Anonyme [1649], LE ZELE ET L’AMOVR DES PARISIENS ENVERS LEVR ROY. , françaisRéférence RIM : M0_4082. Cote locale : A_5_21.
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LE ZELE
ET L’AMOVR
DES PARISIENS
ENVERS
LEVR ROY.

A PARIS,
Chez PIERRE DV PONT, au Mont Sainct
Hilaire, ruë d’Escosse.

M. DC. XLIX.

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L’VNION ESTROITE ET L’AMOVR
ardant des Roys & de leurs Sujets, par l’exemple du
Roy de France & des Parisiens.

ENTRE les Roys & les Sujets il y a vne relation si belle & si
harmonieuse, qu’il s’en engendre dans les cœurs vne affection
ardante & naturelle : & quoy qu’il semble que la grandeur des
vns soit contraire à la bassesse des autres ; & que l’obeïssance
soit infiniment éloignée du commandement ; il arriue toutesfois,
que cét éloignement & cette contrarieté, n’empesche point que tous
ensemble ne s’approchent, & ne s’attachent par les puissans liens d’vne
amour extréme.

Cette verité dont nous voyons tant de rares & de beaux exemples, n’est
point vne verité hazardeuse ; ces fondemens sont plantez dans le cours de la
nature & de la raison. Naturellement toutes choses ayment ce qui contribuë
à leur subsistance ; comme elles haïssent ce qui la ruine & les fait perir : Il n’y
a point de vegetaux ny d’animaux au monde ; il n’y a point d’indiuidu, ny
d’espece de chose viuante, qui ne cherisse ce qui l’entretient : Les estres
mesmes insensibles, si l’on leur pouuoit considerer quelque action, ce ne
seroit que ce sentiment.

Le mesme effet passé de la nature aux choses moralles, & sur le fons de cét
ordre naturel ce pose & s’establit celuy de la raison. Nous aymons ceux qui
nous protegent dans les biens du monde ; celuy qui soustient nos dignitez ;
celuy qui conserue nos richesses ; celuy qui deffend nostre honneur, nous
est pretieux. Nous cõsiderons ceux dont nous receuons des faueurs comme
le Soleil est consideré de la Lunc, dont elle reçoit sa lumiere ; si elle pouuoit
s’exprimer, elle le nommeroit son bon maistre, ou son cher frere.

Dans la Religion mesmes, ceux qui soustistennent nostre foy, qui nourrissent
nos ames de la nourriture celeste, nous sont venerables : & quelque
qualité qui nous illustre, la leur nous est tousiours saincte & respectueuse ;
& leur presence nous imprime tout à la fois, la crainte auec le respect.

Si donc toutes choses, autant des naturelles que des moralles, & des moralles
que des Chrestiennes, se sentent doucement forcées de cherir ce qui
les fait subsister ; Les Roys pourroient-ils n’aymer pas leurs fidelles Sujets,
par qui seuls ils sont maintenus ? Quelque grande difference qu’il y ait entre
les Peuples & les Princes, les Princes doiuent cherir les Peuples, puis que
sans eux ils ne le seroient pas. Le Monarque considere les Sujets comme
membres du corps dont il est la teste, & auquel par consequent il ne peut
arriuer de douleur qu’elle n’aille iusques à luy : Autant qu’il en a qui luy
obeyssent, sont autant d’instrumens dont il reçoit vne infinité de seruice : ce

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sont ses bras, ses mains, & ses jambes ; auec eux il fait tout, & sans eux il ne
feroit rien.

