Anonyme [1649], ENTRETIEN POLITIQVE DE IAQVELON ET DE CATAV. SVR LE RETOVR DV ROY. , françaisRéférence RIM : M0_1243. Cote locale : C_7_74.
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ENTRETIEN POLITIQVE
DE
IAQVELON
ET DE
CATAV.

SVR LE RETOVR DV ROY.

M. DC. XLIX.

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ENTRETIEN POLITIQVE
DE
IAQVELON,
ET DE
CATAV.

MA chere Catau, le Roy ne reuiendra donc iamais
à Paris, ny par consequent nos culs troussez, qui
nous protegeoient enuers, & contre tous, qui nous amenoient
des nouueaux venus, qui nous menoient promener,
& nous faisoient passer le temps si agreable
ment ?

Catau.

Ma pauure Iaquelon, tu me demandes vne chose
que ie ne sçay non plus que toy, & où il m’interesse autant
que ie sçaurois faire.

Iaquelon.

Mais encore, dis moy ton sentiment : car ie l’ay
tousiours trouué raisonnablement toutes tes responses, tu
as plus de connoissance que moy, & ton seruiteur qui
est plus ancien à la Cour que le mien t’a mieux instruite
de tout ce qui s’y passe, & t’a donné des lumieres
que ie n’ay point. Le bruit commun est que le Cardinal
[1 mot ill.] pas reuenir icy, le Roy n’y reuiendra non

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plus, d’autant que ne voulant pas le congedier, ny l’exposer
à la veuë d’vn peuple irrité, il faut qu’il s’absente
pour l’amour de luy, de son ordinaire seiour.

 

Catau.

Ie ne sçay pas bien ce qui arriuera : mais s’il est permis
à des honestes personnes comme nous de raisonner des
affaires d’Estat, ie croy absolument que si rien n’empesche
le Roy de reuenir à Paris que la crainte que le Cardinal y
soit mal receu. Nous les y verrons bien tost : car ie t’asseure
qu’il n’y a homme ny femme qui ne les y souhaitte.

Iaquelon.

Tout le monde sans doute souhaitteroit auec passion
que le Roy y fut. Mais pour le Cardinal ie ne le croy pas.

Catau.

Il est vray qu’on se passeroit bien à Paris du Cardinal ;
mais il est vray aussi que le Roy ny voulant pas venir sans
luy, il n’y a qui que ce soit qui n’ay mat mieux les y voit tous
deux que de n’en voir pas vn. Hé ma pauure Iaquelon, ne
cognoy-tu pas le peuple, & particulierement le peuple de
Paris ; il a pesté, il a grondé contre le deffunt, qui neantmoins
n’a pas laissé de regner paisiblement l’espace de
20. au. 21. an, tout le monde luy souhaittoit du mal, mais
personne ne luy en osoit faire.

Iaquelon.

C’est ce qui m’estonne & qui me surprend beaucoup ; qu’il
se soit trouué des Clements, & des Rauaillacs pour
assassiner les meilleurs : & [1 mot ill.] plus grands Roys de
l’Vniuers, & qu’il ne s’en trouue point pour nuire à
des Fauoris indignes, qui nous tyran[1 mot ill.] N’est-ce
pas chose estrange, que cent millons d’hommes, souhaittent
la perte d’vn, sans se mettre en deuoir de luy mes faire,

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que l’on écriue, & que l’on murmure de tous costez, & qu’il
n’y ait que du papier, & des paroles qui soient les instruments
de leur colere ? Ie gage mesme que cét entretien secret que
nous auons ensemble deuiendra public, & que les Colporteurs
le vendront vn sol tapé.

 

Catau.

Ie n’en doute point, & tu ne doit pas trouuer si estrange,
qu’vn homme haï de cent millions d’hommes subsiste estant
aymé de trois où quatre personnes qui sont plus puissantes :
l’amitié d’vn Roy où d’vne Reyne peut mieux conseruer vn
Ministre, que la hayne de tous les suiets ne le peut détruire ; la
raison est que celle-là agit efficacemẽt, & celle-cy se cõtente,
& se repais ordinairement d’imprecations. On le voudroit
bein lapider, mais au diable l’vn qui veut ietter la premiere
pierre, & pour trancher court, chascun s’ayme plus
qu’il ne hayt le Cardinal.

Iaquelon.

Tu es droit sur le but, mais d’où vient qu’il s’est trouué
comme ie disois, des mal-heureux qui ne se sont pas tant aymez
qu’ils ont hay les Roys qu’ils ont tuez, puis qu’ils ne
pouuoient vray semblablement esperer l’impunité de leur
attentat ?

