Anonyme [1649], APOLOGIE DV CARDINAL BVRLESQVE. , françaisRéférence RIM : M0_114. Cote locale : C_2_9.
Section précédent(e)

APOLOGIE
DV CARDINAL
BVRLESQVE.

A PARIS,

M. DC. XLIX.

-- 2 --

-- 3 --

APOLOGIE
DV CARDINAL
BVRLESQVE.

 


Esprits malins, Autheurs Critiques,
Escriuains piquans, Satyriques,
Dont le cornet est plein de fiel,
Qui rime voirement à miel ;
Mais qui d’vne saueur amere
Passe pour son grand aduersaire,
Direz vous donc tousiours du mal
De nostre braue CARDINAL,
Et tousiours d’vn stile profane
Deschirerez vous sa sotane ?
Dans vn phantastique repas
Vous le seruez dans tous les plats ;
Croyant qu’il tirera ses chausses
Vous le mettez en toutes sausses,
Iusques mesmes au cour-boüillon
Appresté par quelque soüillon,
Qui n’entendoit que la cuisine,
Des animaux de la marine.
Vous croyez tous qu’il s’en ira,
Et que point ne vous punira,
Moy qui sçay de quelle importance
Est vn tel Prelat dans la France,
Et que les zelez pour l’Estat
Veulent garder vn tel Prelat ;
I’entreprens son Apologie,
Et d’vne Burlesque energie
Sans craindre que le Parlement
Condamne mon ressentiment.

-- 4 --


Ie veux contre la médisance
Soustenir sa haute EMINENCE,
Refuter tout ce qu’on a dit
Pour la dequiller du credit.
Premierement pour le lignage
Quoy que ce ne soit grand dommage,
Que d’estre fils de laboureur
Pourueu qu’on soit homme de cœur,
De vertu, d’esprit, de science,
Qualitez de son EMINENCE.
Dautant que ce sont les seuls biens
Qu’vn homme peut appeller siens,
Si Iule ne vient pas d’Hercule,
Au moins vient-il du grand Ïule :
Ainsi que Iules l’Empereur
Si Virgile n’est dans l’erreur.
En tout cas la Dame Cythere
Est de tous les hommes la mere,
Et d’vn Ergo non captieux
Nous sommes tous parens des Dieux ;
Car Cythere accoucha d’Enée
Sans qu’Anchise l’eut subornée,
Cythere qu’on nomme Venus
Dont enfin sommes tous venus ;
Aussi bien que Monsieur Ïule
Et que nostre CARDINAL IVLE :
Concluons donc en mesme temps,
Que Iule & moy sommes parens,
Fut-il né dans vne boutique
Suiuant l’Histoire satyrique :
Car si son pere estoit Marchand,
Puisqu’il n’a point esté meschant,
Puisqu’il n’a point fait banqueroute
De sa Noblesse ie ne doute,
Et ie trouue qu’il faisoit mieux
Que nos Obereaux glorieux,
Nourris dans la faineantise
Qui ne trafiquent qu’en sottise,

-- 5 --


Et qui mourroient plustost de faim
Que de gagner ainsi leur pain :
Ne se fiant qu’à leur épée,
Dont leur esperance est dupée.
Si son pere estoit Chapelier
Il entendoit bien son mestier,
Et ie le prens pour vn augure
De son EMINENCE future,
Et qu’vn iour il feroit fort beau
De luy voir vn rouge Chapeau :
Mais laissons à part la naissance
Que ie tiens dans l’indifference,
Ne parlons que de la vertu
Dont son esprit est reuestu,
Mieux que son corps n’est d’escarlate
Qui si fort à nos yeux esclate.
D’alleguer qu’il est Estranger,
C’est auoir l’esprit bien leger,
Et vouloir choquer la prudence
De la souueraine Regence,
Et de Monsieur le Parlement
Plein de cœur & de iugement,
Qui n’entreprit de le proscrire :
Si ce n’est seulement pour rire :
Se moquant de son propre Arrest
Donné mil six cens dix-sept,
A cause qu’il estoit injuste
Indigne d’vn Senat Auguste ;
Puisque pour estre homme de bien
Enfin le pays n’y fait rien ;
Puisque Dieu ne regarde en l’homme
Ny Paris, ny Madrid, ny Rome,
Et qu’il remplit le Paradis
De Chrestiens de tous pays.
La Reyne mesme est Espagnole ;
Ergo l’obiection friuole,
Que l’autre soit Sicilien,
Napolitain, Italien,