 

Ainsi les Suiets dans vne pareille impuissance esprouuent vn mesme
amour. Ie dis vne pareille impuissance ; car ils ne sont pas plus puissans pour
estre plusieurs : Leur nombre sans conduite n’est qu’vne confusion plus
grande, & vn desordre plus dangereux. A quoy peuuent seruir tant de bras
sans teste ? Que deuiendront tous les membres d’vn corps, si ce corps est
priué de chef ? Il faut pour rendre vn tout accomply luy donner toutes ses
parties, autrement il est imparfait ; & si celles qui manquent sont necessaires,
la ruine suit son imperfection. Or le Prince & les Suiets en l’Estat sont des
parties necessaires, si l’vn des deux manque l’Estat est perdu. Quand l’on
abat les murs d’vne maison, ou les fondemens, ou ruine en mesme-temps
tout l’edifice. L’homme meurt si l’on oste l’ame du corps, ou le corps à l’ame :
& l’Estat ne peut subsister si l’on en bannist les Suiets, ou bien le Monarque.
Sans celui-cy le reste n’est qu’vn chaos de trouble & de desreiglemens
estranges ; chacun feroit à sa phantaisie : & comme l’homme est mauuais
naturellement, on ne verroit dans le monde que crimes ; le fort opprimeroit
le foible, tous seroient tyrans si nul n’estoit Roy. Sans ceux-là, il n’y
auroit de Roy qu’en Peinture ; quelqu vn pourroit auoir des tiltres vains,
la Puissance n’auroit point de regne ; on ne commande point quand nul n’obeyst.
Il faut donc pour subsister que les deux subsistent ensemble, & que
comme ils se protegent mutuellement ils s’ayment de mesmes ; car aussi
leur protection est la principale cause de leur amour.

Si quelqu’vn vouloit renuerser l’ordre inuariable de cette harmonie merueilleuse,
& dire qu’il n’est pas tousiours necessaire qu’vn Roy & des Suiets
subsistent ensemble, pour faire qu’vn Estat subsiste ; Qu’il y a vne infinité
d’Estats qui ne recognoissent point de Monarque, & qui viuent sous
vn autre gouuernement ; le ne m’arresteray point à vne obiection si vaine,
& ie n’en interromperay point mon discours. Ie la nomme vaine, & elle est
telle ; pource qu’elle ne fait qu’éfleurer la superficie des choses, & n’entre
pas iusques au fonds. Que celuy qui s’en voudra seruir considere, quelque
sorte de gouuernement que ce puisse estre, & il verra que la Monarchie regne
par tout. Soit que les Nobles ou le Peuple, conduisent les Republiques,
ou que les vnes & les autres le fassent ensemble ; soit qu’il y ait plusieurs
Consuls, ou qu’il y en ait peu ; quand mesme autant d’hommes qu’en
peut auoir l’Estat le plus vaste du monde, donneroient tous leurs voix sur
chaque matiere politique, & que tous ensemble contribuëroient à sa conduite,
si n’empescheroient-ils pas que de tant de puissances dépendantes,
n’en resultast vne souueraine, qui ne peut-estre autre chose que la Monarchique.
C’est elle-mesme de fait qui n’a pas tant de force à cause de son
trop d’étenduë, étant diffuse en tant de mains, elle est plus foible en chacune
d’icelles ; & l’on voit bien assez quand par vn vniuersel consentement
toutes ses mains s’vnissent & ce déterminent à mesme chose, que c’est le
mesme pouuoir, qui pour exister differemment ne laisse pas d’estre la mesme
essence.

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La Souueraineté est vn droict à qui tout obeyt, & à qui rien ne resiste ;
& comme dans les Republiques, il se doit necessairement trouuer quelque
chose de cette nature, la Souueraineté ne s’en sçauroit bannir. Si ces villes
qui se gouuernent par la voye des Sages, ou des peuples, ou des peuples &
des Sages ensemble, n’auoient rien de Souuerain ; leurs loix ne seroient pas
loix, ce seroient plutost des chansons. Ce qui donne authorité à leurs Ordonnances,
c’est vne Souueraineté inuisible, qui se fait sentir sans se faire
voir. Mais tousiours c’est vne Souueraineté : & quoy qu’elle ne subsiste
pas dans le nom, c’est assez qu’elle subsiste dans la chose.

