Anonyme [1649 [?]], ADVIS SVR L’ESTAT, touchant les Affaires PRESENTES, & le gouuernement Estranger. , françaisRéférence RIM : M0_547. Cote locale : D_2_11.
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ADVIS SVR L’ESTAT, TOVCHANT
les Affaires presentes, & le gouuernement Estranger.

VOVS me demandez ce qu’on pensoit de mon temps de la
confiance que la deffuncte Reyne Mere Marie de Medicis
auoit establie au Mareschal d’Ancre, & quel sentiment i’en
auois ; Moy, qui sans m’interesser beaucoup à ce qu’on faisoit
à la Cour, ay tousiours trauaillé pour m’instruire de ce qu’on y
deuoit faire. Tout ce que ie puis donc est de vous écrire en abregé les
sentimens de nostre vieille Cour, & d’y joindre vn Extraict des temps
& des Histoires : Pour vous monstrer que les Estrangers ne doiuent point
estre admis dans le maniement des affaires publiques.

C’est vne maxime politique receuë de tous temps, Que les Estrangers
introduisant les mœurs & les vices de leurs païs, dans celuy qu’ils
viennent habiter, y corrompent toutes choses ; & que de cette corruption
naissent les vices qui donnoient autrefois sujet au Prophete
Ezechiel de s’escrier contre Ierusalem, Ta souche & ta generation est de
la terre de Chanaan, ton pere est Amorrhœen & ta mere Chœteene : C’est
pourquoy le Sage deffend absolument d’admettre les Estrangers aux
honneurs qui sont deubs aux veritables Citoyens ; Ne transfere point
aux Estrangers les honneurs qui te sont deubs ; & ne commet point tes iours à
l’homme cruel, de crainte que les Estrangers ne se fortifient de tes forces, &
que le fruict de tes trauaux ne passe dans vne maison Estrangere.

Ce mesme fondement a seruy au Philosophe dans sa Politique,
pour luy faire dire hardiment que le moyen de destruire vn Estat est
d’y appeller les Estrangers ; c’est ce qu’il fortifie par vne longue suitto
d’Exemples, faisant voir que tous les Estats qui les ont receus, ont
esté renuersez par eux, ou par les diuisions ausquelles ils ont donné
naissance : parce que tout ce qui n’est pas de mesme nature que le
reste est vn principe de diuision, & toute diuision emporte auec soy la
ruine & la destruction de la chose diuisée : C’est pourquoy dans toutes
les Republiques bien policées les Estranger n’ont point esté admis.

Vous ne sçauriez douter de celle des Hebreux, puis que vous auez
desia vû l’auersion qu’ils y auoient, & le conseil de leur Sage sur cela :
& s’il vous reste encore quelque scrupule, escoutez la deffence qui

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en fust fait au peuple, lors que Dieu luy promit vn Roy, Tu ne pourras,
dit le Seigneur, éliré vn Roy d’vne nation Estrangere, mais tu le choisiras
parmy tes Freres.

 

Les Peres ont tousiours eu de l’aduersion pour eux ; les Atheniens
n’ont pas mesme voulu leur donner l’entrée de leur ville : Et à cette
loy de Solon, Pericles adjousta que ceux là seulement fussent faits
Citoyens d’Athenes, qui soient nez de pere & de mere Atheniens ;
de sorte que Euagoras eut de la peine apres beaucoup de bien faits &
de seruices rendus à la Republique, d’y estre admis au rang des Citoyens
apres quoy il encherit sur les autres, & fit vne loy, par laquelle
les bastards estoient priuez des droits de la Bourgeoisie, quoy que
le premier il l’ait violée en faueur d’vn bastard qu’il laissa pour son
successeur. Voyez iusques où alloit la delicatesse des Antiens quand
il falloit estre estimé Citoyen de leur Republique.

Les Lacedemoniens & les Thebains par l’ordre de Lycurgue donnerent
l’exclusion de leurs Republiques aux Estrangers : Les Spartes
obseruerent si exactement cette loy, qu’ils furent appellez DIRINOXENES,
c’est à dire, comme vous sçauez, inhospitaliers : & si
quelques Citoyens sortant de Sparte sejournoit chez les Estrangers,
il estoit puny de mort : parce qu’il s’estoit exposé a emprunter leurs
vices, & à les rapporter parmy ses Concitoyens.

