Anonyme [1652], LE VERITABLE AMY SANS FLATERIE, A MESSIEVRS DV PARLEMENT, QVI VEVLLENT QVITTER le party de Messieurs les Princes, pour suiure celuy du Mazarin. , français, latinRéférence RIM : M0_3918. Cote locale : B_12_6.
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LE
VERITABLE
AMY SANS FLATERIE,
A
MESSIEVRS
DV
PARLEMENT,
QVI VEVLLENT QVITTER
le party de Messieurs les Princes,
pour suiure celuy du Mazarin.

M. DC. LII.

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LE
VERITABLE
AMY SANS FLATERIE,
A
MESSIEVRS
DV PARLEMENT.

MESSIEVRS,

Auiourd’huy que tout semble conspirer en faueur
du Party de Messieurs les Princes, que leur
valeur a leué des obstacles qui paroissent veritablement
inuincibles, qu’ils ont noyé dans le sang
de leurs ennemis, tous les soupçons qu’on auoit
de leur conduitte, & que les plus douteux sont
confirmés dans l’oppinion qu’ils agissenten vrais
genereux & defenseurs de la liberté publicque,
pour chasser l’ennemy commun ; Vous verra t’on
seuls chancellants, vous que le peril regarde de
plus pres, & qui fustes les premiers autheurs des
desseins qu’ils poursuiuent auec autant de chaleur
que de generosité. Quoy, Messieurs, voulés
vous icy manquer de memoire, pour excuser

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le defaut de iugement ou de bonté que la voix public
que vous impute ; Et voyant le desordre que
la guerre entretient aux enuirons de Paris, & dans
cette grande ville, qui semble au point de sa ruine,
fermez vous les yeux à cette iuste consideration,
qu’ayant allumé ce grãd feu, qui iette auiourd’huy
des flãmes si viues par toute la France, vous
deuez chercher auec nous, & les zelez de vostre
Corps, les moyens de l’esteindre, & prendre part
au peril dont vous nous faittes sentir la rigueur.

 

Ie sçay bien que ie paroist temeraire de vous
oser parler en ces termes, sçachant le respect
qu’on doit à vostre rang & au merite de vos personnes
mais le zele ardant qui m’emporte en faueur
de la cause commune, m’oblige à declarer
hautement que ie ne vous connois plus pour mẽbre
de ce Sacré Corps qui merite vne parfaite veneration,
sous l’Auguste titre de Parlement, si
vous n’opposés l’authorité que vous auez en
main, à la tyrannie qui fait des efforts au de là
de son pouuoir pour nous resaisir, & si vous ne prestez
main forte à la valeur de ces genereux Princes,
dont le fer s’apreste à rompre nos chaines,
s’ils n’en sont empeschez par le defaut de vostre
secours.

Il est vray que si vous me condamnez pour la
hardiesse que ie tesmoigne en cet escrit, i’aurois
lieu d’appeller de vous mesmes à vous mesmes, &

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de ce que vous estes à ce que vous fustes : & i’opposerois
la faueur que ie meritay pour les loüanges
dont ie fus prodigue à vostre apparence de
bonté, quand vous formastes cette fameuse
Vnion, qui mist vostre gloire au plus haut point
où vous eussiez iamais pû desirer de la voir, à l’aigreur
que i’aurois fait naistre en vos esprits, par le
blasme que i’ose icy vous donner, de vous relascher
d’vne iuste entreprise, par vn changement
autant preiudiciable à vostre gloire, qu ennemy
de nostre bon heur, en ce qu’il fait voir que vous
craignez d’obtenir l’auantage que vous sembliés
souhaiter. Quoy donc, Messieurs, vous auriez animé
les peuples de l’esperance du soulagement
des tributs, en leurs donnan de faux auantgouts
de la liberté, vous auriez prouoqué contre eux
la haine de leurs tyrans : attiré sur leurs bras de
sanglantes guerres, cause des pillages & des
meurtres de toutes sortes, & loin de nous faire
quelque bien en compensation de tant de maux
vous tascheriez à faire vostre paix en particulier,
& nous abandonneriez, comme vous auez de ja
fait vne fois, à la discretion de nos ennemis. Ainsi
vous auriez fait la faute, & vous en laisseriez
la peine à porter au peuple, & vous pourriez croire
qu’il auroit assez d’aueuglement ou de respect
pour vostre authorité, pour ne s’en pas vanger

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sur vos personnes & sur vos biens.