-- 6 --


Mais quelqu’vn fera difference
De Ministere, & de Regence :
Quoy qu’ils soient tous deux fort conioints.
Et qu’ils s’accordent en tous points.
On alleguera que la Reyne
Tient à nous d’vne forte chaisne,
Puisqu’elle a deux fort beaux enfans,
L’vn d’vnze, l’autre de huit ans,
Qui luy font preferer la France
Au grand pays de sa naissance ;
Mais moy qui sçais syllogiser,
Et comme vn Diable ergotiser,
Ie dis que Monsieur de Sicile
Frere de feu Saincte Cecile
Tient à nous fortement aussi
Par mille chaisnes que voicy.
Premierement il est en France
Plus que la deffunte EMINENCE :
Ou pour le moins il est autant
Dont pour moy ie suis tres-content ;
Quoy que mainte personne en gronde
Mais peut-on plaire à tout le monde ?
Non, iamais cela ne se fit
Ny ne se faira par despit.
Secundò, il sert vne Reyne
Qu’on ne peut quitter qu’auec peine,
Ayant mille perfections
A gaigner les affections
De tous ceux qui sont aupres d’elle
Qui la seruent auec grand zele.
Tertiò, il a fait venir
Afin de mieux le retenir
Vn beau Neueu, trois belles Nieces
Qui font quatre fort belles pieces,
Il est vray, ce sont des neueux,
Les enfans nous touchent plus qu’eux :
Mais que sçauons nous, si peut-estre
Ne voulant pas faire paroistre

-- 7 --


Qu’vn Cardinal ait des enfans,
Il trompe ainsi les médisans ?
Car on sçait que Sacerdotes
Appellent natos, nepotes.
Enfin soit enfans soit neueux,
Il veut demeurer auec eux.
Tesmoin l’illustre Mariage
Auec l’homme de haut-parage,
Qui certes ne fait pas tant mal
D’attraper charge d’Admiral :
Son Papa n’est pas des plus gruës,
Et fait mieux que dedans les ruës
Voir cent fois oster les chapeaux
A des Asnes, & à des veaux :
Il va tout droit à la Fortune,
Et ie croy qu’il en prendroit vne
Des Nieces en maturité
S’il estoit en viduité.
Quartò, le CARDINAL en France
A quelque petite cheuance,
Il a mesme belle maison
Tableaux, statuës à foison ;
Car quoy que l’on me puisse dire
L’enchere ne fut que pour rire ;
Les achepteurs estoient amis
Qui de tout rendre auoient promis.
Quintò, il a belle écurie
Ie dis belle sans raillerie,
Et ne croy pas que tes ayeux
Ayent logé cheuaux guere mieux.
Sextò, il a des benefices,
Peu à l’égal de ses seruices ;
Mais beaucoup quant aux reuenus
Montant ne sçay combien d’escus.
Septimò, icy tous les Princes
Tous les Gouuerneurs des Prouinces
Sont tous ses grands adorateurs,
Et rien que simples crocheteurs,

-- 8 --


Et les Escriuains de Satyre
De luy iamais n’oza médire.
Encore ne tient-il qu’à luy,
S’il veut mesme dés aujourd’huy
De faire changer en loüanges
Toutes ces Satyres estranges ;
S’il vouloit donner pension
Il trouueroit vn million
D’Autheurs, qui feroient du haut style
Honte à défunt Monsieur Virgile,
Et s’il m’auoit mesme loüé
Mecenas feroit mal loüé
Au prix de sa haute EMINENCE
Qui doit tousiours regner en France,
Tant durant la Majorité
Que durant la Minorité.
Oüy, malgré ces ames malines
Qui l’accusent tant de rapines,
Iusque mesme à celle du Roy
Mazarin nous fera la Loy.

 

FIN.

Section précédent(e)


Anonyme [1649], APOLOGIE DV CARDINAL BVRLESQVE. , françaisRéférence RIM : M0_114. Cote locale : C_2_9.