Cette Monarchie ou visible ou occulte, quoy que l’on puisse dire, regne
par tout. Les maisons particulieres la reconnoissent aussi bien comme les
Empires : Le chef de famille represente le Souuerain. Ie ne diray point
que les animaux irraisonnables par vn instinct de la nature, souuent moins
fautif que la raison ; suiueut cét ordre & reconnoissent des Rois. Passons
plus loing : montons plus haut, & disons que toute la nature ensemble adore
vn Monarque vniuersel ; ce grand Dieu tout puissant, au dessus de qui
rien ne se trouue, & sous qui toute la terre obeït.

Apres cela, ie ne croy pas qu’on voulut dire qu’il y ait quelque chose au
monde exempt du pouuoir Souuerain. S’il s’en trouuoit quelqu’vne, elle
seroit errante & vagabonde ; faute de conduite elle se perdroit. C’est à ce
point que tout le Gouuernement politique s’aboutit, comme à son centre ;
c’est la base & le fondement de tous les Estats.

Aussi Dieu donne aux personnes qui le possedent des forces extraordinaires
pour appuyer bien vn faix pesant. Il imprime dans l’ame des Rois de
certains mouuemens de grace, qui les rendent quelque chose de plus que
les autres hommes. Quand il voulut faire Roy Saül, il l’inspira de son esprit,
& luy changea les mouuemens du cœur. Il donna à Dauid vne saincteté
extreme, & à Salomon vne Sapience incomparable. Ces qualitez mesmes
interieures, ietrent sur le visage vn esclat exterieur, qui les rend plus Maiestueux
que le commun.

Ainsi quand mesme ce ne seroient pas les deffenseurs & les Peres des
peuples, leurs belles qualitez les feroient cherir. Le nom mesme de Roy a
quelque charme inéuitable qu’on ayme : & le son tout seul en est doux,
iusques au point de charmer les cœurs les plus durs. Il n’y a iamais eu que
les seuls Romains à qui ce nom ait donné de la hayne : tous les autres peuples
de la terre en ont receu de l’amour. Mais leur caprice en cela s’est
monstré bien extreme, de ne pouuoir souffrir vn nom dont ils ont bien
souffert la puissance. Comme si les consuls & les Dictateurs eussent mieux
valu que des Rois, ils ont voulu nommer leurs Rois, Consuls & Dictateurs.
Car enfin qu’estoit tout leur gouuernement qu’vne Royauté diuisée ;
qui n’en estoit pas moins Souueraine pour estre moins durable, mais qui en
estoit seulement plus pernicieuse. Ceux qui n’ont point voulu ioüer tant
de feinte, ont appellé du nom de Roy leurs Conducteurs : Et ce nom a
tousiours donné tant d’amour aux peuples, que les hommes qui l’ont porté
en ont esté considerez comme des Dieux.

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Et de fait, si dans la sainte parole les Iuges sont ainsi nommez ; les Rois
qui sont les Souuerains Iuges de la terre ; establie (comme disoit de Salomon
la Reyne de Saba) pour faire iugement & iustice, ne le seront-ils pas
aussi. Ils sont Dieux veritablement en quelque sorte ; le rapport qu’ils ont
auec la Puissance diuine leur permet, peut s’en faut ; cette qualité, aussi
leurs personnes sont-elles sacrées, & ce n’est pas vn moindre sacrilege de les
offencer que de renuerser les Autels.

