Anonyme [1652], LES PARADOXES DE L’ESLOIGNEMENT DE MAZARIN : Pour sçauoir, I. S’il se tiendra tousiours loin de la Cour, ou si son retour se fera dans peu de iours comme on le croit. II. Si nous deuons nous réjoüir ou nous affliger de son depart. III. Si son esloignement nous produira la paix ou la guerre. IV. Et si nous trouuerons la fin de nos maux en ce bien tant souhaité. AVEC VN CVRIEVX EXAMEN de la conduite & des intentions de Messieurs les Princes, & du Coadjuteur. , françaisRéférence RIM : M0_2678. Cote locale : C_12_37.
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LES
PARADOXES
DE L’ESLOIGNEMENT
DE MAZARIN :

Pour sçauoir,

I. S’il se tiendra tousiours loin de la Cour, ou si son retour se fera dans peu de iours comme on le croit. 

II. Si nous deuons nous réjoüir ou nous affliger de son
depart.

III. Si son esloignement nous produira la paix ou la
guerre.

IV. Et si nous trouuerons la fin de nos maux en ce
bien tant souhaité.

AVEC VN CVRIEVX EXAMEN
de la conduite & des intentions de Messieurs
les Princes, & du Coadjuteur.

A PARIS.

M. DC. LII.

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Les Paradoxes de l’esloignement
de Mazarin.

Peuples, s’en est-il allé tout de bon
Mazarin, & son esloignement où l’on
voit si peu d’apparence, & qui meut des
bruits si confus & si differents, est-ce
vn songe, ou si c’est vne verité ? Mais qui pourroit
croire que ce ne fust plustost vn stratageme,
qu’vn dessein de procurer le bien, & le salut
de la France par sa retraitte, connoissant
que nos miseres ont tousiours esté le sujet de
son bon-heur, & la matiere de ses triomphes
qu’il n’a iamais desiré de nous des-vnir, & de
nous confondre, que pour eriger ses trophées
sur le débris de nos ruines, & que son ambition
à qui son auarice sert de marche-pied, pour arriuer
au sommet des grandeurs qu’il espere,
n’a iamais eu pour but que d’insulter fierement
à la foiblesse de tous ceux qui se sont autrefois
vnis pour le choquer : que s’il fait consister sa
gloire à brauer nostre resistance & nostre haine,
si l’heur qu’il a d’estre tousiours bien dans
l’esprit de leurs Majestez, luy donne lieu de
faire passer nos emportemens contre luy pour

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rebellions contre le Roy, s’il pretend iustifier
les maux qu’il nous fait par cette raison, que la
force peut autoriser bien mieux que la raison
mesme, & si malgré tous les boüillions de nostre
fureur, & la fierté de nos menasses, il a
tousiours eu de quoy flatter ou remplir son ambition
en l’auantage de donner le bransle & le
mouuement aux affaires de ce grand Royaume,
de presider dans le Conseil, & de regenter pour
ainsi dire, la Regente & le Roy mesme (ce qui
veritablement est estre Roy) croirons-nous
qu’estant impatient de commander comme il
est, il se soit esloigné de la France, pour ce que
le peuple de Paris le souhaitte, que le Parlement
a donné des Arrests contre luy, que les
Princes ont leué les armes, & qu’on a crié par
toutes les Villes point de Mazarin. Ne connoist-t’il
pas mieux la France que nous, en estant
l’arbitre presque absolu ? Ne sçait-il pas ce que
peut, & souhaitte chacun de nos Princes en
particulier, & ce qu’ils peuuent en general ? Et
n’a-il pas auec l’appuy de l’autorité Royale,
sous laquelle souuent tout se reünit, de grandes
forces pour leur opposer. Le peut-on nommer
détruit quand son armée est grossie de moitié, &
celle de nos Princes beaucoup diminuée, & lors
qu’auec vn empressement merueilleux, la pluspart
des grands de la France briguent sa faueur,

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ou s’atachent à sa fortune, entrans à l’enuy
dans la nef, dont il regit le timon : lors dis-je,
que la Fronde semble confonduë, le Parlement
chancelant, & le peuple de Paris si fort ennuyé
de la guerre, qu’il consentiroit ce semble, à receuoir
le grand Turc mesme dans sa Ville, si le
changement de Maistre luy pouuoit donner la
Paix. D’ailleurs, si la perseuerance est vne marque
de force, lors mesme qu’elle merice le nom
d’obstination, par ce que sa fin est mauuaise, qui
peut se persuader, qu’ayant desia tant risqué
pour venir à bout de son entreprise, il en desiste
lors que tout semble conspirer en sa faueur,
se declarant pour le parti Royal, dont il est le
principal Chef. C’est ce qui fait que quelques
vns de nos Politiques, connoissans ce dessein
qu’il semble auoir de ruiner la France, auant
que se resoudre à la quitter, si la fortune trahit
son esperance, le comparent à ces insectes, qui
naissans de la corruption & de la crasse des corps
humains, ne les quittent qu’alors qu’ils sont
prests d’expirer ; & d’autres l’ont souuent iugé
comparable, à cet oyseau d’vne forme &
d’vn plumage extraordinaire, qui parut au bord
d’vne forest proche de Bebriac, au temps que
l’Empereur Othon estant dans cette Ville, se
preparoit à vanger sur soy-mesme, l’outrage
qu’il auoit receu de la fortune en la bataille qu’il

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venoit de perdre proche de ce lieu, & qui ne
pût estre chasse de l’arbre sur lequel il resta fort
longuement, ny par le concours, & le bruit des
autres oyseaux volants autour de luy de tous costez,
ny par les cris & les coups de traits & de
fléches des passans, iusques à ce que l’ame d’Othon,
qu’il attendoit comme on a iugé depuis,
eust trouué passage à sortir de son corps, par la
playe qu’il se fit dans l’estomac. En effet, si Mazarin
deuoit estre touché des malheurs de la
France, il deuoit espargner à ce pays dont il a
tiré tant de richesses, les pertes qu’il luy a causees
depuis son retour : d’où j’infere auec raison,
que s’il n’en a point esté touché iusques icy, c’est
vne marque indubitable, que nos maux ne le
touchent point encore, & qu’il n’est pressé que
du desir, ou d’acheuer l’ouurage de ruiner la
France, ou de nous reduire sous le joug dont
nous auons en vain tasché de nous affranchir,
en le combattant foiblement. Il est vray que le
bruit que nostre haine à tousiours fait contre
luy, sera desormais la conuiction de nostre foiblesse,
& que tous les escrits qu’on a publiez par
toute la France, pour monstrer que sa conduite
est aussi mauuaise que ses vices & ses defauts,
le rendent digne de nos mepris & de nostre resentiment,
rendront tousiours au reste des hommes,
vn tesmoignage contraire à nos intentions,

