Anonyme [1649], LE VERITABLE TABLEAV DE LA CALOMNIE ET LE PORTRAICT DES Medisans, exposez en public, par la Vertu triomphante du Vice. AVEC VN DISCOVR MORAL, SVR le mesme sujet. , françaisRéférence RIM : M0_3965. Cote locale : A_7_67.
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LE VERITABLE
TABLEAV
DE LA
CALOMNIE
ET
LE PORTRAICT DES
Medisans, exposez en public,
par la Vertu triomphante
du Vice.

AVEC VN DISCOVR MORAL, SVR
le mesme sujet.

A PARIS,

M. DC. XLIX.

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LE VERITABLE TABLEVA
de la Calomnie, & le portraict des
medisans, exposez en public, par
la vertu triomphante du vice.

AVEC VN DISCOVR MORAL ;
sur le mesme sujet.

Comme il n’est point de crime plus
grand que la calomnie ; il ne me
semble pas iuste de taire le vice des
medisans, qui par la meschanceté
de leur langue s’efforcent de ruiner
la reputation de leurs prochain, sans excepter
ny Thiare, ny Pourpre, ny Sceptre, ny Couronne,
ny Diademe.

Ce crime est auiourd’huy si commun parmy le
monde, que ce seroit vn tres grand bien si l’on
pouuoit arrester les outrages que font ces mauuaises
langues, qui sont en vn aussi grand nombre
que les moûches qui se voyent en Esté, &
dont l’on ne peut s’empescher d’estre piqué,
quelque peine & quelque soin que l’on y prenne
pour s’en garentir.

La pluspart des hommes de ce temps, & mesmement

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les Escriuains prennent tant de plaisir à
commettre ce crime, que leur esprit n’est iamais
satisfait, que lors qu’ils l’exercent soit de parole
ou par écrit, à forger des calommes pour ruyner
le renom de ceux qu’ils feignent bien souuent
d’aymer d’auantage. Encore que la medisance
soit familiere & agreable, à plusieurs personnes,
& au monde mesme, si est-ce toutefois
que le monde la deteste, & là en vne fort grande
horreur, & quiconque y voudra regarder de pres,
m’auoüera que le peché de celuy qui medit de
son prochain pour les faire haïr, est vn plus grand
crime que d’ôter le pain de la bouche du pauure,
& necessiteux ; car comme l’ame est plus pretieuse
que le corps, il est indubitable que c’est peu
faire d’oster la nourriture de celle-là, que de la
rauire à celuy-cy Il sera peut estre auis à quelqu’vn,
que ie sois contredit, en ayant allegué que
la calomnie est agreable au monde, & que le
monde ne laisse pas de l’auoir en haine. Pour accorder
ces deux contraires ensemble, ie vay monstrer
que ie ne me suis point equiuoqué, & que
i’ay à respondre, que nostre naturel vicieux
est de telle sorte incliné à ouïr parler des imperfections
d’autruy, qu’il semble que ce soit l’vn
des plus grands plaisirs, qu’il puisse receuoir.

 

Mais quoy que nous prenions du contentement
à entendre ainsi médire de nôtre prochain,
ne me confessera-t’on pas que quand on nous calomnie,

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que nous ne pouuons pas souffrir qu’on
discoure à nostre desauantage, soit auec raison
ou soit auec iniustice ? L’on ne s’estonne pas de ce
qu’il nous deplaise d’estre blasmez : mais il faut
faire sçauoir pourquoy nous sommes bien aises
d’entendre blâmer les autres, & cette distinction
n’est pas inutile.

 

Ie croy que ce qui est cause que nous sommes
contens d’oüir bien dire de nous ; & d’entendre
mal parler de nostre prochain, ce sont deux grãds
ennemis qui sont chez nous, l’Enuie & l’Ambition.
Ces deux pestes qui infectent les meilleures
consciences, se logeans en nous, coniurent contre
nous mesmes, & nous contraignent d’estre
fachez du bien d’autruy, pour nous faire desirer
de paroistre les seules gens de bien & de vertu :
mais en passant outre, ie veux dire vne chose qui
étonnera beaucoup de personnes, qui la croiront
étre du tout contraire à la raison.

