Anonyme [1652], LES CONVVLSIONS DE LA REYNE LA NVIT DE DEVANT LE DEPART DE MAZARIN. Auec la consolation qu’elle receut par l’apparition d’vne bonne Sainte, Cause de la resolution qu’elle a prise de ne plus souhaiter le retour du Mazarin, de peur de mettre son Royaume en combustion pour la troisiéme fois. , français, latinRéférence RIM : M0_791. Cote locale : B_4_21.
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LES
CONVVLSIONS
DE LA REYNE
LA NVIT DE DEVANT LE DEPART
DE MAZARIN.

Auec la consolation qu’elle receut par
l’apparition d’vne bonne Sainte,

Cause de la resolution qu’elle a prise de ne plus souhaiter
le retour du Mazarin, de peur de mettre son Royaume
en combustion pour la troisiéme fois.

A PARIS,

M. DC. LII.

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Les conuulsions de la Reine, la
nuict de deuant le depart de
Mazarin.

LA Reine auoit desia fait son premier
somme, & s’estant éueillée en sursaut sur
vne affreuse vision qu’elle auoit euë, elle
s’agitoit dans son lict d’vne façon qui
témoignoit l’inquietude extréme dont son ame
estoit possedée. Elle s’estoit couchée assez tard, parce
que le Cardinal Mazarin ayant eu la permission
d’entrer dans sa chambre le soir, luy auoit tenu de
fort longs discours, sur les motifs & les sujets qui
l’obligeoient à haster son depart, & luy auoit fait
verser beaucoup de larmes, en la priant tres-humblement
d’y consentir, & protestant de iamais ne
l’oublier. Ils se separerent tous deux vaincus de
douleur, & la Reine s’estant incontinent apres mise
au lict, fut encor long-temps à flatter les idées de
ses déplaisirs auant que de pouuoir fermer l’œil.
Enfin comme l’eau de ses yeux s’efforçoit d’esteindre
les feux de son cœur, sa douleur elle-mesme
l’abatit si fort, que le sommeil prenant cette occasion
à son point pour se glisser dans sa paupiere appesantie,
& desprendre ses sens de leurs premiers

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objets, suspendit tout à fait la violence de son dernier
ressentiment, & se mit en possession de toutes
les facultez de son ame. Il est vray, que comme ce
Dieu des anciens, qui porta iadis le nom de Morphée,
& qui sçait aussi bien nous faire voir durant
son cours l’image des diuers objets dont nous sommes
affectez, que la Lune reproduit vn faux iour
durant la nuit, n’est pas tousiours malicieux pour
nous representer des estres de raison, ou des spectres
qui ne forment aucun presage pour les perils qui
nous menassent, & ne tendent point à nous causer
quelque repentir ou quelque horreur des crimes
que nous auons autrefois commis : Il choisit
dans l’esprit de la Reine les idées les plus capables
de composer vn phantosme estrange, qui
par le reproche de ses violences passées, luy fit embrasser
la resolution de suiure à iamais la vertu. Il
sembla d’abord flater ses desirs de vangeance,
pour estouffer cette passion en son cœur par la
crainte de dépoüiller tout à fait le Roy son fils de
ses Estats, d’où vint qu’elle songea quelque temps
apres, que touchant Paris d’vne verge de fer, au
dessein de se vanger de la resistance que cette Ville
auoit faite à l’execution de ses plus hardis desseins,
elle l’auoit changée en vn desert : puis que de ce desert
estoient sortis des Ours, des Lions & des Tigres,
qui l’auoient deuorée auec le Mazarin, toute
sa Cour & toute sa suite, & qui s’estans enfin changez
en Geants, se promenoient à grands pas par

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toute la France, où ils brisoient les chaisnes de tous
ceux que les tyrans precedens auoient mis aux fers,
& faisoient respondre les échos de tous les pays, au
cry de liberté qu’ils iettoient continuellement.

 

Ainsi saisie à la fois d’horreur & de crainte, de
regret & de douleur, & pleine de cuisans repentirs,
elle se mit à discourir en elle-mesme de cette sorte.

Ne faut-il pas que ie sois la plus imprudente &
la plus mal-heureuse personne du monde pour en
vser comme ie fais. Ie perds l’Estat du Roy mon
fils, ma reputation, & les cœurs de mes sujets, &
tout cela pour l’interest d’vn mal-heureux Estranger,
sujet du Roy mon frere, & fils d’vn simple
Chapelier, au moins si le bruit commun est veritable.
Iesus, mon Dieu, qui iamais eust cru sous le
regne du feu Cardinal, me voyant toute fonduë
en deuotion, que i’eusse ainsi pris l’essor estant libre,
& que le temps de mon vefuage eust eu si peu
de rapport auec celuy que ie passay dans l’engagement
du mariage aupres du feu Roy. N’est-ce pas
en quelque façon iustifier les soupçons que beaucoup
de personnes dans Paris ont conceus, que
cette belle chanteuse de Leonora, qui logea longtemps
dans les Tuilleries, où ie l’allay souuent visiter,
& que ie comblay de presens à son depart, m’auoit
par quelque phyltre amoureux preoccupé la
phantaisie de l’idée de cét Italien, qui l’auoit ie croy
fait venir de son pays, fœcond en de pareilles pestes,
pour acheuer de m’oster du tout la raison Certes