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puis que la posterité iugera qu’il fut honteux
aux peuples, & mesmes aux Princes de
tout vn grand Royaume, de tesmoigner tant
d’animosité cõtre vn seul homme, si defectueux
& si despourueu des qualitez requises en vn Ministre
d’Estat, sans en pouuoir venir à bout,
tot circa vnum caput tumultuantes Deos C’est aussi
ce qui le doit confirmer dans la croyance, que
comme il n’est point de puissance qui ne se lasse
par l’inutilité de son action, apres nous auoir
obligez de vomir contre luy des torrens d’imprecations
& d’injures, la source de nostre fureur
est en quelque façon espuisée, & qu’il ne
nous reste plus dans l’ame qu’vne haine l’anguissante,
qui peut mourir par la moindre faueur
qu’il nous fera pour nous obliger à le laisser paisible
dans les fonctions de son haut employ de
de premier Ministre d’Estat.

 

Cependant, on peut dire d’vn autre costé,
que son mal-heur est si voisin de son bon-heur,
qu’on le peut nommer prodige, & miracle tout
à la fois, & le comparer au corps de la Lune,
lors qu’elle souffre vne grande eclypse, puis
qu’il est certain que comme en cet Estat, elle est
autant lumineuse du costé du Soleil, qui la regarde
tousiours en quelque façõ, qu’elle est obscure
du costé de la terre, il n’a de lumiere que
celle qu’il reçoit du Roy, dont il se tient tousiours

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tres-proche pour ce sujet, estant du costé
dont tous les peuples le regardent tout couuert
de tenebres, de maledictions, & d’horreur. De
cette façon, il a peut-estre veu que la haine des
peuples contre luy, ne pouuoit iamais finir,
puis qu’elle procedoit d’antipathie, & de la connoissance
de ses fourbes & de ses défauts, dont
la discussion s’est faite auec vn examen tres-curieux,
par tous les beaux esprits de la France.
D’ailleurs, il a pû connoistre que perdant les
bonnes graces de Sa Majesté, qui ne le considere
que par vne defference puerile aux inclinations
de la Reine, il viendroit à perdre aussi cet esclat,
qui rend celuy de sa pourpre agreable aux yeux
de la Cour, & que dépoüillé de cette ornement,
qui fait qu’il tient encore quelque chose
du miracle dans la gloire qu’il a de nous commander,
ne passeroit plus que pour prodige,
pour estre traitté comme les monstres ausquels
on ne permet point de voir le iour, si tost qu’ils
sont apperceus en quelque lieu. Il a veu qu’il ne
subsistoit en Frãce, que par la faueur d’vne puissance
dépendante inferieure & subordonnée, &
s’est souuenu sans doute de ces belles paroles
de Tacite, parlant de la disgrace d’Agrippine,
mere de Neron. Nihil rerum mortalium, tam
fluxum atque fiagile quam summa potentia non sua
vinixa.

 

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Il s’est souuenu que Pallas, le fauori de cette
Princesse, bien qu’il eust vieilly dans la Cour,
dont il sçauoit toutes les ruses & les souplesses,
& qu’il eust fait vn merueilleux amas de tresors,
pour s’en faire vn rempart contre les perils de
mort violente, fut enueloppé dans le débris de sa
cheute, & trouua sa precautiõ inutile, parce qu’il
n’auoit pas sceu faire vne retraite à temps, ny se
dérober au danger qui le menaçoit depuis beaucoup
d’années, par l’enuie dõt ses concussions intolerables
le tenoiẽt chargé. Il a pensé de mesme,
voyant sa reputation prostituée à toutes sortes
d’indignitez, que c’estoit vne preuue indubitable
de son mal-heur ou de sa mauuaise conduite :
que l’vn & l’autre estoit de mauuais augure, &
tendoit à le pousser dans le precipice. Mais ce
qui la deu plus toucher que tout, est de voir qu’il
rendoit mal le change à leurs Majestez des faueurs
qu’il en a receuës & qu’il en reçoit chaque
iour, ruinant le Royaume de l’vn, & ternissant
la reputation de l’autre ; & cette derniere consideration
a pû gagner sur son esprit, ce que n’ont
pû iusqu’icy nos armes, nos prieres, nos menasses,
nos remonstrances, & tout le vain appareil
de nostre haine & de nostre ressentiment. Il s’est
souuenu que les monceaux de corps, dont il a
sait voir beaucoup de nos plaines couuertes, &
les ruisseaux de sang qu’il a fait couler entre leurs

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sillons, en l’accusant d’vne cruauté plus que barbare,
le conuainquoient d’vne ingratitude reprochable ;
& comme les vices ont vne liaison
merueilleuse, il a pensé que ces marques d’vne
licence effrenée que la bien veillance de la Reine
autorise, le rendroient tousiours l’objet de la
haine publique, & feroient voir en amas tous
ces monstres en son esprit : l’orgueil, l’ambition,
la ialousie, l’auarice, l’enuie, la crainte,
l’impatience, Paudace, auec la perfidie & Pingratitude,
& les chefs detous, Piniustice & la tyrannie.
Ainsi comme le vice luy-mesme se guerit
souuent par l’espreuue qu’on en fait auec facilité,
vn rayon de clarté, qui peut-estre a percé les
nuages dont son ame paroist tousiours offusquée,
luy a fait voir que ce qu’il acqueroit au
prix de tant de maux qu’il cause & qu’il souffre,
& de l’imputation de tant de vices, dont ses noires
actions le couurent, n’estoit que l’ombre
d’vne vaine gloire, qui n’empescheroit pas que
la posterité ne vist toutes ses vlceres : si bien que
n’osant monter plus haut de peur d’approcher
trop pres du foudre, & ne voulant descendre
plus bas pour n’estre trop voisin de l’abysme, il
a choisi prudemment de se conseruer dans l’estat
d’vne fortune mediocre qui le sauuast de
l’enuie & du mépris, & le rendist arbitre de son
bon & mauuais sort, en le mettant à l’abry des