Il y a de deux sortes de medisans, les vns que
l’on doit füir, & les autres qui sont pires, que l’on
ne doit pas reietter. I’appelle les meschans calomniateurs,
ceux qui sans crainte, qui sans honte,
& qui sans aucun respect ny distinction, s’efforcent
par leurs discours, de diminuer en secret
ou en public la renommée d’autruy, sans épargner,
ny les personnes presentes, ny celles qui
sont absentes. Quoy que les medisans ayent vne
marque au front, & soient connus pour infames,

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si est ce pourtant qu’a cause qu’ils font leurs crimes
en public, & librement on deuroit les estimer
dignes de compassion plustost que de blasme,
pource quils monstrent apparemment, que
la medisance leur est naturelle, & qu’en blamant
ainsi autruy ils se condamnent eux mesmes. Mais
que doit-on dire de ces autres medisans, qui comme
des chiens sans abboyer, mordent secrettement ?
Il y en a de plusieures, & de differentes
sortes, quoy qu’ils ayent tous vn mesme dessein,
& qu’ils aspirent à vn mesme but, & ie nomme les
vns marquez, Retoriciens, Poëtes, Hypocrites,
Scorpions, & les autres traistres, faussaires, mordans,
mocqueurs, & inconnus.

 

I’appelle masquez, ceux qui au temps de caréme-prenant
se masquent le visage, quoy qu’ils
soyent bien aises d’estre connus. Il est tout de
mesme de certains médisans, qui sous le voile &
le masque de la modestie témoignent de ne vouloir
pas nommer ceux qu’ils calomnient, encore
qu’ils les donnent si apparemment à connoistre
aux personnes qui les entendent parler, qu’elles
ne peuuent pas plus douter de leur nom, que de
la meschanceté de ceux qui les blasment. Ces
mesmes gens ont accoustumé d’vser de paroles,
qui sont en apparence toutes pleines de loüanges,
quoy qu’elles ne soient en effet que des blâmes,
& des moqueries, & c’est deux mesmes de
qui l’on peut dire raisonnablement, qu’ils ont la

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douceur à la bouche, & l’amertume au cœur.

 

Les Rhetoriciens sont ceux qui par vne certaine
addresse que les maistres de l’eloquence appellent
occupation, ne font pas semblant d’auoir
enuie de medire, quoy qu’ils le fassent & encore
dauantage. Il y a quelque iours que ie me rencontray
en vne compagnie, où quelqu’vn se
pleignant d’vn auttre qui auoit mal parlé de luy ;
le ne veux pas, dit-il, raconter la tromperie que
ce mauuais homme a fait à cette pauure fille, qu’il
nomma, les blessures qu’il fit nuittamment donner
à vne personne, & les contracts d’vsure qu’il
a faits auec certains necessiteux, qui demeurent
en vn tel lieu, & que ie ne veux pas nommer, de
peur d’estre estimé medisant comme luy, en donnent
assez de témoignage. Ne voyla pas proprement
médire, & montrer de n’en auoir pas enuie ?
Apres ceux-cy viennent les médisans Poëtes, qui
se seruans de la figure qu’on appelle yronie, donnent
par moquerie le nom de belle, à vne laide
femme, le tilre de vertueuse, à vne putain, & qui
nomment de beaux yeux ceux qui regardent de
trauers.

