Anonyme [1649], LES PRESSANTES EXORTATIONS DE L’EVROPE, AVX QVATRES MONARCHIES Chrestiennes, & autres Etats de son Empire, pour la paix vniuerselle, & l’vnion de leurs armes, pour la destruction de l’Empire Ottoman. , françaisRéférence RIM : M0_2863. Cote locale : A_6_74.
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LES
PRESSANTES
EXORTATIONS
DE L’EVROPE,

AVX QVATRES MONARCHIES
Chrestiennes, & autres Estats de son Empire,
pour la Paix vniuerselle, & l’vnion de leurs
armes, pour la destruction de l’Empire
Ottoman.

Helas! qu’il y a long-temps que ie m’afflige,
sans qu’on me pleigne ! qu’il y a
long-temps que je m’écrie sans qu’on
m’entende ! & qu’il y a long-temps
que ie demande du remede pour ma
douleur, sans qu’on se mette en peine de la soulager !
Le moyen de voir depuis tant d’années, mon
Empire en desordre, & en confusion, les Roys, les
Princes, & les autres Potentats de la Chrestienté
en guerre & en armes, les vns contre les autres,

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& n’en auoir pas eû de iustes ressentimens d’affliction ?
Que souuent, & bien souuent i’ay representé
& fait representer à ces princes animez pour
leur perte, & pour ma ruine, que c’etoit agir contre
le Ciel, que de se vouloir détruire par le feu,
par le fer, par le sang, & par la famine, qui sont
les ordinaires instrumens de la guerre. Mais iusques
icy, leurs oreilles ont tousiours été sourdes à
mes sommations & à mes remonstrances, & ces
ames d’aigreur & de colere, n’ont iamais bien pû
se figurer que ce que ie leur representois estoit veritable,
qui étoit que leur diuision étoit le vray
ressort pour faire ioüer les puissans desseins du
Grand Turc, qui ne pouuoit pas mieux agrandir
ses forces, que par l’affoiblissement, & la diuision
des nostres. Ne me contentant pas de mes semonces,
ie les ay de temps en temps, de iour en
iour, & de moment en moment, fait exciter, &
prescher par de sçauans Predicateurs, qui sont les
trompetes de l’Euangile, de s’vnir, pour ensemble
conjointement s’efforcer, sinon, à imiter le
glorieux dessein de Sainct Louys Roy de France,
pour la conqueste de la Terre Sainte, à tout le
moins pour deposseder cét illustre Tyran, & vsurpateur
de tãt de Royaumes, & de Prouinces, qu’il
a rauy iniustement à mon Etat. Ces Potentats
ont tousiours été des roches insensibles à de si iustes
mouuemens, d’où vient aussi que l’ennemy
capital de la Chrestienté, a de beaucoup depuis

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acreu les bornes de son Empire, en saccageant, &
conquerant sans resistance les limites du mien.

 

Vous le sçauez, toute la terre des fidelles Catholiques,
quel sujet i’ay eu de ietter incessamment
au Ciel, mes soupirs & mes plaintes, affin de
le rendre propice à mes vœux, & de l’obliger par
mes ardentes prieres, à établir vne paix, où i’ay si
long-temps veu regner la guerre. Non seulement
la Chrestienté à eu vne parfaite connoissance
des maux que i’ay endurez, au moyen de la diuision
de mes peuples ; i’en eusse bien mesme donné
l’intelligence à l’Asie, à l’Affrique, & à l’Amerique,
qui, auec moy, composent toute la terre habitable,
si elles eussent esté éclairées, comme ie
suis, de la connoissance du vray Dieu : mais leur
éloignement, & l’ignorance qu’elles ont pour le
culte du tout puissant, a fait que ie n’ay point donné
à connoistre à des Monstres & à des Barbares,
les ennuis, & les douleurs, dont ils ne peuuent
donner, ny de soulagement, ny de guerison. Ie
me suis contentée, en Europe genereuse & affligée,
de dire seulement mes peines à mes propres
enfans, qui n’ont pas eû assez d’humanité pour
s’efforcer à faire cesser les tourmens de leur mere.