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traits que la fortune lance sur ceux qui furent ses
fauoris, quand elle prend le visage qu’elle alors
qu’elle est veritablement ennemie. On sçait encor
qu’on est souuent mal-heureux par la grandeur
de sa charge, principalement lors qu’on
manque d’autorité, & celuy qui trauaillé des
continuelles seditions de l’armée dont il estoit le
Chef en Languedoc, écriuoit à l’Empereur Aurelian
son ennemy en ces termes de Virgile,
Eripe me his inuicte malis.
Me sembloit tenir vn discours qui ne sieroit
pas mal à present en la bouche de Mazarin parlant
au Prince de Condé. C’est de cette façon
qu’on pourroit se persuader sans repugnance
qu’il auroit fait vne retraite de Philosophe : mais
ie voy bien que les esprits des François sont fort
esloignez de cette opinion, & i’auouë aussi que
la connoissance de son genie me fournit bien
d’autres pensées sur ce sujet. Voicy donc comme
i’en iuge, suiuant l’humeur du personnage, apres
auoir clos le premier paradoxe de ce discours.

 

L’esprit du plus mal adroit ne fait pas toujours
des fautes, & les plus forcenez ont des interuales
où leur ame est dans vne assiette paisible.
Mazarin a tousiours passé pour mauuais Politique
parmi les Maistres en cette science, il a
fait des fautes incomparables par malice & par
ignorance, & les mal-heurs où la France est

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maintenant plongée, sont la confirmation de la
preuue qui s’en pourroit faire par beaucoup de
raisons & de reflections sur les euenemens qui
ont suiui ses entreprises : Neantmoins comme
on dit que l’experience rend l’homme sçauant,
les fautes qu’il a faites par le passé, ont pû l’obliger
par le bruit qui s’en est fait par toute la Frãce
a témoigner plus de prudence en cette occasion.
Ayant fait vainemẽt depuis son retour plusieurs
fois l’épreuue des forces de ses armes & de son
esprit, sans auoir fait que ruiner le plat pays,
broüiller dauantage l’Estat, & faire perir les
troupes de son armée, il a iugé que la haine des
peuples feroit tousiours obstacle à son dessein,
tant qu’il employeroit le fer & le feu pour les
destruire & pour les choquer. Il a veu d’ailleurs
que la partie du Prince de Condé estoit fort bien
concertée auec l’Espagne, que presser Paris estoit
produire deux effets tres-desauantageux pour
son party, l’vn en obligeant les Parisiens de s’vnir,
& de fournir de l’argent aux Princes pour
repousser l’ennemy commun, & l’autre en attirant
sur ses bras les puissantes armées des Espagnols
& Flamans, obligez de secourir leurs alliez
pour ne perdre vne si belle occasion de profiter
de nos desordres. Ainsi voyant sa puissance
foible contre celles de la France & de l’Espagne
vnies, & sçachant que sa presence estoit le

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languissent & defaillent lors qu’il en est éloigné.
Ie ne puis que ie ne rẽde graces au bon Genie de
la France, qui fait que celuy qui cause nos troubles
n’est plus aupres du Roy, pour le porter à
des conseils violens, & que ie ne ressente aussi
quelque mouuement de ioye de son depart.
I’aiouste à cette consideration, que souuent nostre
destin nous emporte, ou nous retient en
vn lieu malgré nous, & contre nos premieres intentions :
qu’il peut naistre des obstacles dans le
lieu d’où l’on sort, qui nous en deffendent à iamais
l’entrée, & sur tout qu’icy le Roy peut
changer d’inclination ou de sentiment, estre
tout à fait desabusé par son Gouuerneur, qui
n’osoit peut-estre luy parler si librement auparauant,
& qu’il peut aussi former de son mouuement
la resolution de venir se faire adorer des
Parisiens dans son Louure, pour calmer heureusement,
sans violence, tous les troubles de son
Estat. Que la Reine ne voyant plus celuy dont
la veuë est si preiudiciable à son honneur, peut
ouurir son ameaux inspirations d’en-haut, preferer
par vn heureux choix, la demeure d’vn
Cloistre à celle du Palais Royal, ou prendre des
sentimens tous contraires à ceux qu’elle a tesmoignez
par le passé. Qu’ainsi Mazarin voyant
la France paisible, n’aura pas l’esprit assez ennemy
de nostre repos, pour venir troubler nostre

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quietude par sa presence, & sortir de son azile,
où le sort l’a poussé sans y penser, pour s’exposer
derechef au peril d’vn naufrage euident, sur vne
mer qui n’esprouue iamais de calme, lors qu’il se
plaist d’y faire voile, & que son vaisseau seulement
est sur le point de razer ses flots, qu’il rend
tousiours pleins de boüillons & de fureur.

 

Cependant il faut auoüer que toutes ces considerations
ont trop peu de solidité pour nous
causer vn iuste sujet de ioye, puis que nous ne
pouuons ignorer que son esprit regne encor
puissamment dans le Conseil du Roy, qui n’est
composé que des personnes qu’il y a luy-mesme
establies pour y presider en son absence. En effet,
si la France ne voit plus son visage depuis
quelques iours, pouuons-nous dire pour auoir
sujet d’en témoigner quelque satisfaction, que
nous l’ayons forcé de s’esloigner de la Cour, puis
qu’il n’en est sorty qu’au temps, où la Fortune
luy monstroit vn visage plus riant, & que ses
ennemis paroissoient dans l’impuissance de l’opprimer ?
N’est-ce pas plustost vn iuste sujet de
douleur & de rage pour tous ceux qui se sont declarez
ses aduersaires, de voir qu’il fait vne retraite
si glorieuse, que les troupes qui l’accompagnent,
semblent plustost suiure vn triomphant
qu’vn fugitif. Ainsi sans doute, puis que
son depart est aussi glorieux pour luy que honteux

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pour nous, apres les menasses que nous
auons faites de le faire perir en France, ie voy
que nous auons dautant plus de sujet de nous en
affliger, qu’il n’est plus en prise à ceux, qui tentez
par l’offre de gagner les cinquante mille escus
que le Parlement promettoit à celuy qui luy apporteroit
sa teste, auroient osé former vne si genereuse
resolution, & qu’il se voit plus libre
pour faire sous l’autorité du Roy de grandes entreprises
sur nos libertez. Enfin, il est constant
qu’il n’est parti que dans l’esperance d’effectuer
de grandes choses, & son esperance ne peut
auoir que cette double fin, de nous obliger ou
de nous forcer, par le don de la Paix generale
faite auec l’Espagnol par son moyen, ou l’appareil
d’vne forte guerre, de luy permettre de demeurer
paisible aupres du Roy, tant que Sa Majesté
trouuera bon de le souffrir.