Pour les hypocrites, ce sont ceux là qui feignant
auoir de la compassion pour être mieux
creus, racontent pitoyablement les mal-heurs
d’autruy, quoy qu’en leur ame ils fassent gloire
de les publier, & reçoiuent du plaisir de ses infortunes,
encore que ce vice soit bien en vsage parmy

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le monde, il est neantmoins plus commun
aux femmes qu’aux hommes. Quand elles font
leurs visites à quelques vnes de leurs amies ; N’auez
vous point entendu parler de l’accident arriué
à ma pauure voisine, disent-elles, desquelles
ont fait leur salutation ? A l’instant elles commencent
l’histoire, & racontent comme le mary par
le moyen d’vn seruiteur, la treuuée sur le fait, par
quel endroit l’amant est descendu, & s’est sauué,
les coups & les outrages qu’à reçeus la femme &
la seruantes. Il ne faut pas penser que celle qui
décrit ces actions, oublie rien à dire de ce qu’elle
sçait, elle augmente plustot le crime que de le
diminuer, & l’on peut se representer comme en
recitant ces belles nouueautez, l’on tasche industrieusement
de noircir la reputation de son prochain.

 

Il ny a pas long-temps, qu’vne Princesse de la
Cour des plus vertueuses du monde, fut contrainte
d’éloigner de sa grandeur l’vne des principales
Dames de sa suitte à cette occasion. Si l’autre
auoit à tous momens vn liure de deuotion entre
ses mains, & à ce sujet elle fut long-temps
estimée vne femme de tres-sainte vie. En fin l’on
connut que sa belle apparence n’estoit qu’vne
hypocrisie, & que son contentement n’estoit parfait,
que quand sa mauuaise langue médisoit de
quelqu’vne des Dames de la Princesse, dont elle
leur faisoit perdre les bonnes graces. Madame,

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disoit-elle souuent à cette grande Princesse, ie ne
voudrois pas que vostre grandeur fut scandalisee
des deportemens de vos Damoiselles, elles sont
née femmes, & par consequent fragiles.

 

Considerez si par ces paroles, elle n’obligeoit
pas la Princesse à desirer d’entendre le reste qu’elle
taisoit malicieusement ? Plus cette Princesse
la solicitoit de dire tout ce qu’elle sçauoit des
actions de ses femmes, & plus si l’autre la supplioit
de ne la point contraindre d’en parler. S’étant
fait commander plusieurs fois de publier ce
qu’elle feignoit de vouloir taire, elle faisoit semblant
de pleurer, & s’essuyant les yeux elle commençoit
à calomnier de telle sorte les ames les
plus pures, & les plus vertueuses, qu’elle ne finissoit
point son discours, qu’elle n’eust noircy
de crimes les plus innocentes Dames, qui fuffent
au seruice de cette Princesse. Son banissement
fut le salaire de sa meschanceté, & pour auoir
vécu en l’estime d’vne fort sage femme, elle aquit
la reputation d’en étre l’vne des plus pernicieuses.
Cét exemple suffit, ie vay parler des medisans
scorpions.

Ie ne croy pas qu’il se puisse trouuer vn plus
gentil Caualier qu’Amasis, & neantmoins il a ce
deffaut & cette grande imperfection de ce plaire
trop à medire. Lors qu’il entre en matiere, il
imite le scorpion qui pique de sa queuë, car quelques
bonnes que soient les actions des plus vertueux

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hommes, il y trouue tousiours tellement à
redire, que la vertu passe sans cesse pour crime
aupres de luy. Voila de quel naturel sont composez
le restes de ses semblables, qui apres auoir
beaucoup loüé vn amy detruisent toute l’estime
qu’ils luy ont donné, par vn mets, qui en fait iuger
plus de mal, qu’ils n’en ont iamais dit de
bien.

 

Les traistres sont ceux ausquels vn amy se pleignant
en confiances de quelque deplaisir reçeu,
ou par vn Prince, ou par quelqu’autre personne
de condition, le vont redire à la personne qui a
fait l’iniure. Ce vice est si commun en la Cour des
Rois, & des Princes, que bien souuent ces personnes
sacrées, & eminentes, ont donné sujet à
leurs domestiques de se battre en duel pour sçauoir
la verité des rapports qui leurs étoient faits.
Ie me souuiens bien qu’il n’y a pas long temps
que pour vne semblable occasion, il y a eu vne si
importante querelle entre deux Gentils hommes
de ma connoissance, que pour ne vouloir
pas, ny l’vn ny l’autre aquerir le renom de medisant,
ils se sont batus, & ont par ce moyen mis fin
à leur dispute, & à leur vie tout ensemble.