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ie croy presque que son chant me causa quelque
enchantement, & que mon esprit fut ainsi recompensé
de l’éclat dont ie rendis son corps tout brillant.
Quel changement s’est fait en ma personne
& dans mon humeur ? Ie haïssois le vice & ie semble
le proteger : I’aimois la vertu, ie luy fais la guerre :
Ie detestois l’oppression des peuples & des innocens,
ie l’approuue & l’autorise à present : Et loin
d’estre comme i’estois, le secours & le refuge des
mal-heureux, ie parois leur plus cruelle ennemie, &
leur fleau le plus inhumain. Quoy le souuenir des
larmes que les Parisiens donnoient autrefois à la
rigueur du traitement qu’on me fit souffrir durant
plusieurs années, m’oblige-t’il à leur rendre le
change de leurs tendresses, & les soulager maintenant
que ie les voy mal-traitez, ou plustost que ie
les tiens dans l’oppression ? N’est-ce pas vn trait qui
me deuroit faire tomber les armes de la main, &
me percer tout à fait le cœur ? Mais n’est-ce pas vne
ingratitude qui merite mille supplices ? Aussi ie
commence à craindre que ie ne sois tout à fait abandonnée
du Ciel, parce que ie fais beaucoup de
maux sur la terre, & cette croyance me cause mille
frissons de crainte & d’horreur ? Ie n’ay plus les
mouuemens de pieté que i’eus autrefois ces satisfactions
internes qui naissent de la grace d’enhaut,
& du repos de nostre conscience : ie sens au
contraire que ie suis agitée en veillant & en dormant
par des visions funestes & de cuisans remords,

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qui comme autant de Vautours me déchirent l’ame
& le cœur. C’est ce qui trouble tout à fait ma raison,
& me rend indifferente à tout le mal qu’on
peut dire de moy dans toute la France : parce que
c’est impuissamment repousser des outrages, que
de rendre des paroles iniurieuses pour des effets
si cruels que les maux que depuis trois ans i’ay
faits par la guerre aux sujets du Roy mon fils ?
D’ailleurs que ne meritay-je point pour la mauuaise
conduite que i’ay pratiquée auparauant ?
Puis qu’au lieu de soulager mon Peuple, qui soûpiroit
apres ma Regence dans cet espoir, ie l’ay ruiné,
saccagé, détruit, & rendu le plus miserable du
monde. Impitoyable, indiscrette, insensée, où suis-je,
& que fay-je depuis dix ans ? Ie suis dans Pontoise,
au lieu d’estre dans Paris, & pour changer
souuent de sejour, ie ne change pas de fortune ou
de sentimens ? Ie traisne par tout mon Enfer, & ie
traisne aussi les plus durs fleaux que ie fais ressentir
aux habitans des lieux où ie suis ? N’est-ce pas le
moyen de me faire plus hayr & plus detester qu’vne
Megere, si toutesfois la haine qu’on me porte pouuoit
accroistre ? Mais qu’est-ce que ie pretens par
tous les maux que ie fais souffrir aux autres, & que
ie souffre moy-mesme. Me vanger ? Quoy, de ceux
qui me veulent du mal, parce que ie leur en fais à
toute heure : ne sont-ils pas raisonnables dans ce
sentiment ? Les punir, mais dequoy ? Sinon de ce
que mon couroux les choque, & qu’ils ne peuuent

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suporter ces insupportables excez ? N’est-ce
pas le moins qu’ils puissent faire, estans si malheureux
& si mal traittés ? Mais que dis-je, ne me font-ils
pas grace d’en vser auec tant de moderation ?
Ie les persecute, & ils me prient. Ie leur enuoye
des picoreurs & des assassins, & ils m’enuoyent des
Deputez que ie rebutte ? Ils solicitent pour moy le
Ciel, & ie solicite contre-eux l’Enfer mesme ? N’ont
ils pas porté par les ruës toutes les Reliques des
Saints qui sont dans Paris, descendu la Chasse de
Saincte Geneuiefue pour me flechir ? Mais auec
qu’elles dispositions, qu’elles preparations, qu’elles
tendresses ? Combien de ieusnes, combien de
prieres & de processions, combien de fatigues,
combien d’aumosnes ? Il n’a pas esté jusqu’aux plus
belles Dames qui n’ayent suiui les Processions à pié
parmy la populace, & couru risque de mille cheutes
sur le paué glissant & plein de crottes, pour tascher
d’obtenir du Ciel quelque rayon de grace en ma
faueur ? Quoy tant de bonnes ames, de saints Religieux,
d’Euesques, d’Abbez & d’autres personnes
considerables, auroient pris tant de peines pour
moy seule, & seule, ie n’en serois point touchée ?
I’aurois bien vn cœur & vne poitrine de fer, vn sang
de Medée, vn esprit de Proserpine, & vne ame de
Pasiphaé ? Non, non, dit-elle, il est temps que la
douleur fasse son effet ordinaire sur vn objet trop
insensible, & qu’elle acheue en me rendant à la
pieté, l’ouurage de ma raison & de mon desespoir.

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Lors ce ne fut plus qu’vn grand débordement de
larmes sur son visage, où quelque reste du fard du
iour precedent fut détrempé par cette humeur, qui
découla iusques sur sa gorge, en donnant sujet de
dire que, sinum lacrymis impleuit obortis. Enfin apres
auoir long-temps gemy, pleuré, soupiré, sangloté,
pasli, rougi, sans que personne en peust rien
voir, Terque quaterque manu pectus percussa decorum.
Elle recommença de plus belle, & les premieres
paroles qu’elle dist en suite furent : Il n’y a point
de doute que ie suis la plus criminelle du monde,
mais aussi la plus mal-heureuse à present : Faut-il
d’autres sujets à me punir que moy-mesme ? Et ne
ne suis-je pas bien punie par tout ce que i’ay tenté
iusqu’icy pour punir les autres ? Qu’ay-je fait dont
la honte ne me soit demeurée, si le peuple en a souffert
la perte ? I’ay fait bloquer deux fois Paris, &
deux fois on a forcé mes troupes de s’en esloigner,
I’ay fait mettre le siege deuant Estampes, & les plus
braues hommes de l’armée du Mareschal de Turenne
y ont peri. I’ay fait pratiquer le Duc de Loraine
pour affoiblir l’armée des Princes, & mes pierreries
y sont demeurées, auec cent mille escus de
l’argent de France, sans que i’aye gagné autre chose,
par de si grandes pertes, que l’esloignement
d’vn traistre & d’vn inconstant, qui ne ruine pas
moins maintenant les frontieres de la France. Ie ne
parle point du iour de la bataille sainct Antoine,
où ie fis vainement attaquer Paris, que i’obligeay