 

Quoy donc, faut-il esperer que son esloignement
nous donne la paix, sçachant que ses amis
publient qu’il ne doit reuenir que l’oliue en
main ? Mais n’auons-nous pas sujet de douter si
les peuples pourroient agreer vne paix dont Mazarin
seroit l’auteur, & si le Roy d’Espagne la
croiroit ferme & de bonne augure, la traitant
auec vne personne si descriée, & si haïe de toute
la France. Mais enfin, pour donner la paix à
deux grands Royaumes, ne semble-t’il pas qu’il

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faudroit que Mazarin eust des qualitez qui luy
manquent, & que sa vertu luy fournist vne autorité
qu’il n’a pas ? Puis que la paix, qui est vn
don du Ciel, semble descendre lors qu’elle nous
arriue, au lieu qu’on ne peut conceuoir rien de
plus bas & de plus abject que Mazarin. Certes,
quoy qu’on en die, & de quelle façon qu’on en
iuge, i’ay beaucoup de peine à croire que Mazarin
ait des forces ou des merites proportionnez
à la grandeur de cette entreprise, & ie doute
mesme si quelque presomptueux qu’il soit, il
croit auoir des qualitez qui le fissent heureusement
subsister en France en temps de paix, ou
le danger des seditions est dautant plus grand,
qu’on a moins de forces prestes pour les reprimer.
Il sçait qu’vn feu caché sous la cendre se
re rallume auec vne merueilleuse facilité, que si
les peuples acceptoient la paix de sa main, le miserable
estat auquel ils se trouuent maintenant, y
forceroit seul leur foiblesse, si bien qu’ils ne tarderoient
à reprendre les sentimens de leur haine
contre luy, qu’autant qu’ils resteroient dans l’abysme
de la plus profonde misere. Mais derechef
que peut-on conceuoir de plus incompatible
auec la paix, que l’iniustice & le desordre ?
Et quel acte d’iniustice peut estre plus grand,
que de voir le Mazarin & les Partisans ioüir heureusement
en pleine paix, à la veuë de tout le

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monde, des biens qu’ils ont vsurpez sur les peuples
durant les calamitez de nos troubles ? Le
silence des loix ne seroit-il pas insupportable en
cette occasion, s’il paroist honteux mesme à present ?
Et Mazarin se voudroit-il exposer luy-mesme
à la honte de voir faire la recherche de ses
concussions & de ses voleries passées, & voir
punir & pendre à ses yeux, ceux qui dans les extorsions
qu’ils ont faites dans les partis, dont
ils estoient les chefs principaux, se peuuent preualoir
de n’auoir iamais suiui que ses ordres.

 

Cependant on voit que cette condition manquant,
la paix ne peut iamais estre asseurée, &
la Regence d’Anne mere de Charles VIII. montre
que cette Princesse eut vne connoissance tres-parfaite
de cette verité, puis qu’incontinent apres
le Sacre du Roy son fils, pour rendre le presage
de son regne naissant heureux à ses peuples, elle
leur donna la satisfaction de voir le supplice de
tous les Financiers, qui sous le regne du feu Roy,
s’estoient enrichis de la ruine du peuple. La
derniere & plus importante consideration qu’il
faut receuoir en ce sujet est, que la France ne
pourroit souffrir l’auteur d’vne paix desauantageuse,
si pour coniurer la tempeste qui le menace,
Mazarin obligeoit le Roy de rendre à l’Espagnol
tous les pays & toutes les places que nos
Chefs ont conquises sur luy depuis plusieurs années :

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Et d’autre costé, l’on ne voit pas comment
le Conseil d’Espagne, plus adroit & plus vigilant
que le nostre, voyant son Maistre en estat
de profiter de nos desordres, peut consentir à la
paix, s’il n’obtient par ce traité tous les auantages
qu’il espere remporter par la continuation de la
guerre, & c’est ce qui sans doute peut causer plus
de peine & d’embaras à Mazarin, & nous faire
voir aussi de puissans troubles à l’auenir.

 

Mais s’il trouue beaucoup de perils & de difficultez
à faire la paix, ie ne puis croire qu’il en
rencontre moins à faire la guerre, qui luy sera
tousiours infructueuse, puis qu’il ne destruira
par les armes dans la France, que ce qu’il ruinoit
par les tailles & les concussions des Partisans,
sans renuerser vn seul de ses ennemis, dont le
nombre accroistra tousiours par les efforts qu’il
fera pour les estouffer. Ie croy cependant, qu’ayant
eu dessein d’eluder par sa sortie les pretentions
de quelques-vns de nos Princes, en leur
ostant en apparence le pretexte de rester en armes,
il fera monstre de quelque armée pour les
obliger de le receuoir en France, sous quelque
espece d’accommodement : Mais comme ils en
ont trop fait pour y consentir auec honneur,
quand ils le pourroient faire sans crainte de peril
& de reuers, & comme beaucoup d’autres personnes
de consideration ont donné contre luy

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des marques de haine qui leur causeroient vn
eternel sujet de crainte s’il restoit en France, ie
ne voy pas de quelle façon il peut iamais la
rendre paisible, & s’y voir honoré comme il le
souhaite de tous les trois Estats également.

