Anonyme [1652], LES RESVERIES D’ESTAT. , françaisRéférence RIM : M0_3543. Cote locale : B_14_49.
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LES
RESVERIES
D’ESTAT.

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LES RESVERIES
D’Estat

An Cocq de Saint Germain.

C’est trop chanter pour ne rien gagner, &
trop tourner pour ne rien prendre, il
cousta beaucoup de peine au bon Pasteur pour
ramener sa brebis esgarée ; mais ie crois qu’il
n’en coustera pas moins au meschant pour la
perdre : qui t’en semble mon Cocq, toy qui
fait le guet iour & nuict, & qui respire à toute
heure toute sorte de vent, sans en connoistre
ny le genre ny la difference, toy qui prend plaisir
de te laisser souffler au bec, tandis qu’on te
deplume au cul, tu fais bien le superbe pour
estre tout neuf, si tu auois enuie de me répondre,
tu ne me ferois pas tant attendre, celuy du
Palais qui te tourne le cul quand tu le regarde,
quoy qu’il ne soit pas en seureté, pour estre assis
sur vn fondement iuineux, ne laisse pas de te
faire ressouuenir de ce que tu es, en te disant
cod quod, garde toy do quo, mais tu fais le lourd,
nous aurons le bon vin cette Automne, quand

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on aura pressuré le pauure raisin, nous aurons
la laine en hyuer quãd on aura tõdu la brebis,
& que les soldats n’auront pas mangé les moutons,
& nous aurons le beau iour de ton orient,
quand tu ne te tourneras pas vers l’Occident.
Resue.

 

A la Seine.

Que tu es folle de te remuer ainsi iour &
nuict, on diroit à te voir que tu as la galle ! ah
ie te prie laisse dormir ton monde, il ne demande
qu’à reposer, aussi bien est-il si lassé du grand
trauail qui l’a accablé, à force d’auoir voulu
monter contre le cours de tes eauës, que ie crois
qu’il va maintenant à reculon ; me diras-tu la
verité, ie n’en sçay rien ; mais ie sçay bien que
les ombres des grands basteaux que tu porte ne
leur font pas encore peur, il ny aura que la
charge des petits qui les rangera, si tu veux
triompher tandis qu’ils remuent encore la
queuë ; ils ferment leur bouche, tu en arrache
leurs dents, dont ils ont mordu tant de vers, si
tu fais cela tu ne pecheras pas, mais si tu ne le
fais tu seras perdu. Resue.

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Au Palais d’Orleans.

Que tes pierres sont dures, tu dureras long-temps,
& ceux qui les ont taillées, comme ils
n’en verront iamais la fin, aussi n’en parleront-ils
iamais, si ce n’est à l’autre monde où leur
Autheur tient les Estats, ce qui te manque c’est
vn fossé plein d’eauë pour nourrir des poissons,
qui ont esté à leur aise, & qui sont en danger de
n’y estre plus ; car on dit qu’on les veut manger :
si j’estois capable de te donner conseil, ie
te dirois que tu as vn beau jardin à vache, &
que tu en deurois prendre par douzaine afin
d’auoir du laict, mais prend garde à la porte de
derriere, bon œil par tout. Resue.

Au Chapeau.

Que de cheueux à l’ombre quand le Soleil
donne, mais que de meschantes bestes sous les
cheueux quand il ne luit pas, que t’en soucie tu
toy qui en parle, puis qu’il ne t’en couste rien à
les nourrir, tu as raison, mais tu ne dis pas tout ;
c’est que tu t’en graisses tandis qu’on te frotte
pour te noircir ; crois tu que pour me remettre
à la teintureie puis changer de couleur, & que
pour changer de couleur ie puisse en deuenir

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meilleur, celuy qui ma logé auparauant que ie
fusse à Paris, n’a pas donné tant de bonté à la
teste que ie couure qu’il y auoit de malice au
reste, si ie n’a y vn cordon d’or ie l’auray, & si
ma calotte n’a pas encore l’esprit de celuy qui
l’a faite, ie prendray l’esguille qui l’a cousuë
pour luy en donner. Resue.

 

Au Palais Cardinal.

Heureuse solitude, dis moy tes pensées, &
ne t’offense pas de la familiarité de mon cœur,
parce que ie t’admire dans ta constance, ie ne
puis me persuader que tu pleure, & que ton
bain si richemẽt lubrique soit plain de larmes,
parce que ie suis témoin oculaire de la beauté
de tes canaux ; mais pleure ie te prie & de tes
deux yeux si tu veux me faire rire ; car si tost que
tu n’auras plus d’humeur naturelle adieu ton
esprit, c’est signe que le corps s’en va par terre,
dit on quand il veut perdre le soustien de la vie,
il ny a que des pierres taillées en diamants qui
me faschent, elles perissent tous les iours, & le
malheur c’est que les pierres qui en tombent, au
lieu d’en faire naistre d’autres & de fructifier
comme les grains de bleds, elles s’occupent à
l’assembler pour attirer le reste apres elles, ouure
tes portes si tu veux qu’on les ferme ta clef

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s’enroüille, & si tu attends plus long-temps,
i’ay peur que tu ne sois plus en estat de les ouurir. Resue.

 

A Saint Lazare.

O qu’elles sont grandes les playes de ce malade,
ils ont grand tort de le traiter ainsi apres
l’auoir amusé si long-temps ! ah Samaritain à
quoy pense-tu, tu as voulu mettre ton malade
à cheual pour le faire guerir de ses blessures, afin
que dans la bonne santé tu peusse retirer auec
vsure le fruict de tes peines, & tu as rompu les
jambes à ton cheual, & as fait tomber ton malade ;
tu es vn genereux entrepreneur, mais tu
és vn lâche soldat, les chiens t’attendent à la
porte pour lecher tes playes auec leur langue,
mais cela ne le guerira pas ; car si Dieu ny donne
ordre sa maladie est incurable, il ny a que
le seul vin qui sçait ce secret, aussi est-il seul
qui reunira les cœurs, mais auparauant il faut
qu’il soit reuny. Resue.

A la Sorbonne.

L’affronteuse on la toûjours bien dit, que
iamais trois cornes n’en ont valu quatre ; mais
on n’a pas dit que iamais la vieille vaudroit la

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jeune ; dis moy où sont tes dents aueugle que tu
és, tu les vois tomber tous les iours, mais heureuse
que tu és on ne te les arrache pas, il ny en
a qu’vne qui te demeurera à iamais ; ie te prie
prend garde de mordre personne, pour ta langue
il t’est permis, ne le faits pourtant pas,
quand il s’agira d’aualler vn bon morceau, que
te soucie tu, la terre est ton fonds, & la pierre
de la terre quoy qu’elle soit dure, ne laissera
pas de se laisser tailler à force de coups, & te
doit suffire que personne n’a encore monté sur
tes toits pour en dérober la dorure, & que tu
n’as rien que le Soleil ne puisse découurir, quoy
que fasse la Lune pour rabattre l’esclat que tes
lumieres font voir au monde. Resue.

 

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