Lors qu’a part moy, i’ay quelquefois voulu faire
reflection sur les insensibilitez de ces peuples ;
ie me suis aussi tôst imaginée que leurs oreilles
étoient bouchées à oüir mes ressentimens, par vne
permission diuine, qui permettoit que pour la diuersité

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de tant de Religions, & de Sextes Heretiques,
qui se trouuent dans l’estenduë de mon Empire,
ils fussent punis de leurs pechez, par ce fleau
de la guerre, & moy consequemment priuée du
fruit de mes pretentions. Quelques-vns de mes
Monarques, & particulierement le Roy de France,
se sont bien autrefois efforcez à vanger la querelle
de Dieu, par l’extirpation de l’Heresie : mais
eux & moy à nostre confusion auons tousiours reconnu,
qu’à l’exemple de l’Hidre, si l’on détruisoit
vn chef, il en renaissoit cent ; de sorte qu’il a
fallu demeurer d’accord que pour vaincre tout a
fait, & ruiner cette peste des ames, des Royaumes
& des Empires, il n’y falloit employer d’autres armes,
que le glaiue de l’Euangile.

 

De quelle affliction ne fus-je point touchée, il
y a trois ans, quand le bruit courut que le Grand
Seigneur auoit iuré par Mahomet, dans son Diuan,
qu’il ne quitteroit iamais les armes, qu’il
auoit de-jà si puissamment leuées, qu’il n’eust entierement
conquis, & toute la Chrestienté, &
toute la terre habitable, pour faire de son croissant
vn Globe tout entier ? Ie voyois tous mes
Royaumes, & mes Etats armez les vns contre les
autres, & qui n’eut eu sujet de craindre de tomber
sous la tyranie de ce Monarque Barbare ; puis que
de quelque côté que ie tournasse ; ie n’aperceuois
point de forces, ny de puissance pour luy resister ?
Dieu pour ce coup-là, detourna l’orage que ie craignois

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deuoir tomber sur ma teste, & le Tyran s’efforça
de le faire éclater sur l’Etat de la Republique
des Venitiens, où il a reçeu plus de perte, par la
genereuse & vaillante resistance des Candiots,
que son orgueil, & son ambition ne luy auoient
pas fait imaginer.

 

Ce puissant regne des Turcs, qui est aujourd’huy
si grand & si redouté, & la famille des Roys
Ottomans est si nouuelle, & si peu ancienne, que
c’est vne chose émerueillable, comme elle s’est pû
augmenter en si peu de temps ; veu qu’il n’y a pas
deux cens cinquante ans, qu’on commence à les
connoistre, & à les nommer. C’est pourquoy i’ay
tousiours creu que ça été vn fleau, qui par la permission
de Dieu, s’est étendu sur la terre, pour chastier
les Chrestiens des obeïssans aux loix de Dieu
leur Createur : ainsi qu’il enuoya iadis vn Antiochus,
vn Nabuchodonosor, vn Cyrus, & de tels
autres Princes, qui opprimoient son peuple éleu.

C’est ce qui m’a tousiours fait croire, & ce qui
m’a consolée, mesmes dans mes plus grandes afflictions,
que si le Createur qui fait toutes choses
comme il veut, n’eust permis que cette race Turquesque
regnast pour vn temps, que sans doute
le glorieux dessein de l’vn des plus grands Roys de
France, comme des plus Saints, eust heureusement
& saintement reussi. Cependant l’experience
nous a fait voir qu’il mourut en vne si glorieuse
entreprise, & que Dieu ne permit pas qu’il obtint

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cette superbe victoire, pour des raisons qui nous
sont inconnuës, & dont ce puissant autheur de
tout, s’en est reserué à luy seul la connoissance.

 

Ceux qui sont assuiettis sous l’Empire de ces
Tyrans mal-heureux, se doiuent representer pour
leur consolation, que bien souuent il arriue
qu’encore qu’ils soient tres-impies, & tres meschans,
qu’ils ne laissent pas d’estre neantmoins
les ministres de Dieu. Nous voyons que la Sainte
Escriture en plusieurs lieux, les nomme les seruiteurs
de Dieu ; & c’est pour cela asseurement,
que par eux, ce tout puissant chastie les mauuais
& approuue les bons.