Ie mets en ce rang là ceux qui font de faux rapports ;
qui épient les actions des autres, qui
inuentent des mensonges, qui sement des noises,
& qui reuelent les secrets qu’on leur confie.
A dire vray le moindre mal que meritent ces gens

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là est d’auoir leur langue arrachée, comme Iuppiter
l’arracha à vne Nymphe, qui reuela ses
amours à Iunon. Ie ne m’étonne pas si plusieurs
personnes tombent en ce peché ; puis que les
choses deffendues, sont celles qui se font plus librement.
C’est pourquoy i’estime incense l’homme,
qui sans necessité d’écouure son secret à qui
que ce soit, veu que c’est se rendre esclaue de dire
ses pensées à celuy qui ne les sçait pas Vn maistre
ayant vn iour donné à son seruiteur vn habillement,
ce domestique le donna dés qu’il l’eut, dequoy
son superieur indigné l’en voulant blamer,
il luy fit cette gentille repartie, pourquoy vouliez-vous
que ie gardasse cét habit, si vous ne l’auez
pû garder vous méme ? on peut dire la mesme
chose pour la reuelation des secrets, que nous
n’auons pû tenir cachez dans nos cœurs ; car il est
certain que les choses qui sont dites à l’oreille,
sont bien souuent publiées parmy les ruës. Si c’est
vn grand peché de reueler les secrets d’autruy,
au contraire c’est vne grande vertu & fort rare,
de sçauoir se taire & captiuer sa langue. Si tous les
hommes de merite & de condition, sont obligez
de taire le secret de leur amy, combien dauantage
les Secretaires des Roys & des Princes, sont-ils
tenus de cacher celuy de leurs maistres, qui ne les
payent, qu’afin qu’ils soient secrets ? il faut que
ces gens là, imitent vn certain personnage Grec,
à qui quelqu’vn ayant dit, que la bouche luy

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puoit, repondit, que la cause de cette puanteur
venoit, d’auoir l’aisse moisir plusieurs secrets. Cela
se peut entendre, non pas seulement des secrets
d’autruy : mais des secrets propres, & à dire vray,
quiconque veut tenir ses pensée secrettes qu’il ne
les découure à personne, & qu’il soit le secretaire
de soy mesme.

 

La malice des medisans Faussaires est si grande,
qu’ordinairement ils accusent d’auoir dit ou d’auoir
fait, quelque chose à quoy l’on n’eut iamais
pensé, c’est pourquoy l’on reçoit bien souuent
vne iniure de deux personnes, à sçauoir des medisans,
& de celuy qui sans s’informer du fait adioute
foy à la calomnie dont il est entretenu. Que
c’est là vn grãd vice ; ie mets encore au rang de ses
faussaires, ceux qui ayant dit vne chose de bon
sens, se plaisent à luy vouloir donner vne fausse,
& mauuaise interpretation.

Les calomniateurs qui mordent, suiuent les
faussaires, & c’est de la bouche de ces gens-là,
qu’il sort quelquefois des discours, qui blessent
plus outrageusement les cœurs, que des trais
bien piquans. Encore que ces personnes medisent,
& se gaussent bien souuent selon la verité,
ils ne laissent pas d’estre vicieux, parce qu’ils agissent
par vne mauuaise volonté, qui fait qu’ils en
doiuent estre blasmez & mal voulus. Ces libertains
sont si indiscrets & si insolens, qu’ils ayment
mieux perdre vn bon amy, qu’vne mauuaise parole :

