Anonyme [1652], LES REGRETS DE LA FRANCE, SVR LA MORT DE MONSEIGNEVR LE DVC DE VALOIS, FILS VNIQVE DE SON ALTESSE ROYALE. , françaisRéférence RIM : Mx. Cote locale : B_5_46.
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LES REGRETS DE LA
France, sur la Mort de Monseigneur
le Duc de Valois, Fils Vnique de Son
Altesse Royale.

Qve s’il est vniuersellement vray que
les Rois & les Princes sont aujourd’huy,
comme dit le Sage, & demain la
mort suruenante à pas de larron, moissonne
leur vie sans mercy, comme celle d’vn
Portefaix : Si la fleur des Princes de la Chrestienté
flétrit en fleurissant, comme les
fleurs des Champs ; si comme l’herbe seiche
& perit auant sa saison, les sacrées Tiges mesme
de S. Louys passent deuant le temps par
le glaiue trenchant de la mort.

Si Rome triomphante (Cité à laquelle
toutes les Monarchies du monde ont si long-temps
obeï & abouty comme les lignes à
leur centre) n’a sceu deffendre de la mort
ses Cesars, ses Augustes, ses Catons, ses Marcels,
ses Luculles & ses Pompées.

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S’il est ainsi veritable que les Pandores mesmes
(sujets admirables & plus admirez,
dans lesquels le Ciel, la Nature & l’Art, semblent
auoir prodigué & terminé le plus parfait
de leur ouurage) ne sont pourtant que
des fresles & corruptibles chefs-d’œuures de
la vanité du monde, que ny les celestes influences
ny les secrets de la Nature, non plus
que les traits plus subtils de l’Art, ne se peuuent
affranchir des tributs & redeuances
ausquelles Dieu a generalement obligé l’estre
& la condition de l’homme ; Que faut-il
conclurre de là, sinon que les Princes & les
enfans des Princes ont vne mort commune
aux Bergers & aux Valets ; ainsi voyons-nous
aujourd huy Monseigneur le Duc de Valois,
Prince de deux ans, payer le tribut à Nature
le Samedi 10. Aoust au Palais d’Orleans, perte
regrettable pour la France ; la mort duquel
cause autant de regret aux bons François,
que sa naissance auoit esté le sujet d’vne réjoüissance
tres-grande, car en si peu d’années
qu’il a vescu, on iugeoit desia en ses
actions l’esperance que l’on pouuoit conceuoir

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qu’estant paruenu en vn aage parfait, il
feroit renaistre les grands courages des Valois,
ausquels la France doit cette gloire d’auoir
esté par eux deliurée du joug insupportable
des Anglois, & que par les mesmes, elle
a conquis les Royaumes de Naples & de Sicile,
fait trembler Rome & toute l’Italie,
commandé aux François, aux Italiens & aux
Polonois. Qu’en ce Prince refleuriroit la
Maison d’Orleans, & qu’il feroit reünir à
cette Maison Royale le Duché de Milan qui
luy appartient, & qu’en luy la memoire illustre
de son Pere GASTON Fils de France
& Oncle du Roy LOVIS XIV. seroit glorieuse
à la posterité. Mais les Parques impitoyables
Deesses fatales & funestes, filles
d’Herebo & de la nuict, Fillandriers de la vie
des hommes, enuieuses de nostre bon-heur,
nous ayant enleué ce jeune Prince, nous ont
en mesme temps enleué, osté & fait mourir
toutes les belles esperances que nous auions
de luy ! Cruelles, enuieuses & rigoureuses
Parques qui nous consomment a present en
déplaisir & regrets aussi-bien que toute la

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Maison de son Altesse Royale, voire de toute
la Maison de France.

 

Mais c’est vn mal sans remede, & cette
consideration est aujourd’huy la terre produisante
le baulme, voila l’essence de musc,
de ciuette & de castorée contre l’air pestilentiel
du monde. Voila les Collyres excellens
de Nard & de Myrrhe contre les douleurs &
les troubles que la concupiscence de la chair
& la superbe de la vie cause en nos yeux &
en nos esprits : Voila la pomme d’Ambre, qui
par infinis, doux, agreables & celestes Zephirs,
rafraischit nos cœurs ardens de souspirs
& ressentimens pour la perte de ce jeune
Prince, sujet regrettable pour la France.

Ce n’est pas pourtant que releuez de cette
Lethargie, & cognoissans nostre mal par
les mesures du bien que nous perdons en la
perte de ce jeune Prince, nous ne soyons contrains
de confesser ingenuement l’imbecilité
de nos esprits, & d’auoüer aux secousses violentes
de cette mort, que la nature & le sang
à ses droicts trop forts & inuiolables, pour
n’en conuenir auec personne, puis que la

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connexité de nos volontez, auec la partie
sensuelle & inferieure, prend cét aduantage
sur nos ames, de les obliger ainsi à des regrets
justes à la verité, mais si violens qu’il n’est en
nous de n’en marquer la justice & la violence
par autant de pleurs, de larmes & de souspirs
que la viue consideration de la perte de
ce Prince en doit tirer des courages des plus
genereux & releuez esprits.

 

FIN.

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