Les Hebreux ayant été gouuernez par Iuges
& anciens, Samuel étant deuenu vieil, & le peuple
croissant en malice & méptis de Dieu, il leur
fut donné des Roys qu’eux mesmes demanderent
inocemment pour le chatiment qu’ils meritoient.
Leur premier Roy Saul, leur fut fort bon
fort doux, & fort debonnaire Prince du commencement :
mais depuis il deuint cruel Tyran,
& leurs ostoit leurs biens & leur liberte, comme
bon luy sembloit. Neantmoins quoy qu’il fust
mechant & adonné à toutes sortes de vices, si est-ce
pourtant qu’il estoit nommé l’oingt du Seigneur,
qui étonna grandement tous les Hebrieux.

De ce Prince, & des autres qui ont vescu sous
la loy de Dieu, & l’ont connu, venons aux idolatres,

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qui sont aussi nommez par la Sainte Ecriture,
les Ministres de Dieu. Ce Seigneur par la
bouche de son Prophete Esaye dit ; Que les Capitaines
entrerent par la porte de Babylone ; I’ay
commandé à mes Sanctifiez, i’ay appellé mes
hommes forts, & dispots à mon ire, affin qu’ils se
glorifient en ma gloire. Esaye disoit cecy pour le
Roy Cirus, & pour le Roy d’Aire. Nous voyons
par là, comme Dieu appelle les Medes & les Perses,
ses sanctifiez, qui toute fois n’estoient nais,
ny saints, ny iustes : mais seulement executeurs
de la volonté du tres haut, pour punir Babilone,
En vn autre endroit de l’Ecriture, Ezechiel dit.
Ie meneray mon seruiteur Nabuchodonosor, &
pour ce qu’il m’a bien seruy pres de [1 mot ill.], ie luy
donneray aussi Egypte. Si ce Prince n’estoit il
point seruiteur de Dieu ; puis qu’il ne le connut,
ne le seruit, ny ne creut iamais en luy, non plus
que Cyrus, & Daire, & toutefois ils étoient executeurs
de sa iustice, & auec cette intelligence ils
furent nommez ses seruiteurs. Le cruel Totila
Roy des Gots, étoit nommé fleau de Dieu, &
étoit par tout pour tel estimé. Le grand Tamburlan
qui regnoit au temps de nos ayeux tres-puissant,
& tres-cruel Capitaines, qui vainquit, &
subiugua tant de Prouinces, enquis pourquoy il
étoit si furieux, & si inhumain enuers les hommes
qu’il vainquoit, respondit en grande colere ;
Pensez-vous que ie sois autre chose que l’ire de

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Dieu ? de là ie concluray que bien souuent les
cruels, & les méchans hommes, sont les instrumens
auec lesquels Dieu chastie les pechez, &
recõpense les vertus, & neantmoin ils ne laissent
pas pour cela d’estre scelerats, & dignes de punition
de ce qu’ils font, pour ce que selon la parole
du Seigneur, il est besoin que scandalle arriue :
mais mal heur â ceux par qui le scandalle auient.
Quoy qu’il en soit, iamais Dieu ne laisse les Tyrans
impunis dans le monde, outre qu’il les sçait
chastier éternellement d’vne punition perdurable
en l’autre vie, & iamais l’on n’a remarqué
qu’vn cruel soit mort que cruellement. Phalaris,
Tyran de Sicile, ne mourut il pas luy mesme dãs
le Taureau d’airain, où il faisoit mourir ses sujets,
rendant à sa mort par son horrible voix, la méme
harmonie, qu’il auoit tant de fois pris plaisir
d’oüir par le trepas de ceux qu’il condamnoit à ce
cruel supplice ? Sylla fut tellement attaqué par
les poux, qu’il fut impossible d’y remedier, & il
mourut en se mordant, & arrachant luy méme
sa chair. Marius son capital ennemy, aussi cruel,
& aussi méchant, fut reduit en vn si grand desespoir,
s’enfuyant pour se cacher ; qu’il alla mettre
sa teste entre les mains de Ponse Thesselin,
affin qu’il la luy coupast. L’Empereur Tybere
suffoqué par vn oreiller, mourut entre les mains
de ses domestiques, & Suetone dit pourtant, que
sa mort fut causée par le poison. Apres que Caligula

