu’on luy auoit donné pour le faire
dormir estant [illisible] targique luy auoit causé des songes tres ridicules, lesquels
pourtant il se persuadoit estre veritables ; voicy la substance de son discours.

 

Mes chers & bien aimez confidens ; Comme ie sçay que vous prenez
part à tout ce qui touche ma fortune & ma gloire ; vos interests estans inseparables
des miens, & ma cheute entrainant apres soy vostre ruine ; I’ay
esté dans l’impatience de vous voir pres de moy pour vous communiquer
des nouuelles tres asseurées que i’ay receuës ce soir, d’vn secours tres-considerable
que mes plus grands & anciens amis m’ont preparé en Italie,
& qui est desia en chemin pour venir ; estant asseuré qu’il sera aux portes
de Paris bien plustost que les troupes de l’Archiduc Leopold desquelles
l’on nous menace, (& que ie vous aduoüe m’auoir donné plus de terreur
que toute autre chose.) Et afin mes chers Amis que vous soyez asseurez de
ce que ie vous dis ie m’en vay vous raconter comme ma sage preuoyance
nous a procuré ce secours, & vous connoistrez que ie ne suis pas si malheureux
qu’on me croit, & qu’il y a encore dans le monde plusieurs grands
Personnages qui prennẽt à faueur d’employer leurs biẽs & leurs vies pour
mon seruice. Il y a environ trois ou quatre mois que plusieurs Astrologues
tres sçauans m’ayans aduerty que ma fortune estoit sur le point de sa decadence,
ie deuois songer a moy, & faire en sorte par ma sagesse de destourner
la malignité des Astres qui me menaçoient d’vne cheute aussi honteuse
comme ma gloire auoit esté Eminente ; Sur cét aduis (qui se trouua conforme
à mon Horoscope) i’ay creu que la principale chose qu’il faloit faire
pour dessourner ces funestes influences, estoit de coniurer tous mes amis
de se tenir prests pour me secourir au besoin, si les François irritez des mauuais
traitemens que ie leur ay faits, vouloient me chasser du glorieux rang
que ie riens prés du Roy & de la Reyne Regente ; Ie despeschay donc
diuers Messagers vers tous les Princes & Republiques d’Italie ; mais il faut
que ie vous confesse que mes Enuoyez n’y receurent pas tout le contentement
que ie m’estois imaginé ; Ces sages & trop Prudents Souuerains
tesmoignerent auoir beaucoup plus d’inclination & de volonté à me nuire
qu’à me seruir ; ie connus que ma grandeur & mes trop immenses richesses
leurs estoient suspectes, & qu’ils estoient enuieux de me voir à la veille de
m’esleuer beaucoup au dessus d’eux par le moyen de mes tresors. Bref,