Ainsi les ames bien instruites, & que la crainte du Dieu souuerain accompagne ;
considerant sa grandeur & sa Maiesté depeinte dans ces Souuerainetez
de la terre ; les respectent & les honorent, & leur conseruent inuiolables
toute sorte de fidelité & d’amour. Tellement que comme nous reconnoissons
ne tenir & ne receuoir rien d’ailleurs que de la main du Premier
de tous les Monarques ; nous donnons tout librement à ces augustes
Lieutenans. S’ils ont besoin des biens que chacun de nous possede, nos
coffres leur sont aussi-tost ouuerts : Et s’il faut ioindre à nos biens nos vies,
& leur consacrer nostre sang & nos richesses, nous n’auons rien que nous
ne leur donnions de bon cœur. Dans les perils les plus euidens nous courons
la teste baisee, & quant ils le veulent & qu’ils nous commandent, la
mort ne nous peut effrayer. Nous voyons mourir deuant nous pour leur
seruice vne infinité de nos compagnons. Le trespas se presente à nos yeux
sous mille sorte d’hideuses images : tantost vne mine esleue contre nous
des montagnes de terre ; cent mousquets esclattent en murmures espouuentans ;
nous ne sentons de toutes parts que pointes d’especs, de picques,
& d’hallebardes ; nous entendons de tous costez gronder le tonnerre du
canon qui vomit les foudres ardans. Celuy-la en est brisé en mille pieces
celuy-cy meurt de son seul vent alumé. L’vn tombe sans dire en mourant
vne seule parole ; l’autre iette des cris sensibles & douloureux. La terre
est couuertes de morts & de mourants. L’air est plein de balles & de boullets,
de flames & de fumée. Le Ciel retentit du bruit des canons & des
plaintes des miserables. En voila vn qui perce la gorge à celuy là d’vn coup
d’espée ; cetuy-cy fend la teste à cét autre d’vn coup de sabre ; ce caualier
tombe percé d’vn coup de picque : Cette descharge de mousquetaires vient
de renuerser par terre tout ce premier rang de gendarmes. Plus ces deux
escadrons s’approchent, & plus ils diminuënt, leurs pistolets sont mortels
aux vns & aux autres. Enfin de toutes parts regne le carnage & l’horrenr.
Dans ces combats tout est formidable, mais n’importe ; c’est nostre
Prince qui nous y enuoye, & nous y faut vaincre ou mourir.

Encore ne sont-ce-là que des ieux, & les moindres des maux que nous
voudrions souffrir pour nostre Monarque. Les grands courages y couroient
de gayeté de cœur. S’il se pouuoit trouuer quelque preuue d’amour
plus signalée à luy rendre, nous sommes prests de la luy donner. Il
n’est point de fatigue imaginable, qui à plusieurs personnes est plus sensibles
& plus à craindre que le danger mesme des batailles ; il n’est point de
nuit à passer ; de froid à souffrir ; de chaud à supporter ; de pluye & de neige
à receuoir. Il n’est point de mauuais pas à franchir 3 de precipices, ny

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d’abysmes à s’exposer ; que nostre affection apprehende & ne braue pour
l’amour de nostre cher Prince. Que nous pourroit-il commander que
nous ne fussions bien ayses de faire ? Ce cher Roy ; que Pourroit-il desirer
de nous, à quoy nous ne nous resolutions pas.

 

Nostre fidelité est assez conneuë par nostre souffrance, & les preuues
de nostre amour sont assez grandes dans nostre mal-heur. Il y a long-temps
que pour l’amour de luy nous auons enduré les tyrannies de ces infideles
Ministres : Et que sans nous plaindre nous auons veu regner impunément,
la barbarie de ces cruels bourreaux. Il y a long-temps que l’on nous tient
dedans la gehenne, & qu’on a mis aux fers nostre liberté. Le nom seul de
nostre Monarque, à la faueur duquel nos ennemis nous ont persecutez,
nous a fait souffrir nos douleurs sans murmure. Nous auons respecté les
mains violentes dont nous souffrions la rage extreme ; pource qu’elles agissoient
en ce nom sacré.

Qui ne sçauoit pas les meschancetez de Iulles Mazarin, ce Ministre perfide
a nostre ieune Monarque ; & ce lasche seducteur de son Illustre Mere ?
Est-il quelque François assez aueugle ; pour n’auoir pas connu les pernicieux,
& les grossiers artifices dont cette ame execrable tramoit les desseins
de nostre ruine ? Lerida & les mal-heurs de Monsieur le Prince en Catalogne
nous l’ont trop appris. Landrecis, Dixmude & Courtray en Flandres,
nous en ont trop enuoyé de nouuelles. Orbitelle, Piombine, Portolongone,
& Naples en Italie, nous l’ont trop dit & trop découuert pour l’ignorer
encore ; les exactions qu’il a commises dans tout ce Royaume : Ces extremes
& ces inhumaines violences que nous auons diuersement ressenties,
nous en ont trop instruit pour en auoir souffert le doubte. La malice de ce
cruel fauory nous a donc assez esté reconnue, & toutesfois nous l’auons
soufferte ; pource que nous nous sommes imaginez qu’il estoit en quelque
sorte ou plaisant ou vtile à nostre Monarque.