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eut reçeu trente playes, par les mains de
Cherea, Corneille Babin, & de plusieurs autres
coniurez, perdit en fin la vie. Le cruel Neron
auant que mourir, se vid priué de l’Empire, & iugé
ennemy de Rome, & s’estant caché en des Latrines,
se tua luy mesme, & les forces luy deffaillans
pour executer sa volonté, apella quelqu’vn
pour luy ayder à se detruire, & finalement il rendit
l’ame à tous les Diables. Diocletian ayant aussi
abandonné l’Empire, mourut du venin dont
luy mesme il s’estoit empoisonné Astiages ayeul
de Cyrus, qu’il auoit voulu faire mourir, à l’aide
d’Harpale, auquel il fit manger son propre fils,
ne fut il pas d’epoüille de son Royaume par Cyrus ?

 

Ces exemples que ie viens d’alleguer, ne sont
pas pour montrer que que ie suis vne Princesse
sçauante : mais par là seulement, ie veux tirer cette
consequence ; que si iamais Tyran n’a pû s’empescher
de perir, qu’il faut inferer qu’apres la
Paix vniuerselle de toute la Chrestienté que ie
reclame, & les forces de toutes mes Monarchies,
Royaumes & autres Etats vnis ensemble, le Turc
viuement & vnanimemẽt attaqué de toute nôtre
puissance, qui doute, que par l’ayde de Dieu
nous ne subiuguions cet iniuste Conquerant, &
ce capital ennemy de tout le monde, qui ne veût
faire de l’Vniuers qu’vne seule Prouince, & qui
foule aux pieds d’vn insolent mépris la Terre

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Sainte, & les sacrez lieux, qui ont seruy à nostre
redemption ?

 

Toutes ces authoritez enseignent à moy, l’Europe,
la plus belle partie du monde, & à tous les
autres Royaumes de mon obeissance, & à tous les
Princes & les Roys qui les gouuernent, à ne pas
viure en Tyrans. Car il est tout certain qu’il faut
que ceux qui commandent à tant de peuples,
fuyent la cruauté & embrassent la clemẽce, pour
se faire bien aymer de leurs sujets, étant vray que
la plus grande asseurance d’vn Monarque, est
d’auoir gagne l’amitié de ses peuples.

Si les Princes & les Princesses sont obligez d’aquerir
la bien veillance de ceux qui relleuent de
leur obeïssance, ie croy qu’il ne sera pas superflu,
qu’auant de venir à sommer mes quattres Monarchjes
Chrestiennes à la paix vniuerselle, & à
l’vnion de leurs armes, pour detruire l’Empire
Ottoman, ie die en passant quelque chose du respect,
du seruice & de l’obeïssance que doiuent
les suiets à leurs Roys. Il faut qu’ils sçachẽt que les
Princes Chrestiens, comme les nostres, sont incorruptibles,
& que l’antiquité a tousiours blamé,
ceux qui ont temerairement voulu imposer
des loix & des façons de viures aux Potentats,
qui sont les maistres des loix, & qui les donnent
aux autres. Ces illustres hommes sont des Dieux
en terre, & il est à croire qu’ils font fort bien tout
ce qu’ils entreprennent, & de vouloir reuoquer

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en doute leurs belles actions, ce n’est autre
chose que d’attaquer en vain le Ciel.