Catau.

C’est là vn secret que de grands Politiques seroient empeschez
de manifester, & ie n’en sçaurois dire autre raison,
sinon qu’il n’y a plus de ces desesperez en France, & que le
vray zele ne s’empare pas si aysement de l’esprit des hommes,
comme le faux : ces miserables estoient persuadez
que c’estoit faire sacrifice agreable à Dieu, que de luy donner
ses images pour victimes. La Religion rend capable vn
homme des entreprises les plus difficiles, & les plus dangereuses :
or cõme il ne s’agit pas icy de la Religion, ie croy que

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la tranquilité publique que l’on pourroit esperer de la mort
d’vn homme, n’est pas vn assez puissant motif pour en faire
denoüer quelqu’vn qui s’exposast pour tous les autres. Il n’y
a plus de Curtius qui se veuille precipiter dans l’ouuerture
de la terre pour la fermer, mais si quelqu’vn de nos galands
nous ecoutoient sur vne matiere si haute, il nous prendroit
pour des possedées ; car à moins que d’auoir le Diable dans
le corps, il semble que des filles de nostre vacation ne puissent
pas discourir d affaires d’Estat.

 

Iaquelon.

Pourquoy non, tu as tousiours esté esleué à la Cour parmy
les Pages & Valets de pied qui ne sont pas tant mauuais Politiques ;
moy mesme depuis que ie les hantes, ie me sens
toute éclairée ; les Lettres que nous receuons d’eux tous les
iours nous entretiennent dans ceste cognoissance, mais à
propos, que te mande chose, ton seruiteur.

Catau.

Que la Cour est à Amiens, dont Monsieur le Cardinal est
absolu, tant de la Ville que de la Citadelle, & qu’il a le Gouuernement
de Picardie, où il y a de fort bonnes places, qu’il
s’en doit aller à Arras pour traiter de la paix generalle. Ton
seruiteur ne despense pas beaucoup en espions, & n’a pas
l’entrée du cabinet, car ie t’asseure que par le Vidame d’Amiens
& Monsieur d’Oquincourt n’ont point voulu remettre
leurs places entre les mains du Cardinal, ils ont dit qu’ils
les garderoient iusques à la Maiorité du Roy, qui les leur
ostera, où les leur laissera quand il sera maieur.

Iaquelon.

Si le Cardinal reüffit, il se mettra bien dans l’esprit du peuple
& principalement dãs le nostre, car si nous auions lapais,
nous gagnerions plus de pistolles que nous ne font de quarts
d’escus.

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Catau.

Ie ne sçay laquelle nous est plus aduantageuse, de la paix
ou de la guerre ; car si nous ne gagnons pas tant durant la
Guerre nous viuons auec plus de liberté : la paix est ordinairement
la mere de l’ordre & de la Police qui ne sont pas
necessaires à la vie que nous menons, ny à celle de nos braues
qu’on appelle vulgairement filoux si nous auons la paix, les
Commissaires nous feroient la guerre comme tous les Diables.

Iaquelon.

Ouy, mais auec de l’argent nous les appaiserions, & de
deux choses l’vne, où nous n’entrerions point en prison, où
nous en sortirions bien tost, mais à present l’on nous prendroit
pour vn teston.

Catau.

Au contraire, n’ayez pas peur que la Iustice nous dise rien,
à present qu’elle sçait bien que nous n’auons pas le sou ; certes
il vaut bien mieux n’aller point en prison faute d’argent,
que d’en sortir en ayant beaucoup donné. Que nous ayons
donc la paix où la Guerre, cela nous doit estre assez indifferent,
comme aussi que le Mazarin s’en aille où qu’il demeure :
la chose où nous auons interest, c’est que le Roy reuienne
à Paris, il semble que l’vn sans l’autre n’ont pas tout ce qui
est necessaire à leur éclat, & à leur grandeur, mais sur tout
nous autres ne sommes pas bien sans nos culs troussez, ny
eux sans nous Le Cardinal a beau faire la paix generalle,
& marier ses Niepces aux Princes, s’il empesche le retour du
Roy à Paris, il ne sera iamais bien dans nostre esprit, & ce
n’est pas peu de chose que d’estre hay de nos semblables
dans Paris, puis que nous sommes en assez bon nombre.

Iaquelon.

Que le Diable luy torde le col s’il empesche le Roy de venir,

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mais autrement ie ne luy veux point de mal ; car puis qu’il
faut necessairement que des Cardinaux gouuernent la France,
i’ayme autant que ce soit celuy là qu’vn autre.

 

Catau.

Et moy aussi.

FIN.

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