Mais enfin nous voyons bien qu’il ne peut estre ny l’vn ny l’autre. Il ne
luy est plutost rien que tres-funeste ; puis qu’il medite la ruine de son
Royaume, ny que tres-desagreable, puis qu’il le priue de la veuë de son
peuple. Nous sçauons bien que nostre Roy nous ayme, & qu’il ne peut
que haïr celuy qui nous le rauit. Nous sçauons bien que son cœur innocent
gemit sous la tyrannie de la malice de ce barbare. Nous sçauons bien que
souuent il demande Paris, & qu’il ne peut viure esloigné de nous.

Rend nous donc nostre Roy, cruel, & ne captiue pas plus long-temps le
plus grand Prince de toute la terre. Si l’Espagne & si l’Angleterre ont eu
en diuers temps deux de nos Monarques prisonniers, dont la vertu fut trahie
par le caprice de la fortune : Est-il iuste, & c’est il iamais veu qu’vn
Espagnol tint vn Roy de France captif dans sa propre maison Royalle. Pense
à ce que ta rage execute, indigne Sicilien. Fremit tyran, de la haute & de
la temeraire insolence de ton crime. Mais qui pourroit esperer d’amollir
cette ame de bronze, que les pleurs de nostre Roy n’amollisse pas. Si la prudence
du Parlement n’en vient about, & les armes que tient en main cette
souueraine Iustice, ne triomphent de ce perfide ; en vain poussons-nous des

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souspirs ; en vain l’air retentira-t’il de nos plaintes. Il faut confondre violence
par violence ; il faut estre cruel à cét inhumain. En cette occasion toutes
sortes de rigueurs sont genereuses ; on ne sçauroit pecher contre vn
desloyal.

 

Mais en attendant, qui pourra consoler nostre amour extreme ; ce cher
Roy ne paroist plus icy. O douleurs ! plus viues & plus penetrantes qu’exprimables.
Esperance à nos cœurs douce & cruelle tout à la fois ! Vous nous
le faites esperer, mais helas, cét espoir n’a point pour nous les charmes de la
iouyssance. Que ce bien est petit, au prix du mal que nous souffrons, &
que tout reiouyssant qu’il est, il se confond aysement dans vne si profonde
tristesse. Suiets desolez que demendrons-nous priuez de nostre cher Roy ?
Membres mal-heureux que ferez-vous, on vous a osté vostre teste ? Helas
nous voyons bien icy par tout briller l’authorité Royalle. Mais nostre Roy
ne paroist point ! Astre Royal d’où s’émane vne si diuine lumiere, venez
aussi briller parmy nous. Quelque grand iour qui esclaire le monde, il n’est
rien qu’vne belle tristesse quand le Soleil demeure caché. Grand Prince,
percez ces noires ombres, qui dérobent à nos yeux vostre beau visage, ils
n’auoient pas accoustumé de le voir si long-temps absent.

Encore si nos crimes meritoient vne separation si douloureuse : si nous
auions peché contre vous ; au lieu de nous plaindre nous nous punirions.
Mais helas, nous vous auons tousiours aymé d’vne ardeur extreme : Nous
auons fait pour vous plus que nous ne pouuions. Nous sommes innocens,
Sire, nous sommes innocens, quoy que l’en nous traitte en coupables ; ouy,
Sire, nous le sommes autant pour le moins comme mal heureux.

C’est ainsi que tout Paris soûpire dans l’absence de son Monarque, &
qu’il solemnise ces déplaisirs par ces regrets.