 

Ceux qui ont été éclairez de la doctrine,
& de la vertu, ont tousiours creu, & les personnes
bien censées, croyent que les Princes
tiennent de la Diuinité, & que par consequent
ils ne peuuent pas aisement faillir, ou
faire chose indigne du rang qu’ils ont. Ie sçay
bien qu’il y a de certains hommes curieux,
qui discourans des choses du monde, & ne
sçachans pas les secrets des hautes, pẽsées des
Rois, & des Princes, donnent à leurs glorieux
fais, mille mauuaises interpretations, & s’imaginent
folement, que ces Demy Dieux
soient des imbeciles, qui viuent temerairement,
& sans Conseil, & que leurs affaires
reüssiroient bien mieux, s’ils étoient aussi bien
Princes en effet, qu’ils en portent le tiltre & la
qualité. A ce sujet vn grand Roy auoit acoustumé
de dire qu’il ressembloit à vn arbre,
qu’on nomme Plaire, sous lequel plusieurs
personnes se mettoient à l’abry du mauuais
temps, & qui le couppoient apres que l’orage
étoit passée. Que de mesme il secouroit plusieurs
affligez : mais qu’apres les auoir soulagez,
il sçauoit bien qu’ils l’outrageoient en
son absence pour la recompence du bien qu’il
leur auoit fait.

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Ces hommes lâches & ingrats ne sçauent
pas que les oreilles d’Asnes, qu’on attribue à
Midas, ne signifient autre chose, sinon qu’il
entendoit aisement, tout ce que l’on disoit, &
que l’on faisoit mème. Ils ignorent encore
que les Princes participans de la puissance
Diuine, sçauent abbaisser les grands, & agrandir
les petits.

Si les Princes châtioient ces gens-là ils feroient
vn acte de iustice : mais pour se conformer
à la bonté diuine, ils ayment mieux étre
indulgent, & pardonner, que d’étre seueres
& punir.

A n’en point mentir, la clemence est vne
vertu, qui sied bien aux personnes qui gouvernent
les Empires, & bien loin de se vanger
des gens qui les outrages, c’est à ceux-là le plus
souuent à qui ils font le plus de bien. Ce qui
les oblige d’agir de cette sorte, est qu’ils considerent
les passablemens bons se contenterons
de la mediocrité : mais que les méchans
étans insatiables, il leur faut plus de viande
pour leur fermer la bouche. Pource que l’on
ne peut pas facilement decouurir les grands
misteres des Princes, il faut se contenter de
sçauoir qu’ils ont tous les yeux attachez au
Sceptre & à la Couronne, & qu’ils ne font aucune
chose, dont ils ne pussent plustost etre

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loüez que blamez. De tous les Roys qui gouuernent
mes Monarchies, celuy d’Espagne
par le moyen de sa venerable Majesté, est quasi
comme vne Idole adoré des Princes, & des
Seigneurs, & par ces grands honneurs qu’il se
fait rendre, il se fait connoistre pour Roy, &
conserue ainsi sa grandeur Royale. I'admire
bien mieux le gracieux, & graue aspect du
Tres-Chrestien Roy des Gaules, & l’accez facile
qu’il donne aupres de sa Maiesté à ses seruiteurs,
qu’il traite en amis familiers, plutôt
qu’en suiets. Ie trouue que par cette extraordinaire
humilité, il exalte sa vertu & sa Maiesté
Royale, si étans paruenuës au plus haut
point de la grandeur & de la gloire, elles peuuent
passer plus auant. Par là ne connoist-on
pas que toutes les intentions, & les manieres
des Princes (quoy que toutes differentes)
sont prudentes & iudicieuses, & que tout ce
qu’ils font est beaucoup mieux qu’on ne le
peut pas conceuoir. Vn certain homme temeraire,
disant imprudemment au Roy Leonide,
qu’à la reserue de son Royaume, il n’auoit
plus rien que luy, ce Sage Prince luy répondit,
ie ne serois pas Roy, si ie n’auois été
meilleur que tu n’es pas.

 

Les actions des Monarques sont irreprehensibles,
inconnus au iugement du vulgaire,

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& qui ne se peuuent interpreter. Bien souuent
ceux qui semblent estre cruels, à ces sortes
de gens sont justes ; ceux qu’ils croyent
ne faire pas la iustice sont misericordieux, &
ceux qui établissent de nouueaux impots sont
pris pour des auares, & ils sont prudens, & n’agissent
ainsi que pour le repos, & la conseruation
de leur Etat & de leur peuple ; tellement
que le mauuais iugement de ces ignorans les
trompe, & leur fait croire pour vicieux, les
plus vertueux Princes du monde.