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de se declarer tout à fait contre moy. Ce souuenir
m’est trop odieux, & ce penser trop insuportable,
pour le pouuoir soustenir. Mais à quelles dures extremitez
suis-je reduite à present ? si i’abandonne ce
mal-heureux Mazarin, que i’ay deffendu si longtemps
au peril de mon honneur & de ma vie, que
deuiendra-il ? Et si ie ne l’abandonne pas que deuiendray-je ?
Mais quand ie l’abandonnerois
dés aujourd’huy, ne resteray-je pas honteuse &
vaincuë, apres cét affront ? Qui me voudra receuoir
en sa Cité ? Elle eust dit comme Didon en pareil sujet,

 

 


Quis me autem fac velle sinet ratibusque superbis,
Irrisam accipiet,

 

Et n’eust manqué de dire auec elle,

 


Felix heu nimium felix si littora tantum
Num quam Mazariæ tetigissent nostra carinæ

 

Et de se faire le reproche compris en ce vers,

Non seruata fides cineri promissa Sichæo.

Mais parce qu’elle n’entendoit point le Latin, elle
continua de cette sorte en François. Ie suis bien
mal-heureuse en effet, & plus mal-heureuse qu’on
ne peut croire : I’aime ce Mazarin qui n’est point aimable,
puis que tout le monde le hait si fort, & ie
l’aime iusqu’à la fureur, luy qui ne m’aime qu’auec
repugnance & par maxime d’Estat, & qui maintenant
se témoigne resolu de me quitter, quelque effort
que ie fasse pour le retenir. Cependant ie ruine
pour luy tous mes sujets, & desole vn païs tout

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entier, où i’ay fait plus de meurtres & de pillages,
que n’en ont fait plusieurs tyrans. Elle eut horreur
de cette pensée, qui luy presentoit toutes les images
des veritables morts qu’elle auoit causées parmi
la France, & se confirmant en cette opinion : Ouy,
reprit-elle soudain, ie fais tous ces meurtres, où ie
ne pensois pas auparauant, lors mesme que ie les
faisois commettre. Tout le monde m’en fait le
rapport, ie n’en puis soustenir l’idée, & i’en ay bien
produit les effets. Mais que ces meurtres sont horribles,
& que l’image en porte de terreur auec soy ?
Le sommeil vient de me descouurir toutes ces vlceres,
que mes desirs de vangeance & mes pressans
ressentimens couuroient des nuages d’vn fatal oubli.
Ne m’a-t’il pas semblé, que comme Herodes,
i’auois commandé qu’on enfermast le peuple de
tous les enuirons de Paris, dans vn parcq cinq ou six
fois grand comme celuy de Ruel, & que là ie l’ay
fait deuorer par plusieurs troupes de Lions acharnez
au meurtre, que i’ay fait déchaisner contre cette
multitude desarmée, sans qu’elle eust commis
aucun crime qui la rendist digne de ce traitement.

 

Il parut alors que la Reine est veritablement
bonne dans le fonds de l’ame, & qu’elle n’a que l’opinion
& la fantaisie déprauée, & i’aurois mesme
quelque pente à croire que sa facilité fut la cause de
la deprauation de l’vn & de l’autre. On dit que
l’objet émeut la puissance & tente les sens, c’est ce
qui fut la cause de son mal-heur. Elle voyoit souuent

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Mazarin, elle estoit preoccupée de l’opinion
qu’il estoit seul pourueu d’vne prudence assez grande
pour remplir la place du feu Cardinal de Richelieu :
Elle le voyoit aimé pour l’amour d’elle, de
tout le monde, & voyoit que les affaires de France
succedoient au commencement de sa Regence, le
plus heureusement qu’elle eust iamais pû souhaiter,
& sçauoit qu’on en donnoit vne partie de la gloire
à son Ministre, à qui le témoignage recent du feu
Roy estoit tres-fauorable. Dans ce rauissement elle
luy donna premierement sa croyance, puis vne
partie de ses affections. Voulant paroistre aussi genereuse
enuers luy, que le feu Roy fut bien-faisant
enuers l’autre Cardinal, elle crut que le laisser pauure
dans vn Royaume reputé si riche, seroit moins
vne marque de sa foiblesse que de son ingratitude.
Et comme la misere du peuple n’estoit pas presente
à ses yeux, & qu’elle, ne pouuoit oüir de si loin les
plaintes & les cris des miserables, que les exacteurs
persecutoient, pour en tirer de l’argent à proportion
de leurs taxes, elle ne croyoit pas que luy dõner
vn million estoit souuent tuer vn million d’innocens,
& mesmes des enfans dans le berceau : c’est
ce qui la rendoit plus hardie à luy faire beaucoup
de largesses, qu’il estoit tousiours en humeur d’accepter,
sans dire iamais c’est assez, non plus que
l’Enfer. D’ailleurs, elle n’auoit qu’a dire vn seul
mot pour estre obeye, parce que les Officiers des
Finances estans de la faction de Mazarin, & corrompus