Les Egyptiens ne vouloient point auoir de commerce auec eux ; &
les Romains, enfin, les considererent tousiours comme indignes de
porter les marques de leurs Citoyens : C’est pour cela que l’vne de
leurs anciennes Loix leur deffendoit de monter sur la muraille de la
ville : c’est pour cela que Marcellus Consul ne pust souffrir qu’vn
Estranger a qui Iules Cesar auoit donné le droit de Bourgeoisie, fut
esleué à la charge de Decurion, & qu’il le fit prendre & foüetter dans
la place publique, afin de luy oster l’impression qu’il auoit euë, qu’on
le deust traitter comme Citoyen Romain ; & c’est pour cette mesme
raison que Claudius Cesar deffendit aux Estrangers, sur peine de
mort, de prendre des Noms de Famille Romaine, de crainte de confondre
en eux ce qui n’estoit deub qu’aux Citoyens de Rome. Vous
auez leur comme moy les plaintes qu’on faisoit contre Iules Cesar, parce
qu’il auoit introduit des François dans le Senat : Cesar (disoit-on)
triomphe des Gaulois, & les amene captifs en cette ville. Et ces mesmes Gaulois
quittent dans le Senat leurs courtes robbes & en prennent de longues. Au
rapport de Tacite au liure quatriesme de ses Annales.

L’Empire d’Allemagne s’estant composé du débris du Romain, en

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a gardé beaucoup de loix fondamentales, entre lesquelles est celle-cy,
Que la dignite de l’Empire ne puisse estre transferée à celuy qui n’est pas
originaire Allemand. Ce qui fit que Charles Quint, lors qu’il fit le serment
auquel les Empereurs sont obligez, iura qu’il n’admettroit point
aux affaires publiques les Estrangers, mais seulement des personnes
choisies d’entre la Noblesse d’Allemagne.

 

La Republique de Venise ne souffre point les Estrangers dans son
Senat : Les Suisses n’admettent dans les Charges que leurs Compatriottes ;
Et les Princes des Païs-bas trouuent entre les loix, sur l’obseruatiõ
desquelles ils sont obligez de iurer, quand ils entrent dans le
Gouuernement, celle de ne donner aucune charge publique aux Estrangers.

Que vous diray-je des autres païs de l’Europe, les coustumes en sont
diuerses ; mais par tout l’inclination a esté de tout temps esgale. Iamais
les Sujets naturels n’ont pû souffrir la domination Estrangere.
Les Polonois qui par leur droit d’eslection prennent des Roys où bon
leur semble, ne pûrent souffrir que Casimir donnast les Charges de
Magistrature à des Allemands : Ils chasserent pour cela Boleslas le
chauue, & le vieil Miczislas du Royaume.

Les Escossois ayment mieux donner leur foy, & rendre leurs obeïssances
à vne Femme Angloise, qu’à François le Dauphin ; & les Anglois
voyans qu’ils ne pouuoient empescher que Marie leur Reyne
n’espousast Philippes de Castille Fils de Charles Quint, dont elle
achepta la possession auec vne somme immense d’argent, entre les
conditions moyennant lesquelles ils consentirent au mariage : celle-là
fut la premiere, Qu’aucun Estranger n’auroit la Magistrature, ny ne seroit
receu aux honneurs publics. Et bien qu’il y eust vne parfaite vnion
alors entr’eux & les Espagnols, la ialousie pourtant qu’ils en conceurent
lors qu’ils apprehenderent de leur voir tomber le Ministere
entre les mains fut si grande, qu’ils commencerent leur capitulation
par là, comme par l’endroit qui leur estoit le plus sensible.

Les François qui ont tousiours voulu viure selon leur ancienne liberté,
n’ont iamais pû souffrir le Ministere Estranger ; non seulement
parce qu’ils se voyent par eux deuancez dans les Charges & dans les
honneurs dont ils sont tres-ialoux : mais parce qu’il leur a esté presque
impossible de s’accoustumer à la legereté des Anglois, à la pesanteur
des Allemands, au fast des Espagnols, & à la longueur des Italiens,
tant à bien resoudre qu’à bien faire ; les nouuelles façons d’agir
qu’on a voulu introduire parmy eux, & sur tout dans les choses ou il y
va de l’interest des particuliers, leur ont esté insuportables : Et nostre