 

Ie sçay bien qu’il y en a eû qui ont voulu dire
qu’on deuroit fuïr la conuersation des Princes,
le plus qu’il étoit possible, quoy quelle
soit fort honorable, à l’imitation du vase de
terre ; qui ne veut point éstre accompagné de
celuy d’airain. Leur raison est de ce qu’ayant
l’honneur de les frequenter, l’on n’ose pas
parler librement auec eux, ny les contredire
en aucune chose, si l’on ne veut aquerir leur
haine. C’est reuer que d’auoir cette opinion,
la conuersation des Princes ny des Princesses
ne se doit pas fuir, sinon entant qu’elle ôte la
liberté qui est si agreable en la conuersation ;
& met en seruitude ; car autrement on la doit
rechercher, pource quelle rend les hommes
plus genereux, & que si elle n’apporte du profit
& de l’honneur, l’on est à tout le moins asseuré

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qu’elle acquiert l’amitié, & la bien-veillance
du Prince. Puis qu’il est vray qu’il est
plus excellent que les autres hommes & en
vertu, & en valleur, & qu’il est plus éleué
en gloire, faut-il pas croire que sa conuersation
sert grandement à vôtre édification.
Apprenez cecy de l’Europe, qui est vne
Princesse des-interessée, que pour se bien
maintenir en la faueur des testes Couronnées
comme nous, qu’il ne faut pas estre orgueilleux
de nôtre bien veillance, & qu’au contraire,
plus l’on sçait étre dans nos bonnes graces,
& dauantage, doit on se montrer humbles,
& respectueux. L’on ne le sçauroit iamais
étre trop enuers ces personnes Sacrées ;
quoy que l’on die qu’Aristippe n’étant pas
oüy de Denis, se iettant à ses pieds luy dit ; la
faute n’est pas mienne : mais elle est au Roy,
qui a les oreilles à ses pieds. Ce grand personnage
deuoit estre blâmé ayant failly ; puis que
sans vser de l’humilité qu’il deuoit à ce Monarque,
il vouloit faire du compagnon auec
son maistre. Ce que ie dis des Princes, se doit
aussi entendre des Ministres de la iustice, à qui
il faut porter reuerence, comme à vne chose
sainte, & aux Ministres de Dieu. Quoy que
parmy eux il s’en trouue d’iniustes, de cruels,
d’ignorans & de corruptibles, on ne doit pas

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laisser de leur rendre honneur, eû égard qu’ils
sont des membres du Prince. C’est assez parlé
de cette matiere ; Venons maintenant à mon
but, & faisons si bien par nos persuasions,
que nous puissions obliger les quatres Monarchies
Chrestiennes, qui sont la France,
l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, & les autres
Etats de mon Empire, à interiner la iuste requeste
que ie leur presente.

 

Vous sçauez bien, Puissances Souueraines,
Testes Couronnées, qui auecques moy, vostre
Emperiere, composés la plus belle quatriesme
partie du monde ; qu’il y va de mon
honneur, de ma grandeur, & de ma gloire de
souhaitter auec passion, vostre parfaite vnion,
& intelligence, affin que par de mémes desirs,
de mémes volontez, & de mémes correspondances,
nous puissions toutes ensemble,
pour la gloire de Dieu, & pour son seruice,
faire vn puissant armement, pour aller reconquerir
la Terre Sainte, releuer les Autels
& les Temples demolis, planter la foy dans
ces terres infidelles, & destruire absolument
l’ennemy commun de Dieu, & de toute la
Chrestienté.