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de longue main, ne cherchoient qu’à pescher
en eau trouble, & multiplier la somme à leur
profit, si bien que pensant ne donner qu’vn million,
elle en donnoit tousiours dix ou douze, &
bien que ce fust contre son intention, la volerie
n’estoit pas effectiue du costé des Partisans, & la
perte moins reelle & moins grande du costé du
peuple. Cependant elle conseruoit tousiours quelque
reste de tendresse en sa faueur, & quelque impuissant
desir de le soulager, qui la resaisissoit pour
l’ordinaire tousiours à l’heure de ses frequentes
Cõmunions. Mais enfin, la violence du mouuement
de courroux, dont l’emportement general des peuples,
toucha son esprit au temps des premiers troubles
du Parlement, étouffa tout à fait cette foible
idée en son ame, & la laissa dans la funeste resolution
d’acheuer de perdre ces mal-heureux qu’elle
n’auoit que trop perdus auparauant, & de se vanger
de ceux qu’auant leur souléuement elle auoit
traitez comme les plus cruelles personnes ayans la
puissance en main, font ceux qu’ils veulent exterminer.
Ainsi regardant l’effet sans voir la cause, sa
preoccupation l’empeschoit de remarquer que toute
la noirceur qu’elle voyoit dans ce qu’elle nommoit
leur crime venoit de sa part, & son ame entretenuë
en ces tenebres par les malignes ombres
des conseils de Mazarin, ne pouuoit receuoir de
clarté qui dissipast ses erreurs d’aucun sujet, parce
que Mazarin en auoit bouché toutes les auenuës,

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De cette sorte faisant grace à sa passion, elle donnoit
à nostre resistance le blasme des noms iniurieux
qu’elle meritoit, & souhaittoit iniustement de
nous plonger dans tous les abysmes où les crimes
sont le plus cruellement expiez. Mais le sommeil
en cette occasion ayant fait breche à cette digue de
sa preoccupation, sembla rouurir sa premiere playe
en fermant la nouuelle, & nous rendit en quelque
façon ce que les artifices de Mazarin nous auoient
osté. C’est en vn mot, que confondant ses dernieres
idées, qui comme les picques de plusieurs bataillons
rangez dans vn champ de bataille, estoient
toutes dressées pour tendre à des effets violents, il
réueilla les premieres, étouffées sous le grand nombre
de leurs ennemies, & les ayant mises en la place
des autres, fit voir à la Reine par les propres lumieres
de son esprit, l’imposture de celles qu’il venoit
de suffoquer. Ainsi cette Princesse reuenant
comme d’vne longue extase, s’estonna de voir nettement
des sujets qu’elle ne voyoit auparauant que
confus & embarrassez d’ombres & de nuages, & ce
fut ce qui l’obligea d’éclater en regrets, & de les témoigner
encor en cette sorte.

 

La plainte vniuerselle de la France presuppose
vne misere generale, & ie ne puis douter que tous
les fleaux ny regnent auec vn cruel empire, puis que
i’ay porté par tout également le fer & le feu. Mais
quoy ne semble-t’il que i’oppose les torrents de ma
fureur à ceux des graces d’enhaut, puis que dans cette

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année où la main liberale du Ciel auoit respandu
tous ses tresors sur la terre, i’ay fait des efforts au
delà de mon pouuoir pour les destruire, & fait regner
la sterilité où il auoit rendu l’abondance si
pleine & si grande, qu’elle auoit de quoy contenter
les desirs des plus delicats & des plus auares. Pour
mon sujet, ces campagnes si fœcondes des enuirons
de Paris, ont esté dépoüillées de leurs riches moissons
par des mains ennemies, plusieurs semaines
auant leur saison. Pour mon sujet les pauures laboureurs
ont esté priuez des fruits de leur labeur,
& forcez par la fureur du soldat qui les mettoit en
pieces auec vne licence effrenée, de se retirer à Paris,
dont les Hospitaux en ont regorgé depuis plusieurs
mois. Pour mon sujet, la mort n’a pas moins
enleué en cette grande Ville, depuis ces derniers
troubles, que vingt mille personnes, qui sont presque
toutes mortes pour auoir long-temps manqué
des choses necessaires à la vie, que ie leur ay soustraites,
& respiré vn air qui ne leur estoit pas naturel.
Ne suis-je donc au monde que pour la destruction
du genre humain ? Quel exemple de douceur
& de clemence ie donne aux Reines doüairieres
qui me suiuront desormais en France ? Mais
si ie sens quelque repentir d’estre la cause de ces excez,
n’est-il pas tout à fait impuissant, puis que ie
m’efforce de retenir le sujet qui me les fait commettre ?
Me parler d’esloigner Mazarin, ou de consentir
à son esloignement qui paroist si proché, est

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me déchirer l’ame, & me porter moy-mesme vn
coup mortel dãs le cœur. Ie suis forcée de capituler,
du moins auec ma passion, parce qu’elle est encor
ma maistresse, & de la flatter de l’esperance du prõpt
retour de celuy qu’elle regarde comme le seul homme
parfait qui soit au monde, & le seul digne de
mes affections, & de regir plusieurs Estats. C’est là
l’estat où mon ame est à present, ce sont les imaginations
qui me troublent, & les pensées qui me
combatent & qui m’agitent. Mais cependant ie
sçay qu’il me faut vn iour, & peut-estre bien-tost,
comparoistre deuant le Tribunal du Dieu viuant,
à qui toutes mes offenses & toutes mes intentions
sont connuës, & qui sçait les effets prodigieux que
mes ordres ont souuent produits au delà de mon
esperance & de mes desirs, pour me les imputer à
crime, & m’en punir seuerement.

 

Elle s’alloit tout à fait porter dans le desespoir,
quand vne grande lumiere, sans ouuerture des fenestres
ny des portes, s’espandit soudain par toute
la chambre, qui fut remplie en mesme temps d’vn
celeste parfum, que les Anciens eussent pû nommer
vne celeste odeur d’ambrosie. La Reine tira bien-tost
le rideau, pour voir d’où venoit l’éclat d’vne
clarté si surprenante, & vit vn objet en effet capable
de rauir les Anges ainsi que les hommes.
Mais que vit-elle qui fust si capable de la rauir ?
Vne ieune beauté resplendissante comme vn Soleil,
& dont les vestemens estoient blancs comme