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Histoire nous en remarque peu qui en ayent remporté tout l’aduãtage
qui s’en estoient promis. Charlemagne eust beaucoup de peine a
estouffer par adresse & par force les conspirations que les Lorrains firent
contre luy : parce que pour la Iustice & pour les Armes il se seruoit
plûtost des Estangers que de ceux du païs. Charles Duc de Bourgongne,
apres auoir essuyé les plaintes que ses Sujets firent contre luy,
de ce qu’il auoit esleué le Comte de Campobachy Neapolitain, iusques
à sa faueur & à son Ministere, trouua qu’il auoit donné ses affections
à vn traistre, & que son Estat estoit en danger par l’infidelité de
celuy à qui il en auoit confié la conduite. Charles le Simple ayant
voulu au mespris des François remettre les principaux soins de ses
affaires à des Allemands, fust enfin despoüillé de sa Couronne, & finit
sa vie en prison : Et Lothaire son petit Fils ne s’estant point rendu
prudent par le malheur d’autruy, laissa l’Empire si foible & si fragile à
son Fils, qu’il fut le dernier de la race de Charlemagne qui y commanda.
L’Empereur Louis mesme ne se pust garentir qu’auec beaucoup
de peine des conjurations faites contre sa Personne par ses propres
Enfans, & par les Princes de l’Empire ; parce qu’il auoit fait venir
dans sa Cour Bernard Comte d’Espagne, & qu’il luy auoit donné
le secret de ses affaires auec la charge de son Maistre de Chambre.

 

Enfin, pour abreger tous nos exemples en vn seul, rappellez en vostre
memoire la fin tragique du Mareschal d’Ancre, & l’Arrest de la
Cour de Parlement contre les Estrangers pour les exclure du Ministere ;
& prestez l’oreille aux murmures publics qui s’éleuent à tout
moment contre le Cardinal Mazarin, dont on ne peut supporter la façon
d’agir entierement contraire à celle de nostre Nation : Ie ne touche
point à sa vie, ie la croy sans reproche, outre que sa dignité le met
au dessus de toutes sortes d’atteintes : Ie ne veux pas dire comme le
vulgaire, qu’il a emporté tous les deniers de France en Italie ; qu’on
ne voit que Loüis dans Rome, & que ses Compatriottes les ont nommez
des Mazarins : Ie ne diray pas qu’il empesche la paix pour s’affermir
pendant la guerre, & qu’il medite parmy nous des establissemens,
dont la seule pensée fait peur à ceux qui ont de la peine à supporter
vne domination Estrangere. Mais ie vous prie examinez sans passion
chaque Courtisan en particulier, & au cas que tous ne crient & ne
protestent qu’il espuise par ses longueurs la bourse de tous ceux qui
font la cour, & la patience des plus sages, dites que ie suis vn meschant ;
Ils vous aduoüeront, (ie n’excepte pas ses plus intimes amis)
que la lenteur auec laquelle il fait du bien, rend ses ennemis ceux qui

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le reçoiuent, parce qu’ils l’ont payé au double auant que de le receuoir :
parce que les François croyent qu’on les oblige deux fois quand
on leur donne promptement ; Estans accoustumez à la façon de viure
des Ducs de Luynes & de Richelieu, qui enuoyoient chercher les
honnestes gens chez eux pour leur faire du bien, & qui preuenoient
les desirs de ceux qui en meritoient. Que la difficulté qu’il y a à luy
parler est ce qui a ruiné dans les cœurs de toute la Noblesse l’affection
qu’on auroit iustement pour luy, si on le mesuroit par son zele pour le
bien de l’Estat : En vn mot, les promesses generales qu’il fait à tout le
monde, & l’inexecution dont tout le monde se plaint, sont les raisons
qui le feroient rester despourueu d’amis & de creatures, si la Reyne
cessoit vn iour d’auoir la confiance qu’elle a en luy, ou si le Roy deuenu
Majeur prenoit d’autres brisées que sa Mere : hé ! d’où vient tout
cela sinon des mœurs de son païs, ausquelles voulant toûjours se tenir
ferme, il se conduit par des voyes entierement opposées aux nostres.

 

Ie vous ay iustifié par les loix & par les exemples comment les Estrãgers
ont esté bannis du maniement des affaires pupliques. Voicy succinctement
les raisons sur lesquelles on leur en a donné l’exclusion.