 

N’entendez vous pas aussi ce murmure perpetuel
du peuple desesperé qui vous menasse
par les ruës, & qui fait hautement des reproches
à la bonté de nos Princes, de ce qu’ils souffrent
toutes vos longueurs, & ne vous forcent pas
comme ils le pouroient facilement, à mettre la
main à l’ouurage que vous auez si fort auancé,
pour vous obliger à les soustenir, quand il paroist
plus chancelant. Sans mantir la iustice la plus
sincere, aussi bien que vostre conscience vous y
condamne absolument : mais le peril tres euident
qui vous menasse en cas de refus, est vne loy de
rigueur qui vous y force, & qui dans vos esprits
ne doit point laisser de place à de contraires pensées,
si vous escoutez bien cette voix, qui comme
elle fit autrefois au Senat Romain, vous semble
crier à tous moments, Oreus vobis ducit pedes.

Ie m’estonne en effet que vous ne pensés
que ce n’est pas vn ieu d’auoir émeu ce grand orage
si vous n’aués soin de l’appaiser, & qu’ayãt irrité
tant d’esprits, dont le desespoir commence à
s’emparer au defaut de vostre secours, si vous leur
refusés la proye qu’ils desirent, vous vous mettés
en hazard de la deuenir vous mesmes. Pensés de
grace quels appas vous semastes parmy la France
pour seruir d’amorce au peuples ? quels biens vous

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leurs fistes esperer, & iugés si vous leur en auez
donné la iouyssance. N’aués vous pas éludé toutes
leurs pretentions, & voit on vn Partizan puny
depuis que vous commançastes à les menasser ?
Qu’aués vous fait que changer le ioug de leur
seruitude en vn cent fois plus cruel ? ils estoient
accablés de tributs & vous les aués tout à fait ruinés
par la guerre. Aussi les plus fins le sçauoient
bien coniecturer dés le commancement de vostre
entreprise, & nous rompoient la teste de ce
vers.

 

Parturient montes, nascetur ridiculus mus.

Mais de quelle façon fistes vous la premiere
guerre contre le Mazarin ? à qui donnastes vous
le commandement de vos armées ? à des Chefs
dont il estoit facile à voir qu’ils n’auoient d’autre
dessein que de vous tromper. Ie n’ay point besoin
de specifier leurs personnes, on les connoist parfaittement
aussi bien que toutes les autres circonstances
necessaires à sçauoir sur ce sujet. Il suffit de
dire que qui veut bien estre trõpé pour en tromper
d’autres, merite qu’on le trompe apres contre
son dessein ; & que qui veut bien estre vaincu
lors qu’il a pris les armes pour se deffendre, se
rend digne de porter la peine de sa rebellion &
de sa foiblesse. Vous en vsiés en effet comme ces
Amants irrités qui ne paroissent animés de couroux