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pour vous dire en peu de mots, il n’y eut aucun de tous ses Princes qui me
voulut accorder la priere que ie leur faisois, au contraire ils m’appelloient
fourbe, infidelle & ambitieux, & exageroient mille choses contre ma personne
& contre ma façon d’agir, à laquelle aucun ne se pouuoit fier ; Mais
comme les habilles Politiques ont tousiours plusieurs desseins pour arriuer
à vn mesme but, afin que si vn vient à manquer l’autre leur puisse reussir.
Ie despeschay secretement à Rome le Seigneur Cucuba chargé de plusieurs
lettres que i’escriuois aux plus celebres Courtisanes de Rome, à sçauoir
aux Signores Isabella, Hortencia, Lucia, Riciulina, Lauinia, Cassandrina,
la Greca, la Iouuene, Franchisquina, & Lucretia ; sans oublier la fameuse
Checa costa que ie fis venir d’Italie auec plusieurs autres pour representer
ceste longue Tragedie, oû ceste agreable Courtisane representant
Euridice fit tant de postures amoureuses deuant la Reyne & toutes les
Princesses & Dames de la Cour, pour m’obliger à l’aymer auec autant
d’amour comme i’auois fait autre-fois en Italie. I’escriuis aussi à la Signora
Leonora, ceste fine & rusée Chanteuse, qui a esté plus sage que moy, car
apres auoir attrappé beaucoup d’argent à Paris, elle s’en est retournée à
Rome où elle passe son temps auec moins d’inquietude que ie ne fais icy,
& à plusieurs autres dont l’enumeration seroit trop longue à vous faire,
pour les coniurer par nostre ancienne amitié & par les agreables seruices
que ie leur auois rendu, de s’employer en ma faueur enuers tous leurs
galands & fauoris, & leur persuader de s’enroller sous les estendarts de
l’Illustrissime Signor Scaramouche, auquel mon Agent rendit de ma part
les dépesches que ie luy faisois & à plusieurs de mes autres amis, le priant
d’accepter la charge de General de l’Armée, laquelle ie le cõiurois de leuer
le plus prõptement qu’il seroit possible ; ie luy enuoyois plusieurs cõmissiõs
en blanc, pour les remplir & les distribuer à des gens de cœur ; & en mesme
temps ie luy donnay aduis que i’auois commãdé par mes lettres au Signor
Flauio qui fait mes affaires à Rome, de luy deliurer tout l’argent qui seroit
necessaire ausdites leuées. Le Signor Scaramouche ayant receu mes lettres
tesmoigna qu’il estoit raui de l’honneur que ie luy faisois & tout incontinent
pour ne perdre point de temps fit assembler tous ses principaux amis ;
au courage & à l’experiãce desquels il se fioit le plus ; & apres vne harangue
à bastons rompus telle qu’il auoit accoustumé de faire sur les theatres de
la Salle du petit Bourbon & sur ceux du Palais Cardinal, il leur fit connoistre
l’extreme danger où le Signor Iule Mazarin leur ancien ami & cõfederé
se trouuoit à present reduit en Frãce, qu’il les prioit donc de se disposer à le
venir secourir ; à quoy tous ces illustres compagnons ayant tesmoigné
bonne volonté, il leur départit des commissions pour faire plusieurs Regimens
de Caualerie & d’Infanterie ; & afin que vostre curiosité soit satisfaite,
ce dit Mazarin à ces Messieurs (qui l’escoutoient auec estonnement
& compassion) ie m’en vay vous nommer les principaux officiers de cette
redoutable armée.

 

Premierement l’illustrissime & vaillant Signor Scaramuchia est le General.

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Le Signor Crepa-cuore, est Lieutenant General, non seulement à cause
de l’adresse merueilleuse qu’il a de dõner des bottes franches dãs le milieu
du cœur de ses ennemis ; mais aussi pource qu’il sçait dõner des coups
de poignards & de dagues aussi finement qu’homme qui soit au monde,
& qu’il a plusieurs excellens poisons, dont il se seruira en ma faueur selon
que i’en auray besoin. Les quatre Mareschaux de Camp, sont aussi tres-vaillans
& tres-experimentez, & il y a long-temps que l’Italie a veu des
preuues de leur courage & de leur suffisance. Voicy leurs noms, le Signor
Spessa monti, le Marquis Rompi-testa, le Signor Taglia-cantoni, & le
Baron de Malla gamba,

Leurs Aydes de Camp sont les sieurs Pasquariello, Bello sgnardo, Maramao,
& Trastullo.

Le grand Maistre, & le Lieutenant de l’Artillerie sont le Capitaine
Bombardon, & le signor Fracasse. Le Sergent de bataille le signor Esgangarato
general des viures, le signor de Bella-vita, le Preuost Ratsa di Boio.

Voila pour ce qui est des principaux officiers, & quant aux Mestres de
Camp, Colonels & Capitaines, ie n’aurois iamais fait si ie vous en voulois
dire tous les noms ; les plus considerables sont, les sieurs Cururuca, Cucorogna,
Squaquara, Maramao, Virginio, Tailla-fromay, Mestolino,
Fritello, Rauanello, Bragueta, Polliciniello, Fritelino, Cardoni, Francatripa,
Cocodrillo, Bagattino, Scapino, Fricasso, Babeo, Atto-Castrato,
Busetto, Briguello & plusieurs autres au nombre de plus de cinquante ;
tous les Regimens composez de plus de mille hommes bien armez, tellement
que vous pouuez iuger par ce nombre capable de conquerir les
Indes, si nos ennemis pourront resister à toutes ces forces ; Et si la nouuelle
qu’ils auront de la marche de cette formidable armée qu’on peut
appeller à tres-iuste raison la Mazarine, ne leur donnera pas bien-tost
l’espouuante, & ne les obligera pas a venir demander pardon à mon Eminence,
& dependre desormais de toutes mes volontez, pour mauuaises &
iniustes qu’elles puissent estre.