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neige, autant que les rayons qui partoient de ses
yeux, & ceux dont elle estoit enuironnée, souffroient
de le remarquer : Elle auoit la taille alaigre,
la gorge pleine, le visage rond, le teint blanc &
vermeil, comme meslé de lis & de roses, le menton
vn peu court & fourchu, la bouche petite, le nez
aquilin & parfaitement bien formé, l’œil doux, &
plein d’esprits tous celestes, le front rond & tant
soit peu haut, les cheueux d’vne couleur d’or, flottans
par ondes autour de ses belles ioües, qui n’estoient
ny trop enflées ny trop basses, chacune des
deux ayant son petit gelasin bien formé, ce qui
tout ensemble témoignoit que si cette beauté fut
autrefois vne Bergere, iamais Lignon, n’en déplaise
aux Dianes & aux Astrées, n’en eut de si rauissantes :
aussi la Reine des Riuieres, ie veux dire
la Seine, à qui ie pense aucune autre ne peut disputer
ce nom, eut l’honneur qu’elle frequenta souuent
ses riuages. Au reste elle soustenoit de sa main
gauche vne chasse en forme de petite Eglise, où
brilloient vne infinité de pierreries, & pareille à
celle qu’on porte aux ceremonies qui se font à la
descente de la Chasse saincte Geneuiefue : elle portoit
aussi dans sa droite plusieurs Couronnes, qui
estoient celles de nos Roys, qu’elle auoit tousiours
soustenuës, depuis qu’elle contribua tous ses soins
à faire vn Chrestien du Roy Clouis. En cét estat
s’approchant de nostre Reine, qui pensa sortir de
son lict pour se ietter à genoux deuant elle : elle

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luy tint d’abord ce discours :

 

Ie suis GENEVIEFVE, LA PROTECTRICE DE
PARIS ET DE LA COVRONNE DES ROYS DE
FRANCE, & celle dont on a tant reclamé le secours
en vostre faueur. Si i’ay semblé faire iusqu’icy la
sourde oreille aux vœux de ceux qui me prioient,
c’est qu’ils auoient les intentions armées, lors que
leurs bouches par vn vain murmure sembloient demander
la paix, & que vous n’estiez pas en estat ny
en humeur d’en écouter la proposition. Ainsi ie
creus qu’il falloit attendre que quelque écoulement
des graces d’enhaut en vostre ame, me fit
voir quelque iour à forcer la fermeté de vos premieres
resolutions. Ie viens d’entendre le premier
souhait que vous auez fait de sortir de ce labyrinthe,
& ie suis soudain venuë vous offrir la main
pour vous en tirer. Vous demandiez qui vous donneroit
l’asseurance de comparoistre deuant le Tribunal
du Dieu viuant, & qui seroit vostre protecteur
au point de cette exacte reddition de compte,
deuant vn Iuge si rigoureux & si couroucé cõtre la
rigueur de vos offenses : Et ie viẽs vous offrir ce que
i’ay de credit enuers cette Majesté supréme, & ma
sauue-garde toute entiere, si vous suiuez desormais
plustost mes conseils que ceux de vostre passion, ou
du Ministre que ie voy sur le point de vous quiter.
Ces Couronnes que ie porte dans ma droite, sont
des marques des grands seruices que i’ay rendus
aux anciens Rois de France, predecesseurs du Roy

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vostre fils, lors que des sentimens de tendresse &
de pieté les ont obligez de reclamer sainctement
mon assistance, pour faire cesser les fleaux dont les
peuples estoient persecutez. Cette caisse que ie soustiens
de la gauche, par vne grace particuliere du
Ciel en faueur de mes anciennes ferueurs & de ma
parfaite resignation à son seruice, enferme les
pluyes & le beau temps, pour departir ces biens
aux François quand ils implorent mon secours auec
vn vray zele, & non point lors qu’ils estallent auec
pompe le Sanctuaire où mes os sont enfermez, aux
yeux d’vn peuple indiscretement curieux, qui repaissant
ses yeux de l’éclat des pierreries dont vous
voyez briller la figure, ne fait point passer l’idée
des vertus que ie receus du Ciel iusqu’à son ame,
pour desirer de s’en rendre imitateur. I’accorde
cependant souuent l’effet de ses vœux en de pareilles
occasions, parce que le mal-heur estant general,
les desirs de tout le monde conspirent esgalement
à la possession d’vn mesme bien, ou destruction
d’vn mesme mal, & que le don de ces biens extraordinaires
n’est en la disposition d’aucune puissance
humaine, au lieu que ceux qui par vn fameux
Arrest ordonnerent dans le Parlement il y a quelques
mois, qu’on descendroit la Chasse où mes
os sont posez, dans mon Eglise de Paris, pour tascher
d’obtenir du Ciel la cessation des troubles de
la guerre, en vertu des merites dont ils me croyent
en possession, auoient eux-mesmes en quelque sorte

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excité cette guerre, la continuoient par leurs brigues
& leurs factions, & s’estoient confirmez de
nouueau dans cette resolution, où d’autre costé
vous paroissiez inuincible par la persuasion de vostre
cher confident. De sorte que pour destourner
seulement ce soupçon de leurs personnes, & passer
pour bien intentionnez dans les esprits du peuple,
qu’ils vouloient tromper par cét éclat, ils me rendirent
comme le ioüet de leurs artifices, & suiuirẽt
ma Chasse auec aussi peu de respect que de consideration
pour l’effet que le peuple en desiroit.
C’est ce qui fait qu’on ne doit point s’estonner si ie
n’ay point causé soudain la paix, puis que i’eusse
autant fait de mécontens, que i’eusse rendu d’esprits
satisfaits, & vous deuez vous en estonner encor
moins que les autres, sçachant qu’il n’a long-temps
temps tenu qu’à vous qu’elle ne se fit au gré de toute
la France : si bien qu’en faisant ce miracle, ie
n’eusse fait que ce que vous negligez de faire, & ce
que vostre raison fera tousiours auec beaucoup de
facilité, quand vostre passion cessera de la troubler.