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contre leurs Maistresses, que pour les obliger
à changer l’humeur de mespris qu’elles ont
pour eux en quelque meilleur traittemẽt, prests à
les adorer si tost qu’ils sçaurõt que leurs vœux sõt
mieux receus de ces beaux objets. Vous faisiés
la guerre & demandiés sans cesse la paix, & par
vne repugnance difficile à conceuoir, vous paroissiés
la fois, libres & soumis, reuoltés & obeïssants,
braues, & timides, prompts & lents, & ne
faisiés rien moins que ce que vous deuiés faire en
effet. Cependant les bruits qui couroient dans
les Prouinces touchant vostre armement, supposoient
mille auantages qu’on croioit que vous
remportiés sur vos ennemis, parce que vous les
pouuiés remporter auec beaucoup de facilité, en
quoy la renommée s’arrestoir moins à publier ce
que vous faisiés, parce qu’elle eust eu honte de le
raconter, que ce que vous pouuiés faire auec les
moyens que vous auiés en main, & c’est ainsi
que vous transportiés les esprits que vous ne vouliés
qu’exciter, & ce qui rendit leur consternation
vniuerselle, quand on sçeut tous les points
de vostre accommodement. Mais en suitte quelle
recompense eurent ceux qui s’estoient declarés
pour vous dans les Prouinces ? le traitté de
Paix eût il la force d’ẽpescher que leurs maisons
ne fussent pillées, & ce fut lors qu’on vid clairement

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qu’au dessein de vous vẽger de ceux qui vous
auoient maltraitrés, vous auiés fait vostre interest
particulier, de l’interest du general, & qu’estans
arriués à vos fins, vous negligiés les moiens
qui vous y auoient conduits comme les Architectes,
apres que leur bastiment est acheué renuersent
les gruës & les autres instruments, dont ils
se sont seruis pour le mettre à bout. Mais le malheur
fut pour vous que vous auiés à faire à des suiets
animés qui descouurans vos intentions ne purent
souffrir sans murmurer de se voir si maltraités
par ceux là mesmes, dont ils auoient attendu leur
protection, & vous vous trouuastes d’autant plus
en peine, que ceux aueclesquels vous auiés traitté,
vous regardoient comme les autheurs des troubles
precedents.

 

Vous vous souuintes alors qu’aux entreprises
d’Estat comme aux parties d’amour, il ne faut
rien faire à demy, & qu’vn Prince d’Italie auoit
raison de dire, que quiconque ose tirer l’espée
contre son Souuerain, en doit ietter le foureau, &
ne le reprendre qu’apres la victoire : & que qui
ne suit cette maxime, se met en hazard d’estre forcé
de s’en donner luy-mesme dans le sein. Ayant
esbranlé la France, vous creustes que vous la pouuiez
arrester dans le panchant de sa cheutte, &

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vous voyez que le bransle que vous luy donnastes
alors, vous emporte à present vers le precipice, &
que le poids du Colosse de ce que vous auiez esleué
pour espouuanter vos ennemis, comme il panche
maintenant sur vos testes, vous menasse de
les écraser. Ayant troublé la forme du gouuernement
precedent de l’Estat sans en introduire vne
nouuelle, vous voulez que la France souffre vn
vuide, que la nature ne reçoit point ; & ne vous
souuenez pas que comme de mauuais Medecins
ayant émeu les humeurs d’vn corps sans les dissiper,
au lieu de la langeur qu’il sentoit auparauant,
vous n’auez manqué de luy causer vne maladie qui
le met en peril de mort. Les pointes de vostre ressentiment
ont picqué la France iusques au vif, &
fait que se ressentant des outrages du passé, cõme
porte l’Ecriture sainte, deiecit equum & ascensorem, &
vous pensez que vous en serez quittes auiourd’huy,
pour dire qu’il faut que le Roy soit maistre
sans condition dans son Royaume.
Pourquoy n’auez vous tousiours tenu ce discours ?
ou pourquoy le tenez vous mal à propos à present,
quand le pretexte qui vous alarma ne cesse
point ? Les peuples ne sont point satisfaits, & vous
voulez qu’on pose les armes, dont vn suiet particulier
vous les fist prendre, & cette confession tacite