 

C’est ainsi que ie ne puis presumer que nous
soyons encor à la fin de nos maux, ou que cette
retraite de Mazarin en soit la cause, puis que ne
voyant point de seureté pour luy dans Paris, s’il
reuient en France (comme on ne peut douter que
ce ne soit son dessein, qu’il peut facilement effectuer)
il obligera tousiours le Roy de sejourner
dans d’autres Villes, & de cette façon beaucoup
des Parisiens restans dans l’indigence des choses
necessaires à la vie, par la cessation du commerce
& l’esloignement de la Cour, se porteront
tousiours à la sedition & à la reuolte, & ne manqueront
point de Chefs, puis que le mauuais
gouuernement de l’Estat & la haine du Ministre
a fait autant de mécontens, qu’il y a presque
de grands cœurs & de genereuses personnes dans
toute la France : & pour tout dire, parce que la
continuation des desordres fait preuoir aux
grands Politiques l’abaissement de Paris & le
partage de l’Estat & de la Couronne. Ie sçay
bien que depuis peu la Cour c’estoit promis de
grands auantages sur Paris, auec la punition de
quelques-vns de ceux qui dans l’opinion de ses

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Partisans, passent pour les Chefs de tous les factieux :
Mais c’estoit veritablement chanter le
triomphe auant la victoire, & ne voir pas que
l’Espagnol qui l’obserue auec des soins tres-diligens,
ne luy laisse que la liberté de flater son ressentiment
de ses vaines esperances, qui sont d’agreables
illusions à la vanité de ses desirs.

 

Ce n’est pas que la conduite de Messieurs les
Princes, obscure & douteuse qu’elle est, n’exposast
ceux qui les ont suiuis aux plus grands perils,
sans cette liaison de leur party auec l’Espagne,
qui fait vn grand contrepoids à toutes les entreprises
de la Cour, & veritablement il y auroit de
quoy s’estonner, de ce que la Noblesse de toutes
les Prouinces, & toutes les Communes mesmes,
ne les assistent de tout leur pouuoir, n’estoit que
toute la France est maintenant tout à fait persuadée
qu’ils n’ont pris les armes que pour leur
seul interest, & qu’elle a sceu parfaitement que
dans tous les articles contenans leurs demandes
qu’ils ont enuoyées en Cour, ils n’ont iamais
rien mis en auant en faueur des Prouinces ny des
peuples. Il est vray que si cét attachement de
Messieurs les Princes à leurs interests est si preiudiciable
à leur party : le vœu solemnel que la
Cour semble auoir fait de negliger le salut des
peuples pour procurer celuy de leur tyran, n’a
pas moins ruiné ses pretentions, & confondu

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ses esperances. Il ne faut plus dire en effet qu’elle
veille au bien de la France, mais au bien des
affaires de Mazarin, c’est l’vnique fin qu’elle se
propose, & le centre où tous ses desseins & toutes
ses pratiques aboutissent, & c’est en quoy
nous nous pouuons dire veritablement malheureux,
puis que nous respirons dans vn Estat
où les affaires d’vn particulier sont deuenuës les
affaires du general, & celles du general les affaires
d’vn particulier. On abandonne nos Villes
frontieres, on laisse ruiner nos Prouinces & nos
meilleures Villes, & l’on accable de tributs le
peuple de tout vn grand Royaume, aux endroits
qui ne sont point ruinez par la guerre, pour satisfaire
cét insatiable & le faire triompher de ses
ennemis, dont les Chefs refusent de triompher
eux-mesmes, de peur que les peuples ne participent
aux fruits de leur victoire, comme à la
gloire de leur triomphe. Que diray-je de plus,
dans vn Estat si mal-traité, les Charges, les Dignitez,
les Benefices, honneurs, titres & droits
de preeminence, & mesmes les Gouuernemens,
ne se donnent qu’au prix de l’engagement dans
ses interests, & du serment de fidelité qu’il faut
prester aux pieds de cét infidele : luy-mesme n’a
pas manqué de faire iusqu’icy tous les changemens
qu’il a pû dans la France pour la former à
son point, & l’on se souuient auec douleur, qu’il

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a souuent fait perdre à cét Empire des occasions
tres-auantageuses de s’agrandir, parce que les
personnes que la fortune luy presentoit pour
employer à l’execution de ses entreprises, ne luy
sembloient pas assez dans la dépendance de son
autorité, pour s’asseurer qu’il les tiendroit desormais
dans vn pompeux esclauage, & qu’il en
disposeroit absolument.

 

Naples resueille tousiours mes ressentimens
de ce costé-là, & la longue captiuité du Duc de
Guise, qui paroist aux plus prudents vn effet de
la deffiance qu’il eut de l’humeur & des intentions
de ce Prince, prouoque tout à fait ma haine
contre ce perfide, qui nous fist perdre pour
cette legere consideration de son interest, l’occasion
de voir la France de rechef, maistresse d’vne
des plus belles & plus riantes regions de l’Italie,
& de rentrer dans les conquestes de nos anciens
Roys. Sa crainte en effet, n’eut point d’autre
fondement que la belle inclination de ce Duc,
qu’il iugea trop genereux pour rester apres son
establissement en ce paїs, dans vne despendance
seruile de ses volontez, & dans les respects
qu’il en vouloit exiger : & pour ce sujet, nostre
Roy dont il a volé toutes les richesses, & qui l’a
sauué de mille perils, fut priué de l’auantage de
voir cette belle fleur adjoustée à sa Couronne
par son moyen, & n’ayant point offensé son

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Eminence, fut puni pour le soupçon que cét
Italien conceut de la conduite du Duc de Guise,
qui ne l’auoit point des-obligé : lors au defaut
de cette conqueste, qu’il eust crû faire pour vn
autre, toutes nos forces de mer furent employées
aux entreprises de Portolongone & de
Piombino, qu’il ne croyoit conquerir que pour
luy-mesme. Ces places furent attaquées, & prises
par des François pour vne Italien, & pour
mieux dire par des François, pour vn Italien
corsaire & voleur, & qui vouloit en faire vn lieu
de retraitte, pour mettre l’argent de ses larcins
en seureté. Mais comme cette entreprise estoit
iniuste, cette conqueste s’escoula d’entre nos
mains, comme vn bien mal acquis, & ne nous
laissa que la honte des pertes que nous auions
faites pour l’acquerir. Tout ce qui m’estonne &
me confond en ce sujet, est qu’il ayt pû trouuer
tant de foiblesse & de lascheté, dans les esprits
des personnes de la Cour, & des principaux de
France, qu’il ait pû deffaire les vns par les autres,
& qu’apres l’espreuue de ses premieres
tromperies, quelques-vns de nos Chefs ayent
encore tesmoigné de la deference à ses sentimens,
iusques à le seruir au preiudice des interessez
de leur patrie. Certes, quelque excuse que
le pretexte de l’autorité Royale fournisse apparemment
à ceux qui se sont rendus les executeurs

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de ses ordres, cette ignorance affectée de
ses mauuais desseins, & cette obeїssance aueugle
à tous ses commandemens, auec cette resignation
ou soumission si seruile, qu’ils ont
tousiours tesmoignée pour cet ennemy public,
presuppose en leurs esprits vne bassesse & vne
pente merueilleuse à la seruitude, qui parmy les
honnestes gens, les doit faire passer pour faquins
& pour vrays esclaues. Cependant par
la colere du Ciel, contre nos vices, par l’aueuglement
de la Reine, & la lascheté de ces ennemis
du bien public & du salut de leur pays, il est
arriué que tous ceux, qui par le passé n’ont pas
voulu descendre à cette infamie, ont trouue les
chaisnes, la peine de exil, ou la mort, aussi-tost
qu’ils ont donné quelque preuue de la haine
qu’ils auoient pour ce tyran, ou de leur repugnance
à le reconnoistre comme superieur.