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mais il ont beau faire, quelque peine qu’ils
puissent prendre pour vouloir couurir leurs discours
du manteau de la gayeté, ils ne peuuent
empescher qu’on ne voye leur malice. Si ces
hommes sont blamables d’offencer ainsi sans sujet
leur prochain, que ceux là sont dignes de
loüanges, qui leur repondent en se raillant, & en
se moquans de ce qu’ils disent. Vn iour Auguste
rencontrant vn estranger qui luy ressembloit, &
luy ayant demandé si sa mere n’auoit iamais esté à
Rome Non grand Prince, luy repliqua-t’il, ma
mere n’a iamais veu cette superbe ville ; mais mon
pere y a long temps seiourné. Cét Empereur ne
fut-il pas raillé de bonne grace, & ne reçeut-il
pas luy mesme l’iniure qu’il pensoit faire à vn autre ?
il est certain que quiconque ne fait point de
difficulté de dire ce qu’il veut, entend le plus souuent
ce qu’il ne voudroit pas oüir.

 

Les moqueurs sont d’autres gens qui pensent
faire des merueilles en se raillant d’vn chacun, s’imaginent
de passer dans les compagnies, pour
plaisans, agreables, & facetieux, sans preuoir
qu’on ne les estime que pour des personnes ignorantes
& indiscretes. Il n’est rien de plus insupportable
à vn homme d’honneur, & de probité,
que d’estre moque de ces insolens : mais il faut
que ce genereux personnage s’arme de la patience,
& se conforme à vn certain Philosophe, à qui
quelqu’vn ayant dit qu’vn autre se moquoit de

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luy ; ie veux bien que l’on se moque de moy, repliqua-t’il ;
mais ie desire que l’on sçache aussi,
que ie ne suis pas moqué pour cela, & que l’on ne
me fait pas l’outrage que l’on pense me rendre.

 

Les medisans inconnus dont i’ay encore à parler,
pour donner la derniere main au Tableau de
la Calomnie, ressemblent aux limes sourdes, &
sont de deux sortes, les vns se montrent tels par
leurs escrits, & les autres se font voir tels par leurs
figures.

Les premiers sont gens, qui par des libelles
scandaleux, font gloire de noircir la reputation
des personnes les plus éminentes & les plus vertueuses,
& la pluspart de ces hommes detestables,
comme sont ceux qui durant nos troubles
derniers, ont puisé de l’Enfer tout ce qu’il y a de
meschant & d’abominable, pour calomnier plusieurs
personnes ; ressemblant à la foudre, qui
abat & renuerse les plus superbes Palais, sont bien
si méchans & si pernicieux, que de ne point faire
de difficulté de ietter le venin de leur medisance
contre les grands Seigneurs, contre les Princes,
contre les Prelats, & contre les Rois mesmes. Les
seconds pensans éstre plus industrieux se seruent
d’vn autre artifice, & ne voulant pas faire seruir
leur langue à medire, se contentent d’y employer
leur main & de peindre, & de representer dans
des Tableaux des hommes & des femmes, en des
actions qui sont tout à fait horribles & infames.

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Enfin par le secours du Ciel, toutes choses ont
été retablies & remises en leur premiere forme ;
Les medisans n’ont pas laissé depuis d’écrire contre
des personnes de grandes conditions, ce qui a
donné iuste sujet au Magistrats de cette ville de
faire vne exacte perquisition de ces infames Autheurs,
affin de leur faire endurer vn chatiment
dignes de leurs crimes.

DISCOVR MORAL, DE LA
Calomnie.