 

Maintenant donc que vous me paroissez en
quelque façon déprise de ce funeste engagement,
qui vous rendoit sans yeux pour les mal-heurs de
la France, & sans oreilles pour toutes ses plaintes :
Ouy, Madame, ie viens de tout mon pouuoir
m’efforcer de vous fortifier dans cette belle resolution :
vous monstrer l’estat où maintenant est vostre

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ame, auec les veritables crimes que vous auez
commis, sans dessein de vous en faire aucun reproche :
les moyens d’en faire vne iuste penitence, de
rentrer en vostre premiere estime, de vous restablir
dans le throsne, & vous offrir enfin la main pour
vous conduire à la veritable gloire pour laquelle
vous deuez tout mépriser en l’aage où vous
estes.

 

Ie vous parleray sãs exageration, parce que ie vous
parleray sans interest, & vous diray de parfaites veritez,
parce que ie les puise au sein de celuy qui est
la source de la vie & de la verité. Vostre ame est en
vn tres-mauuais estat, & Dieu permet qu’elle soit
tentée, & qu’elle succombe, & que les afflictions
l’accablent : & les prosperitez qui vous flattent, ne
brillent à vos yeux que comme des éclairs, ou ces
feux de la nuit qui conduisent vers des precipices,
parce que vous n’auez pas obserué ce que vous promettiez
à Dieu, quand estant mal-traitée par le
Cardinal de Richelieu, vous embrassiez les Autels,
& vous faisiez vœu, que si vous pouuiez iamais
vaincre ce mal-heur par son Diuin secours, vous
banniriez la tyrannie & les larcins de toute la France,
& feriez succeder la douceur d’vn siecle d’or à la
rigueur d’vn siecle de fer. Au contraire, on voit
que vous adjoustez beaucoup aux rigueurs de ce
cruel siecle, & qu’il n’y en eut iamais de si malheureux
que les dernieres années de vostre Regence,
On sçait aussi que vous n’auez souhaitté iusqu’icy

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auec tant d’empressement de venir à bout de
ceux qui se sont liguez pour destruire vostre autorité
pres du Roy, que pour restablir tous les peages
& les tributs auec plus de rigueur qu’auparauant,
pour satisfaire la fureur & l’auarice des cruelles
sang-suës qui vous enuironnent, & monstrer
qu’on ne vous choque que pour changer vn ioug
cruel en vn cent fois plus rigoureux. C’est ce que
les peuples redoutent iustement, apres en auoir fait
plusieurs fois vne cruelle épreuue, & c’est ce qui les
rendra tousiours intraitables, tant que vous aurez
quelque part au gouuernement de l’Estat.

 

Cette puissance vsurpée sur celle du Parlement,
& sur les ordres du feu Roy, vous a si mal reussi,
que vous ne deuez point souhaitter de vous la continuer,
si vous ne voulez tomber tout à fait dans le
gouffre des peines eternelles, où les Fredegondes
& les Brunehauts, pour l’expiation de leurs crimes,
souffrent des peines au delà de celles des Agrippines
& les Cleopatres.

Vous auez peché particulierement contre deux
Commandemens de la Loy Diuine, celuy qui deffend
l’enleuement du bien d’autruy, & celuy qui
deffend le meurtre. Ie sçay bien que vostre main
est veritablement innocente de l’vn & de l’autre,
mais vostre cœur est vrayement coupable, & vostre
conscience vous le dit maintenant, aussi bien que
ma voix : celuy qui tuë n’est pas tousiours celuy qui
porte le coup mortel, celuy qui commande qu’on

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le porte, & auquel le meurtre ou l’enleuement de
biens profite, est reputé l’homicide & le rauisseur,
quelque esloigné qu’il soit du lieu où l’vn & l’autre
se commet, quelque Majesté qui le couure, &
quelque pretexte qu’il emprunte de sa puissance,
pour s’attribuer vn droit de tout pouuoir impunément.
Dauid & Iezabel commirent chacun vn
meurtre, en commandant secrettement qu’on le
commist, & cependant pour punition de son crime,
le premier souffrit vne grande peine en la desolation
de son peuple, estant reduit au choix de
l’vn des trois fleaux du Ciel, & ne se sauua de la
mort que par vne longue penitence : Et la seconde
estant iettée par vne fenestre, eut le corps brisé contre
le paué dans la ruë, & fut mangée des chiens,
comme elle en auoit esté menassée par le Prophete
de Dieu. Que si l’vn & l’autre fut si rigoureusement
traité pour vn seul meurtre : iugez ce que meritent
ceux qui en ont fait commettre plusieurs millions.
Mais ne doit-on pas dire qu’ils furent les
vrais homicides de ceux qu’ils firent perir, puis que
l’Ecriture sainte ne parle point du chastiment de
ceux qui presterent leur main à l’execution du
meurtre. Ie sçay bien que l’on pourroit alleguer
en vostre faueur, que ces meurtres auoient esté deliberez
en secret, & que le dessein d’attenter sur le
iour d’Vrie & de Nabot, auoit particulierement
touché l’esprit de Dauid & de Iezabel : Au lieu qu’en
faisant des exactions, où faisant la guerre, vous

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n’auez point d’intention particuliere de tuer personne.
Mais, Madame, vous me permettrez do
vous dire, que c’est prendre plaisir à s’aueugler. Ne
sçauez-vous pas que le meurtre est vn des fruits de
la guerre, qu’elle produit necessairement ? Si bien,
Madame, que consentir à la guerre, est consentir
au meurtre, & si les actes n’en peuuent estre nombrez
par les hommes, ils sont certes connus de
Dieu. Ne croyez pas au reste trouuer vostre excuse
en ce faux pretexte de guerre iuste, puis qu’il n’y a
de guerre veritablement iuste que contre les infideles,
lors mesmes qu’ils nous attaquent, & font
des incursions en vn pays sur lequel ils n’ont aucun
droit. Mais lors que la passion qui nous transporte,
oblige vn Prince à faire la guerre à ses sujets,
parce qu’ils ne peuuent souffrir sans murmurer,
qu’il les priue tout à fait de biens, pour enrichir des
bouches inutiles qui le ruinent, sous feinte de le seruir,
croire que cette guerre soit iuste, c’est auoir
tout à fait perdu la raison, ou bien eriger sa puissance
en toute-puissance, & ses desirs en supréme
loy. Mais parmi les exactions, qui sont la cause de
vos guerres, & par consequent des meurtres
que vous auez commis, à bien tout considerer,
ie n’y voy pas moins de foiblesse que d’iniustice &
de cruauté. En effet, vous souhaitez assembler des
tresors, outre ceux qui vous sont acquis à iuste titre,
& pour arriuer à cette fin, n’osant prendre de
l’argent où vous le voyez autour de vous en amas,