 

Qui ne sçait l’affront que la Cour estoit resoluë
de faire à ce genereux Gassion, qu’il suffit de
nommer, pour témoigner ce qu’il valoit, quand
la mort qu’il auoit si souuent brauée dans les perils,
iugeant qu’il estoit temps de couper sa trame,
de peur que sa gloire ne souffrit apres quelque
diminution, luy vint rauir deuant la Ville
de Lens, cette vie qu’il auoit tant de fois exposée
pour le seruice du Roy ? Et qui ne sçait qu’on
ne luy vouloit ce mal, que parce qu’on n’auoit

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pû former son esprit sur le modelle de cét esclauage,
qu’on preparoit à toute la France.

 

Mais quel exemple est plus honteux, & plus
reprochable à la Cour, que la mort de ce pauure
Mareschal de Ranzau, qu’on a veu perir miserablement
en prison, pour auoir tesmoigné de
la repugnance à prendre les interests du Mazarin
en vn temps douteux ? Et quel autre crime
que d’auoir refusé de l’encens à cet idole de Mazarin,
pouuoit auoir commis cette miserable
victime qui s’estoit auparauant sacrifiée à la deffense
de nos interests, où elle n’auoit pas moins
perdu que la moitié de son corps, & pour recompense
on fit perir indignement l’autre moitié.

Ie ne produirois rien dauantage, pour monstrer
qu’à quelque prix que ce soit, on veut
rendre Mazarin maistre de nos libertez, si le
Duc de Chaune, qui vient de mourir en son
Gouuernement de Picardie, ne sembloit auoir
receu ce chastiment de sa part, pour n’auoir pas
voulu le receuoir auec le Roy dans sa Citadelle
d’Amiens, & c’est ce refus qu’on a vengé par vn
poison secret, s’il en faut croire la renommée.

Ne sçait-on pas d’ailleurs, les deffiances que
le Comte de Harcourt & le Mareschal de Turenne,
ces deux puissans arcsboutans de sa puissance,
ont de la Cour, & les tesmoignages qu’ils

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ont receus de sa mauuaise volonté, pour recompense
de leurs grands seruices. C’est ce qui fait
que l’vn a quitté son armée de Guyenne, pour
se retirer en son Gouuernement de Brisac, &
que l’autre qui fut tousiours suspect durant la
vie de son frere le Duc de Boüillon, de donner
auis aux Princes de toutes les resolutions de la
Cour, & de l’estat de l’armée, a depuis sa mort
demandé plusieurs fois qu’vn autre commandast
les troupes en sa place, sans auoir encore pû
l’obtenir.

 

C’est pour dire que la Cour, qui veritablement
est toute confite en Mazarinisme, ne veut
point de Chefs pour commander ses troupes, ou
pour obtenir les hauts emplois du Royaume,
qui ne fassent hautement profession de ce zele,
ou pour tout dire, qui comme d’Hoquicourt &
la Ferté Seneterre, ne soient des Mazarins fieffez
& consommez. Mais quoy, nos Princes
n’ont-il pas esté forcés d’armer, parce qu’ils ne
voyoient point d’autre moyen de s’affranchir de
cette indigne tyrannie : & pour reprendre les
choses vn peu de plus loin, qui ne sçait que durant
l’esloignement de Mazarin, la Reine, qui
se fut volontiers sacrifiée elle mesme, pour obtenir
le bien de son cher retour, si elle eust pû le
procurer & l’asseurer par ce moyen, fit faire à
Monsieur le Prince des offres les plus auantageuses

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du monde, en cas que comme on le
croyoit seul capable de l’empescher, il se resolut
d’y consentir. Il est vray, que cette intrigue fut
tres-secrette au temps qu’elle se traitta. La Reine
ayant enuoyé deux de ses plus cheres confidentes
à Paris, sous quelqu’autre pretexte, leur
commit le soin de cette pratique : Madame de
Longueuille fut de la partie, & trouua ces conditions
fort plausibles, dans leur assemblée, qui
qui se fit chez la Dame de Monbason, qu’vne
feinte indisposition empescha de participer à
leur secret. L’offre des nouueaux Gouuernemens
qu’on prodiguoit aux amis de Monsieur
le Prince, & l’abaissement du Coadjuteur qu’on
promettoit, ne laissoient point douter la Duchesse
de Longueuille, que le Prince son frere
n’en d’eust tesmoigner la satisfaction qu’elle en
ressentoit. Elle en fit aussi la proposition à ce
Prince, comme d’vne chose tres-auantageuse
pour sa fortune, & ie ne doute point qu’elle ne
luy dit comme Ephestion fit autrefois au grand
Alexandre, à qui les Ambassadeurs de Darius
faisoient l’offre de la moitié de son Royaume,
& d’vne de ses filles pour estre sa femme, à
condition qu’il retireroit ses troupes de la Perse :
Pour moy i’accepterois cette condition si i’estois
en vostre place, mais s’il ne luy fit la repartie
qu’Alexandre fit sur le champ, à celuy qui luy