Comme l’inimitié est vne production des
tenebres, elle s’y nourrit, elle y prend
ses forces, & pour auoir plus de raport à
son origine, elle n’a coutume d’offencer que par
des actions noires, qui taschent de porter le coup
sans estre reconnuë des yeux ; elle considere l’honeur
comme le fondement de la fortune, qu’elle
ne peut ruiner si elle ne le mine ; & parce qu’il a
quelque chose de diuin, elle est instruite des démons
à le prophaner par les calomnies qu’elle
forme dans l’obscurité, comme les sortileges. Les
méchans sont touchez de honte & de crainte, de
se déclarer contre la vertu, que la nature, que
toutes les loys nous commandent d’avoir en veneration,
& dont le peuple mesme prend le party :
c’est pourquoy leur impuissance ne luy sçauroit

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faire de domage que par cette secrette perfidie.

 

Ie ne rapporte pas icy les artifices innombrables
que ie souhaiterois estre moins connus, &
qui mettent vn homme dans l’infamie du peuple,
dans la disgrace du Prince, par vn mal-heur quelquefois
aussi prompt & aussi violent que celuy
des foudres, dont l’on a reçeu le coup deuant que
d’en entendre le bruit ; ie feray voir ailleurs la
grandeur de ce peché qui combatant vne verité
connuë, va directement contre le saint Esprit, &
peut estre mis au nombre de ceux qui perdent
l’ame dans vn abysme d’abominations où elle se
rend indigne de misericorde. Quand ce traistre
rauit l’honeur à la vertu, quand il met l’innocence
dans l’infamie, il oste le Soleil du Ciel, il éteint
vne lumiere que Dieu faisoit éclairer pour la conduite
du monde, il prophane le Temple de sa
gloire, il renverse son image, & par ce crime de
Leze-Majesté diuine, il commet des maux comme
infinis qui en sont les consequences. Car il
empesche que cét homme de bien ne s’éleue aux
charges où il arresteroit tout ce que les méchans
y commettent de concussions, & s’acquitteroit
de tous les deuoirs de la iustice : il empesche qu’il
n’ait la faueur du Prince, dont il pourroit moderer
les passions, & ajuster la conduite sur les loys
de la premiere verité par ses bons conseils : il luy
oste la creance & ferme ainsi le passage à tous

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ceux qui le prendroient pour azile dans leur misere ;
il laisse donc vne infinité de maladie dans les
langueurs sans remedes ; la pauureté sans secours
la vertu dans l’oppression, l’ignorance dans les
tenebres & dans le desordre, quand il leur oste
leur commun liberateur.

 

Les plus saints personnages se sont émeus de se
uoir frapez de cette disgrace qui les rendoit comme
inutils à l’Eglise, & ne treuuant point de secours
auprés des hommes, ils ont fait leurs plaintes
à Dieu, auec le Prophete, de ces langues de
de viperes qui jettent vn venin mortel aux œuvres
de charité ; de ces bouches armées d’impostures
qui font plus de massacres & plus de desolations
que des troupes ennemies auec le fer & le
feu ; de ces fosses pleines de pourritures, d’où s’exhalent
des discours empestés qui donnẽt la mort
à celuy qui les prononce, qui les entend, & à
la renommée qu’ils offencent. Mais enfin considerez
que vous estes dans vn monde, où la reputation
n’est pas exempte de trauerses, non plus
que les autres biens & que les méchans dressent
ordinairement ces ambuscades à la vertu, où ils
font sur elle plus de degats auec moins de trauail
& moins de péril. Vous ne pretendez de l’honneur
que comme vne dependence de la vertu, & comme
vn petit éclat des souueraines perfections qui
vous seruent de modelle.