Comme ce pauure hypocondriaque eut esté escouté auec beaucoup
de patience par ces trois courtisans raffinez ; Ils ne se pûrent jamais
contenir, & nonobstant le respect qu’ils auoient accoustumé de porter à
cet idole (c’est à dire à luy pour l’amour d’elle) ils se mirent tous trois
à esclater de rire des discours chimeriques qu’il leur auoit tenu ; Mais
luy s’imaginant que la joye qu’ils receuoient de cette nouuelle leur auoit
causé ces transports ; Il reprit sa narration en cette sorte : Messieurs, ce
n’est pas tout, j’oubliois à vous dire que le Grand Turc auec lequel j’ay
des intelligences secretes depuis long-temps, & qui me donne vne tres-grosse
pension pour m’obliger à entretenir la guerre dans la Chrestienté,
& ainsi diuertir le secours que les Princes Chrestiens pourroient donner
aux Venitiens contre luy ; Vous sçaurez, dis-ie, qu’il a fourny vne tres-belle
armée nauale & plusieurs autres vaisseaux pour faire passer la mer
à mon armée, laquelle il doit venir débarquer au Havre de grace. Les
Lettres que j’ay receu les plus fraiches, m’apprennent qu’il y a six ou

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sept jours qu’ils ont passé le destroit de Gilbartar, & ie fay mon compte
selon le vent qu’il fait à present, qui leur est tres fauorable, qu’ils pourront
arriuer dans : cinq ou six iours en Normandie, & qu’ils donneront bien
tost la chasse à Monsieur de Longueville, & contraindront le Parlement
de cette Prouince à faire des Arrests bien differents de ceux qu’ils ont
donné contre.

 

En vn mot, ie vous doclare que j’espere de me voir bien-tost en estat de
ne rien craindre, & que tous mes ennemis se trouueront trompez dans
la croyance qu’ils ont conceuë de me chasser du Ministere. Ie m’en vay
depescher vn nombre de Partisans & de Maltoutiers qui se sont tenus à
S. Germain sous ma protection depuis le commencement de ces desordres,
pour fauoriser la descente de mon armée, & luy preparer des munitions
de bouche & de guerre. Messieurs des Gabelles, Messieurs les
Intendans de la Iustice, & tous les exacteurs des Tailles & des Imposts
que ie tenois dans les Prouinces, m’ont promis de se mettre en campagne
auec tous leurs Archers & tous leurs fusilliers : tellement que ie
suis asseuré que toutes ces forces jointes ensemble, me feront remporter
vne glorieuse victoire sur mes ennemis ; & les Prouinces de France espouuentées,
me viendront rendre hommage, & s’estimeront bien heureuses
de ployer le col sous ie joug que ie leur voudray imposer.

Et quant au Parlement de Paris, qui est celuy que j’ay le plus de subjet
d’apprehender, i’espere qu’il se rangera aussi à son deuoir : car outre beaucoup
d’intelligences que j’ay desia auec les plus considerables Senateurs
qui le composent. L’enuie que le peuple a de me tenir à Paris pour traiter
mon Eminence selon ses merites, les obligera à receuoir toutes les
conditions que ie leur voudray imposer. Et apres ces signalées victoires,
ie suis asseuré de faire mon entrée triomphale dans cette grande Ville,
qui est (à ce que i’ay oüy dire à quelques-vns des miens) toute preste à
me faire mille remerciemens de ce que ie suis la cause qu’ils n’ont point
fait de Caresme, & qu’ils n’ont point perdu leur argent a la foire Sainct
Germain.