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tenoit ce discours, qui fut qu’il l’accepteroit volontiers
s’il estoit Ephestion : Ie sçay que ce genereux
Prince, ne mesprisa pas moins l’offre
d’vn bien qu’il pouuoit acquerir aisément, sans
descendre à l’indignité d’vn traicté si lasche.
Estant né pour commander, & sentant que son
glorieux sort l’appeloit à des emplois extraordinaires,
& luy promettoit des conquestes miraculeuses,
il ne pût accepter ces dons d’vne main
interessée, qui pour reconnoissance exigeoit de
luy sa protection comme vn eschange de faueur,
pour vne personne que l’honneur & le deuoir
l’obligeoient de perdre absolument, & qu’il iugeoit
mesme indigne d’estre son esclaue, au lieu
qu’il eust deu le regarder desormais, comme la
cause indirecte de son bon-heur, ce qui sans doute
eust esté pour ce grand Prince vn espece d’engament,
de dépendance & de deuoir. D’ailleurs
il ne pouuoit se resoudre à trahir les interests des
peuples, à cét interest si preiudiciable à sa gloire,
& sçachant que mesme le Duc d’Orleans estoit
choqué par les conditions de cette intrigue ; vn
pur mouuement de zele & de generosité l’obligea
de l’auertir de ce dessein de la Cour, & du
mépris qu’il faisoit de ces vaines offres, ce qui
balança long-temps l’esprit de ce Duc entre le
despit & la ioye, ne pouuant s’estonner assez
de la perfidie de la Cour, & de la franchise de ce

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Prince, qui luy témoignoit vn si parfait sentiment
d’vne inclination portée à l’obliger, lors
qu’il l’eust le moins esperé. On sçait en suite
l’effet que produisit l’indignation de la Reine,
qui voyant sa pretention eludée par ce Prince,
resolut de perdre celuy qu’elle n’auoit pû gagner,
& comme elle sacrifioit auparauant les interests
du Coadjuteur à son esperance de vaincre
le Prince, elle tascha vainement de sacrifier ceux
du Prince au ressentiment du Coadjuteur : mais
qui croiroit que dans cette intrigue il fut parlé de
liurer le Prince mort ou vif entre les mains de
son ennemy, soit que luy-mesme en fist la demande,
ou qu’vn President de la part de la Reine
en eust osé faire la proposition, tousiours auec
cette condition de fauoriser le retour du Mazarin.
Quoy qu’il en soit, le Coadjuteur luy-mesme,
fit bien-tost auorter ce grand dessein, ayant
descouuert tout le secret au Duc d’Orleans, auquel
il croyoit porter vne nouuelle fort agreable,
& qui prist aussi grand plaisir à l’entendre,
pour auoir dequoy rendre au Prince de Condé
le change de la reuelation de son premier secret,
comme il fit, auec beaucoup de satisfaction pour
tous les deux.

 

Ainsi toutes ces intrigues n’ayans serui qu’à
faire deux parfaits amis, de deux Princes que la
Reine vouloit diuiser, le Prince de Condé iugeant,

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que sans éprouuer de nouueaux perils, il
ne pouuoit rester proche de la Cour, apres tous
ces demeslez, qui luy donnoient vne parfaite
connoissance des intentions de la Reine, partit
pour la Guyenne, dont le Gouuernement luy
auoit esté confirmé depuis peu de iours, & ce fut
sans doute en ce temps, que preuoyant le restablissement
de Mazarin, & la guerre que ce perfide
luy deuoit faire apres son retour, il resolut de
le preuenir, & de s’establir si puissamment que
Mazarin estant de retour ne parust plus en France
que comme vn spectre pour épouuenter les
passans, sans y pouuoir faire d’establissement
permanent.

 

Certes il faut que ie prononce icy contre l’opinion
de beaucoup de Critiques, que le Prince
de Condé est non seulement tres-vaillant, comme
tout le monde en demeure d’accord, mais
pourueu d’vne rare prudence, qui pour produire
ses effets en peu de temps ne les rend pas moins
parfaits & moins acheuez.

Ce Prince, dans le dessein de procurer ses seuretez,
connut que la France estoit aux abois,
& que tout le bruit que les peuples éueillez de
leur letargie pourroient faire auec leurs chaisnes,
ne feroit qu’obliger leurs tyrans a redoubler
leurs fers, & les traiter plus cruellement. D’ailleurs
il connut que les Prouinces estoient moins

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affectionnées enuers luy, pour ce qu’il auoit esté
obligé de faire durant la premiere guerre de
Paris en faueur du Mazarin. Ces deux considerations
iointes à la difficulté qu’il voyoit qu’il auroit
en suite à faire vn amas d’argent, qui fournit
de nerfs aux guerres ciuiles, l’obligerent, pour
n’auoir enfin la honte de déchoir de son entreprise,
qui luy paroissoit de tout point necessaire,
de faire auec l’Espagne ce traité, dont l’on a depuis
tant fait de bruit à la Cour : en quoy l’on a
pû voir que son dessein, tres-bien conceu, fut
d’opposer les forces & les richesses d’vne puissante
Couronne estrangere à celles de la Couronne
de France, si, comme il le voyoit infaillible,
le Roy par la suggestion de la Reine, prenoit
les interests de Mazarin, & ne vouloit point
se relascher de la rigueur dont il vse enuers ses
peuples.

 

Enfin nous en sommes venus à ces dernieres
extremitez : les choses ont pris le train que le
Prince s’estoit imaginé qu’elles suiuroient, le
Mazarin, est rentré dans la France à main armée,
la guerre s’est faite dans les Prouinces &
à l’entour de Paris durant plusieurs mois, les
Parisiens ont aussi fait à diuerses fois l’espreuue
de leur courage & de leur force, & le Mazarin
estant enfin sorti de France, dans l’esperance de
les vaincre par sa retraitte, les menasses de la

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Cour, & la consternation de Paris sur ce bruit,
ont fait voir que le Prince de Condé seul, auoit
vsé de la precaution qu’il falloit pour procurer
le salut & l’auantage de tous ceux de son parti,
& de la Ville de Paris en general.