La premiere (si ie ne me trompe) a esté celle qu’Aristote a rapportée,
& S. Augustin apres luy, Que la difference des mœurs & du langage
met la discorde entre les cœurs. Le Prince Estranger (dit vn de nos
grands Docteurs) voulant conformer les peuples aux mœurs & aux coustumes
de son propre païs, & croyant que ce qui est honneste parmy les siens le sera
& le doit estre dans l’Estat où il commande ; non seulement il ne le corrigera,
mais il perdre : Aussi c’estoit la plus grande loüange qu’on donnoit à
l’Empereur Probus de ce qu’il cognoissoit les mœurs de toutes les
Nations qui estoient dans son Empire C’est pour quoy le meilleur de
nos Historiens dit, que quand vn Estranger gouuerneroit tres-bien
l’Estat, toutefois à cause de la difference qui sera entre son esprit, &
les nostres, sa maniere de viure & celle des François, il donnera toûjours
quelque sujet de plainte, estant impossible qu’il cognoisse particulierement
la Republique qu’il conduit comme les Sujets naturels,
& neantmoins cette cognoissance luy estant absolument necessaire
auant toutes choses.

La seconde raison est parce que iamais vn Estranger ne conduit
l’Estat auec toute la passion qui se trouue dans vn Sujet naturel. Le
plus grand de ses soins est d’esleuer sa Maison, d’accumuler des tresors,
& de faire sa retraitte quand il n’y aura plus rien à prendre dans
vn Royaume. Les Conseillers, dit Thucydide, qui sont Estrangers

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ne trauaillent iamais aux choses qui regardent le salut public, ou ils
ne sont passionnez que pour leurs affaires particulieres ; ou s’ils resoluent
quelques choses pour l’Estat, c’est sans y apporter vne meure
deliberation : c’est pourquoy les Politiques les appellent negligens
& interessez, & croyent que les Sujets en receuront tousiours bien
moins de graces & de bien-faits que des autres. Vn Prince (dit Tacite)
instruit aux coustumes Estrangeres plustost qu’en celles de son
Royaume, ne sera pas seulement suspect aux Peuples, mais il passera
tousiours pour fascheux & peu bien faisant : Et ce que cet autheur
dit d’vn Prince, il le faut entendre esgalement d’vn Ministre, parce
que bien qu’il y ait de la difference dans le caractere, il n’y en a presque
point dans le pouuoir.

 

Cette authorité de Tacite me fait passer à la troisiesme raison, qui
est ; Qu’vn Estranger ne peut estre en seureté contre la deffiance du
Peuple, ny contre la ialousie des Grands, si premierement il ne se fortifie
de Gardes, s’il ne dispose des meilleures Places, s’il ne change
les Magistrats, s’il n’engloutit les Charges seculieres & les dignitez
Ecclesiastiques, s’il n’arrache les Citoyens de leurs biens, & s’il ne
leur oste leur credit pour donner tous les deux à des Estrangers : si
en vn mot il ne se fait diuerses creatures pour l’agrandissement desquelles
il fait abaisser tout le reste, Et ces moyens sont insupportables
au Peuple.

Enfin, c’est vne chose honteuse à vn Peuple qui ne manque pas de
personnes capables du Ministere, de se voir sousmis à vn Estranger ;
& comme lors que cette eslection vient du Peuple elle luy est desaduantageuse,
parce que c’est vne marque de sa lascheté & de son ingratitude,
puis qu’il ayme mieux se sousmettre à vn Estranger qu’à vn
de ses Concitoyens : de mesme lors que le choix d’vn Estranger pour
Ministre vient de la volonté du Prince, il est honteux à celuy qui le
fait, & au Peuple qui le souffre ; parce que c’est vne marque presque
infaillible, que dans tout l’Estat il n’y a point d’homme ny assez sage,
ny assez intelligent pour s’en bien acquitter : ce qui est la plus miserable
condition & du Prince & du Peuple dans laquelle ils se puissent
trouuer. Et les Scythes, quoy que Barbares, l’ont si bien recognu,
qu’ils ne le pûrent celler au Grand Alexandre leur vainqueur ; comme
le marque Herodote en son liure sixiesme : Bien que tu sois (luy dirent-ils)
plus fort que tous les autres, toutes-fois souuient-toy que personne
veut souffrir la domination des Estrangers.

FIN.

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