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de vos intentions, vous cõdamne de n’auoir
iamais eu dessein de procurer le bien public. Dont
si le Mazarin n’eust voulu leuer aucune taxe sur
vostre Corps, la voix de la plainte publique ne
vous eust iamais alarmés. Mais derechef trouuer
bon que Mazarin demeure en France, si sa Mejesté
persiste à le desirer, n’est-ce pas donner contre
vous vn Arrest de condamnation, pour tout
ce que vous auez fait par le passé ? dont toutes vos
deliberations & vous équippées de quarante-neuf
& de cinquante, furent des crimes ; & par consequent
il est iuste de vous punir : & puisque vous
vous cõfessez coupables, vous l’estes enuers tous
les deux partis. Enuers sa Majesté, pour auoir iniustemẽt
fait sousleuer les peuples cõtre son authorité,
& enuers les peuples, pour les auoir portez à
la rebellion contre le Roy. Prenez garde à cette
raison, parce qu’elle conclud infailliblement contre
vous ; & si l’vn ou l’autre des partis vous maltraitte
desormais, ne vous en plaignez pas à l’autre,
parce qu’il auroit suiet de vous vouloir autant
de mal, & de vous le faire à son rang. Faites iustice
de ces outrages à toute la France, vous qui la deuez
à tout le monde, ou parez ce coup s’il est possible,
puis qu’il est mortel à vostre honneur.

 

Il est vray, Messieurs, que ie blasmerois beaucoup

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moins vostre procedé, si ce changement
vous pouuoir produire l’aduantage que vous desirez
pour estre plus en seureté : mais sçachant
qu’il ne fait qu’atirer sur Paris de nouuelles armées
pour en saccager les enuirons, & causer de frequentes
seditions dans toute la ville, irriter les
Princes, desesperer tous les peuples, Ie m’estonne
que vous ne dissimulez mieux vos ressentimens
& que vous ne considerez que c’est vn effet de
prudence, quand on a fait quelque faute d’en cacher
le repentir, pour n’estre conuaincu par son
propre tesmoignage qu’on la commise. Mais
quoy ? fust-ce violer quelque deuoir, que de choquer
Mazarin ce concussionnaire public, & ce
perturbateur du repos de toute la France ? & s’il
demeure parmy vous, que deuiendront tous vos
Arrests ? Croyez vous dont qu’il se soit iustifié par
les meurtres, les sacrileges & les incendies dont
il est la cause ? La multiplication de crimes, de larcins
& de trahisons, le fait trouuer innocent,
parce que son audace est heureuse : Comme on
dit que les petits brigands sont punis, & les grands
honorez de superbes titres : & ceux qui pillants le
peuple crioient autrefois comme Neron, Hocagamus
ne quisquam quid babeat, ie veux dire les Partizans
sont innocents auiourd’huy, parce que loin

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de vous imposer aucune taxe, ils mettent leurs
biens à vostre discretion. Ainsi le Mazarin & les
Partizants deuiennent innocens ou coupables,
selon qu’on vous flate, ou qu’on choque vos interests ;
& cette consideration est le seul motif qui
vous fait agir.

 

S’il est ainsi François, où sommes nous ? &
que pouuons esperer à l’aduenir ? si tels sont les
pilottes de nostre nauire, quel orage pour foible
qu’il soit n’aura point le pouuoir de l’agiter ? &
que ne doiuent faire les autres planettes du Ciel
de la France en l’absence de ses deux grands luminaires,
si ce corps qu’on en peut nõmer le Firmament,
a si peu de constance & de fermeté. Malheureux
peuples en effet, mal heureuse ville de
Paris, de dependre de puissances si mal intentionnées,
& si mal vnies : Mais plus malheureux Parlement
d’estre décheu par sa foiblesse du haut rang
destime & d’honneur où l’opinion de sa constance
l’auoit estably dans les esprits de tous les peuples.
Le cœur me saigne, Messieurs, de me voir
forcé de vous parler en ces termes, & dans ce desordre,
& cette confusion de pensées : le ne puis
qu’accuser le mauuis sort de la France, blasmer
tant soit peu vostre conduite, & me preparer à
voir fondre encor sur nous de plus grands malheurs.

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Quoniamin ea tempora nati sumus quibus animum
firmare oporteat constantibus exemplis.

 

FIN.

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