Ie ne suis pas satisfaite, de voir que la paix
soit entre la France, l’Allemagne, la Suede, &
les Potentats de l’Empire. Si ce n’est qu’auec

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que cela, ie voye aussi contracter vne vnion
indissoluble, entre la méme France, & l’Espagne,
que le Dannemarc soit bien d’accord
auec la Suede, & que la Pologne soit dessasuiettie
des incursions que luy font iournellement
les vassaux, & les Partisans du Grand
Seigneur. Pour l’Angleterre, ie la separe des
Royaumes de ma domination, comme étant
vne infame parricide, de son Roy legitime, &
la laisse en horreur, & en execration à la postesterité,
attendant que Dieu par vne iuste vengeance,
excite l’Ecosse, & l’Irlande à la chastier
seuerement comme elle merite.

 

O vous grande Reine, la plus puissante, &
la plus absoluë Monarchie de la Chrestienté,
qui ne releuez que de Dieu, Fille Aisnée de
l’Eglise, de qui la vertu, & la pieté, iointes à la
valleur de vos peuples, se sont faits, & se font
encore plus que iamais, admirer & redouter
de toute la terre. Pour tout dire, chere France,
la gloire des Princesses, & l’honneur des
Royaumes, voicy l’Europe qui vous conjure,
par tout ce qui vous est de plus cher au monde,
de vous accorder à ses vœux, de trauailler
auec elle à l’eternel repos de la Chrestienté, &
non seulement de faire vne paix ferme, & stable
auec l’Espagne, qui vous est alliée en tant
de façons, qu’il semble n’y auoir rien plus facile

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à faire que vostre vnion : mais encore de
remettre si bien, par vostre entremise, la Suede
auec le Dannemarc & la Pologne auec
l’vn & l’autre, que nous ne puissions iamais
voir entre ces Royaumes, ny guerre, ny diuision.

 

Ce sera par le bel effet de vostre puissance,
qui de long temps sert d’arbitrer à la Chrestienté,
que vous obligerez & ces Royaumes,
& tout mon Empire, à leuer des forces assez
puissantes, pour sous les heureux auspices de
vostre ieune Monarque Louys XIV. de Dieu
donné, aller planter la foy, & ses Lys dans les
terres Idumées, y faisant connoistre le vray
Dieu qu’on n’y connoist point. Aussi bien
tient on pour fort veritable en toute la Chrestienté,
que l’heureuse conqueste de la Terre
Sainte est infailliblement reseruée à vn ieune
Monarque François, descendu de la Tige
de Saint Loüis. A qui peut on mieux defferer
cét honneur, qu’à vostre Prince, qui est
le premier Empereur Chrestien, pour lequel
Sacrer, Dieu mesme par se Anges, a enuoyé
la Sainte Ampoule du Ciel en Terre, pour témoigner
qu'il l’a en plus grande consideration
que le autres Monarques, à qui Dieu
n’a pas encore donné comme à luy, le pouuoir
absolu de guerir les Escroüelles.

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Tous ces Priuileges, & ces belles prerogatiues
montrent bien, que de tous les Princes
de la terre habitable, il en est le premier, le
plus grand le plus chery de Dieu, & consequemment
le plus digne aussi, comme le plus
capable de détruire la race Mahometane, &
de faire regner dans les Saints lieux, la loy du
Diuin Createur des Anges & des hommes, où
celle du Diable y a si long-temps esté professee.

Mettez promptement la main à l’œuure,
Princesse l’ornement de toutes les autres ; de
ma part ie vay contribuer tout ce que ie pourray
du mien, affin que la maison d’Autriche,
à qui Charles-Quint a tant donné d’ambition
par ses Conquestes, puisse renoncer à la pretention
qu’elle a de long-temps, de se faire
la maistresse absoluë de tout l’Vniuers. Les
Royaumes tous entiers, & la quantité de
Prouinces qu’elles a perduës, depuis qu’elle
a la guerre auec vous, la doit plus aisement
faire incliner à la Paix, & l’Empire ayant quitté
son party, il y a de l’apparence qu’auec ce
que i’y mettray aussi du mien, nous la porterons
à nos mesmes souhaits, pour tous ensemble,
coniointement, trauailler pour
l’honneur de Dieu & de son seruice, en exterminant
le mal, & faisant naistre le bien, à

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la gloire du Ciel, & à la honte, & à l’horreur,
& à l’infamie de l’Enfer, & de tous ses Demons.

 

FIN.

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