 

Icy sans doute, l’arriuée des troupes Espagnols
prés de cette Ville, nous fournit quelque
sujet de nous diuertir aux despens de ces interessez,
pour le parti de la Cour, qu’on nomme
vulgairement Mazarins, lesquels s’asseurans aux
promesses du Coadjuteur, croyoient auoir ville
gagnée, par le départ de celuy dont la presence
sembloit le seul pretexte de la guerre. De sorte
qu’ils osoient esperer que tout le monde alloit
mettre icy les armes bas, & qu’ils auroient le
plaisir de repaistre leurs yeux du doux spectacle
de nostre soumission ou de nostre supplice. Mais
il est arriué contre leur esperance, & par vn effet
de la prudence Espagnole (qu’ils pouuoient
cependant facilement preuoir, s’ils eussent esté
plus iudicieux) que ce qu’ils iugeoient capable
d’esloigner les estrangers de Paris, les a pressez
d’y venir auec toutes leurs forces, & voicy comme
cette conduitte se peut facilement conceuoir.
Les Espagnols sont obligez par le traitté
fait auec Monsieur le Prince, de le secourir dans
cette guerre, & leur propre interest les engage à
la faire durer : on sçait cependant qu’ils ne veulent

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que tenir le Prince & les Parisiens en haleine,
& c’est pour cela, qu’ils sont venus plusieurs
fois en France, faire seulement monstre de leur
force dans nos Prouinces. Ils ne croyent pas en
effet que la haine des peuples, & l’engagement
des Parisiens à la poursuitte de ce tyran, eussent
besoin d’vn plus grand secours pour cette guerre,
qu’ils sembloient seule capables de soustenir,
tant que la presence de cet estranger les animoit
du desir de le chasser d’auprez du Roy.
Cette connoissance les rendit tousiours comme
douteux dans ce dessein de se declarer pour nous
ouuertement, lors qu’on pressoit icy l’esloignement
de Mazarin : Mais voyant que sa retraite
auoit leué ce pretexte de la des-obeïssance aux
Ordres du Roy, qu’on estoit prest de mettre icy
les armes bas, & qu’on ne demandoit plus qu’vne
Amnistie generale en bonne forme, pour cet
effet, ils ont iuge qu’il n’estoit plus temps d’vser
de feintes, & que puis que la guerre alloit finir,
par la foiblesse du party des Princes dans la
France, il falloit promptement leuer le masque,
pour monstrer qu’ils estoient capables de le soustenir.
C’est pour cela qu’ils ont soudain ioint
leurs armées, & qu’ils se sont venus camper aux
portes de Paris, pour rendre le courage à ceux
qui l’auoient perdu, & le faire perdre à ceux qui
se croyoient desia maistres des libertez des autres.

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Ce n’est pas que ie croye qu’ils ayent dessein
de faire ce que souhaitera d’eux Monsieur le
Prince, ils sçauent que pour peu qu’il eust dauantage
sur le Mareschal de Turenne, la France
en seroit toute esbranlée, & qu’il pourroit en
suite par sa seule reputation faire de grandes
choses indépendemment de leur pouuoir, & l’on
sçait qu’ils ne se departent pas facilement d’vne
resolution qu’ils ont prise, & que ce qui a esté
concerté dans le Conseil d’Espagne, leur tient
lieu d’vne loy inuiolable, & demeure chez eux
dans vn profond secret.

 

Tout ce qui me met le plus en peine, est de
trouuer vne excuse pour le Coadjuteur, de laquelle
il puisse se seruir à la Cour, pour cacher le
defaut de sa preuoyance en cette occasion. Accusera-t’il
la violence que les fauteurs de Mazarin
ont témoigné vn peu hors de saison contre Paris
en ces derniers iours ? ou confessera-t’il ingenuëment
que la conduite du Conseil eternel d’Espagne
meut des ressorts qui n’estoient point en
veuë à sa prudence ?

Quoy qu’il en soit, conuié par la Cheureuse sa
bonne amie de venir en Cour, comme a vne victoire
certaine, il est parti pour Compiegne en
vn superbe appareil, mais quelque auantage
qu’il se soit osé promettre de cette entreprise, le
succez en est d’autant plus douteux, que les choses

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sont en vne situation, où la Fortune peut faire
en vne heure plus de changemens à son preiudice,
qu’il ne peut faire de conquestes en toute
sa vie. Cependant, comme la Cour a toujours
beaucoup d’autorité, ie ne doute point
qu’estant de la partie, il ne mette à present tout
en vsage, pour faire naistre quelques diuisions
entre Messieurs les Princes, qui paroissent plus
vnis & plus conioints de vœux que iamais : &
sans mentir il meritera bien de remplir la place
du Mazarin, s’il peut maintenant parer le coup
qui menasse ceux qui furent de la societé de cét
ennemy commun de la France. Que si l’Espagnol
luy mesme, craignant d’abaisser trop ce
party, ne retire vne partie de ses forces, ie ne voy
pas que toutes les offres & les artifices de la
Cour, à moins que d’en venir au traité de la Paix
generale, puissent faire vn grand effet. Enfin,
c’est ainsi que nous voyons que souuent les preneurs
sont pris, & que les méchans tombent dans
le precipice qu’ils ont creusé, pour y faire perir
les autres. Paris ne perira point encor pour ce
coup, ou ne souffrira point les cruels chastimens
dont il estoit menasse : mais il a cependant sujet
d’estre sur ses gardes, puis qu’il a descouuert la
malice des vns & l’enuie des autres : du moins il
voit aujourd’huy ce qu’il doit craindre, sans voir
ce qu’il doit desirer, puis que si le party Mazarin

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preuaut, il ne doit attendre que des disgraces,
auec la priuation de son Roy, pour autant de
temps que Mazarin ou la Reine auront quelque
empire sur son esprit. Que si les Princes ont l’auantage,
le don de quelque grosse somme d’argent
pour l’entretenement de leurs troupes luy
peut rendre vne grande partie de sa splendeur :
Mais de quel coste que panche l’auantage ou la
victoire, ie ne puis preuoir de vraye paix pour la
France, mesme apres la Paix generale, que les
peuples n’ayent vne ample satisfaction de tous
les torts qu’on leur a faits, & comme on est fort
esloigné de ce dessein, ie croy que la paix où
nous aspirons est encor bien esloignée, bien qu’il
soit tout apparent qu’on parlera desormais
moins de Mazarin en France que par le passé,
puis que la Reine aussi bien que nous en perd
desia le souuenir, depuis qu’elle entend les
beaux discours du Coadjuteur.

 

FIN.

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Anonyme [1652], LES PARADOXES DE L’ESLOIGNEMENT DE MAZARIN : Pour sçauoir, I. S’il se tiendra tousiours loin de la Cour, ou si son retour se fera dans peu de iours comme on le croit. II. Si nous deuons nous réjoüir ou nous affliger de son depart. III. Si son esloignement nous produira la paix ou la guerre. IV. Et si nous trouuerons la fin de nos maux en ce bien tant souhaité. AVEC VN CVRIEVX EXAMEN de la conduite & des intentions de Messieurs les Princes, & du Coadjuteur. , françaisRéférence RIM : M0_2678. Cote locale : C_12_37.