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en vne infinité de riches bourses, ou le crime la fait
entrer, vous le cherchez dans le sein du peuple,
tout indigent & miserable qu’il est, parce qu’il est
indeffendu, & que sa plainte & son murmure ne
produit que d’impuissans desirs de reuolte, que
vous punissez par vn traitement plus cruel. En
quoy certes ie trouue ceux qui en vsent comme
vous, comparables à ces maris d’entre le vulgaire,
lesquels tremblans à l’aspect des Magistrats, des
Gentils-hommes, & de toutes les personnes qui
ont quelque petit relief dans leur pais, se vangent
de la haine de cette sujettion sur leurs femmes &
leurs enfans, parce qu’ils ne trouuent qu’eux dans
tout le monde ausquels ils puissent se faire craindre,
& sur lesquels ils ayent quelque sorte de iurisdiction.

 

Mais, Madame, vous deuez croire que la foiblesse
qui paroist abandonnée ne manque point de
sauue-garde, puis qu’elle est en la protection de
celuy qui peut tout, & c’est ce qui deuroit vous
rendre plus circonspecte, quand il s’agit d’exiger
des tributs immenses d’vn peuple, qui hors les anciens
peages, ne doit rien à vostre Majesté, qu’hommage,
obeïssance & respect, mais qui ne doit rien
du tout à ses loups de Partisans qui le déuorent,
estant de la mesme paste que luy.

Madame, les Prophanes mesmes ont remarqué
que la cause la plus apparente de la subuersion des
Estats, est cette oppression des innocens, dont ie

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plaide la cause deuant vostre Majesté. L’Escriture
Sainte, Madame, fournit beaucoup d’exemples, qui
font la preuue d’vne verité si reconnuë : mais les
fleaux que l’Ægypte souffrit si longuement sous le
regne du cruel Pharaon, parce qu’il redoubloit le
trauail des Iuifs, que Dieu luy commandoit de
mettre en liberté, sont dignes que vostre Majesté
les considere dans leur peinture, que les Liures de
Moyse luy fournissent, si elle n’aime mieux les
contempler dans les malheurs qui la pressent elle
mesme, & les perils qui l’enuironnent maintenant
dans la fin de cette guerre funeste, qu’elle n’a soustenuë
que pour n’estre forcée de finir cette persecution.

 

Madame, ie vous le repete encor, la plus grande
cause de la subuersion des Estats, est l’oppression
des Innocens. Ils ont esté cruellement traittez en
France depuis plusieurs siecles, & particulierement
depuis quarante ans. C’est ce qui menasse le regne
du Roy vostre Fils, d’vne funeste reuolution. Les
Tailles que vous faites payer auec tant de rigueur,
ne vous sont point deuës. Cette escume de la mer,
& ce present que la fureur des eslemens fait aux
hommes en jettant le sel sur les riuages de la mer,
ne vous doit aucun tribut. C’est opposer, comme
vous disiez tantost, vostre auarice, & vostre foible
puissance au torrent des graces, & des liberalitez
que le Ciel fait aux hommes. Donc, Madame, sçachant
que vous auez trempé dans ce mystere d’iniquité,

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& par consequent qu’il faut, ou qu’il ne soit
point de Dieu, ou qu’vne grande peine soit deuë à
tant d’offenses, sans vous amuser à de vains regrets,
faites que vostre repentir marche sur les traces
de vostre iniustice, pour produire des actes tous
contraires à ceux que vous auez exercés par le passé.
Rescuscitez par la cassation des tributs iniustes,
& la cessation de la guerre, ceux que vous auez en
quelque sorte fait perir par le redoublement des
vns, & par la continuation de l’autre. Souuenez-vous
de cette belle Ordonnance de Philippes Auguste,
qu’il laissa par reglement en son Testament
allant en la Terre Sainte, & qui fit prosperer son
saint Regne. [Nous voulons que la Reine nostre
honorée Dame & Mere, laquelle nous laissons Regente
en nostre Royaume, auec Guillaume Archeuesque
de Reims, nostre tres-cher & tres-fidelle
Oncle, assignent certain iour à Paris, où ils entendent
les plaintes de nos sujets, & leurs fassent
droit sur icelles selon l’honneur de Dieu & l’vtilité
de nostre Royaume.]

 

Iugez, Madame, si vous auez pratiqué cette
maxime, ou si vostre intention est maintenant de
la pratiquer : Mais sçachez, qu’il n’y a point d’autre
voye pour vous, d’apaiser l’ire du Dieu viuant,
deuant la face duquel il vous faudra comparoistre
auant peu d’années. Donnez donc quelque satisfaction
à vos Peuples affligez, & trompez la croyance
de ceux, qui voyans qu’on establit maintenant le