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Or la Philosophie n’a point de vertus, la Religion
ne propose point de mysteres, que la malice
des hommes ne combatte par vne extrauagance
d’opinions, & par vn déreglement de vie : tous les
iours & de parolle & d’effet, l’on blaspheme contre
la sainteté des Autels, contre la bonté, la sagesse,
la toute puissance, l’amour, les felicitez de
Dieu, Hé ! comment seriez vous exempt de blasmes,
parmy ces bouches qui se portent contre le
Ciel, qui offencent les principes mesmes, d’où
vous tirez toute vostre recommendation. La
pluspart des Saints de l’ancien & nouueau Testament
ont eu cét exercice de patience, & les plus
innocens ont esté reduits à la condition des criminels,
comme vn Ioseph, vne Susanne, les Martyrs,
les Apostres, Iesus-Christ. Les premiers
Chrestiens estoient accusez d’homicides, de sortileges,
des mesmes abominatiõs qu’ils condamnoient
dans le Paganisme. Durant ces orages
Sainct Paul treuue vn déluge de consolations, sur
le témoignage de sa conscience qui se voyoit dãs
l’approbation de Dieu, & qui pour tous ces bruits
de peuple ne descendoit pas du thrône, d’où elle
les condamnoit de faux.

Le monde mesme qui est le createur de la calomnie
& qui de rien forme cét orage, dont il accable
la vertu, iuge de la malice des autres par la
sienne propre, il sçait fort bien que ces rumeurs

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s’éleuent ordinairement sans sujet, qu’elles se
grossissent sans mesure ; & n’y donne pas toujours
beaucoup de creance. Apres le premier applaudissement
de l’enuie, chacun reuient à soy & commence
de douter si cette vertu n’est point genereuse,
qui n’a que des ennemis couuerts, si ceux
qui ne peuuent corrompre son integrité, ne se
vengent point sur sa réputation ; s’ils ne tâchent
point d’éteindre vne lumiere qui découure leurs
défauts ; & faire que dans l’estime du monde leurs
iuges passent pour les compagnons de leur crimes.
Il ne se trouue guere d’hõme si credule, qui
perde toute la bonne opinion qu’il auoit d’vn autre
sur vn mauvais rapport qui luy en est fait ; il ne
le reçoit pas comme vn arrest, mais comme vne
accusation qui peut estre fausse, & qui luy est suspecte
en ce qu’vne bouche conduite par la charité
couvriroit plustost que de publier ce mal.

 

Mais quand les consciences ne trauailleroient
pas tant à vostre iustification, quand quelqu’vn
se laisseroit persuader à ces faux bruits, pensés
vous pouuoir toûjours conseruer vne grande estime
de probité dans l’esprit de l’homme, qui a des
idées si sublimes, qu’en leur comparaison tout ce
qu’il luy semble imparfait, comment vous pardonneroit-il,
puis qu’il se condamne soy-mesme
mil fois le iour, & que ses passions renuersent sans
distinction de merite tout ce qui s’oppose à ses interrests.

-- 20 --

Si vous n’auez mérité ce blasme pour les
actions à qui l’on l’attache, vous l’auez merité par
mil autres qui ont surpris les yeux des hommes,
& qui ont passé d’ans l’estime de la vertu, quoy
qu’elles fussent des offences contre Dieu ; souffrés
à cette heure cette compensation d’iniures, que
vous soyez blasmé pour le bien, comme vous
auez esté loüé pour le mal. Dés cette heure mesme
sans le secours de la grace, vous tomberiez
dans tous les crimes que l’on vous impose : souffrés
donc que la voix publique chastie vos mauuaises
inclinations de ce reproche : receuez-le
comme vn préparatif & vn remede de la vanité.

 

Peut estre que cette Calomnie vous fermera
l’entrée de la faueur, des charges, des grandes
fortunes, mais vous n’en estimerez pas pour cela
vostre condition moins heureuse, si vous considerez
le monde d’vn autre œil que celuy de l’opinion.
Vous auez sujet de loüer Dieu auec le Prophete
de ce qu’il aura fait éclater ses foudres pour
guérir vos sterilitez par vne pluye de benedictions.
Ces dix ou douze personnes chez qui vous
n’estes pas en estime, sont elles considerables
dans vne grande ville, dans vn Royaume, dans le
monde dont vous estes le Citoyen ; & si vostre
nom n’y est pas connu, vostre personne y peut paroistre
auec la commune creance de probité qu’õ
a de chacun. Rentrés en vous mesme dans ces grands

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