Que si dans ce rencontre il prend les armes, sa generosité n’empesche
point sa douleur. Au mesme cœur dont il brusle pour sa vengeance, il sent les
glaces de son desespoir : Et ce n’est pas chose fort nouuelle, que de combatre
les maux qu’on ressent : La douleur ordinairement anime le couroux
à son aide ; & la puissance concupiscible reclame naturellement l’irrascible à
son secours.

C’est vne coustume toute ordinaire, & beaucoup ancienne, de chercher
ce qu’on a perdu : & quand ceux qui nous l’ont pris ce deffendent de nous
le rendre, on fait ces efforts pour le racquerir : oster le Roy à ces Suiets,
c’est leur rauir le bien le plus cher qu’ils ayent au monde : Pourroient-ils
moins faire que de courre aux armes pour le recouurer. Outre que les Parisiens
entendent les cris de leur ieune Monarque, & qu’ils sont asseurez que
cét éloignement luy desplaist autant comme à eux. C’est donc pour eux
qu’ils ce resoudent à la guerre ; ces soûpirs les ont irritez : Ils ne peuuent
voir leur Roy prisonnier dedans son Royaume sans vne iuste indignation :
ils ne peuuent souffrir vn Etranger aux portes de Paris, faire la loy à leur victorieux
Monarque ; Ils ont assez long-temps pris patience ; ils ont veu
bouluerser toute la France sans rien dire ; mais ils ne sçauroient voir maltraiter
iour Prince sans murmurer.

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Cette captiuité où sa personne sacrée est reduite leur fait horreur ; ce peu
de respect qu’on luy porte leur fait honte ; la rigueur auec laquelle on traite
cette illustre ieunesse leur fait pitié.

Quel Empire est celuy que prend ce Ministre orgueilleux, cét homme de
basse naissance, de faire ce qu’il veut, de gouuerner comme il luy plaist ; le
plus superbe Souuerain de toute la terre.

Vos larmes sont iustes Parisiens desolez ; cét obiet est bien pitoyable &
tendre ; quels rochers, quels marbres seriez-vous, d’estre separez de vostre
Chef ; de voir cét oing de Dieu qu’il vous a donné, ce pretieux gage de son
amour ; ce fruit bien-heureux de vos vœux & de vos prieres : de voir ce premier
Roy Chrestien, de voir ce Fils aisné de l’Eglise, que toute l’Europe
redoute, que toute l’Asie respecte, que toute l’Affrique & les Païs les plus
incognus attendent : De le voir, dis-je, au pouuoir d’vn homme aussi vil
qu’il est detestable. Pleurez, pleurez, meslez vos regrets à vos armes ; faites-vous
vn exercice continuel de plaintes & de combats : N’abandonnez iamais,
ny douleur, ny courage, que vous n’ayez vangé vostre Prince. Le deuoir
de fidelles Suiets vous oblige à cette genereuse & triste entreprise. Que
diroient de vous les autres Nations, si vous abandonniez vostre Roy ? Quel
outrage vous feriez-vous à vous mesmes, si vous ne secouriez vostre Chef ?
Quel compte auriez-vous à rendre à Dien, si vous laissiez indignement traiter
son Lieutenant qu’il vous a donné ? Faites donc vostre deuoir, trempez
vos armes au sang des ennemis de ce Royaume, qu’ils ont bien peu moüiller
de vos pleurs. Vangez l’oprobre de vostre Patrie, sur le plus pernicieux
de tous les mortels. Percez ce cœur criminel, où ce sont esclos tous les
noirs desseins de son mal-heur. Tirez vostre Roy de l’infamie de son
esclauage ; & par vne fameuse & funeste Catastrophe, apprenez à tous les
Suiets de la Terre, en la perte de Mazarin ; Que le mespris qu’on a pour les
Princes, & l’irreuerence dont on les traite, ne peut manquer dans ce monde,
ou dans l’autre, de seuere & de redoutable chastiment.

FIN.

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