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Chef des Partisans, Chef du Conseil du Roy, iugent
qu’on à dessein de restablir cet infame commerce
qui sembloit tout à fait détruire, & fremissent
de courroux, & de ressentiment dans cette pensée,
qui les détache tout à fait de l’affection du Roy.
Madame, encore vne fois, la Monarchie Françoise
est menassée d’vne funeste reuolution sous le regne
du Roy vostre Fils : craignez d’en estre la cause, &
sçachez que si depuis long-temps, i’empesche auec
peine que l’ire de Dieu ne se porte tout à fait à la
destruire, pour cette oppression des Innocens où ses
Roys sont accoustumez, ie seray moy-mesme forcée
d’y consentir, & de voir enfin tomber l’ouura-
que i’ay si soigneusement esleué, si vous ne changez
vostre mauuaise conduitte en vne bonne, & ne
taschez d’inspirer au Roy vostre Fils, les sentimens
de Philippes Auguste, afin que par les mesmes effets,
il se fasse ainsi reconnoistre veritable Dieu-Donné.
Faites la guerre cependant, si vous le trouuez
à propos, aux insolents, aux ambitieux, aux temeraires,
s’il s’en trouue dãs vostre Royaume : Mais
s’il vous faut de l’argent pour cet effet, obligez ceux
qui ont pillé tous les biens du Peuple d’en fournir,
& faites grace à ce miserable qui n’en peut plus.
I’ay sujet de plaider la cause du Tiers Estat, puis que
ie fus de son sang, & i’ay sujet de plaindre le malheur
de vostre siecle, puis qu’au lieux où ie promenay
iadis le troupeau dont i’eus le soin, ie ne voy
plus qu’vne vaste solitude, & que des loups qui s’y

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promenent en forme d’hommes. Chassez donc, au
nom de Dieu, dont ie vous veux procurer la bienveillance,
tous ces loups des bords de la Seine, &
faites que la paix y nourrisse le calme & l’abõdance,
que Mazarin ne soit plus l’idole de vos sens, puis
que le Ciel permet qu’il vous quitte, & qu’il est vn
obstacle à vostre salut. Ayez tousiours deuant les
yeux l’image de vos violence passées, pour viure
tousiours dans la contrition, & si vous voulez encor
penser à la vengeance, pensez à vous vanger de
vos passions & du Mazarin, qui vous ont obligée
à commettre tant d’actes iniustes que la penitence
seule, peut effacer deuant les yeux de Dieu.

 

Ainsi, Madame, ie vous promets vne eternelle
assistance, & que lors que la mort viendra fermer
vostre paupiere, i’auray soin de conduire vostre ame
deuant le tribunal du Dieu viuant, & ne manqueray
de prendre vostre deffense deuant sa Diuine
Majesté.

Par ce discours, la Reine parut infiniment consolée,
& preparoit quelque repartie auec quelque
remerciment : Mais la Sainte, apres l’auoir encor
coniurée de n’exercer aucune violence enuers les sujets
du Roy son Fils, partit aussi-tost comme vn esclair,
& ne laissa dans la chambre qu’vne odeur tres-delicieuse,
auec beaucoup de satisfaction en l’esprit
de cette Princesse.

La Reine en mesme temps, honteuse de se voir
conuaincuë par des témoignages si bien expliquez,

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d’auoir eu moins de conduite dans sa Regence,
qu’Alix vefue de Louys de Ieune, ou Blanche, mere
de sainct Louys, protesta de renoncer à l’ambition,
& à tout autre attachement d’interest, pour
meriter par vn changement de vie, la grace que
Saincte Geneuiefue venoit de luy faire, d’obtenir
du Ciel son pardon, & de dissiper ses frayeurs dans
l’instant redoutable de la mort.

 

C’est ce qui fit que lors que Mazarin vint la
trouuer pour luy dire adieu, vne heure ou deux
apres, il la trouua toute changée, & qu’elle luy dit,
comme Aglaé fit autrefois à sainct Boniface, lors
qu’il n’estoit encor que son fauory. Ie vous ay donné
volontairement mon cœur, volontairement ie
le retire. Si nostre vnion a causé du mal, nostre separation
doit faire du bien aux mesmes sujets, qui
maintenant ont lieu de se plaindre de nous. Si ie
vous ay fait riche du bien de mes sujets, taschez de
le meriter par quelque grand seruice que vous leur
rendiez apres ce depart : Puis que vostre presence
leur est suspecte, faites leur du bien, sans qu’ils ayent
le déplaisir de vous voir dauantage. Adieu, partez,
viuez, & vous souuenez de moy, pour vous
obliger au repentir des fautes que l’ambition nous
a fait commettre, mettant toute la France en combustion,
ou faute de prudence pour étouffer les desordres
au point de leur naissance, ou par desir de
nous en conseruer l’empire absolu, au preiudice de
ceux qui ont plus de droit d’y aspirer. De ma part,

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ie veux pratiquer bien-tost vne retraite, où l’image
des maux que la France a sentis durant ma Regence,
fournisse tousiours des pleurs à mes yeux, & des
souspirs à ma bouche, & de cuisans regrets à mon
cœur.

 

A ce discours, Mazarin ne repartit que peu de
paroles, & s’en allant aussi tout consolé, fit voir
qu’vn Astre plus fauorable les éclairoit dans cette
fatale separation, qui selon les bruits de la France,
ne doit pas long-temps durer. Depuis ce temps-là,
tout semble incliner à la paix, mais quelques apparences
qu’on en voye, & quelques esperances
qu’on nous en donne, ie ne puis croire qu’elle vaille
mieux que la guerre, si la Reine & le Mazarin
n’entrent dans les sentimens que ie viens de témoigner,
& continuent leurs pratiques comme par le
passe. Quoy qu’il en soit, apres auoir fait vne
mauuaise épreuue de l’vne, il nous sera doux de
gouster vn peu de l’autre, qui dans cet interuale de
troubles, nous fera voir du moins, que dans les
Estats mal regis, comme le nostre est à present, la
paix est vn renouuellement de guerre, à laquelle
in nous faut déja preparer.

FIN.

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Anonyme [1652], LES CONVVLSIONS DE LA REYNE LA NVIT DE DEVANT LE DEPART DE MAZARIN. Auec la consolation qu’elle receut par l’apparition d’vne bonne Sainte, Cause de la resolution qu’elle a prise de ne plus souhaiter le retour du Mazarin, de peur de mettre son Royaume en combustion pour la troisiéme fois. , français, latinRéférence RIM : M0_791. Cote locale : B_4_21.