Et parmy toutes ces prosperitez que ma bonne fortune me promet tout
à coup, ie ne trouue rien qui me satisfasse plus aduantageusement, que
lors que ie me represente que i’auray encore le contentement de voir &
d’embrasser mes plus anciens & intimes amis, tous ces illustres Caualiers
Italiens, qui de leur coste seront asseurement bien aises de me voir dans
le plus haut degré de la fortune, & de participer a mes triomphes, Cependant
i’ay donné charge au sieur Torelly tres-habile Ingenieur, pour
les machines Comiques, (& auquel i’ay tousiours fait payer de meilleures
pensions qu’aux plus vaillans & aux plus sçauans d’entre tous les François)
d’employer toute sa science, & toute son industrie à dresser des Arcs
de Triomphe, des Tableaux & des machines les plus belles que son esprit
luy pourra suggerer, par lesquelles il puisse faire voir en agreable spectacle
la naïfue & veritable representation de toutes les plus glorieuses
actions de ma vie & notamment de mon Ministere ; ie luy ay aussi ordonné

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de me faire fabriquer vn Chariot de triomphe, à l’entour duquel les
belles qualitez de mon ame, mon illustre naissance, mes vertus & mes
perfections soient denotées par des figures hieroglyfiques & Symboliques,
& releuées & peintes en or & en azur.

 

Lors que i’auray plus de loisir de vous entretenir, ie vous feray voir le
projet & le dessein de tous ces Arcs Triõphaux, de ces Tableaux & de ces
Machines, & ie cõmanderay à Torelly d’en dõner au public la representiõ
en figures de taille douce, auec l’explication d’icelles, afin que toute l’Europe
soit aduertie de ma victoire, & de l’esclatante magnificence de mes
Triomphes. Ce sera alors, mes tres-chers confidens, que ie me reuancheray
tres-genereusement & auec beaucoup de largesse, des faueurs
que i’ay receuës de vous ; ce sera alors que nous gousterons à souhait les
delices & les fruicts de nos glorieux trauaux, ce sera alors que i’auray plus
d’Idolatres & d’Adorateurs que ie n’ay iamais eu ; ce sera alors que la bouche
des François changera bien de discours, & au lieu de mille iniures, &
imprecations qu’elle vomit à tous moments contre moy, chacun sera rauy
de me voir, de m’estimer & de me loüer ; ce sera alors que les Harangeres,
les Chanteurs du Pont neuf, & tous les Colpoteurs qui à present
rompent la teste à tout le monde des pieces Satiriques qu’ils chantent ou
qu’ils publient contre moy, seront rauis de publier mes loüanges & de
distribuer mes Panegiriques que les meilleurs esprits composeront à ma
gloire ce sera alors que ie seray adoré des Parisiens & qu’ils me rendront
autant d’honneur qu’ils font à present à leurs Generaux, & qu’ils beniront
mon Ministere & me prieront de ne les abandonner iamais ; ce sera
alors que ie feray reuenir mes petites Nieces, & que les mariant aux plus
grands Seigneurs de l’Estat : l’on ne les appellera plus des Marionnettes
ny des Princesses de comedie ; Bref ce sera alors que nous continuerons à
ioüer au Hoc, & à tous les autres jeux de dez & de cartes selon nostre
coustume, que nous ferons des pommades, que nous caresserons nos
singes sans inquietude, que nous irons au cours, à la Comedie, que nous
ferons l’amour de toutes les façons sans que personne y trouue à redire,
& que nous reprendrons la bonne coustume de voler la France en depit
de Monsieur de Broussel & de tous ses semblables.

Voilà comme ce pauure malheureux Mazarin finit son discours, auquel
ces trois Courtisans me respondirent qu’en riant, quoy qu’ils fussent assez
faschez de voir celuy où gisoient toutes leurs esperances dans vn tel detraquement ;
& il ne les eut pas plustost quitez qu’il s’en alla à la chambre
de la Reine, où toutes les Dames & les Damoiselles de la Cour faillirent
à esclater de rire, lors qu’il leur raconta toutes ces extrauagances,

FIN.

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